Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

De la crise financière (8)

Réflexion cinquante-deux (3 avril 2009)
Que représentent les décisions prises par le G20 le 2 avril 2009 ?...


On pourrait penser que les grandes décisions, prises au sommet du G20 de Londres, qui rompent avec des décennies de pratiques libérales, constituent de grandes avancées pour l'économie mondiale et pour la lutte contre la crise financière. Mais il est à craindre qu'il faudra encore de très nombreuses années de crise économique, de récession et de déflation (ou d'hyper-inflation) pour que des mesures véritablement courageuses et novatrices soient décidées par le groupe des vingpt pays les plus riches de la planète.

Qui, entre parenthèses, a remplacé les réunions du groupe des huits pays les plus riches ... Les réunions du G8 reprendront-elles lorsque la crise financière sera terminée, si elle se termine un jour ???

Les décisions prises par le G20 ...

a) Le renforcement des ressources du Fonds monétaire international qui passent de 250 milliards de dollars à 1.000 milliards de dollars, par apports supplémentaires des états membres et émission supplémentaire de droits de tirage spéciaux (DTS), pour lui permettre d'intervenir plus massivement.

b) Pour répondre à la demande notamment des pays en voie de développement, les dirigeants du FMI et de la Banque mondiale seront désormais nommés au mérite, mettant fin à l'accord implicite qui réservait le FMI aux Européens et la Banque mondiale aux Américains.

c) 250 milliards de dollars seront consacrés à aider le financement du commerce pour relancer les échanges mondiaux, et 100 milliards de dollars seront accordés aux banques de développement, comme la Banque asiatique de développement et son homologue africaine.

d) La publication, par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), de la liste des paradis fiscaux non coopératifs. Trois listes ont ainsi été publiées (blanche, grise et noire). Figurent notamment sur la liste des paradis fiscaux ('jurisdictions that have committed to the internationally agreed tax standard, but have not yet substantially implemented'), au sein des 'autres centres financiers' des états européens tels l'Autriche, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse. Monaco et le Lichenstein figure aussi dans les paradis fiscaux (tax Havens'). Par contre, on y trouve ni Macao, ni Hong-Kong.

e) La mise en œuvre des contrôles accrus des agences de notation et des fonds spéculatifs, et en matière de rémunérations dans le secteur de la finance, l'imposition de "nouvelles règles" sur les salaires et les bonus au niveau mondial afin d'éviter les prises de risques excessives. Aucune précision n'a cependant été apportée sur ces deux derniers points, alors que le besoin de réformes y est justement manifeste. Tout au plus a été créé par le G20 un Conseil de stabilité financière (Financial stability board), nouvelle instance qui se substitue au Forum de stabilité financière, et qui aura peut-être en charge des missions de surveillance de la finance mondiale si on se fie à son nom. De là à voir, dans cette retenue du G20, l'influence des menaces de chantage exercées par les agences de notation sur la notation des principaux emprunteurs internationaux, cela ne me semblerait pas impossible.

Pour rappel, la seule solution existante à ce problème : le développement d'une notation 'risque pays' par le Fonds monétaire international ou par un organisme supranational de contrôle des établissements financiers et des agences de notation (le Conseil de stabilité financière) ... et l'interdiction de noter les états édictée aux agences de notation internationales ...

Tout dépendra du rôle et des pouvoirs confiés à ce nouveau Conseil de stabilité financière, sur lesquels il faudra revenir dans quelques temps. S'il ne représente qu'une nouvelle version édulcorée du l'ex Forum de stabilité financière (FSF), créé en 1999 pour répondre à la crise du fonds spéculatif LTCM, il ne servira à rien, pas plus que le Forum de stabilité financière n'a pu prévenir cette crise financière. Le CSF rassemblera toutes les autorités nationales contribuant à la stabilité financière, dans les domaines de la monnaie, le crédit, l'assurance, la bourse ou la comptabilité, des 20 pays du G20 (le FSF ne regroupait que le club de pays avancés, plus Hongkong et Singapour). Comme le FSF, le CSF fonctionnera selon le même principe de coopération entre autorités nationales qui se mettent d'accord sur des normes et leur application. Mais son rôle de supervision sera étendu à «toutes les institutions financières et les produits et les marchés ayant une importance systémique», et «pour la première fois aux hedge funds». De même le CSF aura à s'occuper des «places offshore non coopératives et des paradis fiscaux», ainsi que des «principes de rémunération» des établissements financiers. Il exercera ses fonctions en concertation avec le FMI dont la surveillance restera essentiellement macroéconomique.
http://www.lefigaro.fr/economie/2009/04/03/04001-20090403ARTFIG00271-le-conseil-de-stabilite-financiere-est-ne-.php

Mais des problèmes apparaissent déjà quelques jours à peine après la tenue du G20 sur la surveillance de la stabilité financière au sein des nations européennes ...
http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_marches.phtml?num=35dcf86f69f02a9e9adebd17baafeeee


Réflexion cinquante-et-une (29 mars 2009)
Piste n°2 : réformer les agences de notation et repenser le rôle qu'elles ont occupé dans la finance mondiale ...


