Nouvelles réflexions morales
Censure
Qu’appelle-t-on «censure» ? Qu’est-ce que la «censure» ? Et comment se fait-il que toutes les formes de censures ne soient pas toutes considérées de la même manière, comme des formes de censures intolérables ? Existe-t-il une bonne censure et de mauvaises censures ? C’est en tout cas ce qui ressort de certaines visions ou interprétations médiatiques à la lecture de certains articles de presse.
On peut déjà avoir l’impression que nous sommes rentrés dans une nouvelle ère de la censure généralisée. La lecture de plusieurs articles du journal Le Monde m’a fait ressentir cette sensation d’omniprésence de la censure tout autour de nous et de nos vies. Une multitude de causes semblant toute relever d’un seul et même phénomène : cette omniprésente censure.
Qu’est-ce donc que la «censure» ? À lire Wikipédia, la censure est «la limitation de la liberté d'expression par un pouvoir (étatique, religieux ou privé) sur des livres, médias ou diverses œuvres d'art».
Dans cette idée, la censure qu’estime subir l’artiste Jul, à savoir Julien Berjeaut, semble parfaitement correspondre à cette définition. Celle d’une censure du ministère de l’éducation nationale à l’encontre d’un ouvrage remis en cause parce que Jul ne donne pas la bonne image ni de la ‘Bête’, ni surtout de la ‘Belle’, avec «le grand remplacement des princesses blondes par des jeunes filles méditerranéennes» qui serait selon Jul «la limite à ne pas franchir pour l’administration versaillaise du ministère».
Accessoirement, faut-il voir dans cette dénonciation de la censure du ministère de l’éducation nationale une conséquence, une contestation, de la perte financière que pourrait subir Jul du fait de la non sélection et de la non-publication de son adaptation pour l’ensemble des écoliers de CM2 de France et de Navarre ?
Une deuxième série de faits rapportés par Le Monde tourne autour de la censure financière par des pouvoirs privés. Au fond, contraindre une organisation de défense de l’environnement comme Greenpeace à fermer en la condamnant à payer des centaines de millions de dollars pour diffamation au bénéfice de l’exploitant privé d’un oléoduc américain correspond à une certaine forme de censure, à l’américaine.
Dans un monde judiciaire comme le système américain, ce genre de condamnation et d’amende semble assez normal. Il semble plus incompréhensible dans un système judiciaire européen où des campagnes de dénigrement et d’harcèlement médiatique ne font courir aucun risque à ceux qui les pratiquent. Dans un monde où la sanction n’existe pas, mais où la moindre interdiction conduit les contestataires à se draper dans le costume du censuré, il doit leur paraître bizarre de voire une organisation comme Greenpeace être condamnée de cette manière et risquer de disparaître parce qu’ils ne voudront surtout pas payer, ni ne pourront payer.
Dans le même ordre d’idées, le refoulement d’un chercheur français du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) à son entrée aux Etats-Unis parce qu’il avait critiqué la politique menée par Donald Trump en matière de recherche semble poser problème. Mais cette censure, si elle s’appelle «censure», n’émane même pas de Donald Trump lui-même mais du FBI et des autorités américaines qui s’estiment autorisées à ne pas laisser rentrer aux Etats-Unis un critique acerbe de la politique américaine. Surprenant pour un pays comme la France qui ne surveille pas ses frontières, ne sait pas reconduire à la frontière sans intervention suspensive d’un juge administratif, et qui n’oserait jamais agir de la sorte.
Au fond, aux Etats-Unis, la sacro-sainte liberté d’expression n’est pas une arme dont peuvent user les étrangers au détriment des Etats-Unis, de son président ou de ses industriels, alors qu’en Europe, cette liberté d’expression est surtout réservée à nos ennemis de l’extérieur ou de l’intérieur.
Si on parle de bonne censure, on ne peut ignorer la censure politique mise en œuvre en Roumanie pour sécuriser le droit des roumains a demeurer dans l’Union européenne, ou bien, inversement et plus probablement, ne pas remettre en cause l’intérêt de l’Union européenne à conserver la Roumanie au sein de là construction européenne. Et tant pis si pour cela, la justice roumaine doit violer le droit à des élections libres en interdisant les candidatures de candidats d’extrême-droite comme Calin Georgescu et Diana Sosoaca.
S’agit-il encore de «censure» lorsque cette censure vise à défendre une démocratie et empêcher l’élection de candidats considérés comme dangereux pour le maintien de la démocratie ? Mais qui est autorisé à considérer et à juger de cette dangerosité démocratique ? Les mêmes réflexions et les mêmes considérations ne pourraient-elles pas conduire à exclure les candidats du Rassemblement national, au-delà des condamnations actuelles pour le parlement européen ? Que l’on soit favorable aux idées du Rassemblement national ou opposé, on appréciera ou on désapprouvera une telle décision. Il reste à savoir si ces mêmes décisions auraient réellement permis d’empêcher l’arrivée au pouvoir des nazis d’Adolf Hitler dans les années 1930 en Allemagne, et si la situation était réellement comparable.
Se pose aussi la question de déterminer qui est légitime pour décider. Qui est capable de déterminer si telle ou telle demande est légitime ou illégitime ? Si telle démocratie est démocratique ou non, si sa demande est légitime ou non ? Ou bien s’il ne s’agit au fond là aussi que de censure ?
Saucratès
Du renouveau du concept de contrat social
Le concept de contrat social redevient actuellement un concept opérationnel. On le retrouve évoqué sous plusieurs formes à la fois par Le Monde dans plusieurs articles traitant des finances publiques ou de l’éducation des enfants, mais également sous la plume de nombreuses organisations s’intéressant à l’environnement et à la lutte contre la surconsommation.
