Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Economie de l'environnement (4)

Réflexion trente-six (5 avril 2007)
De la production (2)


Quelques puissent en être les explications proposées, la construction d'une communauté d'état en Afrique, sur le modèle de l'ex Communauté européenne, semble actuellement difficilement atteignable. Il faudrait d'abord faire taire des années de rancoeurs entre états voisins. Par contre, la mise en commun de la production de certains Biens Publics Mondiaux est-elle plus facilement envisageable, comme par exemple dans le domaine de la santé ou de l'éducation ? Pour répondre à cette interrogation, il faut d'abord évoquer un certain nombre de risques qui pourraient apparaître du fait d'une telle politique commune.

1. Le problème des tensions communautaires

Il s'agit du risque le plus important qui pourrait survenir dans le cadre d'une gestion commune de certains biens publics mondiaux. Dans le cadre de l'eau, BPM par excellence, il apparaît évident que la construction d'un réseau commun de distribution de ressources aquatiques pourrait créer des tensions communautaires extrêmement violentes en Afrique dès l'apparition de problèmes d'alimentation en eau ... Les populations qui ne seraient pas alimentées en eau accuseraient très vite leurs voisins immédiats de leur avoir volé leur eau, et risqueraient de se retourner contre leurs voisins d'une autre ethnie. La mise en place de tels réseaux communs impliquent soit, comme en Europe, une disponibilité parfaite de cette ressource, soit une plus grande capacité à vivre ensemble pacifiquement (et là l'Europe n'est peut-être pas forcément un exemple).

Autre BPM par excellence, le domaine de la santé risque d'être tout autant concerné par les tensions communautaires. La mise en commun de ce BPM risque en effet d'impliquer une mobilité des personnels soignants entre différents états. Dans ce cas, en présence d'épidémies, ces personnels étrangers risquent d'être considérés comme des empoisonneurs, un peu comme certains personnels soignants européens en Lybie, condamnés à mort pour y avoir soi-disant transmis le virus du sida à des malades sains.

Il existera également le même risque avec l'éducation, soit parce que les professeurs ou les élèves risquent d'être victimes de débordements, soit parce que les programmes scolaires étant l'un des principaux moyens connus de créer un sentiment d'appartenance nationale, personne n'acceptera de confier le contrôle notamment des programmes d'histoire à d'autres.

Les possibilités de tensions communautaires ne doivent donc pas être ignorées dans la mise en commun d'un certain nombre de Biens Publics Mondiaux. Evidemment, ce risque est moins présent, mais jamais totalement absent, pour un certain nombre d'autres BPM, tels notamment la recherche médicale en matière de lutte contre les maladies infectieuses ou la réglementation et la stabilisation des marchés financiers.

2. L'incidence du comportement des états

La mise en oeuvre d'une unification de la production des biens publics mondiaux au niveau d'un groupe de pays, tel le continent africain, risque également de rencontrer un autre type de difficultés liées à différentes formes de comportements qui peuvent être rencontrées face à des biens collectifs de ce genre. Les biens publics peuvent être ainsi rangés dans un certain nombre de catégories.

On distingue normalement :
- les biens publics dits 'à la portée du meilleur' (ou 'best shot goods'), qui ne peuvent être fournis que par les pays les plus performants (par exemple la mise au point de vaccins contre les grandes endémies ou la haute technologie). Ces biens publics peuvent assez facilement être mis à disposition au sein d'un groupe d'états sans difficulté particulière.
- les biens publics 'dépendant du maillon le plus faible' (ou 'weakest link goods'), dans lesquels, par exemple, le contrôle de risques épidémiques est menacé par l'état qui a la moins bonne politique sanitaire et sociale, et où des foyers de maladie risquent de subsister.
- les biens publics 'additifs' (ou 'summation goods'), qui résultent de la somme des efforts de tous les acteurs étatique, comme par exemple la réduction d'émission de gaz à effets de serre, qui n'est efficace que par addition des efforts de tous les pays.