Parler des agences de notation internationales, et leur attribuer une place importante dans la crise actuelle du système financier mondial est plutôt normal aujourd'hui. Mais dire quelque chose de nouveau à leur sujet peut déjà paraître un peu plus difficile.

Il existe trois principales agences de notation internationales : Standard & Poor's (S&P), Moody's et Fitch Ratings (cette dernière étant la fusion des agences Fitch Publishing Company, IBCA Limited, Duff & Phelps Credit Rating Co et Thomson BankWatch, contrôlée par le holding français Fimalac). De nombreux autres établissements notent les entreprises ou les pays, et notamment la Coface (financement du commerce extérieur) pour la France, ainsi que la Banque de France (Fiben). De même, la majeure partie des établissements bancaires notent les entreprises avec lesquelles ils travaillent.

Il existe toutefois des différences entre ces établissements. La première différence concerne la publication donnée à ces notations. Les notes attribuées par les banques à leur clientèle ne sont ainsi pas rendues publiques. Même le client n'en a que rarement connaissance.

La deuxième différence sépare les établissements qui comme Moody's, Standard & Poor's et Fitch Ratings, font payer leur cotation par les entreprises qui souhaitent être cotées (100.000 euros la cotation, plus un pourcentage de la tranche d'émission obligataire ou de titrisation ... par exemple, une émission d'1 milliard d'euros coûte 400.000 euros), de ceux pour lesquels la cotation est un service gratuit rendu à la communauté financière (ou alors payée par les utilisateurs de cette cotation sous forme d'abonnement). C'est le cas de la Coface ou de la Banque de France.

A première vue, il semble plus sain de faire payer l'appréciation des risques à ceux qui souhaitent une bonne information des risques pris sur leur clientèle, plutôt qu'au principal bénéficiaire de ce système, celui qui émet les titres ... même si c'est guère juste vraisemblablement. Tout dépend en fait de la capacité de la société de cotation de résister aux pressions de ces clients. Dans le cas où la cotation est payée par les utilisateurs, l'agence de notation a intérêt à coter les risques le plus justement possible. Mais dans le cas où la cotation est surtout payée par les bénéficiaires, l'agence peut être conduite à accorder des cotations de complaisance à ses principaux clients.

En tout cas, ce système de financement des cotations a montré ces limites juste avant cette crise lorsque les établissements bancaires sont devenus les principaux clients des agences de notation internationales pour les émissions d'opérations de titrisation. Pratiquement la moitié des notations émises par les agences de notation (et donc de leurs revenus) concernaient des opérations d'émission de produits dérivés des établissements bancaires. Les agences de notation Standard & Poors, Moody's et Fitch Ratings pouvaient-elles tuer la poule aux oeufs d'or (ou faudrait-il dire le veau d'or) qui les faisaient vivre ?

En l'absence d'autorités de régulation sur leurs activités de notation, Standard & Poor's, Moody's et Fitch Ratings étaient les seuls appréciateurs des risques existants dans le système financier mondial, et aucune analyse de leurs règles déontologiques ne pouvait être menée. Ces agences de notation internationales étaient censées s'autoréguler elles-mêmes, et auto-réguler le système financier mondial dans son ensemble. Elles ont clairement failli à ces deux rôles, coûtant au système financier mondial entre quelques centaines et quelques milliers de milliards de pertes financières, et quelques années de crises et de malheur à l'économie planétaire. Le plus invraisemblable, c'est que malgré cela, ces trois agences de notation internationales sont toujours là, à émettre des notes sur les entreprises, les banques, les produits dérivés et les états de l'ensemble de la planète. Pour quelle raison ?

