Economie de l'environnement (2)
Réflexion dix-huit (8 février 2007)
Biens collectifs, biens privés et biens communs (source Wikipédia)
Nous avons déjà abordé cette distinction, cette typologie des biens, dans ma réflexion trois (http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/01/09/economie-de-l-environnement-un.html). Elle repose sur une proposition de Paul Samuelson datant de 1954.
Les 'biens privatifs' (usage rival et exclusif) correspondent à la majeure partie des marchandises et autres biens que nous connaissons (notamment une bonne partie des ressources naturelles prélevées dans la nature). Ce sont des biens dont l'usage par une personne interdit le plus souvent la consommation par une autre personne (rivalité) et qui doivent être acquis pour être consommés ou utilisés, ce qui signifie que toute personne qui ne peut l'acquérir est exclu de son usage (exclusivité).
Les 'biens collectifs' doivent respecter le critère de non-rivalité (signifiant que la consommation de ce bien par un usager n'entraîne aucune réduction de la consommation des autres usagers) et de non-exclusion (l'impossibilité d'exclure quiconque de la consommation de ce bien, qui entraîne par voie de conséquence l'impossibilité de faire payer l'usage de ce bien).
Il existe des 'biens collectifs impurs', qui ne répondent qu'à un seul de ces deux critères à la fois.
- Les 'biens rivaux en accès libre' ou 'biens communs' sont des 'biens collectifs' dont l'usage est non-exclusif mais rival. Ces biens, qui correspondent à certaines ressources naturelles telle les ressources halieutiques, posent cependant le problème de la 'tragédie des biens communs' (ou 'tragedy of the commons' d'après l'article de Garrett Hardin de 1968) qui entraîna le mouvement des enclosures en Angleterre à l'époque de Smith et de Ricardo. « L'accès libre à une ressource limitée pour laquelle la demande est forte amène inévitablement à la sur-exploitation de cette ressource et finalement à sa disparition. Chaque individu ayant un intérêt personnel à utiliser la ressource commune de façon à maximiser son usage individuel, tout en distribuant entre chaque utilisateur les coûts d'exploitation, est la cause du problème. » (source Wikipédia). La Tragédie des biens communs ne peut s'appliquer, dans un marché libre, qu'aux ressources ne pouvant être appropriées par personne : l'atmosphère, la biodiversité et l'océan par exemple.
- Les 'biens de clubs' sont des 'biens collectifs' non-rivaux dont l'accès est exclusif, c'est-à-dire dont on peut interdire l'accès, dont on peut réserver l'usage ou l'accès à ceux qui le paient. Comme exemple, on trouve notamment un certain nombre d'infrastructures telles le canal de Suez ou le canal de Panama, les autoroutes à péage, les stations d'épuration ou bien les chaînes de télévision cryptée.
Dans la pratique, il existe des divergences d'opinions sur la liste des biens à classer comme des 'biens communs'. L'eau, l'air, la diversité des espèces vivantes sont en général considérés comme des biens communs. C'est aussi souvent le cas pour l'éducation, la santé, l'environnement, voire l'énergie. Par contre, pour les logiciels, les médicaments, les gènes, les semences agricoles, certains voudraient qu'ils soient considérés comme des biens communs universels, tandis que d'autres tentent de se les approprier à travers l'extension du domaine des brevets.
Pierre CALAME a présenté une autre typologie des biens selon la nature même des biens et des services plutôt qu'en fonction de leur finalité :
- Les 'biens publics' qui se détruisent en se partageant et dont l'usage par l’un n’exclut pas l’usage par l’autre.
- Les biens qui se divisent en se partageant mais ne sont pas le fruit de l’ingéniosité humaine
- Les biens et services qui se divisent en se partageant et sont le fruit de l'ingéniosité humaine
- Les biens et les services qui se multiplient en se partageant, biens tels que la connaissance, l’information, la créativité.
