Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

De la politique monétaire (5)

Réflexion trente (12 octobre 2007)
En forme de conclusion


En écoutant le discours de Nicolas Sarkozy, Président de la République Française, jeudi 30 septembre 2007 au cours d'une émission de télévision, notamment la partie traitant de la politique monétaire conduite par la Banque Centrale Européenne, et ces critiques au sujet de la vigueur de l'euro et du niveau des taux d'intérêt en France, je me suis rendu compte de la profonde incompréhension qui existe en France entre les français et leur monnaie (et au delà avec les autorités monétaires).

Un certain nombre d'idées économiques ont ainsi été avancées au cours de cet entretien par le Président Sarkozy, idées qui ne sont cependant pas évidentes.

1) La première d'entre elles concerne le rôle qui peut être dévolu à la monnaie en matière de relance économique. Selon lui, tous les pays, à l'exception de ceux de la zone euro (où ce pouvoir serait kidnappé à l'entendre par la BCE), utilise leur monnaie comme moyen d'avantager leur économie et leurs entreprises. Le problème d'une telle assertion est fondamental en économie. C'est le problème de la neutralité monétaire. A long terme et à court terme, la monnaie a-t-elle une action sur l'économie réelle. Ce point est loin d'être acquis. (cf. réflexion n°23)

2) Le deuxième problème de cette assertion, c'est qu'il pose l'hypothèse que l'ensemble des autres pays dans le monde utilise l'arme monétaire pour aider leurs économies. A l'exception de la Chine où cette hypothèse est vraisemblable, pour les autres pays (essentiellement les Etats-Unis et le Japon), il est plus probable que la dérive de leur monnaie s'explique essentiellement par les anticipations des intervenants sur les marchés financiers, plutôt que par une politique volontariste de dévaluation du dollar ou du yen. (cf. réflexion n°24)

3) Le troisième problème concerne l'importance accordée à la sous-valorisation d'une monnaie. A écouter Nicolas Sarkozy, la Banque Centrale Européenne devrait mener une politique monétaire conduisant à sous-valoriser la valeur extérieure de l'euro, sans que l'on sache quelle serait la bonne valeur à retenir ... 1 euro pour 1 dollar, 1 euro pour 0,8 dollar ... ou peut-être 1 euro pour 0,01 dollar ? Y a-t-il une bonne valeur pour une monnaie ? Quel discours serait tenu par les politiques français si, avec un pétrole à 80 dollars le baril, celui-ci côtait 100 euros et non pas comme aujourd'hui 57 euros ? Et si les intrants importés en zone euro, telles les matières premières, les plastiques ou les métaux, valaient deux fois plus chers. Les entreprises françaises ou allemandes seraient-elles véritablement plus compétitives dans cette situation ? Il ne faut pas oublier que les américains ne font pas attention à la valeur externe de leur monnaie, parce que, du fait du caractère de monnaie de réserve dont bénéficie le dollar, la majorité des prix mondiaux sont exprimés dans leur monnaie nationale, ce qui atténue une bonne partie des inconvénients dûs à la faiblesse d'une monnaie. Ainsi, un marché de vente d'avions de guerre par Dassault au Maroc est libellé en dollars et non en euros. (cf. réflexions n°25 et n°26)

4) Peut-on enfin estimer à juste droit, comme Nicolas Sarkozy le laisse entendre, que les taux actuellement pratiqués par les établissements bancaires sont exagérément élevés ? Cette position présente un risque phénoménal. Actuellement, l'ensemble des emprunteurs européens appartenant à la zone euro peuvent bénéficier de conditions de taux comprises entre 4% et 6%, pour des durées de quelques jours à vingt-cinq ou trente ans, quelle que soit leur taille, ménages ou multinationales bancaires. Il y a en fait très peu d'écart entre les taux pratiqués pour un prêt immobilier à 25 ans octroyés à des ménages (aux revenus moyens) et les taux dont bénéficient les meilleurs signatures (état français, banques, multinationales). Ces conditions sont historiquement particulièrement faibles. Ce qui n'est pas expliqué par Nicolas Sarkozy, c'est que dans un pays libéral comme les Etats-Unis, le taux de l'usure ne se situe comme en France vers 6% comme actuellement pour des prêts immobiliers, mais à plus de 30%. Lorsque Nicolas Sarkozy en appelle à un abaissement des taux, milite-t-il véritablement pour une baisse des taux pour tous, même pour les emprunteurs les moins riches, ou s'intéresse-t-il essentiellement aux taux proposés pour les plus riches de ses concitoyens et pour les plus grands groupes ? (cf. réflexions n°27 et n°28)

Selon mon opinion, le sujet de la politique monétaire est utilisée par certains hommes ou femmes politiques de notre pays dans un but électoraliste, pour complaire à une grosse majorité de la population qui entretient une relation conflictuelle avec l'argent et les établissements bancaires. Certains tiennent ce discours populiste par conviction (nationaliste notamment), mais ce n'est pas le cas de Nicolas Sarkozy. Les plus intelligents d'entre eux agitent ce débat pour être simplement élus, et pour dévier les réflexions de leurs électeurs vers des problèmes sans danger pour l'élite financière de notre pays. Répéter que les baisses de pouvoir d'achat des ménages s'expliquent par la hausse des taux, la vigueur de l'euro et par la mise en place de l'euro, permet d'éviter de parler de hausse des salaires, du SMIC et des traitements des fonctionnements, et des marges et des bénéfices des grands groupes français. Le "c'est la faute à l'euro" est commode !

