Economie de l'environnement (3)
Réflexion vingt-sept (22 février 2007)
Biens collectifs et libéralisme économique
En quelques réflexions, j'ai pu répondre à quelques uns des objectifs que j'avais assignés à une économie de l'environnement, à la fois en terme de délimitation d'un champ d'étude, en terme de définition des sujets dont les attentes devraient être prises en compte dans les décisions, et en terme d'outils juridiques susceptibles d'être utilisés pour cela.
Mais ces quelques réflexions ne m'ont permis toutefois que de traiter imparfaitement du problème des biens collectifs. Les biens collectifs concernent en effet une autre facette de l'économie de l'environnement, non plus seulement appréhendée sous forme de ressources en extinction ou sous forme de pollution. En étudiant l'histoire économique et politique récente, il est en effet possible d'observer, depuis une ou deux décennies, un vaste mouvement de privatisation, un peu partout dans le monde, qui touche même un certain nombre de biens collectifs. On pourrait même dire que l'idéologie libérale, qui gouverne actuellement notre planète, semble avoir pour principal objectif la privatisation de la gestion des biens collectifs, en fonction du principe, considéré par certains comme allant de soi, que l'attribution de prix (aux biens) permet un fonctionnement optimal de l'économie.
Pour cette raison, tous les services publics ou collectifs qui peuvent intéresser les investisseurs privés sont, ont été, ou seront privatisés en Europe, en Afrique ou aux Etats-Unis. Ces opérations portent parfois l'appelation de délégation de service public, de partenariat public-privé ou de mise en régie (entre autre), mais le principe demeure le même : la confiscation d'un bien collectif (réseaux de transport ou d'assainissement, santé publique) au profit d'une clientèle solvable, mais sans que la qualité de la prestation offerte ne soit améliorée.
La théorie libérale part du principe que la libre détermination du prix d'un bien retrace et intègre toutes les informations disponibles à son sujet. La privatisation des biens collectifs permettrait justement, selon cette théorie, d'attribuer un prix aux biens publics, afin d'améliorer le fonctionnement de leur marché. Cependant un tel système ne fonctionne qu'en excluant de plus en plus de personnes non solvables de l'accès à de tels biens, à l'image de ce que l'on observe pour les biens communs. La privatisation, la délégation de service public, le partenariat public-privé ou la mise en régie, permettent de transformer des 'biens collectifs purs' (usage non exclusif et accès libre) en 'biens de club' (usage non exclusif mais accès réservé). C'est le cas des réseaux autoroutiers à péages, mais on peut aussi penser à la privatisation de l'éclairage public, des services de voirie ou de sécurité sociale.
Qu'est-ce qui explique le développement de cette politique d'inspiration libérale ? Essentiellement l'amoncellement des dettes publiques. Il suffit de se rappeler qu'à la fin du moyen-âge européen, les finances publiques royales étaient tellement désastreuses que le roi vendait même les charges publiques, voire le pouvoir de lever l'impôt. Peut-on imaginer nos états modernes devenir tellement endettés qu'ils puissent être contraints d'en revenir à de tels expédients budgétaires ? Ce n'est pas insensé lorsqu'on pense à l'énormité de la dette publique française ou de celle de l'état fédéral américain.
Réflexion vingt-six (19 février 2007)
Le concept de judiciarisation
Ce concept a été inventé pour rendre compte de l'empiètement croissant de la justice dans les inter-relations humaines et sociales. Il traduit l'accroissement des plaintes et des jugements, et concerne plus particulièrement (mais pas uniquement) les entreprises. Ce recours plus important à la justice est encore plus sensible aux Etats-Unis qu'en France ou en Europe, principalement en raison d'avocats rémunérés en fonction des résultats de leurs procès et de l'existence des procédures sous formes d'actions collectives (ou 'class actions'). Plus largement, le système judiciaire des Etats Unis d'Amérique fonctionne différemment de notre propre système judiciaire, avec au delà de cette différence en terme de possibilité de rémunération des avocats et des actions collectives, des juges élus, des jurys populaires dans de nombreux procès et non uniquement aux Assises comme en France, une instruction judiciaire pénale menée uniquement à charge et non à décharge, et surtout une cour suprême (fédérale) disposant des attributions cumulées de notre cour de cassation, de notre conseil d'état et de notre conseil constitutionnel, avec un pouvoir d'interprétation des lois supérieur à celui de leurs homologues français.