Réflexion dix-sept (7 février 2007)
Théorie et critiques de la décroissance soutenable (source Wikipédia)
« Les partisans de la décroissance affirment que le type de développement économique actuel s'oppose aux valeurs humaines et ne tient pas compte du fait que la Terre est limitée aussi bien dans ses ressources naturelles que dans sa capacité à supporter la destruction de son biotope (résilience). »
« La théorie de la décroissance soutenable part de quatre hypothèses :
-1. Le fonctionnement du système économique actuel dépend essentiellement de ressources épuisables dont la consommation s'accélère.
-2. Il n'y a pas de preuve d'un "découplage" possible, entre, la croissance économique et la croissance des impacts écologiques.
-3. L'accroissement de la richesse matérielle, mesurée en revenu monétaire, peut se faire au détriment d'autres types de richesses comme la santé des écosystèmes, la qualité de la justice, les bonnes relations qui sont entretenues entre les personnes au sein d'une même société, le degré d'égalité, le caractère démocratique des institutions, etc...
-4. Les sociétés occidentales, dont le développement économique s'est essentiellement basé sur l'augmentation de la consommation de biens matériels, ne seraient pas conscientes de la dégradation de richesses plus essentielles comme la qualité de vie (silence, air non pollué, eau pure, soleil...), et sous-estimeraient les frustrations générées auprès des populations exclues de cette abondance, que ce soit dans les couches populaires ou dans les pays du Sud.
La décroissance soutenable n'est pas une fin en soi : c'est un moyen de rechercher une qualité de vie supérieure et de permettre aux générations futures d'en jouir également. Ses tenants arguent que la mesure du PIB est une mesure abstraite ne tenant pas en compte le bien-être des populations ni la santé des éco-systèmes. »
(Wikipédia - 'http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9croissance_soutenable#_note-1')
Les critiques opposées à ce concept de décroissance s'articulent autour d'un certain nombre d'arguments :
-1. La décroissance serait une théorie du retour en arrière économique, une aberration comme le souhait d'un retour à la bougie ou le mythe du bon sauvage.
-2. Le progrès technique résoudra la question des énergies, des déchets et de la raréfaction des matières premières.
-3. Pour les sociaux-productivistes, le contrôle et la stratégie de la croissance permettront un développement matériel croissant.
-4. Certains, parmi les écologistes ou les altermondialistes, craignent que l'objectif de décroissance ne devienne une fin en soi.
-5. Un autre courant de pensée estime que le XXIe siècle sera celui de la noosphère, où la principale ressource sera l'information et la culture.
-6. Par opposition à l'hypothèse sur laquelle est fondée le concept économique de la décroissance (produire toujours plus implique de consommer de plus en plus d'énergie ou de matières premières, tout en diminuant la main d'œuvre pour la remplacer par des machines), certains estiment que la technique et les progrès de compétitivité permettent de produire plus avec moins, y compris dans le domaine des services (exemple du remplacement des câbles télégraphiques par les satellites de communication).
-7. En utilisant le concept de courbe environnementale de Kuznets, certains affirment que certains indices de pollution suivent une courbe en U inversé (exemple de la pollution de l'air dans certaines régions de France qui a augmenté au début de la révolution industrielle pour décroître après la fermeture des usines).
-8. La croissance permettrait la diminution ou la disparition de certains types de productions. Le capitalisme permet ainsi l'arbitrage vers des ressources plus abondantes ou vers d'autres biens, et signale par les prix du marché une ressource qui se raréfie.
Réflexion seize (6 février 2007)
La manie de la croissance selon MISHAN
Ezra J. MISHAN (né en 1917) est un économiste anglais spécialiste de l'économie du bien-être (welfare economics), qui a interrogé la manie de la croissance dans plusieurs ouvrages : 'The costs of economic growth' en 1967, 'The economic growth debate : an assessment' en 1977. A l'instar de GEORGESCU-ROEGEN, MISHAN estime que l'importance accordée à la croissance économique est problématique pour le devenir de l'homme, et rappelle que cette obsession est récente puisqu'elle ne remonterait selon lui en Angleterre qu'à 1962 où fut créé le National Economic Development Concil.