Et tant pis si ce genre de comportement pyromane accentue le fossé existant entre les français et l'Europe ... On laisse imaginer que l'on va combler ce fossé tout seul en parlant "vrai".

Cela ne veut toutefois pas dire qu'il n'y a pas de réflexions à avoir sur la politique monétaire, sur les préceptes ou présupposés du monétarisme, sur le cours de change de l'euro ou bien sur le niveau des taux. Mais cela signifie qu'il faut d'abord avec une discussion dépassionnée sur ce sujet, sans idées arrêtées, et qu'il faut pouvoir se fonder sur des hypothèses monétaires vérifiées, vérifiables et quantifiables. Et qu'il ne faut pas dissocier la monnaie des autres problèmes sociaux, économiques ou réglementaires. Toutes les difficultés industrielles et commerciales françaises ne s'expliquent peut-être pas uniquement par la valeur extérieure de l'euro ? (cf. réflexion n°29)


Réflexion vingt-neuf (11 octobre 2007)
Les banques centrales dépassées par la globalisation ?


Il s'agit du sous-titre du livre de Patrick Artus paru en septembre 2007, nommé "Les incendiaires". Patrick Artus est un grand économiste français, directeur de recherche à Natixis, connaissant donc plus que convenablement le fonctionnement des marchés financiers. Il est également membre du Conseil d'analyse économique. Et pourtant, malgré l'immense respect que j'ai d'habitude pour ses analyses, je ne partage pas les hypothèses et les conclusions qu'il met en jeu dans ce livre sur les évènements financiers des dernières années.

Premier désaccord, les banques centrales sont-elles responsables des flambées spéculatives qui ont été enregistrées au cours des dernières années, comme celles des prêts mortgage subprime cet été et de l'immobilier aujourd'hui et dans les années 1990, celles des valeurs technologiques à la fin des années 1990, celles du pétrole, des matières premières ou des bourses chinoises actuellement ? C'est pourtant la thèse développée par Artus dans ce livre. Les banques centrales européennes et américaines seraient responsables, par leur attitude pyromane, de la multiplication des flambées spéculatives de ces dernières années.

Selon moi, au contraire, les comportements spéculatifs sont une constante de l'histoire du capitalisme mondial, que ce soit à l'époque des assignats, de la compagnie de Law, ou encore avant. Le capitalisme repose sur la soif d'enrichissement, sur le comportement moutonnier de nombre d'agents économiques, qui créent le développement économique et les mouvements spéculatifs. Le capitalisme est avant tout spéculation et les marchés financiers n'en sont que l'aboutissement, et la généralisation de cette possibilité d'enrichissement ou d'appauvrissement à presque tous, avec les effets de bulle spéculatif qui en deviennent accrus. Les banques centrales sont les seuls agents économiques au monde à être capable d'agir sur ces marchés financiers, en le faisant pour des raisons autres que leur intérêt personnel ou celui de leurs actionnaires. Les banques centrales ont été créées pour gérer un bien commun de l'humanité (les monnaies de transactions et de réserve) et surveiller les organismes qui le gèrent pour le compte de leurs déposants. Elles ont en charge à la fois la valeur de leur monnaie, la stabilité du système financier dans son ensemble, et on attend même d'elles qu'elles arrivent à lisser le fonctionnement des marchés financiers globaux pour que ne s'y développent ni bulles spéculatives ni crises spéculatives. Et leur seul moyen d'action serait un taux directeur ?

Deuxième désaccord, la lutte contre l'inflation est-elle une préoccupation du passé qui devrait être abandonnée par les banques centrales ? Comment Artus peut-il défendre une telle idée (la fin de l'inflation) alors qu'il existe de très nombreux pays en développement où l'inflation demeure un problème actuel ? Dès lors que la valeur d'une monnaie subit une dépréciation importante et devient l'object de spéculations importantes, ces désordres influent également sur le niveau des prix. Parler de spéculation ne signifie pas complot financier. La spéculation le plus souvent s'explique uniquement par l'agrégation de comportements individuels comparables, qui chacun pris séparément, n'aurait aucune influence. Mais agrégés, ces comportements individuels moutonniers créent un mouvement spéculatif qui accélère la survenue des problèmes qui paraissaient probables. L'inflation de même correspond simplement en la croyance de chacun que la monnaie perd de la valeur et que les prix et les marges doivent être accrus régulièrement pour pouvoir continuer de vivre. Le simple fait que l'inflation est pratiquement cessée d'être sensible depuis les années 1980, depuis que des politiques monétaires désinflationnistes ont été appliquées en Occident, ne signifie pas que le risque inflationniste ait disparu. Il suffit d'entendre les français se plaindre des effets de la mise en place de l'euro et de la valse des étiquettes qui en a résulté (le seul bémol vient du fait que les chiffres officiels de l'inflation ne transcrivent pas cette hausse).