Ce concept connu de judiciarisation croissante est plus souvent assimilé à une contrainte pour nos sociétés qu'à un avantage. Il permet un fort développement des activités lucratives des avocats, mais introduit un risque majeure d'incertitude juridique pour les entreprises. On en arrive aussi parfois à des aberrations, avec des enfants condamnés pour harcellement sexuel à l'égard d'autres enfants pour des jeux parfois innocents, ou bien des condamnations pour harcellement sexuel pour un regard échangé dans la rue.
Mais c'est également cette incertitude juridique qui a permis d'imposer aux entreprises la prise en compte de l'aspect protection de leurs salariés, de leurs clients ou de leurs voisins. Cette judiciarisation est récente et remonte à peine à quelques décennies. Lors des premières plaintes déposées par des salariés victimes ou des personnes habitant à proximité d'usines polluantes, on peut imaginer les doutes et les obstacles que ces personnes dûrent surmonter pour faire instruire et plaider leurs affaires. De nombreux procès dûrent être perdus avant que des salariés ne soient reconnus comme victimes possibles du manque de prévention de leurs employeurs. On se rappelle en France les jugements sur les empoisonnements par l'amiante (bâtiment) ou par le mercure (sidérurgie).
Est-il excessif de déclarer que la judiciarisation de nos sociétés est la seule possibilité pour faire évoluer notre système économique pour un grand respect de l'environnement par les entreprises ? C'est en tout cas la manière dont les entreprises, qu'elles soient capitalistes ou d'état, ont été contraintes par le passé d'intégrer les conséquences de leurs activités polluantes (ou dangereuses) sur un premier groupe de sujets de droit. Initialement, au cours de la première moitié du vingtième siècle, quiconque aurait prédit aux grands majors américains qu'ils devaient faire attention à la santé et aux risques encourus par leurs salariés, serait passé pour un dingue. Aujourd'hui, des jugements de plus en plus nombreux l'imposent aux entreprises dans les pays occidentaux et dans une moindre mesure dans les pays en voie de développés, et cette obligation commence à être intégrée par le capitalisme, au titre de la prévention des risques. Il ne faut donc pas désespérer sur une prise en compte futur de leur environnement par les grandes entreprises, même pour les atteintes indirectes sur le climat, pour les conséquences sur notre biosphère, ou pour la prise en compte des attentes ou des risques de l'ensemble de l'humanité, riche ou pauvre.
Cette prise en compte passera toutefois nécessairement par une extension du champ d'intervention de la justice, notamment dans les pays en voie de développement où les législations (en matière de travail, d'environnement ...) sont moins contraignantes que dans les pays occidentaux et où la reconnaissance des droits individuels est plus limitée. Elle passera aussi, même dans les pays occidentaux, par une évolution des jurisprudences et parfois par une extension des pouvoirs d'interprétation des lois des instances judiciaires, pour que les droits de l'environnement, de la biosphère, des pauvres au sein de la population et les générations à venir y soient intégrés. Car malgré tout, les diverses instances judiciaires, comme plus largement le monde politique et le législateur, sont souvent du côté des puissants dans nos sociétés occidentales ou en voie de développement. Les puissants de nos mondes y sont plus souvent représentés que les très pauvres, et il y existe des lobbys extrêmement bien organisés pour peser sur les prises décisions politiques ou judiciaires.
Nous sommes donc en face d'un long combat qui risque de s'étendre sur plusieurs générations, pendant lequel les atteintes à l'environnement, au climat et à la biosphère de notre planète, continueront de s'aggraver.
Réflexion vingt-cinq (15 février 2007)
Problème de sujets (suite)
Quelle est la place des milliards d'êtres humains pauvres habitant notre planète dans les prises de décisions économiques mondiales ? La réponse à cette question est simple. 99,99% des êtres humains habitant notre planète n'interviennent en aucune façon dans les décisions économiques prises, malgré le fait que ces décisions influenceront demain l'équilibre climatique de notre planète et son devenir futur. Une infime minorité de la population mondiale joue avec un bien qui devrait appartenir à l'ensemble de la race humaine, et plus largement (pour reprendre une idée de Connaissance) à l'ensemble des troupeaux terrestres.
