Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Du développement


De l’économie du développement

De l’économie du développement

Tragédie et développement 

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, lundi 13 mars 2023

 

Qu’est-ce donc que l’économie du développement ? Il s’agit de la branche de l’économie qui étudie les problèmes économiques, sociaux, environnementaux et institutionnels que rencontrent les pays dits en développement. «Elle s'intéresse aux déterminants de la pauvreté et du sous-développement ainsi qu'aux politiques à mettre en œuvre pour permettre une meilleure évolution des pays en développement.» (source Wikipédia). 

Les faux débats de l’économie du développement

Je commencerais ainsi par une citation de mon livre de chevet, «La société contre l’Etat», de Pierre Clastres :

 

«Cela ne signifie évidemment pas que les sociétés archaïques ne le sont pas ; il s’agit simplement de pointer la vanité scientifique du concept d’économie de subsistance qui traduit beaucoup plus les attitudes et habitudes des observateurs occidentaux face aux sociétés primitives que la réalité économique sur quoi reposent ces cultures. Ce n’est en tout cas pas de ce que leur économie était de subsistance que les sociétés archaïques ont survécu en état d’extrême sous-développement jusqu’à nos jours. Il nous semble même qu’à ce compte-là c’est plutôt le prolétariat européen du XIXème siècle, illettré et sous-alimenté, qu’il faudrait qualifier d’archaïque. En réalité, l’idée  même d’économie de subsistance ressortit au champ idéologique de l’Occident moderne, et nullement à l’Arsenal conceptuel d’une science. Et il est paradoxal de voir l’ethnologie elle-même victime d’une mystification aussi grossière, et d’autant plus redoutable qu’elle a contribué à orienter la stratégie des nations industrielles vis-à-vis du monde dit sous-développé.»

 

Pierre Clastres, dans «Copernic et les sauvages», «La société contre l’État», pages 13-14

 

Et c’est à travers cette citation de Pierre Clastres sur la pauvreté de certaines approches des économistes autour de la notion d’archaïsmes et des économies de subsistance, que je souhaite introduire mon sujet sur le développement. 

 

Vous avez compris : je vais donc ci-après évoquer la nouvelle économie du développement, non pas au travers de Pierre Clastres, mon ethnologue préféré, mais plutôt à l’aune de la faiblesse des réflexions conceptuelles autour de l’économie du développement, et notamment au travers d’un des principaux acteurs français de ce milieu, l’Agence française de développement, un établissement public français de financement du développement qui selon moi, s’est énormément trompé en matière de développement.

 

Nota : Ce n’est pas le travail des milliers d’hommes et de femmes qui ont oeuvré depuis des décennies pour l’AFD, pour la CCCE ou pour la CCFOM (ces précédentes appellations) que je remets ici en cause,  qui pour certains ont été mes amis, mais bien juste et uniquement l’AFD de salon, de conférence, qui s’affiche aujourd’hui, ces quelques grands barons du développement, depuis les arrivées de Severino et Rioux, qui devient l’AFD de ce qu’elle devrait être : une agence de développement des pays africains, et non point une vitrine où certaines sommités s’exposent et se font mousser.

 

Dans le cas de la Reunion, l’AFD a eu une action décisive pour le développement de notre île, pour le développement du système financier de notre département jusque dans les années 1980, même si aujourd’hui, son rôle peut paraître bien insignifiant, bien faible. Ce n’est point de cette AFD là, des hommes et des femmes qui ont eu à cœur de developper notre île, l’Afrique, dont je parle ici, mais des fossoyeurs de cette AFD sous prétexte de s’afficher.

 

Mais au-delà des échecs de l’Agence française de développement, c’est toute l’économie du développement qui a échoué en Afrique, cette Terre d’élection des politiques de développement, qui, plus de soixante-dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, après plus de soixante-dix ans de politiques de développement conduites par l’AFD ou ses consœurs ou institutions approchantes, sous les diverses appellations précédentes de ces institutions, plus de soixante-dix ans plus tard, en 2023, l’Afrique demeure toujours un continent sous-développé, à l’exception peut-être de l’Afrique du Sud, avec des services publics sous-dimensionnés ou défaillants, ravagée par des guerres incessantes et à la merci désormais de groupements islamistes ou sécessionnistes.


Qu’appelle-t-on donc ‘économie du développement’ ?

C’est une notion sur laquelle j’ai assez régulièrement écrit dans ce blog. Mais l’économie du développement étant une notion discutée déjà dans les années 1970, je souhaite discuter ici de ce que l’on peut appeler la ‘nouvelle économie du développement’, celle qui ne souhaite plus chercher à développer l’Afrique, ni parler de développement, pour ne plus donner prise à la critique et au jugement de ses propositions et de ses préconisations. À la suite d’Esther Duflo, la nouvelle économie du développement ne traite plus que des questions de ‘Genre’ et d’expérimentations sur des micro-questions de politique économique à de minuscules échelles, permettant à des économistes du développement de jouer le rôle de Dieu ou du Destin. Est-ce que tu t’en sortiras mieux si je te donne 100 euros tous les mois ou si je ne te les donne pas?

 

Évidemment, on connaît déjà tous la réponse à cette question. Mais il faut que les résultats de l’expérience soient observables et reproductibles, tout ceci pour que cette branche de l’économie puisse porter le nom de science expérimentale ou de science dure. Vaste fumisterie, abject enfumage. Tout ceci pour que certaines personnes puissent se prendre pour Dieu et puissent participer à des colloques où ils où elles seront longuement acclamés par leurs pairs, sans jamais avoir jamais aidé au développement d’une quelconque contrée lointaine et étrangère.

 
Ainsi la partie de l’article traitant de l’économie du développement de Wikipedia, au sujet de ce que l’article nomme «le micro-développement» :

 

«Depuis la fin des années 1990, certains économistes du développement (notamment Michael KremerEsther DufloTed MiguelAbhijit BanerjeeSendhil Mullainathanetc.) ont développé des outils pour appréhender les impacts des politiques économiques au niveau microscopique et du développement d'expériences sur le terrain comme méthode d'analyse des causalités en économie. Ils ont propulsé la théorie de la randomisation, l'évaluation aléatoire et insistent sur les projets comme les micro-projets comme une stratégie de développement efficace quand on s'y prend rationnellement.

 

Avérée comme instrument empirique, la randomisation a revitalisé la discipline de l'économie du développement. Beaucoup parlent déjà d'une sous-discipline de la science économique, l'économie du micro-développement. Toutefois, les critiques n'ont pas tardé, car les résultats de ces évaluations devraient être limités à la situation qu'ils analysent. Rien ne dit qu'une mesure qui a réussi en Inde réussira aussi au Mexique ou au Kenya. De plus, ces méthodes supposent que certaines mesures soient appliquées à une partie seulement de la population (et refusées à d'autres), ce qui pose un problème éthique.»

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Économie_du_développement 


Pour introduire plus avant ce concept d’économie du développement, je commencerais donc d’abord par me citer :

 

«Bien qu’une bonne partie du monde semble aspirer au développement, le terme lui même est critiqué par certains qui le considèrent trop centré sur les sociétés occidentales. Il impliquerait une direction et un mouvement que ces pays doivent suivre, elle impliquerait une infériorité des pays en développement.

Qu’est-ce donc que le développement ? Le concept de développement en économie est d’abord une notion moderne, qui repose sur l’hypothèse de l’existence de plusieurs groupes de pays dans le monde, certains étant considérés (ou présentés) comme des modèles économiques, d’autres étant considérés comme étant en retard en terme économique. Les uns, les pays occidentaux, étant appelés les pays développés ou industrialisés, et les autres, les pays du Tiers Monde, étant nommés soit 'pays en voie de développement' (ou 'pays en développement' ou 'pays émergents') soit 'pays sous développés'.

Le concept de développement traduit ainsi ce phénomène de rattrapage en terme économique mais également humain, c’est-à-dire en terme d’industrialisation, de niveau de vie et aujourd’hui en terme de qualité de vie et d’accès aux biens publics que sont la santé, l’eau potable, l’électricité voire les infrastructures publiques. Voilà ce que recouvre le vocable de développement. Les pays aujourd’hui dits développés étaient il y a deux siècles à un stade non industrialisé, et ils ont enregistré au cours du dix-neuvième siècle et du vingtième siècle un processus de développement économique, technique, démographique, social et structurel.