Réflexion quinze (4 février 2007)
La bio-économie de GEORGESCU-ROEGEN (ou principe de décroissance soutenable)
Nicholas GEORGESCU-ROEGEN (février 1906 - octobre 1994) a développé les concepts d'entropie, de bioéconomie et de thermodynamique dans le cadre de l'économie. Son ouvrage principal demeure 'la décroissance : entropie, écologie, économie' paru en 1979, traduction française de 'the entropy law and the economic process' (1971).
« Le processus économique n’est qu’une extension de l’évolution biologique et, par conséquent, les problèmes les plus importants de l’économie doivent être envisagés sous cet angle ».
« La thermodynamique et la biologie sont les flambeaux indispensables pour éclairer le processus économique (...) la thermodynamique parce qu’elle nous démontre que les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement, la biologie parce qu’elle nous révèle la vraie nature du processus économique ».
GEORGESCU-ROEGEN conçoit le processus économique comme une extension de l'évolution biologique :
- l'humanité est une espèce biologique comme toute les espèces terrestres.
- comme toutes les autres espèces terrestres, notre espèce est confinée dans un environnement limité.
- à l'intérieur de cet environnement limité, notre espèce est soumise aux contraintes imposées par les lois physico-chimiques (la loi la plus essentielle étant la loi de l'entropie).
GEORGESCU-ROEGEN a notamment mis en lumière la contradiction entre la deuxième loi de la thermodynamique, la loi de l'entropie (c'est-à-dire la dégradation inéluctable, suite à leur usage, des ressources naturelles utiles à l'humanité) et une croissance matérielle sans limites.
Le principe de la dégradation de l'énergie (principe de CARNOT ou loi de l'entropie) -Olivier me reprendra si je me trompe-. Sadi CARNOT en 1824 montre qu'il y a une perte inéluctable de la quantité de l'énergie. Ce phénomène est appelé 'entropie' (du grec 'transformation'). C'est la diminution irréversible de l'énergie disponible pour produire du travail. C'est une mesure de l'énergie inutilisable dans un système thermodynamique. Elle se définit comme une mesure du désordre. Cette loi stipule que l'entropie d'un système clos augmente constamment ou que l'ordre d'un tel système se transforme continuellement en désordre.
Du point de vue de la thermodynamique, la matière-énergie absorbée par le processus économique l'est dans un état de basse entropie et elle en sort dans un état de haute entropie. Le processus économique d'un point de vue purement physique ne fait que transformer des ressources naturelles de valeurs (basse entropie) en déchets (haute entropie). Par suite de cette destructuration de la matière et de l'énergie, les développements économiques actuels affectent ceux qui seront possibles aux hommes de demain.
Il appelait pour sa part à une décroissance économique - certains parlent aujourd'hui de décroissance soutenable - pour tenir compte de la loi physique de l'entropie, et au refus des instruments économique de gestion de l'environnement. Certains critiques considèrent que mêler l'entropie à des phénomènes biologiques et sociaux, caractérisés plutôt par des effets d'auto-organisation et d'adaptabilité, est précisément trop mécanique.
Dans la préface à 'Analytical economics', SAMUELSON écrivait : « Le professeur GEORGESCU-ROEGEN est plus qu'un économiste mathématicien. Il est tout d'abord un économiste, et le premier à rejeter les prétentions du charabia symbolique. Les subtilités de la production marginale et de l'utilité originale n'échappent pas à son examen sceptique ... Comme il a une formation mathématique très supérieure, il est tout à fait immunisé contre les charmes de séduction de ce sujet et est capable de conserver une attitude objective et terre à terre sur son utilisation ... Je défie tout économiste informé de rester satisfait de soi après avoir médité sur cet essai. C'est donc un livre à posséder et à savourer. »
(source Wikipédia)
Réflexion quatorze (3 février 2007)
Critique du Théorème de COASE
L'analyse menée par COASE est évidemment extrêmement contestable. Cette solution considère la nature et l'environnement comme des biens dont on peut abuser à loisir à partir du moment où on en a la propriété, éliminant ainsi toute réflexion plus globale au-delà de la propriété considérée. La même solution généralisée à l'ensemble des acteurs entraînerait par contre un résultat aberrant. Si tous les propriétaires usaient de la même manière de leur propriété, l'ensemble de la planète pourrait ainsi être détruite et l'optimum de production être irrémédiablement irréalisable.