Il est commun de penser que les occidentaux maintiennent un niveau de vie qui épuise les ressources de la planète. C'est évidemment certain. On a ici un ensemble d'actions individuelles qui, en étant combinées donnent naissance à un style de vie, par exemple l'american 'way of life'. Mais dans la réalité, même si chaque occidental a le choix de restreindre son niveau de consommation pour ne pas épuiser la planète, et qu'à cet égard, la responsabilité individuelle de chacun d'entre nous est engagée, il n'en demeure pas moins vrai que l'immense majorité des occidentaux ne participent pas plus aux prises de décisions économiques qui hypothèquent l'avenir de notre planète, que le reste des exclus des pays en développement. Evidemment, on me reprochera peut-être qu'il est trop facile de chercher à minimiser sa responsabilité dans les erreurs ; que c'est le propre de l'homme, une constante humaine.
Mais c'est le propre de l'économie capitaliste de limiter les prises de décisions à une infime minorité. Le concept de la judiciarisation de l'économie et de l'analyse des risques a bien sûr permis, comme je le développais dans le point précédent, d'intégrer un certain nombre d'autres priorités, au delà de la seule recherche du profit maximum. Mais ces priorités concernaient essentiellement les risques encourus par les salariés des entreprises du fait de l'utilisation de systèmes de production dangereux pour la santé humaine, par les utilisateurs des biens ou services produits, en raison des dangers provenant de leur utilisation, et enfin des voisins ou de l'environnement immédiat, soit sur les lieux de production, soit sur les lieux de consommation. Hors de ces risques de judiciarisation, l'économie capitaliste continue de fonctionner de manière immémoriale, c'est-à-dire en fonction des seuls objectifs de ses dirigeants ou de ses plus gros actionnaires.
On peut se rendre compte à cet instant que la science économique peut avoir deux ambitions. Sa première ambition peut être de décrire le mieux possible le fonctionnement de l'économie réelle, afin notamment de permettre d'établir les meilleures prédictions économétriques futures. Sa deuxième ambition peut être de trouver un fonctionnement optimal de l'économie réelle, et elle peut donc réfléchir aux évolutions possibles du système économique. Les travaux d'un certain nombre d'économistes, de Marx à Keynes, rentrent dans cette approche de la science économique, et il faut noter que certains de ces travaux ont réussi à influencer la réalité économique. Aujourd'hui, en matière d'environnement, la même ambition est possible.
Imaginer que les décisions économiques ne soient plus prises uniquement par cette minorité disposant du pouvoir dans les entreprises capitalistes ou d'état, mais qu'elles prennent en compte également les attentes et les besoins de tous ceux qui sont aujourd'hui exclus des prises de décision, à savoir les milliards d'humains pauvres (ou moyennement riches) de notre planète, mais également les générations à venir ou le reste des espèces animales et végétales composant la biosphère terrestre. En effet, leurs attentes et leurs besoins sont tout aussi dignes d'intérêt que ceux des puissants, même si justement il leur manque cette puissance pour imposer leur prise en compte par le reste du système économique. Et ce sont d'abord eux qui pâtiront demain (ou dans un siècle) des conséquences futures des choix actuels effectués. Mais pour cela, il faut sortir de cette notion d'économie mécanisciste qui leur octroie à tous (mais sauf aux puissants) le statut de facteurs de production, sous forme soit de force de travail soit de matières premières.
Réflexion vingt-quatre (12 février 2007)
Problème de sujets
Après s'être intéressé aux aspects matériels de l'objet de l'économie de l'environnement, il nous faut axer notre débat sur l'identité des acteurs dont on retiendra les attentes ou plutôt les risques encourus en matière d'environnement.
2. Les problèmes de sujets de l'économie de l'environnement
L'appréciation des sujets potentiels concernés par une décision économique a fortement évolué au cours des années ou des siècles. Au début de l'ère industrielle, on peut estimer que les seuls sujets concernés par une décision économique, par les conséquences d'une production quelconque sans parler d'une consommation quelconque, étaient limités aux seuls décideurs politiques (monarques, ministres) et à l'entrepreneur concerné. On peut estimer que cet état de fait a perduré tout au long du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, s'étendant peut-être peu à peu au personnel d'encadrement des usines concernées.
Aujourd'hui encore, il y a de nombreux pays où seuls ses sujets sont pris en compte dans les décisions économiques, ce qui procure évidemment un avantage concurrentiel évident aux entreprises nationales de ces états, qui n'ont pratiquement pas à tenir compte des conséquences environnementales de leurs outils de production (même si, comme on l'a vu, même la Chine impose des normes environnementales à ses propres entreprises).