Le développement devrait ainsi être un processus itératif vertueux, permettant aux pays restants du monde de rattraper de manière accélérée le niveau d’industrialisation et de vie des pays dits développés. Cette pensée économique a été mise en application essentiellement à partir des grands mouvements de décolonisation en Afrique et en Asie dès la fin de la seconde guerre mondiale, même si elle a pris initialement sa source dans la pensée de Karl Marx, et qu’elle a longtemps reposé notamment sur la vulgate marxiste.

Pourtant aujourd’hui, avec la disparition de l’Union Soviétique et avec la généralisation du modèle libéral, le développement n’a pratiquement plus rien à voir avec le marxisme, et ne résonne plus que des concepts de marchés, de libéralisme et de privatisations.»


Réflexion zéro 

https://saucrates.blog4ever.com/du-developpement-1

 

En quoi l’aide au développement est-elle une vitrine, un outil du développement

Pour en revenir à l’Agence française de développement et sa vision du développement, celle-ci organise régulièrement des séminaires sur l’aide au développement et sur les concepts de développement, ou des rencontres avec des personnalités. L’une de ces dernières publications reposait sur l’idée que le développement de l’Afrique ne pouvait passer que par les commons... ou biens communs. Très vieille idée popularisée à l’origine par cette fable sur la tragédie des communs, et qui veut qu’aujourd’hui, dans notre monde moderne, tout devient biens communs, tout devient communauté et tout devient interconnecté. Même un peuple imaginaire resté à l’abri de tout contact avec le reste de l’humanité se trouverait confronté, concerné aux événements cataclysmiques causés par l’action du reste de l’humanité. Et c’est évidemment encore plus vrai en Afrique, confronté à des services publics et à des infrastructures publiques moins robustes, moins bien dimensionnées, moins efficients et moins efficaces qu’en Occident ou ailleurs. 

 

Ainsi, l’AFD présentait aujourd’hui à Paris le dernier ouvrage de Kako Nubukpo intitulé «Une solution pour l’Afrique, du néoprotectionnisme aux biens communs», avec un débat avec Thomas Melonio, grand ponte de l’AFD, directeur exécutif du département de l’innovation, de la stratégie et de la recherche (titre bien ronflant à souhait …).

 

https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/une-solution-pour-l-afrique_9782738155184.php

 

Au fond je rejoins parfaitement le diagnostic d’échec du développement du territoire africain par les recettes actuelles de l’économie du développement, même si je ne vois pas de sens aux solutions préconisées en lien avec les ‘commons’. Mais au fond, tout ceci n’est que du mercantilisme réciproque ; permettre à un auteur de vendre des bouquins et de se faire mousser, et pour l’AFD, s’afficher comme l’endroit qui réfléchit au développement. Malgré les centaines de pointures du département de l’innovation, de la stratégie et de la recherche de l’Agence française de développement.

 

Tragédie du développement et biens communs

Pour en revenir aux communs (ou ‘commons’), la tragédie des communs est un concept décrivant un phénomène collectif de surexploitation d'une ressource commune, popularisé par un article de Garret Hardin paru en 1968. On retrouvait d’ailleurs cette même idée sous la plume de l’économiste anglais William Forster Lloyd qui publiait un essai en 1833 sur un pâturage sur des terres communes en Grande-Bretagne. 

 

La tragédie des biens communs concernent ainsi la gestion de Biens communs comme des terres de pâturage, des lacs, des océans, c’est-à-dire des ressources le plus souvent naturelles (mais pas forcément comme par exemple la bande passante d’internet), qui sont en libre accès ou appartiennent à des communautés et que le libre jeu de la concurrence, ou l’usage normal par les hommes, conduira à la surexploitation puis à la disparition de cette ressource. Plusieurs pistes sont étudiées par Garret Hardin ou l’économie du développement : nationalisation, privatisation ou gestion par les communautés. 

C’est cette dernière piste qui est évoquée par l’Agence française de développement, même si tout ceci est aussi ancien que le monde. L’Agence française de développement et ses chercheurs ne sont ainsi que des prestidigitateurs cherchant à faire croire qu’ils agissent et réfléchissent profondément et sérieusement pour le bien du monde (d’où leur symbole et leur maxime d’un monde en commun). Tout ceci est ancien comme le monde et sans intérêt ni apport intellectuel ; la majorité des biens communs ne peuvent être contrôlés entièrement par des communautés, qui ne peuvent d’ailleurs pas plus les entretenir par manque de moyens ou de capacité. Nous sommes nous-mêmes, l’ensemble des sociétés occidentales, incapables de freiner la pollution des océans globaux et la dilution des plastiques qui en découlent et leur diffusion dans l’ensemble des chaînes alimentaires marines. 

Tout bien commun est supposé être surexploité, accaparé par une fraction de ses usagers, et disparaître. La privatisation de ce bien commun permettra certes d’intéresser un groupe à sa préservation, ou au contraire, à son utilisation pour le bénéfice exclusif de ce groupe, de cette entreprise. Quant à sa nationalisation, c’est sans compter les risques issus de la prévarication des agents publics et des gouvernements, de telle sorte que le plus souvent, ce bien commun sera accaparé par quelques usagers avec la bénédiction des États qui étaient sensés les protéger. En somme, comme une privatisation mais avec d’autres types de coût pour les profiteurs. Et par ailleurs, la majeure partie des biens communs ne peuvent être contrôlés ou protégés même par un État.

 

L’humanité et l’économie du développement buttent ainsi sur plusieurs écueils qui se nomment ‘tragédie des communs’, ‘tragédie des comportements des passagers clandestins’, et ‘intérêts collectifs’. Comment sauver un monde où les humains ne cherchent qu’à consommer et profiter le plus possible, sans participer en aucune manière à la création, à l’entretien et à la préservation des biens communs indispensables à la vie et à la poursuite de la vie ?

 
Pauvreté de la réflexion écologiste en matière de développement 

Plutôt que d’éduquer l’humanité, les écologistes de tout crin ne cherchent qu’à imposer des règles et des comportements qu’ils considèrent comme bons, biens, se basant sur leur seule opinion, leur seule considération, se prenant eux aussi, également, pour des Dieux qui sauraient ce qui est BON, BIEN (tout ce qu’ils font) et ce qui est MAL (tout ce qu’ils n’aiment pas ou tout ce qu’ils ne font pas, ou bien tout ce qu’ils se réservent à eux seuls). 

L’économie du développement pour sa part n’a rien réussi à proposer pour sortir de cette impasse économique et écologique. Si ce n’est de basculer dans l’hystérie écologique de ceux qui se prennent pour des Dieux et décident de ce qu’il est BON de faire et de ce qu’il est inversement MAUVAIS de faire.

 

Soixante-dix ans d’échecs et de tentatives ratées en territoire africain ne permettent même pas à cette économie du développement de proposer une idée qui puisse fonctionner en Afrique. Mais de toute façon, connaît-on un seul pays au monde qui ait pu réussir son décollage économique avec une natalité aussi explosive que celle de l’ensemble de l’Afrique et des états africains ? Non, ni la Chine, ni l’Inde, ni le Japon, ni les Tigres et Dragons asiatiques ne se sont développés sans avoir d’abord limité drastiquement leurs naissances, que ce soit coercitivement comme en Chine ou culturellement comme en Inde. 

C’est le constat présenté par Kako Nubukpo lorsqu’il écrit dans la fiche de présentation de son livre : «L’Afrique est soumise à un défi gigantesque : intégrer en une génération un milliard d’individus supplémentaires dans un contexte de faible productivité, de quasi-absence d’industrie, d’urbanisation accélérée, le tout coiffé par une crise climatique devenue permanente.»


Face à une humanité se reproduisant à la manière d’un virus, et qui se répand comme un cancer à la surface de la planète, face à des ressources communes en voie d’extinction, face à des biens communs surexploités, quelles solutions peut apporter l’économie du développement ? Face par ailleurs à un impensé de l’économie : la guerre et les invasions humaines, et ses impacts et conséquences sur l’économie et l’évolution des sociétés ?

 

La réponse n’est peut-être pas tant en une économie plus juste, plus éthique, imposant aux principaux acteurs économiques (occidentaux le plus souvent) la préservation des ressources et des biens publics, mais plutôt en une mise en œuvre de règles contraignantes à l’échelle mondiale pour bloquer la croissance démographique de l’humanité, par tous les moyens possibles. Il faut sortir de l’éthique religieuse du ‘croître et se multiplier’. Il faut sortir du sacro-saint marché efficient et autorégulateur et de la non moins divine main invisible organisant le marché.

