Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

De la politique monétaire (6)

Réflexion trente-six (12 juillet 2009)
L'économie occidentale est-elle entrée dans une situation de 'trappe à liquidité' ?...


C'est John Maynard Keynes qui a postulé l'existence du concept de 'trappe à liquidité' dans sa Théorie générale, au sortir de la crise de 1929. Elle a été reprise par John Hicks dans le cadre du modèle IS/LM, où le taux d'intérêt possède un taux minimum au dessous duquel il ne peut plus descendre, car les spéculateurs préfèrent détenir tous leurs avoirs en monnaie. La trappe à liquidité est un phénomène économique, dont le but est d'expliquer les caractéristiques observées quand l'État devient incapable de stimuler l'économie par la voie monétaire. Ce concept permet selon John Maynard Keynes d'expliquer la crise de 1929 et la grande dépression qui avait suivi. Pour certains économistes néo-keynésiens comme Paul Krugman, la «décennie perdue» au Japon, au cours des années 1990, est un exemple concret de trappe à liquidité. Mais son existence n'est pas admise par tous les économistes.

Dans un contexte de récession économique, une des méthodes de relance est la diminution du taux d'intérêt et l'augmentation de la masse monétaire. C'est par exemple la politique suivie par les principales banques centrales mondiales depuis le début de la crise actuelle, notamment par la Réserve fédérale américaine et par la BCE. Cependant, les agents ajustent leur prévision du taux d'intérêt par rapport à un taux considéré comme normal.

D'après Keynes, les agents veulent détenir de la monnaie pour trois raisons (ou motifs) : de précaution, de spéculation et de transaction, raisons qui déterminent le niveau de la demande globale de monnaie, voulue pour elle-même (contrairement à l'hypothèse des néo-classiques selon laquelle elle n'est qu'un voile). Dans la théorie classique, on n'a pas intérêt en effet, à aucun moment, de détenir de la monnaie (thésaurisation) car elle n'a pas de valeur en soi. Il faut s'en débarrasser au plus vite, éventuellement en la plaçant contre intérêts. Keynes postule au contraire que les agents peuvent trouver un intérêt à thésauriser (garder leur argent "dormant" à la maison, si l'on veut).

En particulier, si le taux d'intérêt proposé (notamment par les émetteurs d'obligations) est trop bas, alors que dans la théorie classique les agents se débarrassent de la monnaie en consommant, dans l'optique keynésienne non seulement ils vont conserver leur monnaie, mais en plus en demander une quantité infinie (en souscrivant des crédits à taux bas, par exemple) pour un motif de spéculation anticipative (ils pensent que les taux vont remonter).

En d'autres termes, la demande de monnaie pour motif de spéculation est d'autant plus importante que le taux d'intérêt est élevé. Pour John Maynard Keynes, les agents arbitrent, dans la répartition de leur portefeuille, entre la détention d'obligations -un actif risqué dont le cours varie de manière inverse au taux d'intérêt- et la détention de monnaie -un actif non risqué-. Lorsque le taux d'intérêt est faible, les agents prévoient (spéculent) qu'il va nécessairement augmenter et veulent donc détenir de la monnaie, le cours des obligations étant amené à diminuer. Il existe alors un taux critique, pour lequel la demande de monnaie est parfaitement (infiniment) élastique : les agents pensent alors tous que le taux va augmenter, et leur préférence pour la liquidité est alors absolue. Une politique monétaire de baisse du taux d'intérêt est alors totalement inefficace dans le cadre d'une relance.

On a donc une 'trappe à liquidités' dans un double sens : non seulement les liquidités (la monnaie) disparaissent du marché monétaire parce que les agents la thésaurisent, et conséquemment les agents investisseurs (ceux qui veulent acheter du capital pour produire des biens) n'en trouvent pas à emprunter, mais en plus la demande de monnaie devient infinie (pour en thésauriser le plus possible). Plus personne ne dépense, les agents attendent en espérant faire des gains plus tard.

Ce raisonnement vise à démontrer que contairement à la théorie néo-classique du marché monétaire, lorsqu'on constate que l'épargne monétaire est supérieure à l'investissement (des entreprises), il peut être inefficace d'abaisser le taux d'intérêt pour relancer l'investissement, on obtient parfois l'effet contraire à celui recherché.