Dans nos pays occidentaux, le vingtième siècle a vu se développer une extension de la définition des victimes potentielles des effets négatifs des productions industrielles ou des consommations de biens, que l'on a traduit par une instabilité accrue de l'environnement juridique des entreprises occidentales. En se voyant attribué la possibilité d'être considéré comme des victimes potentielles, les usagers, les salariés, les voisins des entreprises se sont vus considérer par ces entreprises comme des sujets concernés par les décisions économiques prises.
Du coup, toute décision économique doit intégrer les attentes ainsi que les risques potentiels encourus par les salariés des entreprises, par les voisins et par les utilisateurs des biens produits. Evidemment, même encore aujourd'hui, que ce soit en France, en Europe ou aux Etats-Unis d'Amérique, cette intégration de préoccupations extérieures aux objectifs des entreprises ou de ses dirigeants est encore imparfaite. En France, l'exemple de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse en est une excellent exemple. Voilà une usine extrêmement dangereuse, dont l'explosion a détruit de nombreux immeubles et tué de nombreuses personnes, qui n'est toujours pas condamnée par la justice française, ni civilement, ni pénalement, à indemniser les personnes qui sont ses victimes (voisins ou salariés).
On s'aperçoit ainsi que ce processus d'extension du champ des sujets potentiels des décisions économiques (le maintien d'une activité d'AZF à Toulouse était une décision économique) dépend principalement des décisions judiciaires dans chaque état, et parfois des contraintes imposées par certains gouvernements. Dans les états comme les Etats-Unis où le fonctionnement de la justice est plus indépendant du pouvoir politique, ou les possibilités d'interprêter les lois sont beaucoup plus grandes qu'en France, on s'aperçoit que les décisions judiciaires sont plus favorables aux victimes potentielles des décisions économiques, et leurs droits plus étendus. Les droits minimums des salariés y sont par contre beaucoup moins étendus.
Hors interventions de la justice, il y aurait eu très peu d'évolutions dans la détermination des sujets potentiels des décisions économiques. C'est grâce à la justice, à de grands procès retentissants, que les impacts des productions industrielles sur les salariés et sur l'environnement (vis-à-vis des voisins ou des utilisateurs) sont aujourd'hui limités, que l'on parle des fibres d'amiante en France, des déchets dangereux (dioxine) enfouis autrefois dans les sols ... Le problème de cette forme d'évolutions des sujets considérés, d'abord comme victimes, puis comme acteurs de l'activité économique et de ses contraintes, c'est qu'elle nécessite d'être reconnu en tant que sujet de droit. Dans le procès qui s'ouvre à Paris sur le naufrage de l'Erika et dans lequel la société Total a été mise en examen, les parties plaignantes représentent un certain nombre de communes touchées, mais on n'y trouve pas les véritables victimes de cette tragédie, les mouettes et cormorans, les poissons et crustacés, les algues et les goémons ... Penser cela était-il une aberration ? Les communes qui s'estiment victimes de cette marée noire (à raison) présenteront pour remboursement le coût des actions de dépollution de leurs plages, et le manque à gagner lié à la diminution de la fréquentation touristique. Mais où se trouve les préoccupations de l'environnement ? Elle présenteront peut-être aussi le coût de la destruction de sites environnementaux protégés, mais tout ceci demeure financier. Les pétrels et les poissons tués par cette marée noire n'ont-ils pas un droit sur leur environnement ?
Je suis certain que les conséquences de la pollution (majeure comme la marée noire causée par l'Erika ou mineure comme les pollutions permanentes de pratiquement toutes les entreprises) sur notre milieu, sur notre environnement (à nous les hommes), ne sera réellement pris en compte par les entreprises polluantes que lorsqu'il leur en sera fait l'obligation par des jugements civils et pénaux reconnaissant la qualité de victimes aux animaux et aux végétaux de notre environnement, et instituant une obligation de lourde réparation financière. Ce jour-là, devant les risques financiers encourus par les entreprises polluantes, le respect de l'environnement deviendra une norme absolue.
Cette analyse pourra évidemment apparaître utopiste ou dérangée pour certains. Est-il possible d'imaginer un pétrel, un cormoran, une mouette ou un groupe de goémons se constituer partie civile dans un procès et se faire représenter par un avocat (humain) ? Evidemment que non ! On peut par contre imaginer des associations écologiques représenter leurs droits, avec le risque que les indemnités qui leur seront allouées puissent être détournées de leur objet.