 

 

Saucratès 


13/03/2023
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Un regard d’une malgache sur la France - Les biais du financement français

Un regard d’une malgache sur la France - Les biais du financement français

Par Saucratès 

Samedi 31 décembre 2022

 

De Dakar à Djibouti, pourquoi tant de jeunes africains en veulent-ils aussi violemment à la France ? C’est un peu les questions que l’on peut se poser en lisant la somme d’interviews que le journal Le Monde a consacré à cette jeunesse africaine et à leur relation, à leurs sentiments par rapport à la France. 

Et avec une exception, cette interview d’une jeune militante malgache, «directrice du bureau local de l’ONG Transparency International depuis quatre ans, juriste de formation, ayant participé précédemment à la création de Wake up Madagascar, un mouvement destiné à inciter la jeunesse à s’impliquer pour la défense des droits humains et de la démocratie», à savoir Mme Ketakandriana Rafitoson.

 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/12/30/ketakandriana-rafitoson-si-les-malgaches-sont-miserables-aujourd-hui-ce-n-est-pas-la-faute-de-la-france_6156122_3212.html

 

Et son analyse ne se limite pas à tirer à boulets rouges, à boulets incendiaires, sur la France pour la colonisation, pour le passé, pour la rendre responsable de tout ce qui ne va pas à Madagascar. Rafraîchissant … Reposant … Surprenant. Un regard lucide sur la responsabilité des élites et des gouvernants dans la misère des peuples et les dysfonctionnements de nos sociétés.

 

Et j’adore sa conclusion, et son exemple central de tout ce qu’elle combat : «Son vœu pour l’avenir : pour commencer, que la France ne finance plus des téléphériques à Madagascar.»

 

Comme elle l’indique un peu avant, les raisons qui la poussent à contester les projets de téléphériques à Madagascar sont selon elle mauvais :

 

«La France devrait également se garder de soutenir certains projets comme le téléphérique d’Antananarivo. De tels choix d’investissements français à Madagascar devraient être faits en consultation avec la population pour savoir si ce sont réellement des priorités pour elle ou bien seulement des desiderata frivoles des dirigeants».

 

C’est une attaque frontale et précise contre un projet qui parait tout à fait anodin, tout à fait sans importance. Mais il faut noter la centralité de cette critique et sa pertinence générale, globale, au plan français comme international. 

Combien de projets de cette sorte pullulent dans nos pays, dans nos collectivités, en fonction uniquement des lubies de nos dirigeants, comme elle l’indique, en fonction «des desiderata frivoles» de nos gouvernants. 

 

On pourrait même rajouter que ce genre de financements dépendent également des lubies et des «desiderata frivoles» des financeurs internationaux ou étrangers comme la France, comme l’Agence française de développement, comme la Banque Mondiale. C’est parce que financer des modes de déplacement innovants et invraisemblables, collectifs et faiblement émetteurs de CO2, correspond parfaitement à leur feuille de route climatique que ces institutions financières internationales sont tellement enclines et friandes de ce genre de projets, même si cela ne correspond aucunement aux attentes des populations civiles ou à une simple lubie d’un gouvernement ou d’une municipalité allumée. 

La commune de Saint-Denis de la Reunion a fait la même chose dans le quartier de Sainte-Clotilde et envisage de poursuivre l’expérience pour rejoindre La Montagne à Saint-Denis. Et même si un accident de téléphérique survenait, cela ne changerait rien à leur idéologie, puisqu’ils vous démontreraient chiffres à l’appui que les morts de ce téléphérique ne seraient rien en comparaison des morts sur les routes.

 

Je trouve ainsi particulièrement cocasse et intéressant que ce soit justement ce genre de projets totalement inutiles qui soit justement mis en exergue par cette jeune femme dans cette interview pour Le Monde. Pragmatisme, lucidité, intelligence.

 
«J’ai dit à l’occasion d’une interview donnée dans le cadre du sommet Afrique-France de Montpellier, auquel j’étais invitée en octobre 2021, qu’il serait souhaitable que la France cesse d’héberger les criminels malgaches, qui pour certains y possèdent des biens potentiellement mal acquis. Je le répète aujourd’hui : il faut que la France cesse de les protéger. Si elle veut avoir une relation sincère avec les Malgaches, elle doit contribuer à sanctionner ceux qui ont pillé ce pays. Cela ne me semble pas insurmontable.»


Un organisme de financement du développement comme l’Agence française de développement devrait cesser de choisir les projets qu’elle finance en fonction de sa grille de lecture climatique, en fonction de ses seuls besoins propres visant à rendre compte de sa gestion publique (nombre d’élèves, nombre d’arbres plantés, tonnes de CO2 évitées …) ou de ses idéaux politiques climatiques, pour s’intéresser plutôt à l’intérêt des projets qu’elle finance pour les populations des pays concernés, de l’association des citoyens dans les décisions prises ou dans les choix des investissements.  

 

Et ce qui est ici intéressant, c’est bien que la critique contre la France ne concerne pas véritablement la France, mais plutôt le fonctionnement de l’Agence française de développement. Il y a quarante ans, la France finançait des éléphants blancs comme des gigantesques barrages hydroélectriques.

 

Aujourd’hui elle finance des modes de déplacement propre, vertueux en terme d’émission de gaz à effet de serre. Et tant pis s’ils ne servent à rien, s’ils seront mis au rebus ou qu’ils seront toujours en panne, l’AFD s’en fout, ses dirigeants s’en foutent, la France s’en fout dès lors que les malgaches rembourseront rubis sur l’ongle ces beaux financements qui auront servis à donner une belle image des missions de l’Agence française de développement.

 

 

Saucratès

 

 

De Dakar à Djibouti, radioscopie de la relation Afrique-France

  

Alice Nkom : « C’est à nous, Africains, d’avoir des responsables capables de parler d’égal à égal avec la France, la Chine ou la Russie »

31/12/2022
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Réflexions sur la relation Chine-Afrique

Réflexions sur la relation Chine-Afrique

Par Saucratès 

 

Saint-Denis de la Réunion, samedi 1er janvier 2022

 

L’Afrique, son histoire ancienne et son développement sont mes sujets de prédilection. Mon intérêt pour l’anthropologie depuis mes jeunes années d’étudiant a essentiellement trait à cette histoire africaine, et en aucun cas pour celle d’Amérique du sud, d’Amérique du nord ou de l’Australie comme tant d’autres grands anthropologues français comme Pierre Clastres, Marcel Mauss ou Durkheim. Sans oublier Claude Levi-Strauss même si lui c’est aussi intéressé à l’Afrique.
 

En ces premiers jours de 2022, je m’intéresserais donc à la relation ambiguë entre la Chine et l’Afrique en matière de développement et de finance. Je me réfèrerais pour cela à quelques articles du Monde traitant de ce sujet.  

 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/16/au-bout-de-vingt-ans-la-success-story-de-la-chinafrique-a-des-consequences-qui-posent-probleme_6073324_3212.html

 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/03/06/les-chinois-sont-encore-tres-ignorants-des-cultures-du-continent-africain-et-de-ses-diasporas_5266565_3212.html

 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/03/28/pourquoi-les-chinois-veulent-la-peau-des-anes-africains_5101859_3212.html 

 

La plupart des États africains ont retrouvé leur indépendance entre les années 1950 et les années 1970-1975. Mais la colonisation par les États européens (et non pas occidentaux, les USA et le Japon n’ayant point eu de colonies en Afrique) a marqué durablement ses États balbutiants, notamment en ayant créé arbitrairement des frontières géographiques qui n’avaient aucun fondement ethnique ou étatique antérieur. Il semble que les frontières en Afrique soient une création du colonisateur européen. 

L’économie du développement est née au cours de ces mêmes années, entre les années 1950 et 1970, et il est extraordinairement triste de voir les échanges, la relation entre la Chine et l’Afrique, suivre exactement les mêmes voies de garage, reproduire les mêmes erreurs, que celles rencontrées avec les Etats occidentaux. 

- Financement de grands projets pharaoniques, dits «éléphants blancs», qui n’apportent rien aux populations locales, sont sur-dimensionnés par rapport à leurs besoins, mais répondent à un objectif de prestige de leurs dirigeants ou simplement aux intérêts de leurs constructeurs occidentaux. 