Cela donne-t-il une bonne explication de la situation observée actuellement au niveau mondial ? Il est clair qu'un certain nombre de caractéristiques semble correspondre. Nous avons effectivement des banques centrales qui appliquent des politiques monétaires ressemblantes, avec des taux d'intérêt pratiquement nuls, et qui inondent les marchés monétaires et les banques de liquidités à bas taux pour relancer l'offre de crédits, sans que l'on puisse déterminer pour l'instant si ces politiques monétaires réussiront ou non. Nous avons une diminution de la demande de financements et d'investissements des entreprises et des ménages, qui appliquent pour l'instant des politiques attentistes. Nous avons un ralentissement de l'inflation relativement généralisé, et certains se demandent où ont pu passer l'immensité des financements déversés sur les marchés financiers depuis le début de la crise des subprimes.

Heureusement, les banquiers centraux n'ignorent rien du concept de 'trappe à liquidité' inventé par Keynes, dont les livres font partie de leurs livres de chevet.


Réflexion trente-cinq (18 mai 2009)
Cacophonie monétaire en Europe ?


C'est la première grave crise monétaire et financière vécue par la Banque Centrale Européenne et par l'euro, et apparemment, pour l'instant, la monnaie unique a bien résisté. C'est toutefois aussi, pour beaucoup de banquiers centraux, la première fois qu'ils doivent apprendre à travailler ensermble, par delà les barrières des langues et les considérations nationales. Et là, le constat est plus mitigé.

A la différence des instances qui composent la Réserve Fédérale américaine (FOMC - Federal Open Market Committee), structure pensée en 1907 et créée en 1913 qui a pratiquement traversé un siècle, la crise financière de 1929, une grande dépression économique, ainsi que les première et seconde guerres mondiales et le financement de l'effort de guerre qui vint avec, la BCE et l'euro n'ont même pas une décennie d'existence, et pour certaines des banques centrales qui la composent et qui viennent tout récemment de rejoindre la zone euro, moins d'un an de vie commune (comme la Slovaquie, entrée au 1er janvier 2009, ou Chypre et Malte, entrées au 1er janvier 2008).

Initialement, la politique de stabilité des taux d'intérêt menée par la Banque Centrale Européenne tout au long de l'été 2007 et jusqu'à l'automne 2008, avec des taux directeurs de la BCE maintenus à 4%, puis à 4,25%, avait fait apparaître des dissensions au sein du Conseil des gouverneurs, entre des pays du Nord, autour des gardiens du temple de la Bundesbank, adeptes d'une politique monétaire restrictive, et les pays du Sud, favorables à un assouplissement plus rapide de la politique monétaire européenne. Mais ces dissensions s'étaient peu exposées en public. Certains hommes politiques, tel le français Nicolas Sarkozy, faisaient partie des plus critiques à l'égard de la BCE, conformément à leur habitude.

L'édifice s'est plus fortement lézardé lorsqu'il a été question de partage des pertes affichées par le Système européen des banques centrales (SEBC). Certaines banques centrales, telle celle de Slovénie, ont ainsi commencé à communiquer, en dehors de l'enceinte de la Banque centrale européenne, sur le partage des pertes de la BCE, dues à des erreurs d'autres banques centrales ... Ainsi Marko Kranjec, gouverneur de la Banque centrale de Slovénie, déclarait le 13 février 2009 : « dans le cadre du système européen de banques centrales, il y a seize membres et bon nombre d'entre eux sont contaminés par des actifs toxiques ; malheureusement, nous allons devoir, par solidarité, partager ce fardeau ... ». La Bundesbank, paragon de vertu en matière monétaire en Europe, ferait partie des banques centrales les plus exposées en matière d'actifs toxiques, ayant été moyennement regardante sur la qualité sous-jacente des actifs apportés en garantie, notamment dans le cadre de la faillite de Lehman Brothers.
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/02/26/les-banques-en-faillite-laissent-une-ardoise-de-plus-de-1-milliard-d-euros-a-la-bce_1160696_1101386.html