Partie 1
Principes et limites du contrat social selon Rousseau
L’idée de l’existence d’un contrat social est évidemment inséparable du philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau. On ne peut plus se référer au principe du contrat social sans se référer à ses écrits fondamentaux. Le contrat social est ainsi un instrument qui permet d’expliquer le passage d’un état de nature, où les hommes vivaient libres, séparément les uns des autres, à un état de société où les hommes choisissent d’abdiquer une partie de leurs libertés pour sécuriser ce qui en restera. Cette idée rousseauiste du contrat social s’accompagne également d’une philosophie du Bien et du Mal. L’homme est bon à l’état de nature et c’est le passage à l’état de société qui le pervertit.
Evidemment, cette philosophie du contrat social est en complète contradiction avec les faits préhistoriques. L’homme préhistorique a de tout temps vécu en société, en groupe, au sein de rapports sociaux ou de domination. Probablement qu‘avant même le processus d’hominisation, nos ancêtres hominidés communs aux autres branches des grands singes vivaient déjà en bandes organisées, en groupe. Le processus d’hominisation puis le processus de construction des sociétés humaines a probablement été insensible, sans changer grand chose aux relations sociales existantes au sein des groupes puis des sociétés, jusqu’à l’invention de la démocratie assyrienne puis grecque, des royautés sumériennes, égyptiennes, sacrées africaines ou romaines, des tyrannies ici ou ailleurs.
L’idée d’imaginer qu’à un moment quelconque de l’histoire, les hommes se sont réunis pour fonder une société et se mettre d’accord sur un contrat social est une hypothèse irréaliste. Évidemment, parfois, extrêmement rarement, à certains moments de l’histoire, on peut penser que des peuples se sont réunis pour fonder un contrat social pour se mettre en société, pour désigner les règles du jeu, les obligations des uns et des autres, pour permettre la désignation d’un chef. Le moment athénien sous le législateur Solon, autour du huitième siècle avant notre ère, fut peut-être un de ces moments-là. La littérature trouve trace de quelques autres moments de la sorte, comme lors de naufrages au cours des siècles passés, comme par exemple ceux du Doddington en juillet 1755 ou du Grafton en janvier 1864.
Mais il s’agit d’exceptions. On ne peut pas imaginer par exemple que la libération de la France puis la reconstruction de la société francaise qui a suivi la seconde guerre mondiale s’apparente à un tel moment. Le contrat social doit regrouper tous les membres de la société et ils doivent tous accepter de négocier puis de se soumettre aux résultats et aux règles arrêtées en commun. On ne peut pas plus estimer que la Révolution française de 1789 ou des années suivantes appartienne également à ce genre-là. Il s’agit de nouveaux régimes et d’assemblées constitutionnelles dans lesquels le peuple n’a droit d’être représenté que par des représentants, par des notables, des nobles ou des bourgeois. En aucun cas les français n’ont eu le choix d‘adherer ou non à un tel nouveau contrat social. Les représentants du peuple ont juste mis en place de manière majoritaire un régime politique et social accordant quelques droits au peuple du dehors, en échange d’autres compromis.
L’un des défauts du contrat social de Rousseau est évidemment que dans une telle négociation, si elle avait eu lieu, le contrat social sur lequel on débouche est forcément le plus mauvais compromis entre les intérêts opposés des uns et des autres. Qu'est-ce que les propriétaires, les nobles et les industriels sont-ils prêts à lâcher ou à accorder aux pauvres et aux autres membres de la société en échange du maintien de leurs avantages, de leurs richesses, de leur puissance ?
Le concept même de contrat social pose un autre problème fondamental. Même si on pouvait imaginer qu’à un moment quelconque de l’histoire passée, une telle négociation ait eu lieu et un tel contrat social ait pu être passé au temps de nos parents ou de nos grands-parents, comment un tel contrat social pourrait-il encore s’appliquer à leurs enfants ou à leurs petits-enfants ? Ceux-ci se retrouveraient à vivre dans une société et dans un contrat social auxquels ils n’auraient pas individuellement adhéré et qui s’imposerait automatiquement à eux. Et au bout de quelques générations, que resterait-il d’un tel contrat social et qu’est-ce qui le différencierait de lois imposées par un fondateur, un tyran ou un despote ? Comment pourrait-on être forcé à accepter notre place dans la société imposée par un contrat social à la négociation duquel nous n’avons jamais participé, pour lequel on ne nous a jamais demandé notre avis ou notre adhésion.
Au fond, on peut penser qu’à chaque génération il faudrait refonder ce contrat social et cette société. À défaut, il ne s’agirait plus d’un contrat social pour les jeunes générations nées après son établissement ou en âge d’y adhérer. Ce problème du renouvellement du pacte pour les générations suivantes a forcément été abordé par Jean-Jacques Rousseau mais au-delà du fait que ce principe du contrat social n’est pas applicable, son renouvellement est encore moins applicable.
Partie 2
Quelques exemples de contrat social
Le principe du contrat social ne me semble pas applicable même si des mouvements récents pensent pouvoir parler de l’existence de tels pactes dans la démocratie française récente, avec par exemple un pacte autour du système de sécurité sociale ou de sécurité des gens.
A-t-il donc existé des sociétés basées sur un véritable contrat social, explicite ou implicite. Je pense avant tout à une société antique comme la Grèce et la cité athénienne, exemple de démocratie directe où l’ensemble des citoyens constitués l’Agora et pouvaient voter les lois et désigner leurs dirigeants. C’est du moins l’idéal promu par la cité athénienne telle que décrite par les lois de Solon en -594 avant notre ère. Je pense que l’on peut parler d’une société fondée sur un contrat social dans son cas, même si tous les citoyens ne pouvaient pas accéder aux charges de magistrats et si tous les habitants d’Athènes n’étaient pas tous des citoyens (les esclaves, les étrangers et les femmes).
Quelques autres sociétés archaïques devaient également fonctionner de manière suffisamment démocratique pour pouvoir considérer qu’elles étaient basées sur un contrat social. Je pense notamment à la confédération des Iroquois, de leur vrai nom les Haudenosaunee (ou peuple de la longue maison). Chez un peuple où chaque homme et chaque femme participent à la moindre prise de décision, et où chaque décision se doit d’être unanime, je pense que l’on peut parler de l’existence d’un contrat social.