- Endettement et charge de la dette croissant entraînant une dépendance de ces États à leurs créanciers étrangers, au lieu de permettre l’émergence d’une classe possédante apte à financer le développement de leur pays.

 

- Accaparement des principales richesses minières, terriennes ou naturelles au bénéfice de firmes étrangères et des anciens colonisateurs.

 

Et alors que l’Afrique n’est pas encore sortie de cette situation de dépendance à l’égard de leur ancienne métropole, de leur ancien colonisateur, le rejet de l’influence de ces derniers a jeté ces états africains dans les bras de la Chine qui avait promis une autre relation. Mais les routes de la soie sont passées par là. Et au fond, même si les intérêts de la Chine différent de ceux des occidentaux, le résultat affiché au fond le même : accaparer les richesses africaines et régenter les décisions et la politique intérieure et exterieure de leurs débiteurs, afin de les contraindre à agir dans l’intérêt de Pékin et de ses entreprises publiques ou privées. 

Je n’irais pas jusqu’à dire que jamais les européens ne sont allés assez loin que leurs successeurs chinois ou coréens. A Madagascar, un groupe coréen avait préempté plusieurs millions d’hectares après de l’Etat malgache, mais je sais que la France a peut-être fait pareil en son temps, notamment à l’époque de la Sakaï ; il devait bien y avoir des tribus propriétaires des terres dont la gestion et l’administration avaient été confiées aux colons réunionnais de la Sakaï, dans les années 1950-1960 ?

 

De la même manière, les possessions de Framatone/Areva/Orano et son projet d’exploitation de gisements d’Uranium au Niger, ou la main mise des diamantaires anglais ou belges sur les mines sud-africaines et sur la commercialisation des diamants, impliquent bien que les occidentaux ont mis la main sur les richesses minières africaines, au mépris des intérêts des peuples d’Afrique et des états africains. Il restera à démontrer qu’en Europe, les richesses minières ont d’abord été exploités au bénéfice des États et de leurs citoyens, et non pas au bénéfice de quelques riches fonderies ou dirigeants de sociétés capitalistes. Dans le cas contraire, est-il vraiment condamnable que ceux qui s’enrichissent ne soient pas de riches nationaux mais simplement des groupes étrangers, chinois ou occidentaux ? 

La seule différence est en fait l’apparition d’une classe possédante nationale dont les intérêts sont plus ou moins intriqués avec ceux de leurs États, même si aujourd’hui, pratiquement toutes les dettes de tous les pays sont en fait détenues majoritairement par des emprunteurs étrangers ou internationaux. La crise du système monétaire européen, appelé à l’époque «Serpent monétaire européen» des années 1992-1993 s’expliquait notamment par les débuts de ce que l’on a ensuite appelé les spéculateurs internationaux. La crise du SME des années 1992-1993 fit la fortune de Georges Sorros, lorsque celui-ci réussit à battre les banques centrales europeennes les contraignant à laisser flotter leurs devises, à élargir leurs bandes de fluctuation.

 

Si les banques centrales françaises, anglaises et allemandes ne réussirent pas en 1992-1993 à battre les forces des speculateurs occidentaux, comment les banques centrales des États africains, ou d’un autre pays, pourraient-elles aujourd’hui les combattre, trente années de profit plus tard ?

 

Cette réflexion est intéressante parce qu’elle permet de restituer l’importance prise par la Chine en Afrique à l’aune des problèmes qu’elle produit. Au point de devenir l’un des principaux prêteurs de l’Afrique, et de se retrouver au prise avec les appels à effacer les dettes des États africains. Sauf que la Chine n’appartient pas au Club de Paris, qu’elle n’accepte pas un droit de regard international sur les prêts qu’elle accorde à ses débiteurs, qu’elle n’accepte pas d’effacer les dettes de ses Etats débiteurs. Mais seulement de consentir de nouveaux prêts à des taux toujours plus élevés.

 

Avec le risque que tout le processus international existant aujourd’hui autour de l’initiative de renégociation et d’annulation des dettes des États africains existant autour du Club de Paris ne disparaisse corps et âme si les annulations de dettes des États occidentaux servent en fait juste à accroître l’endettement des États africains auprès de la Chine, et ne soit utilisé par celle-ci que pour continuer d’honorer ses remboursements à ses créanciers chinois !

 

Cet effacement des dettes des États africains avait-il un sens ? Permettre à ces débiteurs de pouvoir face au service de leur dette intérieure ou extérieure ? Ou bien de ne pas avoir à se prononcer sur l’intérêt réel des investissements financés par ces dettes, sur l’enrichissement personnel des dirigeants africains permis par le détournement des sommes prêtées sans précaution par les financeurs étrangers ? Effacer la dette ancienne pour permettre de pouvoir réemprunter auprès des mêmes financeurs ou auprès de nouveaux intervenants comme la Chine ?

 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/15/la-chine-elle-aussi-doit-annuler-des-dettes-africaines_6036655_3232.html

 

 

Saucratès


01/01/2022
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Du développement (6)

 

Réflexion quarante-huit (6 avril 2012)
Intermède : une nécessaire réorientation de l'aide au développement vers l'Afrique

 

Deux articles intéressants sur quelques enjeux du développement parus dans le journal Le Monde. L'un des auteurs, Serge Michailof, a travaillé à l'Agence française de développement. Il s'intéresse tout particulièrement à cette partie d'Afrique en marge du Sahel et ravagée par les guerres civiles. A l'heure où je suis en train de lire un bouquin d'économie du développement co-écrit par Esther Duflo où toutes les politiques de développement sont rapportées en terme de bénéfice de revenus futurs, une lecture moins micro-économique et un champs d'analyse beaucoup plus large me semble particulièrement agréable.

 

Ces deux articles prônent une réorientation de l'aide au développement française vers l'Afrique noire et sahélienne, tournée vers la population, vers la sécurité alimentaire, vers la sécurité politique, vers l'enseignement, vers le développement, et non plus fonction uniquement des intérêts économiques, militaires ou diplomatiques de la France. Les subventions vers l'Afrique ne doivent plus être anecdotiques dans l'aide au développement française (14 millions d'euros en moyenne par an pour les cinq pays du Sahel) mais en devenir une priorité nationale.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/29/le-nord-du-sahel-a-besoin-d-un-plan-marshall-pour-sortir-de-la-violence_1676940_3232.html

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/04/05/les-risques-de-somalisation-du-nord-sahel-et-les-enjeux-de-l-aide-francaise_1680358_3232.html

 

 

Réflexion quarante-sept (12 décembre 2011)
La question stratégique des sols en Afrique en matière de développement ...

 

Je me ferais l'écho d'un article de presse intéressant paru dans le journal Le Monde sur la question de l'appropriation des sols en Afrique. Cet article se réfère lui-même à la dernière publication de l'Agence française de développement, le numéro 237 de la revue Afrique contemporaine, traitant des investissements agricole en Afrique.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/10/sols-d-afrique-un-actif-strategique_1617067_3232.html

http://www.afd.fr/home/publications/afriquecontemporaine

 

Pour l'Agence française de développement, cette publication marque un retour sur un sujet fondamental en matière de développement : l'agriculture ... qui avait été totalement oubliée depuis de nombreuses années par cet organisme bilatéral de financement du développement, se préoccupant jusqu'à présent uniquement des thèmes de l'eau, du carbone, de l'urbanisme et tentant de se transformer en usine d'idées afin de promouvoir un directeur général voulant s'offrir une stature internationale ...

 

Cela avait notamment conduit l'AFD à passer complètement à côté des émeutes de la faim et de ne plus avoir aucune réponse à proposer sur le sujet central de la sécurité alimentaire et de l'autosuffisance alimentaire ... Mais il faut aussi rappeler que tous les organismes de développement avaient suivi la même politique en délaissant complètement le champ de l'agriculture ... dernière roue du carosse ou au minimum des discours et des préoccupations ...

 

Accessoirement, alors que les organismes de financement du développement n'accordaient plus aucune importance à l'agriculture, préférant financer l'urbanisme, les réseaux d'assainissement, les réseaux de transport publics, les réseaux d'adduction en eau, les centrales électriques, les mécanismes innovants en matière de développement propre, essayant de mettre en application et de lancer des mécanismes de financement dans le cadre des accords de Kyoto, les grandes firmes privées asiatiques, chinoises, coréennes, indiennes et autres, investissaient massivement dans les terres arables africaines, achetant et spéculant sur des millions d'hectares arrachés à leurs utilisateurs historiques qui se trouvaient spoliés et expulsés. 