Il est en effet très agréable et facile de partager des bénéfices, mais beaucoup plus difficile de partager des pertes. Heureusement pour la zone euro et pour les relations au sein du Système européen des banques centrales, les comptes 2008 de la Banque centrale européenne n'ont pas été à ma connaissance en déficit (les journaux parlaient pourtant de plus d'un milliard d'euros de pertes). Les comptes 2008 publiés par la BCE font en effet état d'un bénéfice de 1.322.253.536 euros, ce qui ne posera pas du coup de problème de partage de pertes, mais du partage d'un bénéfice, beaucoup plus facile à partager.
http://www.ecb.int/pub/pdf/annrep/ar2008annualaccounts_fr.pdf

J'ignore ma manière dont fut régler le problème évoqué des actifs toxiques détenus par certaines banques centrales nationales européennes. Beaucoup plus récemment, la cacophonie semble s'être encore plus agravée dans le cadre des modifications des règles d'apport et des types d'actifs acceptés par le Système européen de banques centrales ; les banques centrales dont les établissements bancaires ne sont pas émetteurs des nouveaux titres acceptés en garantie (obligations foncières) contestant publiquement les décisions prises et exposant publiquement leurs désaccords et leurs souhaits en matière d'extension de titres acceptés.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/05/16/la-cacophonie-publique-des-banquiers-de-la-bce_1194048_3234.html 

La Banque centrale européenne saura-t-il résister à la crise financière et aux dissensions qui prennent de l'ampleur en son sein ? A moins que le problème ne soit Marko Kranjec, le gouverneur de la banque centrale de Slovénie ...

Réflexion trente-quatre (18 mai 2008)
Vers un retour en grâce de la politique monétaire européenne ?


Ces dernières années, notamment depuis le démarrage de la campagne électorale à la Présidence de la République française, et de manière croissante depuis cette date et le déclenchement de la crise financière de l'été 2007, la politique monétaire menait par les autorités monétaires européennes était régulièrement contestée par certains hommes politiques (ou femmes) et économistes européens.

La progression supérieure aux attentes du PIB (produit intérieur brut) de la zone euro (+0,7% au premier trimestre 2008) et tout particulièrement de sa première puissance économique, l'Allemagne (+1,5% soit grosso modo +6,0% en rythme annuel) viennent contredire le pessimisme du discours tenu sur le déclin européen et les critiques sur une politique monétaire considérée comme insuffisamment accomodante.

Mais de bons résultats obtenus au cours d'un seul trimestre sont-ils suffisants pour prouver l'excellence d'une politique monétaire ? Evidemment, non ! Au prochain mauvais résultat en matière de croissance obtenu par la zone euro, les mêmes critiques reviendront à la charge contre une politique monétaire qu'ils redésigneront comme restrictive.

Il faut également observer que toute politique, quelque soit le niveau des taux directeurs envisagé, peut être considérée comme restrictive, ce qui était notamment la position des politiques français qui souhaitaient des taux inférieurs à 2% en zone euro (au moins en France) lorsque les taux étaient à 2%. De la même manière que l'on peut compter sur les chefs d'entreprise français et sur les politiques libéraux pour doubler les seuils sociaux. On peut ainsi les doubler d'années en années à l'infini, de telle sorte que plus aucune entreprise ne soit concernée par ces seuils. Il en va de même en matière de politique monétaire restrictive. Des taux directeurs de crédit de 4% sont-ils véritablement restrictifs ?

Evidemment, la croissance française au premier trimestre 2008 est demeurée plus faible (+0,6%) que la croissance allemande. Mais elle n'est pas atone, dans la moyenne de la zone euro, notablement supérieure à celle de l'économie espagnole, fragilisée par les difficultés de son marché immobilier, ou à celle de l'économie américaine. Simplement, les critiques doivent comprendre que les raisons ne sont pas à chercher dans la politique monétaire conduite par la Banque Centrale Européenne ni dans l'euro, mais dans des contraintes administratives, industrielles et politiques propres à la France. Encore faut-il ensuite se mettre d'accord sur le diagnostic à mener pour expliquer les difficultés françaises, toutefois peut-être exagérées par le prisme médiatique puisqu'il est toujours plus facile de parler de ce qui ne va pas que de parler de ce qui va ... et que les mécontents font plus de bruit que les personnes heureuses ... Trop d'état bloquant les innovations ? Ou au contraire insuffisamment de régulation étatique permettant à certains de rechercher leur seul enrichissement personnel au détriment du bien collectif et social ?