La raison en est simple. La menace d'une dégradation de la cotation de toute personne qui s'attaquerait à elles ? Evidemment, pas moi. Mais si les Etats-Unis, la France, quelques pays occidentaux, quelques établissements bancaires, aussi puissant pourrait-il être, s'avisaient de mettre en cause ces trois agences de notation et leur rôle dans la crise financière, la notation de cette personne morale pourrait alors être abaissé par ces agences de notation et l'entreprise ou le pays poussé à la ruine ou à la faillite. Aussi simple que cela. Raison pour laquelle nous n'entendrons pratiquement pas Nicolas Sarkozy s'exprimer à ce sujet, ni Barak Obama.

La France ainsi en 2002 avait demandé qu'un dossier sur les agences de rating soit ouvert au niveau international, et qu'une autorité de régulation soit mise en oeuvre. Ce dossier a été refermé à la demande de la France en 2003 ! Entre ces deux dates, les agences de rating avaient comprendre au gouvernement français qu'un abaissement de la notation de l'état français lui coûterait extrêmement cher en terme de finances publiques. En effet, la charge des intérêts de la dette française représente l'équivalent du rendement sur l'impôt sur le revenu. Une augmentation des taux de 1% consécutive à un abaissement de la dette de la France représenterait une hausse de la charge de la dette de près de 25% et imposerait un renchérissement de l'impôt sur le revenu du même ordre.

Comment échapper au chantage de ces agences de notation internationales ? L'une des solutions évoquées par certains spécialistes serait de leur interdire de coter les états. Il suffirait de confier ce rôle à un organisme tel le Fonds monétaire international (même si la Coface s'en charge aussi très bien). Tant que les agences de notation noteront les états, aucune réglementation contraignante ne pourra être prise contre elles.

Immédiatement, il serait alors de nouveau possible aux états de décider de réguler l'activité des agences de notation internationales et de les soumettre à une autorité légitime de régulation, ainsi que de juger de leur responsabilité dans la crise qu'a connue le système financier et économique mondial. Personnellement, il me semblerait normal que ces intervenants, qui ont clairement failli dans leur rôle de régulation du système financier mondial, soient liquidés et astreints à indemniser pour partie l'ensemble des pertes financières dont ils sont pour partie responsables.

Aujourd'hui, nous sommes clairement arrivés au bout d'une logique d'autorégulation du marché, au bout de la logique de la main invisible du marché chère à Adam Smith et aux libéraux. L'autorégulation du marché financier mondial, qui s'articulait autour de ces agences de notation, des marchés financiers, de la titrisation et des opérations d'assurance des risques, des organismes édictant des codes de déontologie et de bonne conduite, par exemple en matière réglementaire (comité de Bâle) ou de comptabilité (normes IFRS), a simplement échoué, nous ramenant aux désordres des années 1929.

Il faut peut-être juste relativiser ce jugement extrême. Ces organismes chargés de réguler les marchés financiers mondiaux ne sont pas les responsables de cette crise. Peut-être aurait-elle malgré tout eu lieu, quelques années plus tôt ou quelques années plus tard, car cette crise est née de l'afflux de crédits consentis aux agents économiques, américains ou européens. C'est une crise du crédit, justement comme celle de 1929 ...


Réflexion cinquante (26 mars 2009)
Piste n°1 : réformer le contrôle international des établissements de crédit ...


Cette crise financière est née des défauts de contrôle de l'activité des établissements de crédit, de leurs activités de titrisation et de transfert de crédit et de risques. Des établissements tel AIG ont failli disparaître en emportant avec eux l'ensemble de la finance mondiale (ou devrais-je plutôt dire occidentale) parce que cet établissement, parmi d'autres, donner faussement une impression de sécurité à leurs partenaires en leur vendant des assurances contre le risque de défaut.

Le système financier occidental était devenu extrêmement complexe, avec des produits dits dérivés, des transferts ou des échanges (Swap) de risques, ce qui avait fait croire à l'ensemble du système que le risque de défaut de paiement était pratiquement écarté, éliminé. Or, même transféré et disséminé dans l'ensemble des bilans de milliers de banques et d'assurances, le risque n'avait pas été vendu à des martiens, totalement étrangers à notre système financier, ni même aux chinois ... Le risque était toujours là, comme la suite l'a prouvé.

Pour s'en prémunir, des financiers avaient inventé les conduits (pour habiller les opérations de titrisation), les sociétés de rehaussement de crédit et tout cela était régulé par les agences de notation internationales (Standard & Poors, Moody's, Ficht ...), qui étaient censées noter les émetteurs de titres et apprécier le risque encouru par les prêteurs.