Neanmoins, je pense que la société constituée entre les naufragés du Grafton constitue le meilleur exemple d’une organisation sociale fondée autour d’un contrat social. Le Grafton était une goélette qui a sombré début janvier 1864 dans les îles d’Aukland, dans le Sud antarctique de la Nouvelle-Zélande. L’équipage était constitué de 5 marins : le capitaine américain Thomas Musgrave, le français François Edouard Rayan, l’anglais George Harris, le norvégien Alice McLaren et le cuisinier portugais Henry Folgee. Ces cinq hommes écrivirent une constitution formelle de 6 articles de la ‘famille’ des cinq hommes, qui permettaient notamment aux membres de déposer le chef de la famille s’il abusait de sa position.
«6-The community reserves to itself the right of deposing the chief of the family, and electing another, if at any time he shall abuse his authority, or employ it for personal and manifestly selfish purposes.»
Ces hommes se nourrirent notamment de phoques qu’ils chassaient. Au bout d’un an, ils décidèrent de construire un bateau pour rejoindre la Nouvelle-Zélande. Trois d’entre eux tentèrent la traversée pour chercher des secours (Musgrave, Raynal et McLaren) et ceux-ci réussirent à renvoyer un navire, le Flying Scud, chercher les deux naufragés qui étaient restés. Tous survécurent. La même année, en 1864, deux mois plus tard, un autre navire, l’Invercauld, sombrait aussi sur l’autre côté de cette île, rejetant 25 naufragés sur cette île d’Auckland. Mais ceux-ci ne survécurent pas aussi facilement. Apparemment, trois d’entre eux seulement furent sauvés par un navire espagnol. Apparemment, les deux groupes de naufragés ne se croisèrent jamais.
La survie des naufragés du Grafton en comparaison de celle de l’Invercauld tient-elle au fait des denrées et des matériaux sauvés du naufrage, ou bien de la mise en place du contrat social qu’ils avaient passé entre eux, tandis que les naufragés de l’Invercauld s’éparpillèrent chacun œuvrant à sa propre survie sans constituer de société ?
Partie 3
Le contrat social selon Rawls
John Rawls apporte une amélioration au concept de contrat social de Rousseau en inventant le concept de voile d’ignorance. Selon lui, la seule manière de permettre de créer une société équilibrée entre les droits, les devoirs et les positions sociales de tous et de chacun, c’est de fonder une société sur des règles décidées sans que personne ne connaisse préalablement sa position dans cette société, qu’il y soit esclave, maître, ouvrier, riche propriétaire ou roi. Derrière ce voile d’ignorance, chacun ignorant la manière dont il risque d’être traité dans cette société, fera en sorte qu’elle soit la plus juste et la plus équilibrée possible.
Cette théorie est évidemment féconde. Le voile d’ignorance inventé par John Rawls permet d’offrir une réalité tangible au moment de négociation de ce contrat social de Rousseau. Chez Rousseau, on devait imaginer le moment où l’homme basculait de l’état de nature à l’état social et on se rendait bien compte que cet instant ne s’était jamais produit au cours des derniers millions d’années. Cette négociation du contrat social était ainsi un instant impossible. Aucun nouveau contrat ne pouvait être passé pour fonder une nouvelle société. L’invention de John Rawls permet ainsi de sortir de la conflictualité inhérente à cet instant entre des membres d’un groupe qui cherchent tous à améliorer leur situation ou à ne pas l’empirer. Le voile d’ignorance résout cette potentielle conflictualité en privant chacun de l’envie de défendre sa propre situation. Comment chercher à défendre sa propre situation si on ignore totalement sa place dans la société ? On se trouve alors chacun confronté au besoin de limiter les pouvoirs des puissants et des plus forts et à maximiser la situation des plus pauvres, des moins bien pourvus, des plus faibles, car on ne sait alors nullement si l’on fait partie des plus pauvres ou des plus puissants.
Le problème néanmoins avec cette approche, c’est qu’elle ne soit pas plus applicable. On ne peut ignorer ce que l’on sait de sa position sociale. Et là aussi, même si une génération peut décider de règles, ce contrat social ne pourra être revisité ni modifié à chaque fois qu’un nouveau membre vient au monde ou arrivera à l’âge de citoyen.
La lecture de John Rawls ne m’a pas persuadé du caractère applicable de sa philosophie. Évidement, une société rawlsienne serait foncièrement juste. Mais s’il est impossible de décider de l’organisation d’une société humaine derrière ce voile d’ignorance, si nul ne peut oublier sa propre position sociale et sa propre situation de santé, alors aucune théorie de justice et aucun contrat social ne peut être mis en œuvre de manière juste et équilibrée.
Partie 4
Que représentent les pactes que certains groupes peuvent mettre en œuvre ?
Je suis arrivé au bout de ma réflexion autour de l’idée d’un contrat social. Le principe même d’un contrat social est selon moi incompatible avec le principe même majoritaire démocratique. Ce système majoritaire est d’ailleurs une aberration intellectuelle. Quelques centaines d’hommes et de femmes font en vrai passer leurs propres idées et leurs propres pulsions comme des décisions collectives. Tel député antispéciste tentera de faire passer ses priorités au nom de l’intérêt général. Le prix des whiskys et alcools forts à la Réunion a ainsi été doublé du jour au lendemain parce qu’une parlementaire réunionnaise combat les méfaits de l’alcoolisme et les violences contre les femmes dans le département. Idem pour les boissons sucrées au nom de la lutte contre l’obésité.
Au nom de l’intérêt collectif, l’idée même de la loi perd toute unité et toute mesure sous les assauts des intérêts individuels de quelques oligarques qui s’imaginent en sauveurs ou en destructeurs de monde. Nul n’est sensé ignorer la loi mais comment faire quand la loi ne cesse de changer au gré des envies de tel ou tel.