Réflexion trente-trois (22 avril 2008)
Inflation et politique monétaire ... ou des dangers d'un retour de l'inflation ... ce dont l'opinion publique française commence à prendre conscience ...


Le langage à l'égard de l'inflation commencerait-il à changer dans les médias français et au sein de l'opinion publique française. Après plus d'une décennie d'inflation comprise entre 1% et 2% par an, une stagnation des salaires, une envolée des prix de l'immobilier et des taux de crédit immobilier aux alentours de 4%, beaucoup de français s'étaient mis à regretter les périodes passées où une inflation élevée s'accompagnait de revalorisations salariales importantes et d'un poids décroissant des remboursements de crédits immobiliers ou personnels ...
http://www.lemonde.fr/economie/article/2008/04/21/l-inflation-demoralise-les-consommateurs_1036421_3234.html#ens_id=1014317

En même temps, la défense du pouvoir d'achat demeure au centre des préoccupations des français, et de certains hommes politiques tels Nicolas Sarkozy (sans que toutefois il ne propose aucune mesure concrète pour le relancer) ... Et l'inflation ressentie due au passage à l'euro était particulièrement mal perçue, notamment parce que cette inflation ressentie par les ménages ne transparaissait pas dans les chiffres officiels de l'inflation publiés par l'INSEE.

L'inflation observée au sein de la zone Euro n'est pas encore une inflation par les coûts de production, mais correspond pour l'instant à une inflation causée par le renchérissement des matières premières incorporées. On pourrait aussi parler d'une inflation importée. Les revalorisations de prix appliquées par les fabriquants ne visent pour l'instant qu'à suivre l'évolution du coût des intrants incorporés, et d'une certaine manière à restaurer leurs marges. Il est ainsi à craindre que les industriels ne pourraient pas revaloriser leurs salariés sans devoir augmenter une nouvelle fois leurs prix tarifaires pour faire face cette fois-ci à une inflation de leur coût de fabrication.

A ce jour, l'inflation observée risque de demeurer une perte sèche pour de très nombreux ménages, comme de nombreux économistes et de nombreux ménages commencent à se rendre compte ... L'indexation des salaires, que ce soit dans le secteur privé ou pour les fonctionnaires, n'existe plus. Les contraintes liées au déficit budgétaire de l'état impliqueront une absence de revalorisation importante des salaires dans la fonction publique, tandis que dans le privé, seuls des conflits sociaux très durs pourraient conduire les entreprises à suivre le rythme de l'inflation dans les revalorisations accordées à leurs salariés. Les fonctionnaires seront de toute façon les grands perdants d'un retour de l'inflation, ainsi que de nombreux salariés, sauf ceux payés au SMIC.

Parmi les arguments qui ont pu être présentés par un certain nombre d'économistes au sujet des bienfaits d'un retour de l'inflation, ceux concernant les facilités pour le budget de l'état sont fondés. Un retour de l'inflation se traduira mécaniquement dans les rentrées fiscales du fait de la TVA, qui représente une proportion importante des ressources budgétaires de l'état français. De même, un maintien de cette inflation aurait des conséquences dommageables sur le coût de refinancement de la dette publique française, avec la hausse des taux à long terme qui en découlerait.

Par contre, un retour de l'inflation ne se traduira pas par des gains de pouvoir d'achat pour les ménages, ni même en terme de poids de l'endettement bancaire, si les salaires ne suivent pas l'évolution des prix, comme il y a de fortes chances que cela se produise, pour la fonction publique et pour une grosse partie des salariés du privé (hormis ceux payés au SMIC ou ceux qui seraient rattrapés par l'évolution du SMIC.