 

Mais il me semble excessif de lier le développement des investissements étrangers privés à un recul de l'aide au développement en faveur de l'agriculture. Les deux phénomènes sont sans rapport. L'investissement étranger profite de l'état de corruption de l'organisation étatique, qui choisit de vendre une fraction énorme du patrimoine arable d'un état sans tenir compte de ses citoyens qui seront concernés par cette cession. C'est un déni de démocratie s'expliquant avant tout par la faiblesse de l'état de droit, par l'absence de cadre juridique encadrant la propriété privée et la reconnaissance du droit à l'occupation des terres, qui ne serait pas possible dans le même ordre d'échelle dans un pays comme la France. En même temps, une telle opération, comme celle de Daewo à Madagascar, n'est pas une novation. Par le passé, dans les années 1950, du temps de la colonisation de Madagascar par la France, la même opération avait eu lieu, au bénéfice d'une entreprise française, et avait donné naissance à une coopérative (la Satec) ... dont les colons venant de France ou de l'île de la Réunion, avaient mis en valeur les campagnes malgaches, avant d'être expulsés quelques décennies plus tard à l'indépendance.  

 

Un sujet intéressant, même si celui-ci ne doit pas être limité à la seule Afrique. L'Amérique du Sud a également été touchée par les mêmes dérives capitalistes et les mêmes déviances anti-démocratiques, qui conduisent à l'expropriation des occupants traditionnels de ces terres sans aucune concertation, sans aucune reconnaissance des droits d'occupation de ces terres. Le simple fait que ce ne soit pas des firmes chinoises, indiennes ou coréennes, n'enlève rien au problème de confiscation des terres. En Amérique du sud, des millions d'hectares ont également été confisqués par des firmes occidentales ou de riches propriétaires étrangers, tandis que les occupants traditionnels de ces terres, issus de communautés indiennes ancestrales, étaient refoulés et combattus par l'armée. Le simple fait que le crime perpétré contre les populations originaires d'Amérique du sud n'ait jamais été reconnu et condamné par la communauté internationale comme a pu l'être le crime esclavagiste à l'encontre des populations africaines noires n'aide vraisemblablement pas non plus à cette reconnaissance.

 

Tout cela pose le problème de la nécessité de la vigilance internationale vis-à-vis des accaparements de terre par les firmes internationales étrangères ou locales, dont les organismes internationaux de financement du développement constituent l'un des rouages importants si ce n'est essentiel ... Ce débat pose aussi le problème de la nécessité d'une politique de développement axé autour du soutien à la petite entreprise agricole familiale par les organismes de financement, en relais à des caisses de crédit agricole ... Il interroge aussi la nécessité de construire un aménagement du territoire et des infrastructures de transport suffisamment en bon état pour permettre la libre circulation des biens agricoles, leur entreposage et leur stockage ...

 

Enfin, cette interrogation interpelle sur la nécessité de la mise en place d'un état de droit, reconnaissant les droits inaliénables des populations concernées, quelque soit leur race, leur ethnie ou leur religion, que ce soit en Afrique ou en Amérique du Sud ou du Nord ... mais combattant également la prévarication et la corruption des élites et des possesseurs du pouvoir politique et/ou armé ...

 

 

Réflexion quarante-six (26 mai 2011)
Le reniement des promesses des états du G8 en matière d'aide au développement ...


Cinquante milliards de dollars, c'était l'engagement pris en 2005 par les états composant le G8, lors du sommet de Gleneagles, en Ecosse, d'augmentation de l'aide publique au développement (APD) versée pour la période 2004-2010. Cette promesse concernait non seulement les huit membres du groupe, mais également les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Six années plus tard, qu'en est-il ? A l'occasion du sommet français de Deauville du G8 (qui débute aujourd'hui 26 mai), l'association non gouvernementale Oxfam interpelle les membres du G8 sur le non-respect de leur promesse.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/05/24/l-inde-va-preter-5-milliards-de-dollars-a-l-afrique-sur-trois-ans_1526559_3234.html

Bataille de chiffres selon le ministre français de la coopération Henri de Raincourt, selon lequel entre 2004 et 2010, l'aide publique au développement des pays engagés par la promesse de 2005 est passée de 80 à 129 milliards de dollars, soit une progression de l'aide de 49 milliards.

Mais selon l'OCDE et Oxfam, lorsque l'on raisonne hors inflation et perte de valeur du dollar, l'aide publique au développement en dollar constant n'atteint plus que 111 milliards de dollars en 2010, soit une progression de l'aide qui n'atteint plus que 31 milliards de dollars sur la période, soit 19 milliards de dollars de moins que l'engagement de 2005.

Du côté d'Oxfam, Sébastien Fourmy «espère que les pays du G8 profiteront de l'occasion du sommet de Deauville pour tenir leurs engagements. Il faut un plan pour rattraper le retard, explique-t-il. Pour l'ONG, ce plan doit comporter deux volets, quantitatif, avec une augmentation de l'APD, et qualitatif, avec le renforcement des ressources humaines dans le secteur de la santé et le soutien à la petite agriculture. L'aide au développement ne peut pas tout, reconnaît-il, mais son rôle est essentiel.»

Je souligne : Renforcer les ressources humaines dans le secteur de la santé et soutenir la petite agriculture (vivrière) ; soit les deux principaux axes sur lesquels l'aide publique au développement devrait s'appuyer, surtout en direction de l'Afrique et des pays les plus pauvres.

Autre article publié dans Le Monde, en lien avec celui-ci, l'engagement pris par l'Inde de consentir 5 milliards de dollars de prêts à l'Afrique sur les trois prochaines années.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/05/24/l-inde-va-preter-5-milliards-de-dollars-a-l-afrique-sur-trois-ans_1526559_3234.html

Alors que les états membres du G8 ont de telles difficultés à respecter leurs engagements en matière de croissance de l'APD, l'Inde, grand pays émergent, se place en position de leur donner des leçons. Mais coup de publicité gratuite ou véritable engagement en matière d'aide au développement ?

Il ne faut pas confondre prêts en faveur du développement et aide publique au développement. La mise en perspective des deux chiffres doit être relativisée. 5 milliards de dollars de prêts consentis, ce n'est pas 5 milliards de dollars d'aide au développement. A titre de comparaison, l'Agence française de développement (principal acteur de l'aide au développement français) a consenti en 2010 plus de 6 milliards d'euros de prêts, certes dans le monde entier, moins d'un quart étant consenti en faveur de l'Afrique subsaharienne. Quant à la Banque mondiale, ses octrois de prêts et de subventions se chiffrent à 73 milliards de dollars environ en 2009-2010 dont 13,9 milliards de dollars pour l'Afrique subsaharienne.

A noter deux autres articles plus anciens du Monde mais extrêmement intéressants :
http://www.lemonde.fr/international/article/2010/11/26/le-nombre-de-pays-tres-pauvres-a-double-en-quarante-ans_1445160_3210.html
http://www.lemonde.fr/economie/chat/2011/03/22/quelles-politiques-faut-il-mener-pour-lutter-efficacement-contre-la-pauvrete_1496681_3234.html


Saucratès


Mes précédents écrits sur le Développement :
1.https://saucrates.blog4ever.com/blog/lire-article-447196-2021600-du_developpement__1_.html
2.https://saucrates.blog4ever.com/blog/lire-article-447196-2021616-du_developpement__2_.html
3.https://saucrates.blog4ever.com/blog/lire-article-447196-2021633-du_developpement__3_.html
4.https://saucrates.blog4ever.com/blog/lire-article-447196-2021649-du_developpement__4_.html
5.https://saucrates.blog4ever.com/blog/lire-article-447196-2021665-du_developpement__5_.html


26/05/2011
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Du développement (5)

Réflexion quarante-cinq (3 mars 2011)
Changement de paradigme de développement à la Banque mondiale ...

 

Une dépêche de l'AFP nous informe d'un changement de positionnement de la Banque mondiale dans les pays africains en matière de politique économique. Conformément à son crédo néo-libéral qui reposait sur des politiques dites d'ajustement structurel, également chères autrefois/toujours au Fonds monétaire international, la Banque mondiale mettait jusque-là l'accent sur la recherche de la stabilité économique et de bases économiques saines.