Quelle réforme apporter à cet ensemble ? La première piste, déjà explorée par le gouvernement américain, sous Bush comme sous Obama, concerne la réforme du contrôle de ces établissements de crédit ou d'assurance. Dans le futur, il est vraisemblable que les systèmes de contrôle des banques et des assurances soient réformés et renforcés, pour empêcher que des établissements importants, capables de fragiliser le système financier dans son ensemble (comme AIG), puissent échapper à un tel contrôle en prenant tel statut moins surveillé ou en s'installant sur telle ou telle législation bancaire moins regardante (par exemple celle des Etats-Unis).

En même temps, ce n'est pas la voie actuellement suivie en France et plus largement en Occident. La commission bancaire française et ses homologues européennes réfléchissaient jusqu'à présent plutôt à un allègement des contraintes réglementaires des établissements de crédit français (en terme de volume d'informations transmis). Cependant, le contrôle réglementaire français, assuré par la Commission Bancaire, était parmi les plus contraignants, et la bonne résistance des établissements bancaires français (si on élimine Natixis et Dexia, contaminé par les risques pris par leurs filiales américaines de rehaussement de crédits) en est un bon signe. La réflexion revenant régulièrement sur la table de fusion du contrôle réglementaire des établissements de crédit et des assurances risque cependant de recevoir un meilleur écho.

De même, les réflexions récentes du Comité de Bâle, organe supranational sans aucune légitimité, regroupant les organes de surveillance bancaires des principaux pays occidentaux, pour mettre en place de nouvelles réglementations en matière de surveillance des risques et d'adéquation des fonds propres, à l'origine de la création des ratios Cooke (autrefois) et Mac Donough (prochainement), s'étaient orientées vers un allègement des obligations des établissements de crédit en matière de constitution de fonds propres. Le ratio Mac Donough imposait ainsi aux établissements de crédit occidentaux internationaux des obligations de suivi et de cartographie des risques accrus (qui ne leur ont toutefois pas permis de prévoir cette crise) avec en échange des méthodes de calcul d'adéquation des fonds propres allégées, notamment grâce à la prise en compte de la notation de leurs meilleurs risques. Pour preuve, le ratio Cooke avait prévu des modalités d'étalement dans le temps du renforcement du niveau de fonds propres des établissements de crédit, pour atteindre la norme de 8%. A l'inverse, le ratio Mac Donough prévoit des modalités d'étalement de l'allègement des fonds propres nécessaires.

S'orientera-t-on vers des modifications des réglementations pratiquement achevées du comité de Bâle ou des réglementation européennes ? Ou bien va-t-on se diriger vers la création d'organes réglementaires supranationaux, dont l'objectif sera le renforcement et l'harmonisation des réglementation en matière de contrôle des établissements de crédit et des assurances ?


Réflexion quarante-neuf (10 mars 2009)
En prélude à cette recherche (suite) ...


Les principaux facteurs de déclenchement de cette crise financière sont donc les mêmes facteurs qui ont permis à l'économie américaine (et plus largement occidentale) de continuer de progresser au cours des trois dernières décennies, et tout particulièrement pendant la décennie 1995-2007. Il s'agit du décloisonnement des marchés financiers, de l'interconnexion des marchés financiers et des économies internationales (c'est-à-dire de la mondialisation), et des innovations financières (qui trouve des ramifications jusque dans les mécanismes inventés pour lutter contre le réchauffement climatique). Evidemment, ces évolutions, ce nouveau système de financement et de régulation financier et économique, ont également eu des conséquences dommageables sur l'emploi, l'activité industrielle et la répartition des richesses. L'interconnexion des économies (ou mondialisation) a eu pour conséquence des transferts d'activités industrielles vers des pays à faible coût de main d'oeuvre ou moins-disants écologiquement et une montée du chômage dans les pays occidentaux ... Cette même interconnexion des économies a conduit à une diminution de la pression fiscale dans les pays confrontés à une fuite de ses contribuables vers des pays fiscalement et socialement attractifs, aggravant les déséquilibres dans la répartition des richesses et des revenus entre les très riches et la majorité des pauvres ...

Peut-on donc condamner ces différents facteurs ayant finalement conduit à une situation économique et financière difficile, alors que la majeure partie des économistes et observateurs étaient aveugles ? Les crédits subprimes semblent ainsi être la cause du cataclysme enregistré sur les marchés financiers ; leur dissémination dans les bilans des banques et des fonds de pension ayant conduit à la crise financière déclenchée lors de l'été 2007, toujours d'actualité dix-huit mois plus tard ?