L’idée même d’un contrat social se heurte également aux sentiments d’abandon de ceux qui croyaient en un tel contrat social passé entre eux et la république et qui découvrent que la République ne remplit ses promesses, ne les protègent comme le contrat social qu’ils croyaient avoir passé avec elle le prévoyait selon eux. Au fond, parce qu’il n’existe pas de contrat social réellement conclu entre la République et chaque citoyen, parce que les lois changent si souvent au gré et aux envies de parlementaires et des hauts fonctionnaires qui fabriquent la loi, on se retrouve du jour au lendemain sans les protections et les libertés dont on croyait pouvoir disposer. On se retrouve sans droit, sans aide, sans appui, sans protection, sans liberté, comme notamment l’épidémie de coronavirus nous l’a démontré. Les organisations comme le conseil constitutionnel qui était sensé nous protéger se sont brutalement montrés comme étant à la solde du gouvernement de Macron.
On peut parler d’un sentiment d’abandon et de tromperie de la part des citoyens qui découvrent que les contrats sociaux qu’ils croyaient avoir passés avec le gouvernement n’existent pas au fond. Aujourd’hui, pour conjurer la crise démocratique qui en est née, la crise écologique et climatique qui pointe, on veut nous faire croire que la société, le gouvernement, peut mettre en œuvre, peut discuter d’un nouveau contrat social passé avec les différentes classes de citoyens. Mais c’est évidemment aussi faux et aussi factice que les contrats et les pactes que nous croyions avoir passés avec la république française.
On ne peut pas imaginer un nouveau contrat ou pacte passé entre les citoyens et les associations, parlementaires et gouvernements qui garantiraient des droits et des garanties aux citoyens que nous sommes. Loin d’être un nouveau pacte, ce ne seront que de nouvelles obligations, de nouveaux devoirs, de nouvelles interdictions, de nouvelles contraintes que nous imposerons tous ceux qui cherchent à restreindre toujours plus les droits des citoyens et à imposer une nouvelle forme de contrôle des orientations de la société dans son ensemble, à leur bénéfice sous couvert de l’intérêt général.
(IDDRI : institut de développement durable et de relations internationales)
Saucratès
La philosophie et la guerre en Ukraine
Je vais en revenir toujours à ma même question : qu’est-ce qui explique l’uniformité des opinions et des prises de position autour de la guerre en Ukraine ? La raison explicative est-elle que la Russie, l’agresseur, représenterait le Mal à l’état pur et que cette explication est intimement connue de tout le monde ? Mais dans ce cas-là, on peut aussi penser que l’essentiel du corps politique européen et l’ensemble des médias disposaient aussi de la même information sur le Hamas et sur les palestiniens, qui les a conduit là aussi à prendre uniformément position contre le Hamas, contre les Palestiniens et pour Israël et pour les Israéliens.
Par conséquent, si cette belle unanimité s’est trompée sur le cas israélien, si par hasard, tous ces politiques, tous ces gouvernements, tous ces journalistes, se sont trompés et ont soutenu un État poursuivi pour des crimes de guerre et pour des crimes de génocide, alors ils ne sont pas infaillibles. Ne peuvent-ils pas tout autant se tromper dans leur analyse de la situation ukrainienne et russe et dans la guerre qui les oppose ?
Je lisais à l’instant un magazine tout à fait sérieux qui ne saurait être considéré comme un média partisan et d’opinion. Je veux parler de la revue Philosophie magazine, et de son numéro 177 de mars 2024 consacré notamment à la Violence. Une opinion philosophique se doit d’être sage, au-dessus du marécage des opinions manipulées. Et pourtant même là, je me trouve confronté à une vision manichéenne de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
Au début de son article, l’auteur, Martin Legros, cite la guerre en Ukraine.
«Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par les chars de l’armée russe, il y a tout juste deux ans, Vladimir Poutine prononce devant toutes les télévisions du monde un discours pour justifier l’action qu’il vient de lancer : il se passe un génocide de millions de personnes qui ne peuvent compter que sur la Russie. J’ai décidé de mener une opération militaire spéciale. Son objectif est de protéger les personnes victimes d’intimidation et de génocide par le régime de Kiev depuis huit ans. Et pour cela, nous lutterons pour la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine.»
Mais un peu plus loin, Martin Legros écrit ceci :
«Il existe une troisième attitude face à la violence : la résistance, l’autodéfense ou meme la contre-attaque. C’est la position adoptée par l’Ukraine face à la Russie. Sans vraiment mesurer ses forces, n’écoutant que son bon droit et son courage, le peuple ukrainien s’est levé dès les premiers jours contre l’envahisseur - sans d’ailleurs se priver d’appeler à l’aide et d’argumenter aussi, contre les folles accusations de son agresseur, ou de répliquer ici ou là, si nécessaire. Cette attitude héroïque est susceptible d’inverser momentanément un rapport de force défavorable grâce à l’énergie et au courage que donne la conviction de se battre pour son bon droit. La résistance a cependant un prix, celui des vies mises en jeu dans le refus de se soumettre, celui de l’endurance aussi. Deux ans après, on se demande combien de temps l’Ukraine pourra encore tenir… En attendant, elle rend coup pour coup à son adversaire, en veillant à ne pas s’inscrire, à mesure que la Russie multiplie les crimes de guerre, dans la loi du talion.»
https://www.philomag.com/articles/comment-rester-au-dessus-du-volcan
S’agit-il d’une position, d’une opinion, philosophiquement défendable, exprimant une profonde sagesse comme on peut l’attendre d’un magazine philosophique ? Au-delà de cette interrogation, on peut noter une constance. Les arguments russes sont systématiquement rejetés, dans cette opinion comme dans les médias («les folles accusations de son agresseur»), et le peuple ukrainien et le pouvoir ukrainien, Zelensky, y sont systématiquement magnifiés et idéalisés.
J’ai l’impression que toute accusation d’intimidation et de génocide visant une démocratie comme l’Ukraine, faite par un État de non-droit comme la Russie, est forcément inaudible. L’Ukraine ne pouvait pas tenir une politique militaire ou agressive contre sa population russophone ? Jamais.