Je pense simplement que cette voie est la seule possible pour que l'environnement soit véritablement protégé par les entreprises du monde entier, de la même manière qu'il a fallu de tels procès pour que les salariés soient protégés des agissements de leurs employeurs et que leur sécurité prime leur souci de rentabilité.
Réflexion vingt-trois (11 février 2007)
Problèmes d'objets
Le premier débat doit donc porter sur l'objet de l'économie de l'environnement. On peut rappeler la première définition que j'en avais donné :
« L'économie de l'environnement est la branche de l'économie qui traite d'un point de vue théorique des relations entre les sociétés humaines et l'environnement, notamment dans le cadre des politiques économiques environnementales. » (source Wikipédia)
On peut entendre au moins deux significations dans ce débat. L'objet d'étude de l'économie de l'environnement peut d'abord être matériel et on peut parler des types de biens sur lesquels porte cette branche de l'économie. Mais on peut aussi parler de l'identité des acteurs dont on retiendra les attentes ou plutôt les risques qu'ils encourent en matière d'économie de l'environnement. Ces deux ordres de validité posent pourtant problème.
1. Les problèmes d'ordres matériels de l'économie de l'environnement
En terme d'objet matériel, il y a aujourd'hui débat sur les conséquences finales (ou plutôt futures) de l'activité économique humaine, en matière de réchauffement et de modification du climat terrestre. Certains états comme les Etats-Unis d'Amérique nient cette conséquence et refusent de ratifier le protocole de Kyoto en raison notamment des conséquences récessionnistes qu'impliquent les politiques de réduction des gaz à effet de serre.
On s'aperçoit aussi que les risques d'épuisement de certaines ressources énergétiques ou matières premières n'entrent pas véritablement en compte dans la réflexion économique environnementale. On ne parle en effet de l'économie du pétrole que pour ces émissions de carbone et de gaz à effet de serre, et en raison de sa fin programmée dans quelques décennies, qui implique évidemment pour l'humanité de trouver un autre vecteur énergétique. Il est intéressant de rappeler que l'ensemble de la révolution industrielle s'est construite jusqu'à aujourd'hui sur des combustibles fossiles, d'abord le charbon, puis le pétrole, et dans une moindre mesure le gaz. Deux à trois siècles de développement économique ininterrompus, qui débouchent aujourd'hui sur la disparition proche de ce qui permet à nos économies modernes de fonctionner de manière 'optimale'.
Evidemment, l'humanité a vécu des millénaires (peut-être même des millions d'années) durant sans ce type de combustibles. Ce vecteur énergétique permet simplement à notre monde industriel, de production économique de masse, de fonctionner 'optimalement' (ce terme implique malgré tout de réfléchir sur ses implications ... optimalement, par rapport à quoi, au bénéfice de qui ?). Son hypothétique disparition ne devrait malgré tout pas entraîner la disparition de l'humanité ni de notre société occidentale de consommation, mais simplement pour l'instant renchérir ou compliquer les systèmes de transport (de personnes et de marchandises).
Mais il semble possible d'intégrer cette notion d'épuisement des ressources naturelles dans la théorie de l'économie de l'environnement. On se rappelle que l'un des critères de fonctionnement de l'économie de l'environnement repose sur la notion d'externalités. Cette notion permet parfaitement de traiter tous les problèmes de pollution et d'émission de gaz à effet de serre. L'épuisement d'une ressource naturelle est facilement traduisible en terme d'externalité. En effet, l'usage immodéré actuel d'une ressource naturelle jusqu'à son épuisement introduit une externalité négative pour les générations suivantes, ou pour les utilisateurs à venir. Et c'est cette externalité qui n'est pas pour l'instant traduite dans le prix de ces ressources naturelles. En effet, le principe économique de l'externalité permet de 'pricer' (donner un prix) le coût induit par la consommation ou la production d'un bien ou d'un service donné.
Peut-on se satisfaire de la notion d'externalités (négatives ou positives) en matière d'économie de l'environnement ? Est-il nécessaire de déterminer un nouveau concept pour traduire certaines conséquences de l'activité humaine sur la disponibilité des ressources naturelles terrestres ou sur l'évolution de notre environnement ? Ou bien l'effort doit-il porter sur les processus d'internalisation de ces externalités, c'est-à-dire l'intégration dans les prix des biens et services produits ou consommés des conséquences découlant de leur production ou de leur consommation ?