Cette solution oublie par ailleurs le caractère partiel du droit de propriété, qui doit tenir compte des nuisances causées à l'environnement extérieur (infiltration ou ruissellement d'eau, pollution aérienne ...). Aucune propriété n'est totalement indépendante du reste de l'environnement. Parler de la propriété d'un cours d'eau et estimer que son propriétaire peut à loisir le polluer n'a aucun sens ; c'est oublier que ce cours d'eau débouche sur d'autres cours d'eau, et se jette au final dans des rivières, des fleuves et des océans ...
Parler de défaut des droits de propriété me semble une voie de réflexion, mais pas dans le sens entendu par COASE. Ce qu'il faut remettre en cause, c'est la possibilité d'abuser d'un bien (l'abusus) contenu dans le droit de propriété. Il faut soit remettre en cause de manière générale cette facette du droit de propriété, pour tous les types de biens (mais cela voudrait aussi dire qu'il n'est pas possible de manger un aliment, dont on abuse dans la réalité en le digérant), soit déterminer un type de biens pour lesquels cette facette du droit de propriété ne s'appliquerait pas. Les êtres humains, les animaux vivants, l'environnement, le sol, l'air, la nature. Mais ceci n'est pas simple ... ne peut abuser des animaux vivants implique l'interdiction de l'élevage ou du moins de l'abattage, ne peut abuser de la nature implique l'interdiction de l'exploitation du bois des forêts. Il faudrait définir de certaine façon ces interdictions, pour ne pas rendre impossible les exploitations normales du milieu naturel.
Le Théorème de COASE s'insère en fait parfaitement dans le courant de pensée néoclassique, pour lequel seule la libre détermination des forces de marché permette d'atteindre un optimum de production. Poussé à l'extrême, ce Théorème aboutit à sa propre négation, comme toute l'économie néo-classique. Evidemment, ce courant de pensée estime que le marché intègre cette réflexion dans son fonctionnement, pour maximiser le résultat final attendu, et que donc cette extrêmité ne peut être rencontrée.
La réalité me semble tout autre. Si seule la libre négociation des droits de propriété régit les possibles atteintes à l'environnement, le déséquilibre des forces entre les parties à la négociation rend impossible l'obtention d'un optimum environnemental. L'économie néoclassique ne s'intéresse qu'à l'efficience économique et financière, et en aucun cas à l'équité. Ce souci de l'équité ne peut provenir que d'une tierce force, l'état.
Réflexion treize (2 février 2007)
Le Théorème de COASE
Ronald COASE (né en décembre 1910), prix NOBEL d'économie en 1991, s'est intéressé en 1960 au problème de l'internalisation des externalités (voir mes articles précédents sur l'économie de l'environnement), et a remis en cause la solution de taxation proposée par PIGOU ('the problem of social cost' in Journal of law and economics, 1960). COASE fera reposer son analyse sur les droits de propriété.
Pour lui, les problèmes de pollution de l'environnement trouvent leur origine non pas dans de prétendus défauts du marché, mais dans des défauts de droits de propriété. En l'absence d'une définition stricte des droits de propriété, le pollueur a autant le droit de polluer que le pollué a le droit de ne pas être pollué.
Selon COASE, il n'est pas pertinent de s'interroger comme le fait PIGOU en terme de différence entre coût privé et coût social. Le critère pertinent pour apprécier la solution à apporter à un effet externe réside dans la maximisation de la valeur du produit collectif : seule l'efficience de la solution proposée importe et non son caractère équitable.
Le choix de la solution la plus efficiente va dépendre chez COASE de la comparaison entre les coûts de transaction et les coûts d'organisation de l'administration. Cette comparaison a pour cadre le théorème de COASE (il en existe de nombreuses versions) : dans un monde où les coût de transaction sont nulles et les droits de propriétés bien définis, il y a un intérêt économique à ce qu'une négociation s'instaure directement entre le pollueur et la victime de la pollution, et il est possible d'obtenir une allocation optimale des ressources sans intervention de l'état.