1) Il n’existe pas en démocratie de reconnaissance du statut de prisonnier politique. Il n’y existe que des condamnés de droit commun. Les gilets jaunes n’ont ainsi jamais été considérés comme des opposants politiques et n’ont jamais été condamnés pour leurs idées politiques opposées à Macron. Ils ont été condamnés pour des voies de fait, pour des agressions, pour des entraves à la circulation, pour port d’armes prohibées (même pour port d’un bouclier), pour dégradation de biens publics, mais ils n’ont été nulle part reconnus, dans les nations démocratiques, comme des prisonniers politiques injustement emprisonnés par un État niant leurs droits. Ils ne sont que de simples criminels. Ils ont été éborgnés, frappés, gazés, chargés militairement, mais sans jamais la reconnaissance par les pairs de la France comme les victimes de la violence d’un État voyou, apeuré, aux aguets.
De la même manière, en Ukraine, lorsque Vladimir Poutine accuse le pouvoir ukrainien de génocide sur sa minorité russophone, c’est inaudible pour tous les gouvernements démocratiques. Il n’y a pas de génocide en Ukraine contre sa minorité russe, mais juste des délinquants.
2) Le régime démocratique ne reconnaît pas l’existence d’une minorité. En démocratie, le gouvernement est élu par le peuple, supposément à la majorité des suffrages exprimés, et le gouvernement représente alors l’ensemble du peuple. Il n’y existe pas de minorité puisque le peuple doit dès lors se soumettre aux lois de ceux qui le gouvernent et qui fabriquent les lois. Ne pas appliquer les lois valablement adoptées, en démocratie, c’est risquer la prison. Le concept même de droits des minorités n’y à aucun sens. Les bretons, les basques, les corses, les kanaks comme les minorités russes en Ukraine ne sont que des terroristes et des criminels pour tout ce que l’Occident compte de gouvernements ou de journalistes et de médias dits des pays démocratiques.
3) Lorsque la revue «Philosophie magazine» aborde cette question de la violence, il ne leur vient pas à l’idée une pensée toute simple. Imaginons que vous, adultes, vous vous attaquiez à des jeunes enfants ou à de jeunes bébés, comme le faisait le pouvoir ukrainien de Zelensky et de ses prédécesseurs, contre sa minorité russe au Dombas et ailleurs. Vous viendrait-il à l’idée de le faire avec les jeunes enfants ou les bébés du judoka Teddy Rinner ou du combattant de Mix Martials Arts Conor Mc Gregor ? Non pas intentionnellement j’imagine. Et si dans ce cas-là, Teddy Rinner ou Conor Mc Gregor vous explose la tête, vous et vos petits copains qui vous acharniez sur ces jeunes enfants sans défense, sont-ce eux les agresseurs ? Sont-ce eux les criminels ? En démocratie probablement. Aux Etats-Unis, les pauvres adultes battus auront même droit à des indemnisations colossales. Pour ma part, je ne le pense pas.
On n’attaque pas des victimes sans défense dont le père, ou la Nation qui les représentent, sont des puissants combattants ou une puissante Nation. Et si on a fait le pari inverse, on ne se présente pas comme une pauvre victime injustement agressée. Accessoirement, cela fonctionne aussi avec le conflit israélo-palestinien, à la fois à l’encontre des palestiniens qui ont attaqué Israël, mais également contre Israel qui a également systématiquement agressé et humilié les palestiniens de Gaza.
La France peut ainsi impunément s’attaquer, poursuivre, s’acharner sur ses minorités bretonnes, basques ou corses ou sur les gilets jaunes. Ceux-ci ne sont les minorités d’aucun puissant peuple, d’aucune puissante nation qui pourrait souhaiter les venger ou simplement les défendre ou prendre fait et cause pour eux. La majorité ukrainienne croyait certainement qu’elle pouvait faire la guerre, déporter sa minorité slave, comme ses voisins européens l’avaient fait avec leurs propres minorités inassimilables, sans risquer d’intervention militaire de son grand voisin russe. À tord. Les démocraties occidentales sont construites sur la négation de l’existence de minorité, pour lesquelles l’Etat démocratique propose l’assimilation, la disparition ou la prison pour ceux qui choisissent de se révolter. Belle démocratie !
Ce même numéro de ‘Philosophie magazine’ revient également dans un autre article sur une définition des notions de ‘jus ad bellum’ et de ‘jus in bello’, c’est à dire sur le droit de faire la guerre et sur le droit de la guerre.
https://www.quidjustitiae.ca/fr/blogue/Jus_ad_Bellum_et_Jus_in_Bello
Le ‘jus ad bellum’ couvre ainsi la légalité d’un recours à la force, selon trois principes ou trois justifications pour l’Organisation des Nations Unies. Le troisième principe concerne ainsi justement le droit d’intervenir pour mettre fin à un massacre ou à des attaques visant un peuple par un État. C’est ce principe qui fut invoqué pour cautionner l’intervention de la communauté internationale en Libye, comme le rappelle M. Serge Sur. C’est le motif invoqué par la Russie pour cautionner son intervention spéciale en Ukraine. Et cela a certainement été invoqué aussi par l’Allemagne nazie en 1938-1939 pour envahir la Tchécoslovaquie ou la Pologne.
Il est intéressant de constater que ce droit invoqué par la Russie n’est reconnu par nul observateur démocrate ou occidental ! Ni même dans cette revue philosophique.
4) De la même manière, il y a une divergence de points de vue des médias occidentaux démocrates sur les formes de résistance que l’on peut conduire en Russie et en Ukraine. Ainsi, M. Martin Legros écrit que l’Ukraine veille «à ne pas s’inscrire, à mesure que la Russie multiplie les crimes de guerre, dans la loi du talion», ce qui n’empêche pas cette même Ukraine de poursuivre, juger, condamner, exécuter les ukrainiens et les ukrainiennes qui ont supposément collaboré avec l’armée russe, qui ont couché avec des soldats russes, qui les auraient aider, guider. Probablement à les exécuter sauvagement. Et tout ceci avec le bienveillant aveuglement des médias occidentaux. Ceux qui fuit la conscription sont des traîtres à l’effort de guerre. Les snipers ou les pilotes de drones qui exécutent des soldats russes sont les héros. Par contre, en Russie, ces mêmes médias occidentaux encensent ceux qui militent contre la guerre, refusent la conscription ou meurent en prison. C’est comme si la France était elle-même en guerre contre la Russie. Nul recul possible sur cet affrontement, nulle possibilité de débat, comme pour la position sur Israël.