Enfin, troisième désaccord, les banques centrales sont-elles dépassées par la globalisation financière, impulsée dans les années 1980 par les gouvernements occidentaux et par elles-mêmes ? Avant les années 1980, il faut d'abord se rappeler que l'ensemble des marchés financiers étaient cloisonnés, internationalement mais également dans chaque nation entre plusieurs types de marché. Le décloisonnement a permis de faire communiquer l'ensemble des marchés et d'offrir une continuite de placements en terme de taux, de durée et de devises. Il a aussi permis aux banques centrales de pouvoir contrôler l'ensemble de ces marchés de manière simple et immédiate, en leur permettant d'influer sur les volumes de liquidités existantes sur les marchés et sur les taux proposés (par alignement sur le taux directeur de la banque centrale). Sans cette globalisation des marchés financiers, les banques centrales ne pourraient pas contrôler l'ensemble de ces marchés. Même l'euro n'aurait pas pu être mis en oeuvre. Même si les mouvements spéculatifs observés au niveau des marchés financiers laissent apparaître que les banques centrales pourraient difficilement intervenir à contre-courant, cela ne signifie pas que celles-ci sont dépassées, mais simplement que leurs actions doivent prendre des formes plus subtiles, reposant sur la gestion des anticipations rationnelles, sur les signaux transmis au marché, pour casser les mouvements spéculatifs et modifier les anticipations de ces agents.

Maintenant, les banques centrales n'ont pas à empêcher les mouvements spéculatifs de se produire. Elles ne s'occupent pas du cours du cacao, du blé, du pétrole ou de la valeur des sociétés technologiques, pharmaceutiques ou de production d'énergie éolienne. L'augmentation, la diminution de ces produits, ou l'éclatement de telles bulles spéculatives ne les concernent que lorsque ces crises financières ou boursières mettent en danger la stabilité du système financier ou du système monétaire. L'existence de tels mouvements spéculatifs est inhérent au capitalisme. Seule la possibilité ou la survenue d'un risque systémique peut les contraindre à agir.

D'une certaine façon, Patrick Artus met en cause les politiques monétaires trop accomodantes de la Réserve fédérale américaine et de la Banque centrale européenne au cours des années 2000, qu'il estime être à l'origine des mouvements spéculatifs sur l'immobilier actuel, validant de fait le niveau actuel des taux directeurs qui est aujourd'hui observé. Mais il oublie cependant de rappeler l'importance primordiale que les établissements financiers qu'il défend ont dans ces mouvements spéculatifs (notamment aux Etats-Unis dans les crises des prêts mortgage subprime), ainsi que les législations des états en matière financière, bancaire ou de distribution de crédits.


Réflexion vingt-huit (8 octobre 2007)
D'une liaison entre inflation et politique de taux


La contestation progresse en zone euro contre la surévaluation de la monnaie euro. Après Nicolas Sarkozy pour la France, après Romano Prodi pour l'Italie, c'est Jean Claude Junker, au nom de l'eurogroupe (et du Luxembourg), qui s'inquiète du niveau de change élevé atteint par l'euro, qui a dépassé ces derniers temps le cours de 1,42 dollar pour 1 euro.

Il ne faut simplement pas se tromper sur les causes de cette surévaluation. Contrairement à ce que semblent croire certains politiques tel Nicolas Sarkozy, les raisons du renchérissement de l'euro ne sont pas uniquement du côté de la politique monétaire de surveillance de l'inflation menée par la BCE. Ces raisons sont plutôt à rechercher du côté des faiblesses de l'économie américaine, des mouvements spéculatifs sur les monnaies et les différences de taux (essentiellement entre le yen et le dollar), voire d'un manque de volonté politique de certains états de voir leur monnaie nationale être réévaluée (Chine, Japon, USA), qui se satisfont pleinement de leur sous-évaluation.

Du fait de ces critiques acharnées entendues en France contre la politique monétaire européenne et contre les mesures de relèvement des taux directeurs de la BCE, coupables de renchérir pour les entreprises françaises le coût de l'accès aux refinancements bancaires, on voit apparaître en France une défense admirative des conséquences de l'inflation, parée de toutes les vertus, alors que la désinflation y est parée de tous les vices.

Et pourtant, il existe un lien important entre le niveau des taux d'intérêts et le niveau d'inflation attendu. Comme je l'ai déjà mentionné, le niveau des taux à moyen et long terme (qui sont utilisés pour le financement de l'investissement des entreprises, de l'habitat des ménages ou du déficit de l'état ou des administrations) dépendent de plusieurs facteurs, dont principalement :
- le niveau anticipé de l'inflation à moyen terme
- le risque de défaut de paiement de la clientèle concernée

C'est pour cette raison qu'actuellement, on observe une situation relativement rare dite de courbe des taux inversée. Cela signifie qu'emprunter des fonds à quelques mois d'échéance coûte plus cher que pour une échéance de plus de 10 ans, voire 25 ans. Cette situation est l'inverse de la situation normalement observée, où le niveau des taux progresse parallèlement à la durée des emprunts. Les risques pris par un prêteur (notamment en matière de défaut de paiement) pour un placement à 10 ans sont évidemment supérieurs aux risques pris pour un prêt à quelques mois. C'est la même chose pour un déposant particulier. Si une banque se proposait de vous rémunérer plus fortement pour un placement à 1 mois que pour un placement bloqué sur quelques mois ou quelques années, il est vraisemblable que vous seriez tenté de placer vos dépôts sur des durées plus courtes si elles sont plus fortement rémunérées. Une telle situation a été observée notamment dans les années 1992-1993 en France, lorsque la Banque de France a été obligée de maintenir ses taux directeurs entre 10% et 12% pour défendre le cours de change du franc, soumis aux attaques spéculatives contre le SME.

De même qu'en 1992-1993, mais pour des raisons différentes, les taux longs sont plus bas en Europe que les taux courts. Mais en 1992-1993, ces taux longs se situaient quand même vers 7% à 8%, tandis qu'aujourd'hui, ils atteignent à peine un peu plus de 4%. Ces taux longs sont en effet dissociés des taux de l'argent à court terme, dépendant en fait des anticipations du marché concernant les taux de refinancement bancaire sur l'ensemble de la vie de l'emprunt ou du placement. C'est ainsi pour cette raison que l'on peut encore voir des taux immobiliers proposés aux ménages particuliers à 4,50%. Ces anticipations du marché sur les taux de refinancement dépendent en définitive des anticipations d'inflation sur l'ensemble de la période.

