Critiques de notre temps

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Le procès de France Télécom

Saint-Denis de La Réunion, mercredi 29 mai 2019

 

Le procès de France Telecom (aujourd'hui nommée Orange) qui se déroule actuellement à Paris est particulièrement important. Il dure depuis déjà trois semaines et il est prévu de durer encore sept semaines. C’est un procès fondamental parce qu’il adresse un message fort à tous les dirigeants d’entreprises privées ou publiques qui pourraient être tentés de brutaliser leurs personnels, leurs employés avec des méthodes proches ou assimilables à du harcèlement moral ou physique ! France Telecom n’est pas la première entreprise ni la dernière à avoir mis en oeuvre une politique sociale et une organisation hierarchique nocive afin d’obtenir, de forcer au départ de l'entreprise de milliers de ses employés, de ses travailleurs. Mais c’est certainement celle où cette politique a pris une immense ampleur, où elle devint un mode central de management, l'acmé de l'équipe dirigeante de l'époque.

 

Dans ce procès, on trouve deux visions opposées du monde, mais aussi de la situation de France Telecom. Il s’agit de deux visions irréconciliables. Evidemment, comme dans tout procès judiciaire, les personnes poursuivies ne vont évidemment pas reconnaître leurs tords, les malheurs de leurs victimes. Evidemment ... D'un côté, des dirigeants de France Telecom qui sont persuadés d'avoir sauvé une entreprise moribonde, en grande difficulté. Il faut avoir lu la déposition de Jacques de Larosière, ex-gouverneur de la Banque de France, ex-directeur Général du Fonds monétaire international, qui vante, qui encense Didier Lombard, patron de France Télécom accusé dans ce procès. «Un homme brillant, un capitaine d'entreprise visionnaire qui a sauvé France Telecom et qui ne devrait pas se trouver dans le box des accusés».

 

https://www.la-croix.com/France/France-Telecom-gouverneur-Banque-France-secours-Lombard-2019-05-14-1301021889

 

Que reconnaissent ces cadres directeurs, ces anciens dirigeants de l'entreprise poursuivis par la justice et leurs témoins administrateurs ou hommes du système ? D'avoir sauvé une entreprise moribonde extrêmement endettée et d'avoir souhaité conduire une évolution, une révolution dans cette entreprise, qui s'est aujourd'hui grâce à eux redressée et qui a pu devenir un fleuron industriel et commercial dans son secteur d'activité ? Que la situation était financièrement extrêmement compliquée et qu'il fallait faire des concessions et des sacrifices ?  On en saura plus lors des plaidoyers finaux de leurs avocats. Mais je suis presque sûr qu'ils s'estiment parfaitement innocents des charges retenues contre eux, et clament leur incompréhension d'être poursuivis. Exactement de la même manière que les pires criminels, violeurs d'enfants, assassins, voleurs, ex-nazis en fuite, protestent également le plus souvent de leur innocence tout au long de leur procès et même après ! Ce ne sont que des criminels comme les autres.

 

Ce procès est donc une mise en jugement d'un plan d'entreprise stratégique intitulé Next (acronyme de «Nouvelle expérience des télécommunications) ... et de son volet ressources humaines Act («Anticipation et compétences pour la transformation»). Un plan d'entreprise qui prévoyait le départ de France Telecom de 22.000 salariés et des mutations forcées pour 10.000 autres salariés. 35 salariés mettront fin à leurs jours en se suicidant entre 2008 et 2009. Mis en examen en 2012, les dirigeants de France Telecom de l'époque (l'ex-PDG Didier Lombard, son n°2 Louis-Pierre Wenès, l'ex- DRH Olivier Barberot et quatre autres cadres de l'entreprise) sont aujourd'hui jugés, dix à onze ans après les faits et sept ans apres le début de l'instruction judiciaire !