Les crédits primes et subprimes expliquent la vigueur de la reprise économique outre-atlantique à la suite de la bulle spéculative des valeurs internet, au début des années 2000. Ils ont permis un redémarrage de l'activité économique américaine, puis sa diffusion à l'ensemble de la planète. Ils reposaient sur l'idée que les ménages pauvres américains avaient tout autant le droit que les plus riches ménages à investir dans l'immobilier, puis à bénéficier de l'envolée des prix immobiliers. Moralement, ils ont participé à la réalisation du rêve américain, et il est vraisemblable que les crédits subprimes ont dû permettre à certains ménages pauvres de s'enrichir et de s'arracher à la pauvreté, même s'ils ont aussi au final fait perdre énormément à de nombreux autres ménages.

Au final, que penser ? Les mêmes facteurs expliquent à la fois la vigueur de la croissance de l'économie occidentale au cours des dernières décennies, et l'importance de la crise financière et économique actuellement observée.

Et si l'explication de la crise n'était pas à rechercher dans ces facteurs techniques, tels les crédits subprimes, la titrisation des créances ayant conduit à leur dissémination dans le système financier mondial, les erreurs de cotation des agences de notation ou le surendettement des ménages américains et européens ... mais dans d'autres explications, psychologiques, de diffusion et d'explosion des bulles spéculatives. Si ces facteurs n'étaient que l'élément déclencheur, le mécanisme de contagion du système économique occidental et mondial, mais en aucun cas l'agent infectieux, la raison de cette crise.

Et si la crise financière et économique actuelle avait pour véritable et unique raison le comportement irrationnel des marchés et des agents économiques, consommateurs ou investisseurs ? Si seules des raisons psychologiques expliquaient la grande peur dont le monde est désormais atteint ? Si ce n'était que la généralisation des craintes de tous les intervenants, comme dans l'explosion d'une bulle spéculative, qui expliquait le démarrage puis l'explosion de la plus grave crise financière et économique rencontrée par l'économie mondiale depuis les années 1930 ? Si c'était le matraquage médiatique autour de la crise financière qui avait créé le sentiment de peur et d'attentisme des consommateurs et des investisseurs ? Si cette crise était uniquement psychologique, et qu'elle ne pourrait prendre fin que lorsque ces peurs cesseraient, lorsque les acteurs économiques reprendraient confiance dans le futur, dans l'économie ? Si nous nous étions simplement fait peur ? Une telle explication est loin d'être aberrante ; elle est à la base de toute théorie de la croissance et de toute théorie des bulles spéculatives. Nous y sommes en plein dedans. C'est le discours alarmiste des médias qu'il faut ainsi revoir ... Discours alarmiste qui fait que tout le monde est désormais inquiet et attentiste, même s'il n'est absolument pas touché ni concerné par la crise ...


Réflexion quarante-huit (8 mars 2009)
En prélude à cette recherche, que faut-il penser de l'occurence de cette crise ?...


L'enchaînement des évènements qui ont conduit à l'explosion de la crise financière, à la contamination des bilans de l'ensemble des établissements de crédit mondiaux, et sa transmission à la sphère de l'économie réelle, avec son cortège de paniques bancaires, de mises en liquidation des entreprises et de licenciements et de montée du chômage, est, sans contestation possible, imputable à un certain nombre de dérives financières qui ont notamment pour fondement la montée des prix liée à une bulle spéculative immobilière, l'octroi de crédits subprimes à une frange d'emprunteurs sans capacité financière, et la diffusion de ces crédits 'pourris' à l'ensemble du système financier américain puis mondial. C'est l'ensemble de montage de systèmes financiers complexes basés sur des formules mathématiques (mais l'ensemble de la science économique est basée sur de telles formules mathématiques ... on retrouve des formules mathématiques presque aussi complexes dans le moindre produit d'assurance pour prévoir la probabilité de survenance de toute occurence simple ou indéfinissable comme la mort ou un accident ...) qui ont permis cett dissémination de créances 'pourries' à l'ensemble de la sphère financière.

Mais, si la toxicité de cette crise financière s'explique par ces innovations financières, et notamment par ce que l'on a appelé la titrisation de ces crédits subprimes, les racines de crise remontent beaucoup plus loin, dans les mouvements de décloisonnement des marchés financiers menés au début de la décennie 1980, sur la base des propositions monétaristes, et dans les mouvements de décloisonnement des établissements financiers, notamment aux Etats-Unis mais aussi en Europe, qui ont conduit aux mélanges de l'ensemble des activités financières dans d'immenses établissements bancaires.