Dans le monde réel les coûts de transaction sont toujours positifs, et Ronald COASE dégage deux cas possibles pour atteindre l'efficience à partir de la comparaison entre les coûts de transaction et les coûts d'organisation de l'administration :
- Les coût de transaction (pour marchandiser la pollution entre pollueur et pollués) sont inférieurs aux coûts d'organisation de l'administration (pour définir le pollueur, évaluer monétairement le coût social, pour prélever la taxe et contrôler son application). Dans ce cas il faut laisser faire le marché et les externalités disparaîtront au terme de la négociation des agents.
- Les coûts de transaction sont supérieurs aux coûts d'organisation de l'administration. Dans ce cas l'état doit intervenir, y compris sous forme réglementaire.
Selon Ronald COASE, le simple établissement de droits de propriété (donc sans taxe fixée par l'état) devrait permettre la réalisation d'un optimum. Un droit de propriété donne le droit d'utiliser une ressource. Si les pollués disposent du droit de propriété, il disposent du droit de ne pas être pollué. Si les droits de propriété sont conférés à la firme polluante, elle a le droit de polluer.
Il y a deux possibilités concernant les droits de propriété:
- Les pollués obtiennent le droit de propriété. Dans ce cas le pollueur doit soit épurer soit racheter des droits de propriété (c'est-à-dire des droits à polluer).
- La firme obtient les droits de propriété (elle a le droit de polluer). Dans ce cas ce sont les pollués qui vont offrir des compensations à la firme pour qu'elle réduise son activité.
L'intervention de l'état est donc inutile dans la lutte contre la pollution. Le but de cette démonstration est de montrer que la mauvaise définition de droits de propriété est à l'origine d'inefficacités, auquelles on tente de remédier par un coûteux travail réglementaire.
Réflexion douze (31 janvier 2007)
Le principe du pollueur-payeur
Ce principe, qui se fonde notamment sur les travaux menés par PIGOU sur la taxations des externalités, a été mis au point et adopté en 1972 par l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique). Il vise à limiter les nuisances sur l’environnement dues à l’activité économique (industrie, transports, agriculture) et aux activités privées (utilisation d’une voiture, chauffage domestique).
« Ce principe signifie que le pollueur devrait se voir imputer les dépenses relatives aux mesures arrêtées par les pouvoirs publics pour que l'environnement soit dans un état acceptable. En d'autres termes, le coût de ces mesures devrait être répercuté dans le coût des biens et services qui sont à l'origine de la pollution du fait de leur production et/ou de leur consommation. » (source OCDE).
Selon ce principe, celui qui pollue doit participer aux dépenses occasionnées par les mesures de prévention, de réduction des pollutions ou de lutte contre la pollution qu’il a causée. Il fait écho au slogan politique : « que les pollueurs soient les payeurs ». C'est un pur produit de l'économie néo-classique des facteurs de production. Les ressources d'environnement (l'air, l'eau...) constituent un facteur de production exactement au même titre que les autres éléments entrant dans le processus de production.
Le facteur de production 'environnement', plus précisément de la dégradation de l'environnement, doit être rémunéré au même titre que les autres facteurs. Pour que les coût des biens et services produits reflètent la rareté relative des ressources d'environnement, il faut donc que le pollueur prennent en charge les coûts de ces ressources. Le pollueur doit internaliser les coûts de pollution. Avec cette internalisation il y a donc un 'signal prix' qui est donné et le système économique peut réagir et s'adapter en conséquence. En bref, c'est le principe selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur.
Ce sont les pouvoirs publics qui veillent à l’application de ce principe par le biais de réglementations spéciales (par exemple, mise en place de normes obligatoires pour limiter la production de déchets), de la taxe sur les activités polluantes, de réductions fiscales pour inciter les entreprises ou les particuliers à préserver l’environnement (par exemple, réduction d’impôts lors de l’acquisition d’un véhicule électrique ou roulant au GPL).
Ce principe assure :
- une efficacité économique : les prix doivent refléter la réalité économique des coûts de pollution, de telle sorte que les mécanismes du marché favorisent les activités ne portant pas atteinte à l’environnement ;
- une incitation (toutefois imparfaite) à minimiser la pollution produite ;
- une éthique de responsabilité, qui fait prendre en compte par chaque acteur économique les externalités négatives de son activité ; à défaut, les coûts incombent au contribuable qui n’est pas responsable des atteintes à l'environnement.