Ce qui pose effectivement problème dans les externalités et dans les processus d'internalisation de ces effets négatifs, c'est la détermination extrêmement limitée des victimes potentielles de ces externalités. Les prix n'intègrent que les victimes immédiates d'une externalités (un autre usager utilisant le bien ou une même ressource). Le principe actuel de détermination des externalités repose sur l'appréciation limitative du principe de cause à effet. C'est ce qui permet notamment aux Etats-Unis d'Amérique de nier aujourd'hui tout lien entre son régime économique de production et de consommation et le réchauffement climatique.
La prise en compte dans le prix d'un bien d'une externalité impose une cause et un effet précis, que le marché peut appréhender. Le principe d'externalité a été introduit pour expliquer la manière dont les marchés fonctionnaient, c'est-à-dire intégraient dans les prix certains effets directs liés à leur mécanisme de production. Les externalités ont permis de rendre légitime certaines taxes environnementales. Elles ont conduit à la création de nouveaux marchés d'échange de droits de pollution, organisés par des états pour rentrer dans le cadre du protocole de Kyoto. Ces marchés de droits permettent d'intéresser les entreprises à procéder à des investissements antipollution pour vendre leurs droits d'émission à des entreprises plus polluantes.
Mais il reste aujourd'hui à faire intégrer dans les prix des biens et services l'ensemble des externalités indirectes ou dont les victimes sont moins protégées ou inconnues, mais qui existent malgré tout. Cela ne signifie pas que l'internalisation de ces externalités n'est pas possible, mais simplement qu'elles ne sont pas appréhendées actuellement par les marchés. On se trouve en fait en face d'une imperfection actuelles des marchés.
Le problème du choix entre internalisation d'une externalité ou l'imposition d'une taxe ou d'une norme réside dans le mode d'indemnisation retenu, et on peut alors s'interroger notamment sur le théorème de Coase. Dans le cadre d'une taxe, c'est l'état qui en perçoit le paiement, et peut indemniser les victimes. Dans le cas d'une internalisation par le marché privilégié par Coase, il faut des victimes connues indemnisables. A la rigueur, ce système d'indemnisation peut fonctionner a posteriori, notamment dans le cadre de jugements civils ou pénaux, qui ponctionneront les bénéfices accumulés par les petites ou grandes entreprises, pour les faire ensuite intégrer dans les prix futurs des produits concernés. Mais un jugement implique forcément la reconnaissance effective d'un lien de cause à effet entre le bien fabriqué et l'externalité observée, et la reconnaissance de la victime comme sujet de droit. Cette forme d'internalisation excluera ainsi les non-nationaux, les victimes potentielles à naître que les êtres vivants non humains.
De très nombreux biens n'intègrent pas aujourd'hui l'ensemble des externalités dont ils sont causes. Le prix du carburant-pétrole, pour ne citer que lui, n'intègre notamment ni les conséquences de son usage sur le réchauffement climatique, ni les conséquences de sa production sur sa disponibilité future. Son prix intègre en fait l'équilibre instantané entre une offre et une demande, le prélèvement opéré par l'état où se situe la production pour équilibrer ses finances publiques, et les prélèvements opérés par les états où se déroule la consommation, pour équilibrer également les finances publiques ainsi que pour financer l'entretien ou l'accroissement des réseaux routiers.
Il apparaît ainsi tout à fait possible pour l'instant de retenir uniquement la notion d'externalité, à condition toutefois d'en étendre l'appréciation des conséquences aux effets indirects et des victimes potentielles.
Réflexion vingt-deux (10 février 2007)
Retour à l'objet de mes réflexions
Mes réflexions précédentes m'ont amené à tenter de définir peu à peu diverses notions utilisables en économie de l'environnement, ainsi que les apports de quelques économistes dans cette matière. A ce point de ma réflexion, il me semble qu'il me faut resituer l'objet de ce débat, l'objet de mes réflexions.
- l'économie de l'environnement porte sur l'épuisement prochain d'un certain nombre de matières premières, sur les conséquences de l'activité humaine (pollution et rechauffement climatique), la disponibilité des biens collectifs pour tous les habitants de la planète.