Dans une situation comme celle d'aujourd'hui où les marchés financiers ont toute raison de croire en la capacité de la Banque Centrale Européenne de contrôler l'inflation pour la maintenir en deça de 2% l'an ... cela permet aux taux longs et aux crédits immobiliers de naviguer dans des ordres de grandeur de 4% à 5%. Si les marchés financiers cessaient pour une raison ou une autre de faire confiance à la politique conduite par la BCE, ils risqueraient de relever leurs anticipations d'inflation à moyen terme en zone euro, ce qui aurait mécaniquement pour effet d'augmenter les taux de crédit proposés à la clientèle pour des durées élevées, indépendamment du fait que les taux de refinancement à court terme pourraient être très bas.

La politique d'encadrement de l'inflation est ainsi fondamentale pour la détermination des taux de crédit à moyen et long terme, indépendamment du niveau des taux directeurs de refinancement à court terme de la BCE. Les anticipations inflationnistes des marchés pilotent en fait les taux de crédit à terme, que ce soit pour le financement des entreprises, des ménages ou des administrations. Ceux qui se satisferaient de plus d'inflation pour rendre moins amères les politiques sociales et faire baisser la valeur extérieure de l'euro, ne comprennent pas qu'ils relèveraient alors durablement le coût des financements en zone euro, ce qui impacterait le potentiel de croissance européen (même si certains s'interrogent sur le potentiel de croissance de la France).


Réflexion vingt-sept (6 octobre 2007)
Peut-on parler d'un niveau des taux élevés en France et en zone euro ?


Les critiques régulièrement entendues de la part de nos responsables politiques mais aussi de nombreux intervenants, sur le niveau des taux de la BCE, et les risques que les relèvements de ces taux font courir aux entreprises françaises, ont-ils véritablement une réalité ? Les taux actuellement pratiqués par les établissements bancaires français sont-ils aujourd'hui exagérément élevés ? C'est pourtant le fondement, l'angle d'attaque de nombreuses interventions contre la politique monétaire de la BCE.

Les grands banquiers sont intervenus récemment auprès de Bercy pour rappeler que les taux de crédit actuellement consentis aux emprunteurs français sont particulièrement bas. Mais peut-on avoir confiance en la parole de banquiers ? De son côté, la Banque de France et la Commission Bancaire s'alarment depuis plusieurs années de l'étroitesse et de la diminution des marges pratiquées par les établissements bancaires, entre les taux proposés et les taux de refinancement, du fait de la concurrence élevée qui est rencontrée sur le marché du crédit.

Il faut aussi noter que les lois Neïertz protègent fortement les emprunteurs français, notamment en ayant défini un taux maximum de crédit autorisé relativement bas (encore appelé taux de l'usure), fonction des taux moyens pratiqués et observés sur le marché chaque trimestre. Dans d'autres pays occidentaux, pour lesquels Nicolas Sarkozy loue pourtant la politique monétaire et les actions des banques centrales, comme les Etats-Unis d'Amérique, il n'existe pas véritablement de taux de l'usure, si ce n'est à des niveaux très élevés, de l'ordre de 30%. Et en Angleterre, il n'y a pas de prise en compte de l'usure.

L'encadrement des pratiques bancaires par la définition d'un taux de l'usure permet une protection importante des emprunteurs. En effet, actuellement, si les taux de l'usure pour les prêts à la consommation sont relativement élevés (de l'ordre de 20% pour les découverts en compte mais seulement de 9% pour les prêts d'un montant supérieur à 1.524 euros), ils sont encore particulièrement bas pour le financement de l'habitat (6,63% actuellement), avec des taux moyens pratiqués de l'ordre 5%. Ces taux sont relativement bas lorsque l'on sait que l'état français emprunte actuellement à des taux proche de 4,50% pour des durées d'une dizaine d'années, que les grands établissements de crédit (BNP Paribas, Société Générale ...) empruntent également au jour le jour à des taux de 4,00%, à douze mois à 4,75% (taux Euribor) et que les très grandes entreprises françaises et les grands groupes peuvent emprunter sur le marché obligataire à des taux en moyenne compris entre 5% et 6%.

Les ménages français, qui se voient proposer en moyenne des taux de 5% pour des prêts à 20 ou 25 ans, bénéficient ainsi de conditions de crédit très proches de celles proposées aux meilleures signatures (état français, établissements publics, banques, grands groupes), voire meilleures. Même les ménages présentant une faible solvabilité ou disposant de faibles revenus se verront au maximum proposer des taux de 6,60% pour le financement d'un bien immobilier, soit à peine 2 points de spread de plus que les meilleures conditions proposées aux meilleures signatures.

Evidemment, les taux de crédit immobiliers ont légèrement augmenté depuis le relèvement des taux de la BCE, puisqu'en 2004, les taux d'appel des grandes banques tournaient autour de 3,1% à 3,5%, pour leurs meilleurs clients, contre plus de 4% aujourd'hui.