 

La Banque mondiale a annoncé mardi 1er mars 2011 adopter une nouvelle stratégie d'aide à l'Afrique, pour aider l'économie du continent à décoller. Cette stratégie insiste désormais sur la nécessité de se concentrer sur trois domaines clefs : la compétitivité et l'emploi, la vulnérabilité et la résistance aux chocs, et la gouvernance et les capacités du secteur public.

 

La Banque mondiale veut désormais aider les pays africains à diversifier leur économie et créer des emplois, particulièrement pour les 7 à 10 millions de jeunes qui entrent dans la vie active chaque année sur le continent. «Cela contribuera à combler le fossé entre les besoins en infrastructures et les investissements, actuellement de 48 milliards de dollars par an environ, et soutiendra les efforts pour faciliter la vie des entreprises», selon la Banque mondiale.

 

Difficile de ne pas voir dans cette prise de conscience des millions de jeunes entrant sur le marché de l'emploi, l'influence des révoltes secouant actuellement les pays arabes, dont l'une des revendications principales, l'un des motifs principaux, demeure justement l'absence de perspectives pour les jeunes dans des économies contrôlées par quelques familles politiques.

 

Néanmoins, les trois principaux axes d'intervention retenus par la Banque mondiale font apparaître une nouvelle fois l'éviction en tant que telle de la réflexion autour des problèmes liés à l'agriculture, à l'indépendance alimentaire et aux crises alimentaires qui ont agité il y a encore à peine quelques années une bonne partie des états africains et pays moins avancés (PMA). Ces nouveaux axes d'intervention font en quelque sorte le pari de la normalisation du continent africain sur le modèle du reste du monde. Comme l'exprime la Banque mondiale, «sa stratégie pourrait aider les économies africaines à décoller comme l'ont fait celles d'Asie il y a trente ans».

 

... Pas d'attention particulière accordée à l'agriculture ... Oubli de tous les enjeux liés à la protection des milieux naturels, des ressources naturelles et au processus de réchauffement climatique (et notamment ses divers outils de financement) ... Il faut noter par ailleurs que la Banque mondiale n'est pas la seule à voir évoluer ses modalités d'intervention ... D'autres agences bilatérales de financement changent également de paradigmes d'intervention ... Même si toutefois ces changements ne signifient pas forcément une nécessité de changements des politiques des bailleurs internationaux (l'absence de développement de l'Afrique au cours de ces dernières décennies pourrait néanmoins l'infirmer, bien que la Banque mondiale reconnaisse que l'Afrique a connu au cours de ses dix dernières années un rythme de croissance économique surprenant ...) mais plus vraisemblablement un effet de mode dans les changements des paradigmes de développement et la volonté de quelques hommes voulant rompre avec un passé.

 

Pour information, la Banque mondiale, c'est un total d'engagements de 13,9 milliards de dollars pour l'exercice 2009-2010 en faveur de l'Afrique subsaharienne sous forme de prêts, subventions, investissements et garanties, soit 19% du total de son aide pour cette année contre 17% l'année précédente.

 

 

Réflexion quarante-quatre (16 mars 2010)
Des problèmes de financement en matière de développement ...


Je tenterais d'aborder deux points différents dans mes prochaines réflexions. Le premier point sera assez simple et conforme à ce que le titre peut laisser supposer : les problèmes de financement des investissements publics auxquels peuvent se trouver confronter des états, et par voie de conséquence l'alternative d'un financement privé par le biais d'une privatisation, d'une mise en fermage ou un partenariat public-privé. Le deuxième point sera peut-être plus spécifique et inattendu puisqu'il traitera des problèmes de financement et de subventionnement des productions agricoles, notamment du fait des pays occidentaux.

1) Les problèmes du financement des investissements publics ...

Le problème des politiques publiques butte sur un ensemble de différents facteurs. Premièrement, il existe des écoles économiques différentes pour appréhender les avantages et les inconvénients d'une gestion publique ou privée d'une infrastructure commune. Une gestion privée est supposée être moins sujette à des détournements dans l'usage et permettre une gestion plus efficace de l'infrastructure, par opposition à une gestion publique. Inversement, la gestion privée d'un tel bien fera peu de cas de la finalité sociale d'une telle infrastructure, qu'elle gérera principalement dans une optique de profit maximum. Une gestion publique aura au contraire tendance à privilégier l'aspect social de cette infrastructure, au détriment de l'aspect de rentabilité.

Ceci étant posé, on observe aisément que les deux approches possèdent toutes deux une légitimité équivalente mais différente, et que selon l'optique que l'on retient, toutes deux peuvent être considérées comme plus légitimes l'une que l'autre.

Le second niveau d'étude concerne le mode de financement. Un financement public implique soit des excédents de recettes fiscales sur des dépenses publiques disponibles et non utilisés, soit un recours à l'endettement financier. Dans le cas d'un état occidental dit 'riche', la seule limite à ce genre de recours à l'endettement dépend de la capacité de remboursement de l'état (rarement) ou de la collectivité locale. Dans le cas d'un état dit 'en développement', sa capacité de financement dépendra in fine de sa possibilité d'obtenir un tel financement de la part des marchés financiers ou d'un organisme bilatéral ou multilatéral de développement (AFD, KfW ou BM ...) et donc de sa capacité à rembourser ses dettes (dettes sur PIB). De la même manière, une entreprise privée, nationale ou multinationale, voit sa capacité d'endettement dépendre également de sa structure financière (rapport dette sur fonds propres).

Néanmoins, il apparaît assez rapidement qu'un état peut se trouver confronter à l'obligation de faire des choix entre plusieurs investissements publics tout aussi importants et fondamentaux dans une optique de développement, qu'il s'agisse d'un état développé ou d'un état en développement. Ponts, réseaux routiers, réseaux ferrés, aéroports, réseaux d'eau, centrales électriques ou nucléaires ... La capacité d'endettement de tout état n'étant pas extensible à l'infini, et les capacités des administrations à conduire de multiples travaux en même temps étant également limitées, des choix doivent forcément être faits, et il peut alors paraître souhaitable de confier le financement et la gestion de certains investissements à des intervenants privés, malgré le risque existant que ces biens soient gérés de manière capitaliste et non pas social. Tous types d'investissements publics ou sociaux ne peuvent ainsi être délégués au privé sans précaution.

Néanmoins, autant la question ne pose pas de problème lorsqu'il s'agit d'un réseau autoroutier, dont les automobilistes utilisateurs peuvent payer l'usage pour bénéficier d'un gain de temps, autant elle se pose avec aquité pour d'autres types d'investissements publics, que ce soit des réseaux de distribution d'eau ou d'électricité (avec les problèmes d'obligation d'accès pas toujours simple pour les personnes à revenu faible ou sans revenu) ou autres.

A l'inverse, il apparaît également que le secteur privé n'acceptera de prendre en charge que des infrastructures présentant une bonne possibilité de rentabilité financière et une faible obligation de résultat en matière social. On peut néanmoins noter que les réseaux routiers, les réseaux d'assaissinissement et de distribution d'eau, les aéroports, les réseaux ferrés, les écoles, les centres sportifs, les parkings, peuvent intéresser les investisseurs privés. Des routes de desserve en campagne, des espaces verts ou des parcs boisés, des sociétés de logements sociaux intéresseront rarement le secteur privé.

A noter que les états développés, par différence d'avec les états en développement, ont mis en place de nombreux établissements publics ou entreprises publiques pour gérer un certain nombre de ces domaines, capables de s'endetter de manière autonome sur les marchés financiers, et décuplant la capacité d'investissement des états. Se pose après cela le débat de leur privatisation ultérieure par la mise en bourse d'une partie de leur capital, qui implique le problème de la juste valeur d'une somme d'investissements publics historiques (la valeur demandée pour EDF ou pour France Telecom était-elle juste ?), mais également de la légitimité de la transmission au privé d'infrastructures payées par le public et utiles à la collectivité dans son ensemble (réseaux et centrales électriques d'EDF, réseaux téléphoniques de France Telecom, réseaux autoroutiers ...).

On ne peut oublier néanmoins le concept keynésien d'effet d'éviction entre dette publique et dette privée en la matière. Il est clair qu'il y a stricte substitution entre endettement public ou privé dans le cas du financement d'infrastructures collectives, même si les conséquences en matière de gestion et de disposition de ses infrastructures ne sont pas neutres. Mais il doit être noté qu'il est fort probable que la dette soit achetée (ou prêtée) par les mêmes intervenants, que l'endettement soit privé ou public ... et donc que le concept d'éviction keynésienne ne concerne que l'origine du paiement de la dette et en aucun cas l'existence même du financement qui préexiste avant cela et existera après cela ...