L'inflation est tristement un jeu à somme nulle. Ce que vous obtenez de plus en terme de revalorisations salariales, vous le paierez au minimum en plus dans vos achats. L'inflation est une course contre la montre entre les prix et les salaires, avec des perdants et des moins-perdants ... Simplement, elle facilite les relations sociales et les ajustements économiques, en permettant aux entreprises de maintenir leurs marges et en accordant aux salariés et à leurs syndicats des revalorisations considérées comme suffisantes.

L'intérêt d'une politique monétaire est justement de lutter contre l'inflation, contre une inflation des coûts de production (puisqu'elle est nécessairement sans objet contre une inflation importée). Mais même dans ce dernier cas, la politique monétaire pourra servir à empêcher la contamination des coûts de production. Il est ainsi à craindre que la Banque centrale européenne puisse être amenée à relever désormais ses taux directeurs pour lutter contre un retour d'une indexation des revenus et des prix sur l'inflation, malgré le contexte de ralentissement économique qui est actuellement en cours au niveau mondial et européen, qui pourrait plaider au contraire pour une baisse de ses taux directeurs. En dépit des remous politiques qui pourront agiter le Landerneau politique français ...

La perte de pouvoir d'achat des salariés européens deviendrait ainsi une perte sèche en 2008 (dont le rattrappage sera éventuellement étalé sur quelques années) mais les salariés éviteront aussi la course de vitesse future à venir entre leur revenu et les prix due à un retour durable de l'inflation, qui aurait au final les mêmes conséquences en terme de perte de pouvoir d'achat.


Réflexion trente-deux (27 mars 2008)
La question de la monnaie et de l'inflation


Je commencerais cet article sur un paradoxe ... le paradoxe des français et de la valorisation (ou de la dévalorisation) de leur monnaie. Dans le combat contre le renchérissement de l'euro, on trouve aux premières loges les français, toutes tendances politiques confondues, et leurs représentants politiques.

Aujourd'hui, il n'est pas réducteur de déclarer que les français contestent la vigueur actuelle de l'euro (ce débat a pris de l'importance depuis que l'euro a dépassé le cours d'1 euro pour 1,2 dollar ... et il est aujourd'hui à 1 euro pour 1,58 dollar) et regrettent l'époque où leur monnaie était faible, régulièrement dévalorisée, génée par une inflation importante qui en érodait régulièrement la valeur. Parmi l'ensemble des peuples passés à l'euro, il me semble qu'il n'y a pas désamour plus grand vis-à-vis de cette monnaie que celui ressenti par les français. Les français accusent l'euro de l'ensemble des maux qui touchent selon eux leur magnifique pays : chômage, déclin industriel, perte de compétitivité, envol des prix dans le commerce ... etc ... etc ...

Les français ont-ils raison de faire cette analyse ? Il est cependant une chose de paradoxale ... C'est que les français aient conservé la nostalgie de disposer d'une monnaie faible, alors que la France a régulièrement souffert par le passé des dévaluations compétitives rendues obligatoires par l'état de leurs finances publiques ...

Petit rappel en arrière ... Les premières dévaluations du franc remontent au sortir de la première guerre mondiale, guerre qui avait été financée par l'endettement intérieur et extérieur, au lieu d'être financée par l'impôt (avant la première guerre mondiale, les monnaies européennes étaient librement convertibles en or - ou en argent). Les premières attaques spéculatives contre le franc remonte au début des années 1920 et atteignent leur apogée en 1926, avec un franc (Germinal) qui perdra la moitié de sa valeur vis-à-vis de la livre sterling. La première dévaluation voit la création du franc Poincarré en 1928, dont la valeur par rapport au franc Germinal sera divisée par cinq. Pour mémoire, c'est le refus de la Banque de France (à cette époque contrôlée par les 200 familles - actionnaires de la Banque Centrale et plus riches familles de France) de continuer à financer les dépenses de l'état (qui avaient dépassé le plafond maximal fixé par accord entre la Banque de France et le gouvernement) qui firent tomber le gouvernement du Cartel des Gauches d'Edouard Herriot (parmi ces grandes familles, on trouvait déjà les Rothschild, les Wendel, les Louis-Dreyfus, les Stern, les Schlumberger, les Schneider, les Lazard, les Worms, les Hottinguer ... familles que l'on retrouve encore dans les grandes entreprises du CAC 40 aujourd'hui).