Ce n’est pas cela selon moi la philosophie.
Saucratès
Éthique et modernité
Work in progress
On pourrait croire que notre époque moderne est morale et éthique. À l’heure de #metoo, de #metoo-garçon désormais, à l’heure des condamnations et des plaintes incessantes pour antisémitisme ou pour islamophobie, à l’heure des multiples codes de déontologie ou de chartes éthiques que les salariés se voient imposer de respecter dans les entreprises ou les administrations, à l’heure de la nomination de déontologues dans tout ce que la France compte de grandes entreprises, de grandes administrations, jusqu’à l’Assemblée nationale ou le Sénat, on pourrait penser que notre époque est hautement morale et éthique, que l’ensemble de nos comportements sont normés, encadrés par des normes éthiques et morales inaltérables et inattaquables.
Et pourtant, il n’en est rien. Notre monde n’a jamais été aussi loin de l’éthique. Notre monde est fracassé de partout par les jugements, par les condamnations intempestives, par l’émotivité des uns ou des autres à laquelle on nous impose d’adhérer, de donner suite, de relayer inlassablement. Il faut condamner ci ou ça. Les journaux et les médias comme Le Monde ont cessé de vouloir éclairer sur le monde qui nous entoure et se contentent, comme tout un chacun, de manipuler les plus instinct des uns ou des autres et nous enjoindre de condamner, juger, déformer les faits pour répandre la bonne parole et la sainte colère. Le gouvernement n’est pas plus en reste avec les excommunications que prononcent tels ou tels ministres à l’encontre de tels ou tels partis politiques ou homme public parfois. Tel syndicat a affiché son mur des cons. Tel spectacle d’un humoriste est antisémite. Tel geste est antisémite. Tel mot utilisé comme ‘résistant’ pour décrire un peuple comme les palestiniens est un crime antisémite. Et ainsi de suite…
Il peut être utile de relire le philosophe et logicien Ludwig Wittgenstein, l’auteur du Tractatus, pour se rappeler de ce qu’il écrivait sur l’éthique.
«Or, ce que je veux dire est qu’un état d’esprit, si l’on entend par là un fait que nous pouvons decrire, n’est, au sens éthique, ni bon ni mauvais. Par exemple, si nous lisons dans notre livre du monde la description d’un meurtre avec tous ses détails physiques et psychologiques, la simple description de ces faits ne contiendra rien que nous pourrions nommer une proposition éthique. Le meurtre se trouvera exactement sur le même planque tout autre événement, la chute d’une pierre par exemple. Assurément, il se pourrait que la lecture de cette description provoque en nous de l’affliction, de la colère ou toute autre émotion, ou que nous soyons informés de l’affliction ou de la rage que ce meurtre a suscité chez d’autres personnes qui en ont entendu parler, mais il n’y aura là que des faits, de simples faits, et seulement des faits, mais non l’Ethique. Aussi dois-je dire que, si je me représente ce que devrait être vraiment l’Ethique, à supposer qu’une telle science existe, le résultat me semble tout à fait évident. Il me semble en effet évident que rien de ce que nous pouvons jamais penser ou dire ne pourrait être l’Ethique même.»
Conférence sur l’éthique, Ludwig Wittgenstein, 17 novembre 1929
En lisant la comparaison faite par Ludwig Wittgenstein entre un horrible meurtre et la simple chute d’une pierre, je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec l’attaque du Hamas du 7 novembre 2023 et l’injonction impérative faite à tout un chacun de condamner cette abominable attaque terroriste. Mais en terme éthique, il eusse fallu qu’un philosophe ose rappeler à nos dirigeants outrés, à nos médias guerriers, que la description de cette attaque terroriste n’était pas differente de la description d’une simple chute de pierre.
Evidemment, en disant cela, je me condamne à l’excommunication, aux poursuites judiciaires et pénales, comme l’aurait été le pauvre Luwig Wittgenstein si il avait osé commettre une telle déclaration en notre époque. Parce que notre époque se croit éthique. Nous sommes tenus en permanence de condamner et de juger les comportements et les actes que l’on nous désigne comme déviants, mauvais, condamnables. Un témoignage est à peine publié sur #meetoo ou désormais #metoo-garçon que le prédateur est immédiatement soumis à l’ostracisme, condamné médiatiquement, exclut de la sphère des vivants. Au delà même de la réalité des accusations, on se trouve d’abord confronté à l’interprétation des accusations. «Il a pris ma main et il m’a dit : tu me troubles !» Harcèlement sexuel évidemment !
https://www.lefigaro.fr/cinema/metoo-garcons-ouverture-d-une-enquete-apres-une-plainte-pour-harcelement-sexuel-contre-le-cineaste-andre-techine-20240303
Aujourd’hui, il ne faut surtout plus penser ! Il faut condamner ce que l’on nous dit de condamner, juger ce que l’on nous dit de juger, dénoncer ce qu’on nous dit de dénoncer. Penser par soi-même deviendra bientôt un crime. Comment laisser circuler des personnes qui pensent par elles-mêmes, des personnes qui ne condamnent pas ce qu’on leur demande de condamner, mettre à l’index ceux qu’on leur demande de mettre à l’index, huer ceux qu’on leur demande de huer ?