 

 

Réflexion quarante-trois (11 mars 2010)
Le problème de la gestion des réseaux d'adduction d'eau par des multinationales en matière de développement ...


En me référant à un très bon article publié dans Le Monde du 9 mars, consistant en un point de vue, certes connoté politiquement à gauche en cette période préélectorale, puisque les auteurs semblent pour une bonne part membres du parti socialiste, je voudrais revenir plus largement sur le principe de la gestion des réseaux d'eau en matière de développement.
http://www.lemonde.fr/elections-regionales/article/2010/03/09/l-eau-source-de-vie-ou-de-profit-alexandre-fabry-nicolas-pagnier_1316848_1293905.html

Les auteurs de ce point de vue, Alexandre Fabry (porte-parole d'Utopia au PS), Nicolas Pagnier (secrétaire national d'Utopia), Nathalie Perrin-Gilbert (secrétaire nationale au logement), Gérard Poujade (maire du Séquestre et 1er fédéral du Tarn), Barbara Romagnan (conseillère générale du Doubs), Géraud Guibert (porte-parole du pôle écologiste), Michèle Fournier-Armand (vice-présidente du Conseil Général du Vaucluse), Jean-Marc Vayssouze-Faure (maire de Cahors et 1er fédéral du Tarn), Fleur Skrivan (conseillère régionale Provence-Alpes-Cote d'Azur), Jean-Paul Chidiac (membre du conseil national), interpellent l'opinion publique notamment pour savoir si «la gestion de l'eau peut être confiée à un opérateur privé dont le but structurel est la réalisation d'un profit ?»

Cette interrogation a évidemment tout son sens en région parisienne ou dans d'autres régions françaises, lorsqu'il s'agit de savoir si les communes doivent transférer ou non la gestion de leur réseau d'eau à des concessionnaires privés, ou si elles doivent le conserver dans un cadre public. Il existe ainsi des modes en matière d'administration des collectivités publiques (comme en matière de développement), et il est de bon ton, pour passer pour un maire moderne, d'expérimenter les dernières nouveauté présentées comme telles, notamment les partenariats public-privé fort nouveaux et fort modernes, et susceptibles par ailleurs, comme les mises en concession ou en fermage, de permettre d'obtenir de substantiels dessous-de-tables en faveur des élus politiques ou de leurs administratifs.

Mais cette interrogation a tout autant de sens dans les pays en développement dont les villes et les régions sont également suceptibles de pouvoir faire les mêmes choix, malgré un développement moindre de leurs infrastructures publiques. C'est une interrogation qui est rarement posée en économie du développement. Comme les auteurs du point de vue publié par Le Monde le rappelle, la mise en exergue des partenariats public-privé qui se développent dans notre pays mais également dans les pays en développement, de même que tous les processus de privatisation des reseaux d'adduction d'eau communaux, repose sur un présupposé libéral jamais démontré datant des années 1980 faisant d'une gestion privée d'une ressource un gage de plus grande efficacité et de plus grande qualité de service qu'une gestion publique. Comme le dise les auteurs : «l'argument premier en était donc bien l'idéologie de la suprématie du marché».

En France, les auteurs mentionnent que le surcoût d'un réseau confié aux multinationales privées élève le prix de l'eau payé par les usagers de 20% à 44% ; un chiffre énorme mais qui s'explique évidemment par les bénéfices réalisés par ces structures capitalistes et leur obligation de publier année après année des résultats en constante amélioration (par exemple, Véolia a réalisé en 2007 un bénéfice de 1,3 milliard d'€ pour un chiffre d'affaires de 32 milliards d'€ et une capitalisation boursière de 12 milliards d'€). Et encore, les multinationales n'ont pas le plus souvent à investir fortement en France dans les réseaux d'adduction et de distribution des eaux potables et usées, par différence d'avec les pays en développement où ces multinationales doivent en plus investir des sommes importantes dans les réseaux.

Je m'étais aussi interrogé sur les principes qui soutendaient les marchés gagnés par les grandes multinationales occidentales dans les pays émergents, et qui les conduisaient à y renchérir fortement les coûts des abonnements et le prix de l'eau potable. Il me semble que je m'étais posé ces questions devant les difficultés rencontrées à Bueno Aires en Argentine et dans quelques autres capitales de pays d'Amérique du Sud. Mais les interrogations sur les réseaux d'eau ne diffèrent pas en fait des interrogations que l'on peut avoir sur le fait de confier des gisements de ressources précieuses à des multinationales privées, que ce soit en matière d'hydrocarbures par exemple.

Nous vivons dans une organisation capitaliste dont l'objectif est de gagner toujours plus sur la sphère de la gestion publique mais aussi des ressources publiques. La croissance de l'économie capitaliste repose ainsi non seulement sur la croissance économique mondiale mais aussi sur les marges gagnées sur les états. Nous n'avons pas encore à ce jour procédé à ce retour idéologique sur des présupposés vraisemblablement faux. Car il n'existe pas actuellement d'outils de mesure objectifs de l'efficacité d'une gestion privée par rapport à une gestion publique d'une ressource, et les connotations passéistes attachées à la défense de la gestion publique des ressources par opposition à la valorisation de toutes les recherches sur les nouveaux modes de gestion privée de ces ressources limitent grandement les recherches qui pourraient être menées sur ce sujet.

Mais s'il doit y avoir une certitude sur un tel sujet, c'est que le renchérissement du coût de l'eau ou de l'électricité, ou de tout autre bien indispensable à la vie humaine, inhérent à la privatisation de la gestion de ces ressources, a forcément des effets négatifs sur les possibilités de développement des états en développement. On peut évidemment arguer que ces multinationales investissent lourdement pour le développement des réseaux d'eau de ces régions, pour fournir, à ceux qui en ont les moyens, de l'eau potable ... Mais il n'en demeure pas moins vrai qu'une gestion plus économe devrait conduire ces états à nationaliser la production, la distribution et l'adduction d'eau (comme d'électricité par exemple) pour en abaisser le coût pour les usagers, pour décider de la manière dont l'eau serait gérée, et pour éliminer la prévarication des fonctionnaires et hommes politiques qui découle de l'attribution et de la reconduction de ces marchés.

Et il est attristant que les organismes de développement bilatéraux ou multilatéraux, tels l'Agence française de développement ou la Banque mondiale entre autres, mettent en avant et valorisent dans leurs interventions de financement de tels mécanismes en fonction du principe idiot et nullissime qu'il faut faire des partenariats public-privé pour être bien vus et paraître moderne ...


Réflexion quarante-deux (13 août 2009)
La faute de l'Occident dans les problèmes de développement de l'Afrique ...


Dans un certain nombre de mes précédentes réflexions sur le développement (notamment ma réflexion n° 38) où je parlais d'un continent qui demeure la proie des pires instincts ataviques de l'homme et des pires croyances et superstitions, d'un continent enfoncé dans les guerres, dans les viols, dans les massacres, dans la superstition, dans la sorcellerie, dans l'arbitraire et la corruption généralisée ... dans mon acceptation d'une position politiquement correcte rejetant désormais la responsabilité de l'Occident dans le sous-développement de l'Afrique, en rejetant cette responsabilité sur les africains eux-mêmes incapables de se gouverner de manière démocratique ... ou de limiter leur natalité gallopante ... ou mettant en cause un afro-pessimisme ... j'ai participé à la négation de cette responsabilité occidentale (et européenne) dans les malheurs qui frappent quotidiennement les pays africains et les africains.

Je dois ici revenir sur ce sujet pour rejeter cette position désormais politiquement correcte, que Nicolas Sarkozy a d'une certaine manière conforté dans son discours africain où il déclarait que l'homme africain n'avait pas marqué l'histoire ...

Non, l'Europe a effectivement une responsabilité écrasante dans le sous-développement actuel de l'Afrique et dans les troubles politiques et humains qui gênent sa marche vers le développement. Cette responsabilité ne se limite pas uniquement à l'esclavage et à la traite négrière. Cette responsabilité, c'est celle du processus de colonisation lui-même.