Toutefois, il me semble qu'il faut d'abord relativiser le discours sur l'importance des taux de crédit en France, et surtout se méfier des politiques libérales qui seront réellement menées par des gouvernements libéraux aux visées populistes et surtout manipulatrices. La bonne question me semble être "Nicolas Sarkozy veut des taux bas, mais pour qui ?". Pour tout le monde, même les moins riches comme aujourd'hui ? Ou bien pour quelques emprunteurs très riches seulement, comme aux Etats-Unis, conformément aux doctrines libérales ?

Je prendrais pour expliquer cette interrogation la politique de suppression du taux de l'usure pour les crédits aux entreprises menée en 2003 puis en 2005 par le gouvernement de Jacques Chirac, prédécesseur de Nicolas Sarkozy. Dans la même idée de la dépénalisation du droit des affaires chère à Nicolas Sarkozy, des lois de 2003 et 2005 ont supprimé la référence au taux de l'usure (et qui les risques de condamnation au pénal pour usure qui en découlaient) pour tous les crédits consentis à des personnes morales ayant une activité industrielle ou commerciale (étendu ensuite aux entrepreneurs individuels). Théoriquement, selon le gouvernement de l'époque, les entreprises n'avaient plus besoin de cette protection par le taux de l'usure ; le marché du crédit ayant énormément évolué au cours des dernières décennies. Pourtant, aujourd'hui, alors que le taux de l'usure (qui demeure calculé mais n'est plus opposable aux entreprises) ne ressort qu'à 7,3% (pour des crédits à plus de deux ans à taux fixe), ce qui représente des taux moyens de 5,5% (source Banque de France), il n'est pas rare de voir des entreprises se voir imposer des taux de crédit supérieurs à 20% si leur situation est légèrement compromise ou si elles ne peuvent pas faire jouer la concurrence et qu'elles ont besoin de financement. Cette situation, qui aurait été impossible précédemment (ou exposant la banque à une condamnation pénale pour taux usuraire) avec la protection des lois Neïertz, est aujourd'hui rencontrée par de nombreuses entreprises, sans que cela provienne du relèvement des taux de la BCE, mais simplement d'une suppression de ces protections.

Et c'est justement ce qui me semble dangereux dans les interventions du président Sarkozy lorsqu'il essaie de prendre des accents populistes ... C'est cette certitude que les foules sont facilement manipulables. Et qu'il y a un risque qu'il n'agite le chiffon rouge des taux de la BCE uniquement pour détourner notre attention des véritables réformes qu'il attend mener, et que l'on nous présentera sous un jour factice, par exemple pour libéraliser les taux de crédit proposés par les banques.


Réflexion vingt-six (30 septembre 2007)
Quelle valeur extérieure pour une monnaie ?


A l'inverse, une monnaie en perpétuelle revalorisation n'est guère préférable à une monnaie régulièrement dévaluée. Les coûts de transactions et les coûts de couverture des écarts de change sont ainsi particulièrement élevés pour les entreprises européennes, une entreprise n'ayant pas pour vocation de courir des risques de change sur ses opérations de ventes.

Mais il ne faut pas se tromper d'argumentation ou de raisonnement. En effet, une monnaie en hausse constante pourrait avoir pour conséquence une certaine désindustrialisation de l'économie de cet état, sous certaines conditions. En même temps, les états dont les monnaies sont en perpétuelle dévaluation ne s'industrialisent pas à vitesse grand V (voir l'exemple de Madagascar ou de l'Italie) ... de telle sorte qu'il est difficile d'assurer que le contraire serait vrai.

De manière plus précise, il faut également noter que la France a été la victime de la mondialisation et d'un processus de désindustrialisation (textile, métalurgie, électronique ...) bien avant la mise en place de l'euro ou de la politique du franc fort ... La désindustrialisation en France remonte à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Ces raisons sont certainement moins d'ordre monétaire que d'ordre organisationnel ou institutionnel. Pour mémoire, le Japon ou les Etats-Unis, qui présentaient des coûts salariaux bien supérieurs à ceux de la France, ont été bien moins touchés par ce processus de désindustrialisation. Le Japon a notamment toujours été un leader en matière d'électronique ou de robotique. Même au cours actuel de l'euro, les salaires moyens au Japon demeurent supérieurs à ceux enregistrés en Europe.

Dans ces conditions, il est à craindre que les attaques du gouvernement Sarkozy contre la politique monétaire de la BCE ne servent qu'à allumer des contre-feux, ne servent qu'à masquer la nature des véritables problèmes ... Une sorte de populisme de bas étage, permettant de détourner l'attention populaire, une forme de dérivatifs pour satisfaire un électorat franchouillard, pour faire croire en l'action d'un président qui n'a nullement l'envie ni les capacités de règler les véritables problèmes.

Bizarrement, les instances internationales (FMI notamment) n'ont jamais mis au point la moindre politique pour contrer la surévaluation d'une monnaie, alors que de telles politiques existent dans le cas inverse (ajustement structurel). La surévaluation d'une monnaie dépend essentiellement du fonctionnement du marché, c'est-à-dire du cours d'équilibre de cette monnaie. L'euro se réévalue essentiellement parce que le dollar se dévalue. Le niveau des taux d'intérêt entre les deux côtés de l'Atlantique n'influe qu'à la marge sur cet équilibre. Les marchés ayant un comportement essentiellement moutonnier, le cours de l'euro en dollar risque de se réévaluer tant que la spéculation à la hausse continuera de l'emporter ... puis une spéculation à la baisse interviendra certainement en sens inverse, et ce que jusqu'à ce qu'un prix d'équilibre soit reconnu dans quelques années par tous les acteurs des marchés financiers et des marchés des changes.