Peut-on rendre responsable l'ensemble de ces évolutions financières, et jusqu'à la théorie monétariste, de la survenue de cette crise ?... Et va-t-on jeter le bébé avec l'eau du bain ?

Il faut aborder le sujet par un autre bout. En l'absence de décloisonnement des marchés financiers, d'innovations financières, dans un système financier cloisonné comme par le passé, sans produits financiers complexes ni autres sources de financement des entreprises et des particuliers, dans quelle situation économique et financière aurait-on retrouvé le monde ? C'est la bonne question qu'il faut se poser.

Sauf erreur de ma part, chaque organisation économique et financière a une capacité de vie limitée. Le système féodal n'aurait jamais permis le développement du capitalisme et de la libre entreprise. Il n'était compatible qu'avec le servage et une société rigidifiée de castes impénétrables. De même, le capitalisme débridé du dix-neuvième siècle n'était pas compatible avec la consommation et la production de masse. Il aurait explosé sous l'effet de l'antagonisme des classes sociales, capitalistes d'un côté, travailleurs de l'autre. L'économie des trentes glorieuses étaient compatibles avec un mode de financement rigidifié et cloisonné, mais l'explosion du système monétaire mondial à partir de 1971 et les chocs pétroliers et inflationnistes l'a également condamné.

Tout système social, économique et financier naît, vit, meurt et doit disparaître. Le système des années 1950-1970 était condamné à disparaître. Sans décloisonnement des marchés financiers, sans les innovations financières de plus en plus complexes que les établissements financiers ont mis sur pied, les économies occidentales et plus largement l'économie mondiale n'auraient pas connu le processus de développement enregistré au cours des deux dernières décennies. La crise du système économique mondial aurait perduré très longuement si l'on était resté dans le précédent système financier cloisonné des années 1950-1970.

D'une certaine manière, on peut dire que ces innovations financières n'ont fait que prolonger l'agonie d'un système économique capitaliste, et accentuer l'importance de l'explosion finale du système. C'est peut-être vrai. Ou non ! Un nouveau système de régulation financier est né à la suite de la crise des années 1970 et des contre-chocs pétroliers ... Un nouveau système de financement, et un nouveau système de mondialisation et de création de valeur. Ce système semble aujourd'hui lui-même en crise, emportant avec lui l'ensemble de l'économie. Il ne pourra surmonter cette contradiction qu'en inventant mécaniquement un nouveau système de régulation financier et économique, en dépassant les contradictions qui ont conduit à l'explosion financière et économique du monde tel qu'on le connaissait.


Réflexion quarante-sept (5 mars 2009)
Quelle sortie de crise possible ?...


Il n'est évidemment pas encore question d'une sortie de la crise. Au plus tôt, certains analystes et politiques particulièrement optimiste l'anticipent pour la fin de l'année 2009 ... les plus nombreux parlent de 2010 ... enfin, un certain nombre rappellent que le Japon n'a pas réussi à sortir de son marasme financier survenu suite à une bulle de crédit en une décennie.

Mais en même temps, de plus en plus d'intervenants parlent de remise à plat du système financier international, du retour de l'éthique dans le capitalisme, de la nécessité d'encadrer les salaires vertigineux des patrons et des golden boys de la finance, de la nécessité d'une refondation du capitalisme et de la mondialisation ... Je ne m'oppose pas à ces réflexions ... Je vais moi-même dans mes prochains écrits réfléchir aux diverses possibilités de réformes du capitalisme qui me sembleraient nécessaires pour refonder un capitalisme à visage humain. Simplement, il me semble qu'il ne faut pas perdre de vue que ces réflexions sont utopiques, et qu'elles n'ont pratiquement aucune probabilité de se révéler ni d'être appliquées.

On se réfère souvent à la crise de 1929 pour la comparer à la crise financière actuelle, crise qui d'une certaine manière, va marquer le point de naissance du vingt-et-unième siècle et la fin du vingtième siècle, de la même façon que la première guerre mondiale marque pour les historiens le passage réel du dix-neuvième siècle au vingtième siècle ... un changement d'époque.