- l'économie de l'environnement doit permettre la prise en compte des attentes de tous ceux qui sont exclus des décisions économiques au niveau mondial, qui relèvent aujourd'hui de quelques décideurs. Les exclus qu'il faudrait arriver à intégrer dans cette prise de décision sont évidemment les milliards de pauvres (ou de moins riches), mais également les générations non nées à naître, qui pâtiront demain ou dans un siècle des conséquences futures des choix actuels effectués, ainsi que toute la biosphère terrienne, qui n'est considérée aujourd'hui que comme des biens distribuables et consommables.
- l'économie de l'environnement doit aussi permettre de déterminer le niveau de modification du climat et de l'environnement qui est acceptable et tolérable par l'ensemble des acteurs concernés, humains vivants ou à naître aussi bien que les autres êtres vivants, et d'adapter le système de développement économique mondial en conséquence.
- l'économie de l'environnement doit également permettre de chiffrer le coût de toutes les atteintes à l'environnement causées par l'activité humaine, volontaire ou involontaire, individuellement ou collectivement, trouver le moyen d'en faire payer le prix aux personnes responsables, et de dégager les ressources financières qui permettront demain ou dans un siècle de réparer ces atteintes à l'environnement ou d'en atténuer les conséquences négatives.
- l'économie de l'environnement devra enfin trouver les outils économiques, technologiques ou juridiques qui permettront à l'humanité dans son ensemble d'atteindre ces objectifs.
Ces cinq axes de réflexion, ou objectifs, ne sont cependant absolument pas indépendants. Ils correspondent souvent à diverses approches d'une même problématique : la gestion des conséquences de l'activité humaine, sur l'environnement notamment mais pas uniquement, au bénéfice de l'ensemble de la biosphère terrestre, qu'elle soit humaine, animale voire végétale.
C'est sur ces différents points ou axes, en fonction de cette problématique centrale, que je vais maintenant tenter d'apporter quelques nouveaux éléments de réflexion et d'étude.
Réflexion vingt-et-une (10 février 2007)
Olivier GODARD, le principe de précaution et le questionnement sur la légitimité du développement durable
Je ne peux conclure ces réflexions théoriques sans citer Olivier GODARD, directeur de recherche au CNRS, dont je me suis souvent inspiré des travaux dans mes diverses réflexions publiées jusqu'ici. Il a publié de nombreux articles sur l'économie de l'environnement ('La pensée économique face à l'environnement', 'Développement durable et principes de légitimité', 'Les courants de l'économie de l'environnement' ...) mais également sur la prévention des risques majeurs et le principe de précaution.
L'apport de GODARD en économie de l'environnement repose d'abord sur la mise en questionnement de la légitimité de ce que l'on appelle le développement durable. Ce questionnement est évidemment indispensable, pour qu'il ne s'apparente pas à une décision imposée par certains pays avancés. Il le conduit ainsi à interroger le concept de principe de durabilité en matière de développement économique. GODARD a également beaucoup travaillé sur le principe de précaution, qui sous-tend d'une certaine manière toute l'économie de l'environnement, mais la dépasse également. En matière d'environnement, de pollution et de réchauffement climatique, il y a effectivement aujourd'hui une opposition entre un certain nombre d'ordres de légitimité différents, certains défendant la nécessité de maintenir une croissance économique importante pour sortir l'humanité de la misère, d'autres dont le principe de précaution insistant sur la nécessité de réformer dramatiquement notre mode de production, de consommation et de vie, pour mettre fin à leurs conséquences environnementales négatives, susceptibles de projeter l'humanité dans une catastrophe climatique majeure.
Réflexion vingt (9 février 2007)
Le passager clandestin de Mancur OLSON (source Wikipédia)
Mancur OLSON (1932 - 1998) est un économiste américain spécialiste du 'public choice', qui est notamment connu pour ses ouvrages 'Logique de l'action de collective' de 1978 ('Logic of Collective Action' de 1971) et 'Rise and Decline of Nation' de 1982.