La lecture d'un des derniers livres de Luc de Heusch,  «Du pouvoir. Anthropologie politique des sociétés d’Afrique centrale» (Nanterre, Société d’ethnologie, 2002) m'a permis de replacer le processus de colonisation (dans le cas cité, la colonisation du Congo belge par le royaume de Belgique, au nom de son roi) à sa juste place, à sa juste proportion.
http://lhomme.revues.org/index15942.html

Et cette responsabilité est écrasante. Pourtant, la colonisation belge ne fut pas vraiment pire que la colonisation française de l'Afrique occidentale, ou la colonisation allemande, boer ou anglaise. L'Occident a détruit en Afrique toute les infrastructures politiques et militaires des états et des peuples qui la composaient. L'Occident a combattu tous les pouvoirs organisés et constitués qui pouvaient gêner son occupation militaire et économique. Il s'est appuyé sur tous les clivages, toutes les divisions existant entre les peuples qui pouvaient aider sa prise de contrôle. Au Congo, l'armée belge s'est appuyée sur un esclavagiste arabe comme supplétif de son armée pour occuper militairement et soumettre une partie de son territoire. Comme si la destruction des pouvoirs politiques autonomes organisés ne suffisaient pas, l'Occident a déplacé des peuples, imposé des subdivisions administratives, imposé des potentats locaux, pour pouvoir comprendre et administrer un territoire qu'il était incapable d'appréhender et qu'il ne souhaitait pas appréhender.

Aujourd'hui encore, derrière le processus du développement, n'y a-t-il pas encore une simple envie de copier un système politique, économique et productif conforme au modèle européen, assimilable dans le capitalisme, de la même manière que la Chine a été assimilable dans le capitalisme mondial ... comme s'il n'y avait qu'un seul modèle possible ... véhiculé par les mass médias occidentaux ?

Le colonialisme, au-delà même de la destruction des infrastructures politiques et étatiques qui préexistaient dans le continent africain, a eu pour unique objectif une captation des richesses disponibles et produites dans ces colonies africaines, pour la richesse et la grandeur des monarques européens ou le capitalisme européen (puis occidental) ... le caoutchouc pour le roi des belges. Cette captation a en plus été autorisée par un servage des populations autochtones africaines contraintes en Afrique même, dans leur propre territoire, d'extraire leurs propres richesses (même si pour eux ces matières premières n'en avaient pas) pour enrichir des monarques ou capitalistes étrangers. Car l'exploitation colonialiste des africains, même hors du processus de l'esclavage (qui imposa des conditions pires que le servage dans des territoires éloignés par des milliers de kilomètres), qui se perpétua longtemps après l'abolition de la traite négrière puis l'abolition de l'esclavage, ne peut qu'être comparée qu'à l'institution du servage qui eut cours dans l'Europe médiévale et dans la Russie tardive.

Et on s'étonne qu'après toute cette destruction, toute cette violence, toute cette exploitation, alors que les racines de cette exploitation continue même encore aujourd'hui de se poursuivre, dans une Afrique qui continue d'extraire ses richesses minières et agricoles en faveur d'une mondialisation qui ne lui reconnaît par ailleurs pratiquement aucune valeur ni aucune importance (pourquoi un aliment cultivé à la sueur du front d'un paysan, extrait de la terre nourricière comme le coton, le caoutchouc naturel, un diamant, la cacao, l'arachide ... aurait-il moins de valeur qu'un bien fabriqué par une machine comme un téléphone portable, un tracteur ou une voiture ?...)., le continent africain demeure un lieu sous-developpé, ou plutôt en mal de développement, lieu de violence, de pillage, de viol, d'arbitraire et de corruption.

Il n'y a là rien de surprenant, rien que les conséquences d'une violence coloniale immense, un gâchis intolérable, une responsabilité écrasante d'une civilisation prédatrice qui demeure coupable d'un crime majeur contre l'ensemble de l'humanité pour ses actions commises tout au long des dix-huitième, dix-neuvième et vingtième siècles, et qui se perpétue encore aujourd'hui au travers du commerce international et du processus de mondialisation. 

Certains estiment que l'Occident a apporté la civilisation au reste du monde, d'autres des croyances religieuses. Certains estiment que la colonisation a été une oeuvre de développement, avec la construction d'infrastructures, comparables à l'apport des aqueducs romains et aux routes pavées romaines dans l'empire romain. Les quelques infrastructures dont il est ici question ne sont que de biens pauvres retours en regard des immenses fortunes prélevées dans le sous-sol et dans les richesses de l'Afrique et exportées vers l'Occident ...

Cette responsabilité occidentale dans cette abomination doit être reconnue et indemnisée. Ce sera à l'Afrique de tenter de se reconstruire. Mais elle n'a pas à porter la responsabilité de ces erreurs et de cette faute. Les potentats qui la contrôlent ne sont que les jouets, la continuation et le résultat de la colonisation qui l'a marquée. Ces gens-là ne font que poursuivre l'oeuvre de l'Occident, pour le compte et au bénéfice le plus souvent de l'Occident (et de ses banques) ...


Réflexion quarante-et-une (26 mai 2009)
Le problème du foncier dans les pays en développement à la une de l'actualité ...


Il y a eu les évènements malgaches, c'est-à-dire la contestation puis le renversement par la population et par une partie de l'armée du président élu et chef d'entreprise Marc Ravalomanana, et son remplacement par son adversaire Andry Rajoelina ... La vente de plus d'un million d'hectares de terres à quelques investisseurs étrangers, coréens, indiens ou sud-africains est rapidement devenu un point central des critiques adressées à l'ancien président ... avec l'avion présidentiel que la présidence malgache avait prévu d'acquérir pour les déplacements du chef de l'état ...

Il y a eu, quelques mois précédemment, les émeutes de la faim qui explosaient un peu partout dans le Tiers Monde, qui ont rappelé aux organismes prêteurs internationaux, bilatéraux ou multilatéraux, que l'agriculture et la subsistance des populations dans les pays en développement demeuraient des facteurs indispensables du développement ... qui avaient trop longtemps été oubliés par l'aide au développement ...

Il y a quelques jours, lundi 25 mai, l'IIED (Institut international de l'environnement et du développement), la FIDA (Fonds international de développement agricole) et la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) ont fait paraître un rapport intitulé «Accaparement des terres ou opportunité de développement ?», qui fait le point sur les procédures d'accaparemment de terres par les investisseurs internationaux dans les pays en voie de développement et appelle à la consultation des populations rurales menacées et à une meilleure prise en compte de leurs intérêts dans les transactions. Il souligne un manque de transparence constant dans les processus de décision et les circuits d'investissement.
http://www.ifpri.org/pubs/bp/bp013.pdf

Parallèlement à cette publication, le site de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) présente un certain nombre de publications extrêmement intéressantes sur les problèmes liés au régime du foncier dans les pays en voie de développement ...

1. «Gouvernance foncière et des ressources naturelles : état des lieux en Afrique de l'Ouest»
ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/011/ak019f/ak019f00.pdf

2. «Gouvernance foncière en Afrique centrale»
ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/011/ak018f/ak018f00.pdf

3. «Expropriation des terres et compensation» («Compulsory acquisition of land and compensation» - document en anglais)
ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/011/i0506e/i0506e00.pdf


Abstract : « L’expropriation (ou acquisition forcée) des terres est le pouvoir des gouvernements d’acquérir des droits fonciers privés, pour un motif d'utilité publique, et sans le consentement volontaire du propriétaire ou de l’exploitant. Cette procédure est souvent nécessaire pour le développement social et économique et pour la protection de l’environnement naturel. L’emploi de ces pouvoirs est fréquemment controversé et problématique. Le guide explique la signification des acquisitions forcées et des compensations ainsi que les principes de base des bonnes pratiques dans ce domaine. Il discute aussi les conséquences des insuffisances en matière de législation, de procédures et de mise en œuvre des actions d'expropriation. Le guide devrait être utile dans les pays cherchant à mieux comprendre les bonnes pratiques et à améliorer leur législation, leurs procédures et les modalités concrètes de compensation et d'expropriation pour cause d'utilité publique. »


Ce qui est certain, c'est que le sujet de la vente (ou la confiscation) de terres arables dans les pays en voie de développement par des multinationales étrangères est un sujet brûlant d'actualité ... et que sa légitimité et sa légalité sont de plus en plus légitimement interrogées par les opinions publiques et par les institutions de gouvernance internationales ...


Saucratès


Mes précédents écrits sur le Développement :
1.https://saucrates.blog4ever.com/blog/lire-article-447196-2021600-du_developpement__1_.html

05/12/2010
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