On oublie cependant vraisemblablement de souligner les principales différences entre les années 1920 et les dernières décennies, tout particulièrement l'existence des programmes de protection sociale mis en oeuvre justement après la crise de 1929 et à la fin de la seconde guerre mondiale. Dans les années 1920, les régimes de protection sociale étaient encore balbutiants, la reconnaissance des syndicats venaient d'être obtenue, la société reposait encore sur la doctrine de l'état-gendarme, du laisser-faire, du capitalisme débridé et sans contrainte. Les années 2000 sont différentes, avec des régimes de protection sociale en cours de démantellement mais encore protecteurs, même si la même politique de dérégulation générale est menée dans la majeure partie des états de notre planète, à l'encontre de la majeure partie des systèmes de régulations que les gouvernements et le monde des affaires considèrent comme des contraintes qu'il fallait supprimer pour permettre d'atteindre les croissances économiques les plus rapides.

Le système économique, les pratiques de rémunérations ont-ils véritablement été modifiés entre les années antérieures à 1929 et celles postérieures à 1945 ? Y a-t-il véritablement eu des modifications marquantes des pratiques de rémunération, de la moralité du capitalisme ? Evidemment, il y a eu des différences, qui peuvent s'expliquer également par la seconde guerre mondiale, d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique.

1) Aux Etats-Unis, le système financier a été réformé après 1929, avec notamment la séparation de certains métiers de banque, séparation qui n'a été abolie que dans les années 1990 ... à tord comme la crise actuelle vient de le démontrer ... même si elle a permis de créer des mastodontes financiers susceptibles de concurrencer leurs homologues étrangers ...

2) Le New Deal a permis la mise en oeuvre d'une nouvelle politique sociale en faveur des exclus et des pauvres, inexistante avant 1929. Mais la seconde guerre mondiale et l'effort de guerre américain n'ont pas par contre donné naissance à une modification des relations sociales au sein du capitalisme américain, comme en Europe ...

3) En France, le Front Populaire, après 1929, a donné naissance aux congés payés pour tous les salariés, entre autres évolutions sociales. La fin de la seconde guerre mondiale a, de son côté, entraîné la nationalisation de nombreux secteurs d'activité économique, des fabriquants automobiles comme Renault, coupable de collaboration avec l'ennemi, aux principales banques ... Et 1946 a vu la création de la sécurité sociale, des caisses de retraites par répartition, entre autres ...

Mais ces évolutions, certes importantes, plus particulièrement en France, n'ont pas fait varier l'esprit même du capitalisme ... La recherche du profit maximum, l'existence de salaires librement négociés, l'invention permanente de nouveaux produits financiers, la généralisation de l'endettement des ménages, des entreprises et des états ... Seule la survenue de la seconde guerre mondiale a parfois entraîné une réforme plus profonde des instances du capitalisme, sans toutefois que ses soubassements soient affectés. De grandes firmes nationales puis multinationales ont continué de contrôler les économies américaines et européennes, ou japonaise ... Et les mêmes familles possédantes ont souvent continué à les diriger, même si un certain nombre d'entre elles ont été ruinées pendant la crise de 1929.

Ce que je veux ainsi démontrer, c'est qu'il est fort peu probable que cette crise financière actuelle s'accompagne d'une véritable réforme du capitalisme tel qu'il fonctionnait ces dernières décennies, et notamment la priorité donnée aux aspects financiers ... Ce que la crise de 1929 et la seconde guerre mondiale n'ont pas réussi à obtenir ... une révolution du capitalisme ... la crise actuelle ne le permettra pas, quelque soit les développements de cette crise, même si elle conduit à un troisième conflit mondial généralisé.

Croire en une réforme possible du capitalisme est ainsi une utopie, même s'il faut des utopies pour vivre ... et que nous allons continuer à y réfléchir ...


Réflexion quarante-six (4 mars 2009)
Nouvelles pertes dans le secteur financier ... Les bourses plongent une nouvelle fois ...


L'assureur américain AIG a déclaré avoir enregistré une perte de 99,3 milliards de dollars pour son exercice 2008, soit un montant plus élevé que la capitalisation boursière de tous les établissements bancaires français côtés en bourse (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole ...) réunis. L'ampleur de cette perte est phénoménale, colossale, abyssale. Et l'état américain propose un nouveau plan de sauvetage de AIG en y injectant une nouvelle fois des dizaines de milliards de dollars.

En Europe, on a également appris que la Banque centrale européenne (BCE) elle-même avait réalisé des pertes sur ses opérations de refinancement des banques commerciales européennes en faillite. L'addition s'élèverait à plus d'un milliard d'euros, qui serait pris en charge (ou mutualisé) par chacune des banques centrales nationales européennes de la zone euro au prorata de leur participation dans le capital de la BCE (la participation de la Banque de France dans la BCE est de 14,2%).