La seconde guerre mondiale entraînera également des problèmes financiers pour les finances publiques françaises, et ce ne sont pas moins de sept dévaluations qui se succéderont entre 1945 et 1958 (dont une dévaluation de 50% en 1945 et une dévaluation de 17,5% en 1958), avant la création du nouveau franc (à compter du 1er janvier 1960 valant 100 anciens francs). Le nouveau franc n'échappera pas non plus au problème des dévaluations compétitives à répétition, notamment au début des années 1980 (mais également en 1969 pour 'effacer' les avancées salariales consenties l'année précédente et résister à de nouvelles attaques spéculatives), dévaluations successives indispensables pour équilibrer les échanges extérieurs de la France, mais jamais suffisantes pour que ces équilibres se maintiennent.

C'est en effet un paradoxe des dévaluations et de l'image positive que les français en ont gardé : les dévaluations ne permirent jamais à la France de rétablir durablement sa compétitivité extérieure. A chaque fois, une nouvelle dévaluation était nécessaire quelques années plus tard.

Les français ne se rappellent même pas que la France fut mise en 1958 sous la tutelle du Fonds Monétaire International (comme tant de pays en développement de nos jours) en raison de la faiblesse récurrente de sa monnaie et de ses problèmes d'équilibre extérieur. Est-ce le modèle que nos hommes politiques, de droite ou de gauche, souhaitent rétablir ?

Les français se rappellent-ils également que le franc CFA a longtemps valu plus que le franc français ? Le franc CFA a pour origine le franc ayant valeur dans la France Libre (le gouvernement provisoire à Londres de De Gaulle puis à Alger). A la libération, il sera décidé que le franc de la France libre aura cours uniquement dans les colonies françaises, mais sa valeur étant supérieure à celle du franc ayant cours en métropole, la dévaluation de 1945 ne lui sera pas appliquée ... le franc CFA valant ainsi deux fois plus que le franc Poincarré. Ce ne sera qu'en 1960, avec le passage au nouveau franc, que la valeur du franc CFA passera à un nouveau franc pour 50 franc CFA.

Alors que faut-il en penser ? Est-il tellement important de disposer d'une monnaie faible, qui se dévalorise régulièrement, ou qui ne vale pas grand chose ?

Est-il indispensable de rétablir auprès des marchés financiers internationaux une défiance vis-à-vis de l'euro, soit par le biais d'une création monétaire ou d'un endettement important, soit par le biais du rétablissement d'une inflation massive ?

Les français auraient-ils véritablement quelque chose à gagner à disposer une nouvelle fois d'une monnaie faible, qui baisserait continuellement, du fait du régime des changes flexibles ou bien de dévaluations à répétition ? Qu'est-ce que l'état aurait à gagner à une telle politique, état qui estime aujourd'hui que sa liberté d'endettement est trop restreinte par les désidératas de la commission européenne et de la Banque centrale européenne. Mais préférerait-il devoir répondre aux ultimatums des marchés financiers internationaux, comme se fut le cas au cours des années 1920 aux années 1990. Il me semble qu'il faudrait parler ici de myopie des politiques français ...

Enfin dernier risque lié à une volonté de voir revenir une inflation massive par création monétaire ou par création d'un endettement massif ... La création d'une bulle d'endettement, comme dans les années 1980 au Japon (qui entraîna la stagnation et la déflation de l'économie nipponne tout au long de la décennie 1990 et 2000) et dans les années 1990-2000 aux Etats-Unis (dont nous observons l'éclatement aujourd'hui) et dont les conséquences sont terribles en terme de coûts humains ... stagnation économique, déflation, chômage ...

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Pour plus d'informations sur les dévaluations successives du franc français, consulter l'article suivant publié par le Ministère des Finances (les Notes Bleues de Bercy)
http://www.finances.gouv.fr/notes_bleues/nbb/nbb227/227_dev.htm

Et pour reprendre la conclusion de cet article ... en parlant du franc, si souvent malade au cours du vingtième siècle ... on peut dire, au moment où il disparaît en se fondant définitivement dans l’euro, que le patient est mort guéri ... tout en rajoutant ... mais pas les français.