Wikipédia rappelle que OLSON a travaillé sur les stratégies des groupes dans les organisations économiques. Il a construit une taxinomie des groupes, notant l'existence de 'groupes latents', composés d'un grand nombre d'individus où il est aisé de se soustraire à l'effort collectif. Pour Olson, « toute action collective a un coût pour l'individu (engagement, prise de risque, perte de temps, argent investi…) et des bénéfices ou avantages obtenus par l'action collective (protection sociale, augmentation de salaire, emploi…). »
Il existe une tendance pour les membres d'un groupe à vouloir profiter du bénéfice d'une action collective en cherchant à payer le coût minimum, voire à échapper au coût de cette action. Plus grand est le groupe et plus cette tendance est importante. C'est le phénomène du 'passager clandestin' (en anglais 'free rider'). Un 'passager clandestin' est un utilisateur d'un bien, d'un service ou d'une ressource, qui ne paie pas le juste prix de son utilisation. Le problème du passager clandestin survient lorsque celui-ci entraîne la sous-production d'un bien public, la surconsommation d'un bien commun ou la surexploitation d'une ressource naturelle. Par exemple, dans le syndicalisme, si tous sont bénéficiaires des avantages obtenus par le syndicat, il n'y a pas d'intérêt à cotiser, il suffit d’attendre du syndicat les bénéfices sans s’engager ni payer. Il faut noter que ce phénomène qui peut être observé en France, ne peut l'être aux Etats-Unis, ou justement seuls les salariés syndiqués bénéficient des avantages obtenus par les syndicats. Il est certain qu'une telle situation favorise la syndicalisation, ainsi que le monopole syndical.
Mais si ce comportement de passager clandestin n'est pas appliqué seulement par une petite minorité mais par une majorité des intervenants, il peut ne plus y avoir possibilité d'actions collectives. Toutefois, dans les groupes latents comme un état telle la France, on peut observer que le nombre de passagers clandestins peut être malgré tout très élevé (plusieurs millions de citoyens, qui font, soit le choix de s'expatrier une partie de l'année dans un pays plus accueillant fiscalement, soit de bénéficier des minimas sociaux -même si ce n'est pas toujours un choix volontaire-).
Mancur OLSON énonce alors l'hypothèse du paradoxe d'Olson :
« Les grand groupes peuvent rester inorganisés et ne jamais passer à l'action même si un consensus sur les objectifs et les moyens existe. »
« Comme les groupes relativement petits sont fréquemment capables de s’organiser sur la base du volontariat et d’agir en conformité avec leurs intérêts communs et que les grands groupes ne sont pas dans l’ensemble en mesure d’y parvenir, l’issue du combat politique qui oppose les groupes rivaux n’est pas symétrique… Les groupes les plus petits réussissent souvent à battre les plus grands qui, dans une démocratie, seraient naturellement censés l’emporter. » (Mancur Olson, Logique de l’action collective, PUF)
Réflexion dix-neuf (8 février 2007)
Garrett HARDIN ou la tragédie des biens communs
Garrett James HARDIN (avril 1915 - septembre 2003) est principalement connu pour un article écrit en 1968 intitulé 'The Tragedy of the Commons', où il met en exergue les limites sociales de la croissance. La tragédie des biens communs, ou tragédie des communaux, est une classe de phénomène économique décrivant une compétition pour l'accès à une ressource limitée, menant à un conflit entre intérêt individuel et bien commun.
L'exemple typique utilisé pour illustrer ce phénomène est celui d'un champ de fourrage commun à tout un village, dans lequel chaque éleveur vient faire paître son propre troupeau. HARDIN décrivait l'utilité que chaque éleveur avait à ajouter un animal de plus à son troupeau dans le champ commun. Rapidement, chaque éleveur emmène autant d'animaux que possible paître dans le champ commun pour empêcher, autant que faire se peut, les autres éleveurs de prendre un avantage sur lui en utilisant les ressources communes, ce qui a pour conséquence finale de détruire le champ commun, qui devient vite une mare de boue où plus rien ne pousse. En clair, l'intérêt de s'accaparer le plus de ressources communes possible dépasse toujours le prix à payer pour l'utilisation de ces ressources.
Selon HARDIN, dans la société de masse contemporaine, rien n’incite un particulier à la mesure, dans son utilisation des biens publics (ou communaux). En effet le particulier ne rencontre à aucun moment, ou alors de manière très diluée les conséquences positives ou négatives de son attitude à l’égard des biens publics. Rien ne récompensera par exemple, sa mesure dans l’utilisation des biens communs, pas même la certitude qu’il pourra compter sur le comportement idoine des autres « utilisateurs » de ces biens communs, pourtant bénéficiaires in fine de son attitude modérée. Quand aux conséquence d’un abus, il ne les subira que dans la proportion du pourcentage infime des utilisateurs qu’il représente. Il ne subira alors finalement qu’une partie minime des dommages qu’il cause. Cette situation est la double conséquence de la désintégration du lien social et de l’absence de respect vis-à-vis de la nature.
Saucratès
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