 

https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/harcelement-chez-france-telecom-laffaire-qui-fait-peur-134422

 

Mais le plus intéressant est aussi l'analyse qui est faite de cette affaire par le journal Les Échos (journal capitaliste et ultra-libéral s'il en est un !) : 

 

On trouve d'abord dans le sous-titre de l'article : «Retour sur une affaire qui pourrait avoir des répercussions sur les entreprises»

 

Ensuite dès le début de l'article ... première phrase : «C'est un cas d'école. Par le nombre de victimes d'abord, mais aussi par ses répercussions au sein du haut management français, si les juges d'instruction étaient suivis dans leur raisonnement.»

 

Et enfin dans la conclusion de cet article : «Ce que décidera le tribunal dans cette affaire risque d'avoir de sérieuses conséquences pour les entreprises. Cette phrase, notamment, de l'ordonnance pourrait résonner comme un avertissement à l'heure où Air France et la SNCF engagent de lourdes réorganisations : Les dirigeants [de France Télécom, NDLR] ont fait le choix de transformer vite, vite, une entreprise de 108.000 salariés dans le déni de son histoire et de sa culture de service public au détriment des conditions de travail des salariés et de leurs droits sociaux».

 

Pour le journal Les Échos, ce ne sont pas les méthodes de management qui sont nocives. Selon ce journal, ces méthodes sont normales et d'autres entreprises les utilisent. Non le danger vient de ce que décidera le tribunal qui pourra avoir «de sérieuses conséquences pour les entreprises». En clair, faire peur aux salariés de ces entreprises qui pourraient ne pas pouvoir bénéficier des bienfaits de ces si extraordinaires plans stratégiques ! Et faire peur aux juges qui pourraient avoir sur la conscience les futures difficultés des entreprises françaises !

 

Parce ce que c'est bien un point commun que j'ai avec le journal ultra-libéral des Échos : ces méthodes de management sont mises en œuvre dans de très nombreuses entreprises françaises, par de très nombreux hauts managements qui ont pour objectif des réductions d'effectifs, des cultures du changement et la recherche de l'adhésion des managers à leur idéologie : pressurer leurs équipes et tant pis pour les plus faibles dont il faut se débarrasser à tout prix !

 

Et dans un raisonnement inverse au leur, j'espère que ce jugement aura un impact sur les prochains plans stratégiques d'autres entreprises en France ou ailleurs, que cela suffira à leur faire peur, suffira à les ramener à une forme d'humanité (est-ce trop demandé à des hauts managers ?). Il est bon que France Telecom serve de victime expiatoire en raison des souffrances causées et de la morgue et de l'absence de toute empathie des dirigeants et hauts cadres poursuivis.

 

En même temps, on peut se demander si dans ce milieu, ces procès font vraiment peur. Olivier Barberot a ainsi été jusqu'à récemment président de la société Globecast France, filiale d'Orange et dirigeant de quatre autres sociétés. Même s'ils étaient condamnés à de la prison ferme, ils ne seraient d'ailleurs vraisemblablement même pas incarcérés et bénéficieraient d'aménagements de peine ! 

 

Pour conclure cet article, on trouve de nombreux témoignages de salariés victimes de France Telecom ou des instances de représentation, médecins du travail ou inspecteurs du travail, qui combattirent ce qu'ils observèrent pendant ces années-là. Le témoignage d’un médecin du travail de cette époque intervenant à France Telecom est particulièrement éclairant.

 

http://www.sante-et-travail.fr/france-telecom-2006-mon-alerte-restee-sans-reponse

 

Et ce qui est peut-être inquiétant c'est qu'au-delà des cas d'Air France et de la SNCF, cités par Les Echos, il y a surtout le cas de La Poste. Dans ces différents cas, on se trouve aussi dans le cas d'entreprises employant de nombreux fonctionnaires dont il est impossible pour leur management de se débarrasser ... sans organiser des conditions de travail nocives pour leurs salariés.

 

 

Saucratès



29/05/2019
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