Nul organisme, nulle banque centrale n'est véritablement capable de combattre la spéculation sur les marchés financiers, à part à certaines périodes charnières, où les équilibres sont fragiles. La volonté d'une plus grande surveillance des marchés financiers et des hedge funds, née de la crise financière de cet été 2007, permettront toutefois peut-être de mieux encadrer cette spéculation internationale. Mais on risque également de voir apparaître de nouveaux intervenants incontrôlables, en dehors des systèmes financiers occidentaux, tels les grands fonds souverains chinois ou de certains pays du Golfe Persique, dont les critères d'investissement pourraient devenir politiques.


Réflexion vingt-cinq (29 septembre 2007)
Quel intérêt trouve-t-on dans une monnaie dévalorisée ?


Bizarrement, les français ont toujours apprécié les politiques de dévalorisation de leur monnaie. Les français ont toujours désapprouvé majoritairement la politique du franc fort mené à compter du début des années 1990 par la Banque de France. Au contraire, peu d'entre eux ont critiqué les dévaluations à répétition des années 1960 à 1980, ou la période de détérioration de la monnaie européenne après son lancement, époque au cours de laquelle l'euro est descendu vers 0,90 dollar. L'explication en est simple. Un processus de dévaluation permet de maintenir la compétivité d'une économie nationale en ne lui imposant pas d'efforts particuliers, ni en terme de productivité, ni en terme de hausse des salaires ou des hausses des prix. Une dévaluation a pour conséquence de réduire les salaires intérieurs exprimés en monnaie étrangère, de réduire les coûts de revient des productions nationales, et de renchérir les biens importés dans la monnaie nationale. Mais dit autrement, une dévaluation a les mêmes conséquences qu'une politique courageuse de défense de la compétitivité d'une économie, sauf que dans ce cas, les efforts sont librement consentis, tandis que dans le cas de dévaluations successives, les conséquences en sont insensibles, mais tout aussi présentes si ce n'est pires. En effet, les gains de pouvoir d'achat apparemment élevés obtenus à l'époque des dévaluations sont effacés par le processus d'inflation en interne, et par la dévaluation de la monnaie en externe. Le seul intérêt du processus de dévaluation est donc bien uniquement le fait que ce processus est totalement indolore, injuste, et ne nécessite absolument aucun courage politique des dirigeants du pays, parce que tous les efforts sont simplement mécaniques et que l'on peut afficher des objectifs politiques totalement divergents avec la réalité.

Mais les dévaluations ne sont pas uniquement ces processus apparemment agréables. Les dévaluations sont aussi des crises de réserve de change, lorsque notre pays ne pouvait plus faire face au réglement de ses dettes extérieures et de ses importations. Une dévaluation, c'est la reconnaissance, pour les autorités monétaires d'un pays, qu'elles ne peuvent plus maintenir la valeur extérieure de la monnaie qu'elles sont censées défendre. De sorte, ces épisodes se rapprochent plus de la situation de l'Argentine dans les années 1990, en état de crise financière extérieure sans issue, que cette dernière se rapproche de la situation de l'euro fort actuel. C'est dans ces situations limites de crise de change et de dévaluation, lorsque plus aucun prêteur extérieur ne veut apporter de financements à un pays, qu'un organisme tel le FMI doit intervenir, avec les conséquences politiques que cela représentent, notamment par une politique d'austérité imposée par ces experts, parce que les autorités politiques du pays concerné n'ont pas eu le courage de les mener avant.

Evidemment, la France, si elle a été régulièrement confrontée à des crises de change délicates, n'a jamais eu besoin de l'intervention du FMI car elle trouvait toujours malgré tout des financements extérieurs. Mais ces dévaluations extérieures successives renchérissent malgré tout à chaque fois le coût de cet endettement extérieur ramené en monnaie nationale (car les prêts ne se faisaient pas en francs).

Cette perpétuelle dépendance aux équilibres extérieurs, cette menace de change, a notamment interdit à la France a plusieurs reprises de mener des politiques budgétaires indépendantes, alors que la France semblait avoir toute lattitude pour mener de telles politiques. L'exemple de la relance budgétaire socialiste des années 1981 et 1982 en est le plus célèbre exemple ; le budget français ayant en fait servi à relancer les partenaires économiques de la France, confrontée immédiatement à une dégradation de son commerce extérieur, parce que les économies occidentales, notamment anglosaxonnes, s'étaient lancées dans des politiques libérales de rigueur budgétaire.

Ce que ne semble pas comprendre Nicolas Sarkozy et sa collègue socialiste Ségolène Royal, c'est que la situation monétaire actuelle les libère de toute contrainte extérieure de financement, comme leurs prédécesseurs l'avaient régulièrement appris à leurs dépens ... Quelle que soit désormais la politique budgétaire menée par la France, elle n'aura aucune conséquence sur la valeur de l'euro, du fait de cette appartenance à l'union monétaire. Evidemment, la France est tenue de respecter certains critères de déficits budgétaires et de dette publique. Mais ces règles peuvent d'abord être discutées entre les différents états de la zone euro, notamment avec la possibilité d'en exclure les dépenses publiques d'investissement. A l'opposé, aucune discussion de ce type ne pouvait être mené sur les marchés des changes avec les marchés financiers, et les déséquilibres budgétaires ou extérieurs qui sont tolérés dépendent fortement de la taille des états ; les Etats-Unis étant le seul état au monde autorisé à vivre à crédit sur le dos des autres pays ... Ce qui n'était pas le cas de la France.