Je voudrais terminer cet article sur les dernières phrases de Ludwig Wittgenstein de sa conférence sur l’éthique :
«Je vois clairement et immédiatement, comme en un éclair, non seulement qu’aucune des descriptions auxquelles je pourrais penser ne décrirait vraiment ce que j’entends par valeur absolue, mais encore que je rejetterais toutes les descriptions signifiantes que quiconque pourrait suggérer ab initio, en arguant de leur sens. En d’autres termes, je vois maintenant que ces expressions absurdes ne sont pas absurdes parce que je n’ai pas encore trouvé la manière correcte de les exprimer, mais parce que leur essence même est d’être des non-sens. Car tout ce que je voulais, en les mettant en avant, était précisément aller au-delà du monde, c’est-à-dire au-delà du langage signifiant.
Mon penchant, qui est aussi, à ce que je crois, celui de tous les hommes qui ont jamais essayé d’écrire sur l’Ethique ou la religion, ou d’en parler, était de buter contre les limites du langage. Buter ainsi contre les murs de notre cage est entièrement, absolument, sans espoir. L’Ethique, pour autant qu’elle provient du désir de dire quelque chose du sens ultime de la vie, du bien absolu, de la valeur absolue, ne peut être une science. Ce qu’elle dit n’ajoute rien, en quelque sens que ce soit, à notre savoir. Mais elle porte témoignage d’un penchant de l’esprit humain que, pour ma part, je ne puis m’empêcher de respecter profondément et que je ne ridiculiserais à aucun prix.»
Ludwig Wittgenstein - Conférence sur l’éthique - 17 novembre 1929 - Pages 18-19
Ce sont surtout les derniers mots de cette citation, de cette conclusion de cette conférence, prononcé par Wittgenstein il y a bientôt un siècle, que je trouve admirable. Le fait de buter contre les limites du langage lorsque l’on veut parler sur l’Ethique, le fait que l’Ethique ne puisse être dès lors qu’elle voudrait parler du Bien absolu. Et enfin de ce penchant de l’esprit humain qui cherche à trouver ce Bien absolu, ce sens ultime de la vie. Ce penchant né en Grèce antique, il y a deux millénaires et demi.
Saucratès
Rapport entre l’histoire de la folie et de l’internement de Foucault et les normes de l’époque actuelle
Rapport entre l’histoire de la folie et de l’internement de Foucault et les normes de l’époque actuelle
Par Saucratès
Saint-Denis de la Réunion, samedi 10 juin 2023
Au cours des siècles passés, nous vivions dans un monde de la conformité. Gare à ceux qui déviaient de la conformité, de ceux que l’on attendait d’eux. Certes, il s’agissait d’un monde qui nous paraît désormais archaïque, dans lequel nous n’aimerions pas vivre. Seigneurs et paysans, norme du mariage hétérosexuel avec cérémonie religieuse, dimanche à la messe sauf pour les socialistes, les communistes et les hussards noirs de la république, les femmes aux fourneaux et à faire et à élever les gosses, et les hommes aux champs, puis à l’usine.
Notre société occidentale a inventé l’asile et la prison pour interner les personnalités déviantes, au propre comme au figuré. C’est du moins la lecture qu’en avait le philosophe Michel Foucault dans les années 1970-1980 dans ses ouvrages et dans ses cours au Collège de France qui nous ont été légués.
Mais selon moi, les années 1980-1990 et 2000 ont vu un basculement progressif du mode de fonctionnement de notre société. Les déviants ne sont désormais plus les fous, les inadaptés sociaux, mais à l’inverse ceux qui sont dans le moule d’avant, ceux qui étaient comme normaux jusqu’à présent. Les normaux, ceux correspondant à l’ancienne norme, hommes hétérosexuels, quinquagénaires ou sexagénaires, ceux qui ont accepté le monde, la société telle qu’elle fonctionnait dans leur jeunesse, ceux-là sont désormais considérés comme les inadaptés qu’il faut éliminer, cantonner, interner.
Notre monde occidental est construit par des médias qui véhiculent une pensée unique, une pensée majoritaire. L’idéal de la société est également l’idéal véhiculé par les médias, et mis en œuvre par le milieu journalistique, qui ne peut décrire que ce qui correspond à ses valeurs, à ses idéaux. Mixité, métissage, féminisme sont les maîtres principes de cette époque. L’homosexualité impliquait enfermement et internement (même pour un mathématicien de génie comme Alan Turing, inventeur de l’informatique et sauveur des alliés lors de la seconde guerre mondiale) à la pire époque des années 1950-1960.
Elle vaut désormais comme un idéal de coolitude, un brevet de bonne conduite. Les tarés, les fous sont désormais les hommes hétérosexuels qui osent regarder ou apostropher une femme, des pervers qu’il faut enfermer. Ces hommes qui osent par exemple revendiquer de pisser debout. Ce monde prône la mixité mais exclut tous les hommes dépassant les 45 ou 50 ans, qui doivent cesser de vivre, qui doivent se cacher loin des regards, surtout ne pas dévier de la norme qui les rend invisibles et indésirables sexuellement et professionnellement. Gare à ceux qui transgressent cette norme, poursuivis judiciairement et éliminés socialement par celles qui se dénomment et se considèrent elles-mêmes comme des chiennes de garde.
Quelles nouvelles institutions sont-elles aujourd’hui créées pour défendre cette nouvelle norme sociale ? C’est ce que décrivait en son temps, à son époque, Michel Foucault, avec sa description de l’asile et de la folie. Et c’est ce que je n’ai pas. Le conformisme des médias ne fait pas une institution, pas plus que la rumeur des églises par le passé ne faisait pas l’asile ou la prison. Les médias ne sont que le canal de diffusion de l’information, du modèle de nouvelle société idéalisée.
Ce modèle est parfois violemment attaqué par les citoyens ou les électeurs, comme lors de l’élection de Donald Trump, parangon de tous ce que les médias libéraux abhorrent. D’où la fureur et la rage des médias ‘éclairés’ lors de son mandat présidentiel ; les médias progressistes ne pouvaient pas laisser perdurer une telle verrue aux yeux de leurs idéaux de mixité et de métissage. D’où l’acharnement judiciaire actuel contre Trump. Et accessoirement contre son vainqueur démocrate, attaqué au nom de sa sénilité. Une femme démocrate noire, ce serait quand même vachement plus conforme aux principes canons du temps présent qu’un homme vieillard de 80 ans !