Mais on peut remarquer que :
- Le principe du pollueur payeur n'implique pas forcément la prise en charge des coûts par le pollueur. Le pollueur peut répercuter ses coûts de production dans ses prix de ventes. On devrait plutôt parler de principe 'pollueur - premier payeur'.
- C'est au pouvoir public de déterminer qui est le pollueur, donc le payeur.
- Le principe du pollueur payeur n'est pas un principe d'optimisation car n'implique pas obligatoirement une diminution de la pollution à un niveau optimal.
Ce principe pollueur-payeur a été adopté dans les grands principes du droit français de l'environnement, ainsi que dans les directives européennes.
(http://www.ecologie.gouv.fr/IMG/pdf/Le%20principe%20pollueur_payeur.pdf)
Un exemple remarquable de principe 'pollueur-payeur' (cité par Wikipédia) concernait la taxe à l'essieu (taxe créée en 1968, pour compenser les dépenses supplémentaires d'entretien et de renforcement de la voirie occasionnées par la circulation de certains véhicules de fort tonnage et généralisée au plan communautaire par les directives 93/89/CEE du 25 octobre 1993 et 1999/62/CE du 17 juin 1999) : on sait en effet que l'usure de la route par un camion, à une vitesse donnée, croit comme la cinquième puissance du poids à l'essieu (ce qui veut dire qu'à poids par essieu double, l'usure est multipliée par 32). On a donc déterminé pour les camions une taxe proportionnelle à la cinquième puissance du poids par essieu. Cette taxe, bien qu'ayant gardé le même nom, ne dépend plus aujourd'hui directement du poids par essieu, mettant fin à une politique de vérité des coûts. Toutefois, la technique en matière de chaussées ayant évolué, produisant une gamme plus variée de structures, la loi de la cinquième puissance du poids à l'essieu ne reflétait plus la vérité des coûts.
(http://www.douane.gouv.fr/page.asp?id=375)
Réflexion onze (30 janvier 2007)
PIGOU et les effets externes
Arthur Cecil PIGOU (1877-1959), économiste anglais, élève de Alfred MARSHALL (1842 - 1924), développera la théorie des effets externes positifs que MARSHALL avait mise en évidence, pour montrer que ces effets externes pouvaient aussi être négatifs. Il occupera la chaire d'économie politique au King's college de Cambridge.
En 1920, il expliquera notamment que la pollution est une déséconomie externe dans la mesure où les dommages qu'elle provoque ne sont pas directement pris en compte par le marché. Les déséconomies externes constituent donc un coût social non compensé, imposé à la collectivité, en-dehors de toutes transactions volontaires.
Cette notion traduit donc des conflits d'intérêts entre agents économiques sans que ces conflits s'expriment directement en terme monétaire. Les effets externes peuvent prendre quatre formes:
- Les effets externes entre producteurs (ex: usine polluant l'eau utilisée par une tannerie).
- Les effets externes de producteur à consommateur (ex: pollution d'un lac).
- Les effets externes de consommateurs à producteur.
- Les effets externes entre consommateurs, qui peuvent être dus à la pollution ou aux phénomènes d'encombrement.
PIGOU a proposé de régler le problème des externalités en internalisant les externalités, c'est-à-dire en leur associant un quasi-prix. Ce n'est pas un vrai prix car il n'y a pas de marché. C'est un « shadow price ». Pour Pigou, « le seul instrument de mesure évidemment disponible dans la vie sociale est la monnaie ».
PIGOU estimait que la correction des externalités devait passer par un système de taxation pour pénaliser ceux qui causent des troubles à autrui et de subventions pour ceux qui enrichissent la collectivité sans pouvoir faire payer ceux qui bénéficient des effets diffus de leur ouvrage. Ses propositions peuvent contribuer à rétablir l’efficacité puisque la taxe augmentera le coût du bénéficiaire de l’effet externe et permettra à la puissance publique de disposer des moyens pour réparer le dommage.