Réflexion vingt-quatre (25 septembre 2007)
Peut-on dire que les autres pays utilisent l'arme monétaire au bénéfice de leur industrie ?


Cette question rejoint forcément l'interrogation précédente sur la neutralité monétaire. Si on accepte l'hypothèse de la neutralité de la monnaie, cette dernière ne peut forcément pas être assimilée à une arme. Tout l'objet du débat concerne l'horizon de cette neutralité, à court terme ou à moyen terme. Un gain à court terme est-il préférable à un gain à un horizon de trois à cinq ans.

A écouter le discours du président Sarkozy, il semble estimer que tous les autres pays dans le monde hors de la zone euro utilisent leur monnaie pour relancer leur économie et leur commerce extérieur ; la zone euro étant le seul groupe de pays à ne pas suivre le mouvement. Cette opinion semble partager par un certain nombre d'économistes français (voir le chat organisé par le Monde avec Xavier Timbeau, directeur du Département analyse et prévision de l'OFCE) et par une majorité de notre électorat.

Cette position me semble problématique parce que l'on ne peut pas dire que le gouvernement américain ou les autorités monétaires américaines aient volontairement fait baisser le cours du dollar vis-à-vis de l'euro. On peut dire la même chose des autorités officielles japonaises. Le cours du dollar, comme le cours du yen ou de l'euro, est fixé librement par les marchés des changes internationaux, et ces derniers dépendent des anticipations des intervenants sur ces marchés. Seul le yuan chinois (ou reminbi) n'est pas librement fluctuant ; son taux de change étant fixé par le gouvernement chinois, avec les risques de spéculation qui pourraient en découler à certains moments.

La hausse constante de l'euro au détriment du dollar et du yen sur ces dernières années signifie simplement que l'euro est fortement demandé sur les marchés des changes, situation opposée à celle observée au début de la création de l'euro, en 2002. L'euro étant une très importante zone économique et marchande, cette situation de renchérissement de l'euro peut-elle être amenée à se perpétuer. N'est-il pas envisageable que l'on ne retourne plus jamais à l'ancien taux de change d'équilibre du franc vis-à-vis du dollar, qui oscillait entre 10 francs et 5 francs pour un dollar dans les années 1980 et 1990 ? Serait-ce aberrant, lorsque l'on réfléchit à la puissance économique de la zone euro en regard de l'ancienne France ?

Le niveau des taux d'intérêt directeurs pratiqués par chaque grande Banque centrale a évidemment un effet sur ces taux de change d'équilibre. La faiblesse du yen s'explique par les faibles taux d'intérêt de la BOJ (Bank of Japan - 0,5% actuellement), qui autorise des opérations de carry-trade, des emprunts en yen à faible taux d'intérêt pour être replacés dans des monnaies offrant des taux d'intérêt plus élevés (dollar notamment). Mais concernant la faiblesse du dollar, il faut rappeler que les taux directeurs de la FED (5%) sont toujours plus élevé que ceux de la BCE (4%). Quant aux taux de la BOE (Bank of England), ils se situent actuellement à 5,75%.

Les taux ne sont donc pas le principal élément pilotant la valeur des monnaies internationales. Pour exemple et pour mémoire, en 2002-2003, à l'époque où l'euro se dépréciait régulièrement au grand damn des mêmes économistes et hommes politiques, les taux directeurs de la BCE (2%) étaient supérieurs à ceux de la FED (1%). Ce sont les anticipations des marchés qui gouvernent la valeur de change des monnaies. La seule option des autorités monétaires est de contrôler ses anticipations par une communication adaptée, et par des actions permettant de faire comprendre aux intervenants des marchés que leurs dommages ou leurs pertes pourraient être importantes s'ils ne respectaient pas les signaux émis par les autorités monétaires.

On peut ainsi dire que le renchérissement continu de l'euro est un signe de la reconnaissance que les intervenants des marchés financiers ont dans la crédibilité de la BCE à combattre l'inflation. En somme, pour mettre fin au renchérissement de l'euro, la seule solution qui nous est offerte, c'est de décrédibiliser la BCE ou la zone euro. C'est peut-être tout simplement l'objectif des interventions récurrentes de Nicolas Sarkozy ... décrédibiliser la BCE ... mais cet objectif est à peine digne du pyroman, car les risques d'une non-crédibilité de notre banque centrale pourrait être catastrophique pour notre économie ... un peu comme jouer avec le feu ...


Réflexion vingt-trois (23 septembre 2007)
Le problème de la neutralité monétaire


Le principal point de divergence entre le président Sarkozy, une bonne partie des français et les autorités monétaires françaises et européennes concerne les objectifs qui peuvent être assignés à une monnaie. Il s'agit du problème de la neutralité monétaire ou au contraire de son impact sur l'activité économique réelle.

La théorie de la neutralité monétaire recouvre évidemment plusieurs possibilités. Le premier débat sur la neutralité monétaire peut concerner l'impact des variations de la quantité de monnaie sur les cycles économiques. Il ne semble pas y avoir véritablement de débat à ce sujet entre le président Sarkozy, le gouvernement français et les autorités monétaires européennes. Au sujet de la crise financière survenue cet été touchant les bourses mondiales, le gouvernement français a en effet assuré les français de l'absence de tout risque de contagion sur la sphère réelle. Le président Sarkozy ne croit pas en la possibilité d'effets bénéfiques liés en une augmentation de la masse de monnaie en circulation.