Institutions de contrôle ? La publicité pourra-t-elle devenir cette institution, ou bien est-ce tout simplement la norme qui est l’institution ? Cette publicité qui a véhiculé si longtemps l’image de la femme objet, de la femme idéale, jeune, belle, blonde, désirable. Le futur verra-t-il également l’invisibilité des hommes hétérosexuels de plus de trente ans dans la publicité, comme cela a été le cas pour les femmes par le passé ? Très vraisemblable, il faut bien que cette génération tue le père, dans notre monde qui a inventé l’homoparentalité pour mieux tuer la figure paternelle.
À moins qu’il ne s’avère pas nécessaire de changer les institutions de contrôle social de cette société, que l’hospice, l´hôpital psychiatrique et la prison demeurent en place mais qu’on en change les règles d’enfermement. Ce seront les hommes hétérosexuels, blancs, âgés de plus de 40 ans, les inadaptés qui refusent de pisser assis, qui refusent d’arrêter de pisser debout, qu’il faudra réadapter socialement, enfermer, castrer psychiquement, éliminer de la société définitivement ou temporairement, s’ils acceptent de changer, de s’adapter au monde. Ils ne pourront pas changer de couleur de peau, mais peut-être de sexe, ou d’orientation sexuelle. Rien de mieux que la prison ou l’asile pour cela.
https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2023/06/10/gare-au-retrosplash-faire-pipi-debout-ca-fait-partie-des-privileges-que-les-mecs-ne-veulent-pas-abandonner_6176997_4497916.html
Les prochaines dizaines d’années verront se matérialiser ce monde tel qu’il est aujourd’hui en germes. Les institutions de contrôle de ces nouvelles normalités et de ces déviances seront vraisemblablement pleinement visibles. Ce n’est encore que des germes mais les hommes au pouvoir croient encore possible de contrôler cette évolution, que les chiennes de garde, que les ultra-féministes, se contenteront d’un partage du pouvoir, des miettes qu’ils leur donneront, qu’ils leur jetteront, des victimes expiatoires qu’ils leur accordent … Ils croient encore qu’ils arriveront à canaliser toute cette merde. Mais ils se trompent. C’est une guerre qui se prépare.
Et accessoirement, l’espoir viendra peut-être d’Afrique et des pays musulmans, dans leur combat contre le développement de cette nouvelle normalité que l’Occident croit devoir moralement imposer à l’ensemble du reste du monde actuel.
(Soit un peu de la même manière qu’ils estiment normal de vouloir faire arrêter un dirigeant étranger en exercice lors d’un déplacement international, Vladimir Poutine, en vertu d’un mandat d’amener international. Et si la Russie faisait pareil avec les dirigeants français ou américains lorsqu’ils se déplacent dans des pays étrangers ? Mais je suis bête, on n’en saurait rien puisque nos médias ne nous informent pas de ce qui se passe dans le monde, mais seulement de ce qu‘ils estiment pouvoir nous concerner)
Ce n’est évidemment pas que je défends les sanctions contre l’homosexualité ou les personnes transgenres, ni que je me retrouve dans les sanctions prises à l’encontre des personnes homosexuelles par le passé en Europe (comme contre le mathématicien anglais Alan Touring) ou actuellement dans certaines parties du monde. Simplement, ce sont des zones à éviter si vous êtes homosexuel … La majeure partie des migrants se disent d’ailleurs homosexuels pour obtenir l’asile politique en Europe, même les terroristes islamistes. Je conteste simplement le nouvel idéal de haine de l’homme hétérosexuel (bizarrement, il n’existe pas de terme en ‘phobe’ le concernant, ce qui permet aux chiennes de garde, aux féministes et aux bonnes âmes de s’acharner contre lui, contre son pouvoir, contre sa domination de la société, sans crainte d’être caractérisé comme homme-hétérosexuel-d'âge-moyen-phobes.
Je finirais en citant un philosophe et penseur catholique
«La lutte (des minorités, des invisibles, des dominés) n’a de sens que si elle évite de reproduire elle-même, par aveuglement, les mécanismes de pouvoir et d’oppression qu’elle dénonce ; ce qu’elle a toutes les chances de faire si on n’a pas étayé avec précision les conditions existentielles profondes qui garderont à l’écart la violence.
C’est malheureusement à cet aveuglement que se condamnent souvent ceux qui, avec les meilleures intentions, prônent la ‘libération’. En effet, les mécanismes d’oppression et de pouvoir sont des mécanismes auxquels cèdent volontiers certains parmi les concepteurs mêmes de telles luttes sociales (intellectuels organiques, penseurs pragmatiques et promoteurs de l’éducation populaire). Ils y cèdent au nom d’un ‘décisionnisme’ dont le cynisme politique et le ressentiment (propulsé par un bien étrange ‘c’est eux ou nous’) trahissent l’immaturité et, surtout, montrent l’ambition dévorante - et en l’absence de réflexion sincère sur le désir, non éradiquée et proprement inconsciente - qui transformera tôt ou tard la lutte de libération en triste cruauté. Qu’on nous permettent cependant une remarque théologique et ecclésiologique : opposer à ces dérives du pragmatisme une dérive dogmatique conservatrice au nom de l’amour évangélique et de la liberté, ce n’est pas moins se fourvoyer, tant il est vrai que les misères du désir dévorant et infantile de reconnaissance n’épargnent pas non plus les instances doctrinales. Il faut une plongée plus profonde dans ce qui fonde l’êtres humain désirant, et dans ce qui peut défaire à la fois la violence économique et la violence anti-économique - ce qu’il est présentement le thème que le présent travail entend développer quelque peu.»
Christian Arnsperger, «Échange, besoin, désir», Revue d’éthique et de théologie morale n°213 de juin 2000.
Saucratès