Réflexion trente-et-une (4 mars 2008)
Le retour de la question de l'inflation !


A quelques mois d'intervalle, le problème des méfaits de l'inflation est revenu à plusieurs reprises dans le champ politique et économique. En novembre 2007, les mesures de l'inflation en zone euro ont ainsi atteints des niveaux relativement élevés (3%), et pour l'ensemble de l'année 2007, la France enregistre un taux d'inflation de 2,8%. En Chine et dans les autres 'pays-ateliers de fabrication', les rythmes d'inflation interne atteignent de 10% à 15%, et des hausses de salaires importantes consentis (notamment en Chine - article du Monde de ce jour) laissent craindre un maintien en 2008 de ces tensions inflationnistes.

Pourtant, ces derniers temps, il semblait acquis que l'inflation était un problème dépassé. Les économies occidentales n'avaient plus enregistré d'épisodes inflationnistes dépassant 3% par an depuis un vingtaine d'années, soit environ le milieu de la décennie 1980. Un épisode de déflation avait même été enregistré au Japon dans les années 1990, ce qui paraissait presque plus à craindre qu'une inflation modeste.

Mais l'inflation avait disparu sans même que l'on en sache réellement les raisons. Evidemment, cette disparition coïncidait avec la mise en oeuvre de nouvelles politiques monétaires (une libéralisation des marchés financiers occidentaux impulsée par les gouvernements permettant aux Banques centrales nationales de contrôler l'ensemble des maturités de financement avec un seul taux - des politiques monétaires non accommodantes - un contrôle des liquidités bancaires) et de nouvelles théories économiques (la théorie des anticipations rationnelles et le monétarisme). Il semblait alors acquis que la disparition de l'inflation en Occident s'expliquait par ces nouveaux outils et ces nouvelles théories. Mais il n'en existe aucune preuve. Il était bien sûr également observé par les experts du Monde de la finance que les économies occidentales bénéficiaient accessoirement d'une désinflation importée venant de production dans des pays à faible coût de main d'oeuvre.

Au fil des années, un certain nombre d'intervenants en sont ainsi venus à regretter des niveaux d'inflation plus élevés (mon ami Nolats), qui offraient l'avantage de mettre un peu d'huile dans les rouages économiques, lorsque tous les acteurs économiques pouvaient obtenir des augmentations de salaires ou de prix.

Pourtant, nous nous trouvons aujourd'hui de retour dans une situation moins intéressante qu'il n'y paraît. La hausse de l'inflation enregistrée ne peut pas forcément être compensée par des augmentations de salaires accordées par le patronat français ou par le gouvernement, puisqu'une part importante de cette inflation est dorénavant importée, du fait de la hausse des matières premières (pétrole, métaux ou céréales) ou des hausses des prix des produits fabriqués dans les ateliers de fabrication du monde ... et que les finances publiques sont fortement contraintes par la nécessité de réduire les déficits et de financer de nouvelles mesures fiscales en direction majoritairement des hauts revenus.

Les craintes des autorités chinoises qui essaient également de lutter contre les tensions inflationnistes en Chine devraient aussi nous alerter. Pour quelles raisons les autorités chinoises combrattraient-elles un phénomène si celui-ci était tellement intéressant. Ce n'est évidemment pas le cas, puisque l'inflation entraîne notamment une augmentation des coûts de production, et détériore la position concurrentielle de l'économie nationale et de son industrie. Pourquoi souhaiterions-nous une chose (une inflation élevée) que toute personne censée éviterait ?

Aujourd'hui, on peut s'interroger sur la permanence de ce retour des tensions inflationnistes. Sont-elles appelées à perdurer ? Et dans ce cas, les politiques monétaires appliquées par les Banques centrales occidentales (notamment la BCE) seront-elles capables de juguler les anticipations inflationnistes des divers intervenants dans nos économies, et ont-elles réellement un pouvoir sur la formation des anticipations des agents, ou bien ne s'agit-il que d'une construction théorique qui ne vaut que tant que tout le monde y croit ?


Saucratès



09/11/2010
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