A ce sujet, la théorie monétaire est particulièrement solide. Une augmentation artificielle de la masse monétaire en circulation en France ou en Europe n'aurait absolument aucun impact sur l'activité économique. Il peut exister plusieurs types d'explications à ce phénomène. La théorie néoclassique explique qu'une telle augmentation de la masse monétaire n'aurait pour seul effet que d'accélérer la vitesse de circulation de cette monnaie, puis d'accroître le rythme d'inflation des prix, accroissement lié à la perte de confiance dans la valeur de la monnaie par les utilisateurs. Il existe également un autre type d'explication, selon laquelle il est aujourd'hui impossible d'augmenter une masse monétaire qui ne correspondrait pas à une demande des utilisateurs, qu'il s'agisse de monnaie sous forme de billets ou sous forme de dépôts.

Evidemment, cette dernière explication ne traite pas du cas d'une augmentation naturelle élevée de la masse monétaire. C'est justement pour cette raison que les autorités monétaires surveillent les évolutions des agrégats monétaires, restreints (M1 ou M2) ou larges (M3), pour pouvoir appliquer une politique monétaire susceptible de piloter et de contrôler les évolutions de la masse monétaire et en dernier ressort l'inflation.

Quels effets une augmentation naturelle élevée de la masse monétaire peut-elle avoir ? Il est possible de prétendre qu'une telle augmentation aura les mêmes effets qu'une augmentation artificielle de la masse monétaire. Au delà de l'augmentation nécessaire pour accompagner la progression en volume ou en valeur des échanges économiques, l'augmentation restante de la masse monétaire demandée aura également un effet accélérateur sur l'inflation, passant par une accélération de la vitesse de la circulation de la monnaie (de sa composante tournante). Il est assez facile de comprendre que le fait qu'il y ait plus de monnaie en circulation dans l'économie n'entraînera pas un accroissement de la production, mais plus certainement une augmentation des prix.

Le deuxième débat sur la neutralité monétaire peut concerner l'impact de la valeur extérieure de cette monnaie. Une variation de la valeur extérieure d'une monnaie a-t-elle un impact sur l'activité économique réelle ? C'est à ce sujet, comme au sujet des taux, que se situe la divergence d'opinions entre le gouvernement français et les autorités monétaires françaises et européennes. Depuis le début des années 1990, la France menait déjà, sous la houlette du gouverneur de la Banque de France de l'époque (M. Trichet) une politique monétaire restrictive, se fondant sur le respect d'une stabilité avec les monnaies les plus fortes du SME, à savoir essentiellement le Deutschmark. Ce débat n'est donc pas nouveau et dure depuis environ une quinzaine d'années.

Pour les tenants d'une politique de monnaie faible, tel le gouvernement français, la valeur extérieure élevée d'une monnaie a pour conséquence de favoriser les importations et de défavoriser les exportations, occasionnant augmentation des destructions d'emplois et croissance du chômage, tout en obligeant les entreprises à accroître leur productivité pour maintenir leur compétivité internationale, en pesant sur les charges de salaire.

Le gouvernement français, à l'inverse, n'explique pas les avantages qu'il attendrait d'une baisse régulière de la valeur extérieure de l'euro, au-delà du fait d'avantager les exportateurs français. Une telle politique a pour conséquence l'accroissement des prix des biens importés (ce qui peut aussi favoriser les biens produits dans le pays), la moindre nécessité d'accroître la productivité des entreprises, ce qui permet d'augmenter plus facilement les salaires (pour compenser notamment la perte de pouvoir d'achat), mais accentue également les tensions inflationnistes dans l'économie.

Le principe de la neutralité monétaire repose à ce sujet sur une analyse à long terme ; les effets bénéfiques à court terme d'une baisse de la valeur extérieure d'une monnaie (encore appelée dévaluation) étant compensée sur le long terme par les pertes de compétitivité des entreprises et par une inflation plus élevée.

Les différences entre le commerce extérieur de l'Allemagne et celui de la France illustrent bien cette analyse. Le commerce extérieur de l'Allemagne, structurellement excédentaire ne souffre pas jusqu'à présent du taux de change élevé de l'euro. Le déficit élevé du commerce extérieur de la France concerne notamment ses échanges commerciaux avec les pays de la zone euro, non soumis au risque de change.

Il ressort ainsi de cet exemple que les explications des difficultés extérieures de la France ne sont peut-être pas à rechercher du côté de la valeur de l'euro et de la politique monétaire conduite, mais plutôt dans des différences structurelles entre les industries des deux pays ou en terme de qualité des produits.

Le président Sarkozy, en se focalisant sur le problème de la politique monétaire menée par la BCE, et sur la valeur extérieure de l'euro, ne se trompe pas simplement de sujet. Il est à craindre qu'il cherche à lancer volontairement les débat dans une fausse direction. Evidemment, les faiblesses du commerce extérieur français seraient moins visibles à court terme si la valeur extérieure de l'euro était plus faible ou diminuait. Mais à long terme, le résultat en serait exactement le même, si les réformes structurelles nécessaires n'étaient pas prises (manque de fiabilité des produits, problème en matière de recherche, d'enseignement, maquis administratif, manque d'une politique industrielle incitative ... et que sais-je encore). En réclamant une modification de la politique monétaire européenne et une diminution de la valeur extérieure de l'euro (qui n'est pas décidée par les autorités monétaires mais par les marchés financiers mondiaux), le président Sarkozy ne fait que chercher à soigner les symptômes visibles d'une maladie plus profonde, comme en quelque sorte un cautère sur une jambe de bois.


Saucratès



09/11/2010
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