Réflexion dix (23 janvier 2007)
Pour conclure sur les externalités
La notion d'externalité permet à l'analyse économique d'intégrer le coût de la dégradation de l'environnement et des diverses pollutions sur les autres agents. Il ne faut toutefois pas oublier que cette notion regroupe également les conséquences positives des activités économiques, et qu'un même effet externe peut être positif pour certains agents ou pour une majorité, négatif pour d'autres agents directement exposés, et enfin fortement négatif pour l'environnement global, et donc pour l'ensemble des habitants de la planète. C'est ainsi le cas pour les transports publics de marchandises, responsables d'émanations de CO2.
Toutefois, le préjudice causée par une externalité est parfois difficile à évaluer par l'analyse économique. Tout est question d'hypothèse. Wikipédia prend l'exemple d'une pollution des mers. Qui se trouve lésé dans ce cas (première limite de la notion d'externalité ... les poissons et les oiseaux, pourtant les premiers touchés, ne sont pas intégrés).
« Ce problème renvoie à la définition de la valeur d’échange. En plus de sa valeur d’usage (se baigner, pêcher des poissons, faire du bateau), la mer possède également une valeur d’option (anticipation de la valeur qu’elle pourrait avoir lors d'une utilisation future) mais également une valeur intrinsèque qui ne dépend pas de l’homme, laquelle est constitué d’une valeur de legs (utilité de transmettre ce bien aux générations futures), d’une valeur écologique (elle contribue à maintenir l’écosystème dont nous faisons partie en bonne santé), et enfin, d’une valeur d’existence qu’il nous est impossible d’apprécier. Ces deux dernières valeurs plus que toutes les autres échappent à la science économique. » (source Wikipédia)
On pourrait tout autant déclarer qu'une mer aurait une valeur illimitée et que toute indemnisation d'une pollution devrait être pratiquement illimitée, ce qui entraînerait la banqueroute de la société qui serait à l'origine de la pollution (Total par exemple il y a quelques années ou Amocco il y a quelques décennies). On s'aperçoit ainsi que toute décision à des conséquences très importantes. Pour le naufrage d'un navire transportant son pétrole, Total risque de n'être condamnée en justice qu'à l'indemnisation d'une fraction des sommes engagées par les collectivités locales pour le nettoyage des plages (et je ne suis même pas sûr qu'elle ne fera pas fait appel de cette décision). La justice française fait encore comme si l'environnement était capable d'effacer toute trace des pollutions humaines, sans prendre en compte les atteintes ineffaçables à la diversité biologique et à l'environnement.
D'une certaine façon, la justice américaine est plus avancée dans l'indemnisation des atteintes à l'environnement et à la santé des individus, même si elle non plus, n'intègre pas le droit des espèces animales, végétales ou des générations à venir. Au moins, les niveaux d'indemnisation imposés aux entreprises polluantes sont-elles suffisamment importantes pour suffire à mettre en garde les pollueurs éventuels. C'est justement ce qui inquiète le patronat français et explique son opposition à la mise en place des actions collectives à l'américaine en droit français.
La prise en compte des externalités (négatives) présente donc la même limite en économie et en droit, puisqu'elle interdit toute intégration des conséquences néfastes sur les sujets non reconnus en tant qu'agent ou en tant qu'individu. Et la première nécessité doit être d'intégrer les espèces animales ou végétales (et non pas le biotope ou la bioversité) et les générations à venir comme sujets de droit, comme victimes possibles des agissements criminels de certains agents économiques, afin que les atteintes qui sont portées à l'environnement puissent être condamnées en justice.
On en reviendra une nouvelle fois à cette défocalisation sur l'homme, que représente notamment la deep ecology ... parler de biodiversité, c'est encore rapporter la nature à l'homme, comme source de remèdes futurs. A mon avis, user de ce terme de biodiversité ne peut-être qu'un pis-aller pour faire prendre conscience de l'importance de préserver l'environnement. Mais au fond, cette notion ne s'arrache pas à la marchandisation de l'environnement. Je pense que l'environnement a besoin d'autres notions, d'autres réflexions.
Saucratès
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