Ces pertes proviennent notamment de la faillite de Lehman Brothers et de plusieurs banques islandaises. Dans les opérations de refinancement pratiquées par le système européen de banque centrale (dit SEBC), les banques commerciales empruntant des fonds à la BCE présentent des actifs (crédits de haute qualité normalement) en garantie, appelés 'colatéral'. Mais avec la crise financière, les interventions de la BCE se sont amplifiées pour se substituer aux défaillances des marchés monétaires, et les garanties demandées ont été moins contraignantes (la BCE accepte ainsi des titres cotés BBB ainsi que des Assets Backed Securities (ABS ou titres issus des opérations de titrisation) depuis 2006). Dans le cas de la faillite d'un établissement bancaire auquel le SEBC aurait avancé des fonds au titre des opérations de refinancement, le SEBC utilise les titres apportés en garantie par l'établissement (dont la propriété lui a été transférée) pour se rembourser. Par contre, dans le cas où une banque centrale nationale n'aurait pas été suffisamment regardante sur la qualité du collatéral, celle-ci enregistrera alors des pertes si elle ne peut pas se rembourser avec les titres en garantie.

La majeure partie des pertes subies par le SEBC l'ont été par la Bundesbank allemande, ainsi que les banques centrales nationales du Luxembourg et des Pays-Bas, où les banques commerciales islandaises étaient fortement implantées, mais pas par la Banque de France.

Ces pertes importantes, qui seront connues le 5 mars, limiteront les possibilités de remontée de dividendes vers l'état français, et s'additionnera à la diminution des produits de l'émission monétaire que se partagent les banques centrales nationales, liée à la diminution des taux de refinancement de la BCE depuis la fin de l'année 2008. Il faut envisager des pertes importantes des banques centrales nationales dans les prochaines années, à moins de nouvelles vagues de défaillances des établissements de crédit européens ou des filliales européennes de banques étrangères, qui seraient beaucoup plus dramatiques pour l'équilibre du SEBC.

Il est vraisemblable que la Réserve Fédérale américaine a enregistré également des pertes importantes sur ces opérations de refinancement interbancaire, pratiquées à des taux désormais presque nuls (c'est-à-dire sans aucune rentabilité). Une prochaine annonce dévastatrice pour le système financier américain et plus largement mondial ? Où irait le système financier mondial si les banques centrales, prêteurs en dernier ressort, coulaient elles-aussi en raison des actifs toxiques qu'elles détenaient ?

Une occasion pour les états nationaux de reprendre le contrôle de leur système financier et des banques centrales nationales, après la politique d'indépendance et d'autonomie consentie au pouvoir monétaire au cours des décennies 1980 et 1990 ? Un retour de balancier en arrière ? Les autorités monétaires jouent désormais gros ... Sortir de cette crise financière et économique n'est plus uniquement aujourd'hui une question de crédibilité, mais devient également une question de survie de leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. A ce jour, seuls les états (les plus gros) semblent avoir réussi à préserver leur crédibilité dans la crise financière et économique qui a balayé la sphère financière mondiale. Cette crise a renforcé la capacité des gouvernements à intervenir dans l'économie, notamment pour préserver la stabilité de leur système financier (à l'exception de l'Islande en faillite virtuelle désormais), et elle a montré l'importance de la coopération internationale et la légitimité de certaines constructions comme l'Union Européenne ou la zone euro (le SEBC), lieux privilégiés où les décisions communes devaient être prises.

Mais cette capacité des états nationaux à intervenir dans l'économie pour relancer l'activité et préserver la stabilité des systèmes financiers dépend de leur capacité à emprunter et à se financer, auprès de ce même système financier international. Les états européens et américains sont déjà très fortement endettés, représentant pratiquement déjà une année de PIB (c'est-à-dire de richesse produite totale au cours d'une année), et leur déficit budgétaire devrait approcher la barre des 10% en 2009. Leur capacité d'intervention ne se maintiendra que tant que le système financier continuera à avoir confiance en la capacité des états américains et européens à rembourser leurs dettes. Le jour où cette certitude disparaîtra, la confiance disparaîtra, de la même manière qu'elle a disparu dans le système financier, entre établissements sur le marché monétaire, ou entre les banques et leurs clients.

Il s'agit du dernier rempart préservant le monde tel que nous l'avons connu. Lorsque l'état US ou les états européens ne bénéficieront plus de la confiance des prêteurs internationaux, le système financier international sera un champ de ruine où tout devra être reconstruit, après quelques années (ou décennies) de crise terrible.


Saucratès



12/11/2010
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