Face à ces différentes formes de biens publics, il existe un certain nombre de comportements négatifs communs pouvant apparaître dans le cas d'une telle politique commune de production de BPM :
- la 'resquille' ou le 'passager clandestin' (ou 'free riding'). Ce comportement consistera pour certains états à tenter de profiter d'un BPM sans en payer le coût financier. Ce comportement répond à la question suivante : pourquoi faire des efforts pour mieux gérer un bien public s'il n'y a pas de sanction de ces efforts ?
- le 'dilemme du prisonnier', qui apparaît lorsque les partenaires d'un jeu ne se font pas suffisamment confiance, ou lorsqu'ils n'ont pas assez d'information sur la stratégie des autres joueurs. Dans le cas du 'dilemne du prisonnier', il y a un risque que les décisions prises individuellement soient globalement sous-optimales.
- le comportement 'moutonnier', qui apparaît lorsqu'aucun acteur ne souhaite prendre d'initiative pour résoudre les problèmes, chacun tentant de 'contourner' les difficultés.


Réflexion trente-cinq (1er avril 2007)
De la production (1)


L'une des réponses que je proposerais maintenant au problème de la production et de la mise à disposition des biens publics mondiaux se réfèrera au 'Manifeste de l'Europe des Biens Publics' publié par Jean Paul Fitoussi au nom de l'OFCE. Leur réflexion, parmi d'autres arguments, repose sur la nécessité pour les peuples européens de centraliser la production et la distribution d'un certain nombre de biens publics, appartenant pour la plupart à la liste des BPM affichée ci-dessous.

Si cette proposition peut se comprendre pour l'Europe, elle est encore plus irréfutablement nécessaire pour les pays en voie de développement ou sous-développés, tout particulièrement d'Afrique. L'Afrique est un continent où de très nombreuses populations n'ont pas accès aux biens publics mondiaux les plus élémentaires, tels l'eau potable, la sécurité des personnes et des biens, les réseaux d'assainissement, les systèmes de soins, sans parler de l'électricité, des réseaux routiers, des réseaux de télécommunication, d'une administration non corrompue. L'Afrique est un continent où les situations en matière d'accès aux biens publics mondiaux diffèrent énormément selon les pays concernés et selon les endroits ou les villes dans un même pays donné.

Certains états peuvent ainsi offrir un certain nombre de BPM de base à tous leurs citoyens, et d'autres non. A l'inverse, certains états usent du certain nombre de BPM dans une optique électoraliste, ou pour favoriser ou récompenser certaines tribus ou populations sur lesquelles leur pouvoir s'appuie.

Au niveau de la santé, la situation de l'Afrique est tout particulièrement préoccupante, que ce soit en matière de progression des épidémies de sida, de traitement de maladies éradicables comme celles de la mouche tsé-tsé, du paludisme ou du chikungunya, ou en matière d'infrastructures médicales ou de personnels soignants. L'Afrique est très mal équipée et les grands laboratoires pharmaceutiques multinationaux se désintéressent des maladies qui touchent ce continent et ses habitants. L'Afrique ne dispose pratiquement pas d'industries pharmaceutiques, et même si elle en disposait d'un laboratoire africain, il y a fort à parier que celui-ci s'intéresserait plutôt aux grands marchés occidentaux plus rentables.

Le même constat peut être réalisé pour tous les autres biens publics mondiaux, comme la distribution d'eau par exemple, autre BPM de base. L'eau n'est pas accessible partout et pour tous en Afrique. Un certain nombre d'ONG intervienne ainsi pour creuser des puits sains dans un grand nombre de pays africains, notamment sur le pourtour du Sahel, et pour équiper ces points d'eau de pompes pour faciliter la disponibilité du précieux liquide. Mais il faut également noter que les grandes multinationales occidentales du secteur (Véolia ...) gèrent parfois dans le cadre de délégations de services publics ou de fermages un certain nombre de concessions, qu'ils gèrent non pas dans une optique de développement mais surtout de rentabilité financière.

Pourquoi donc aucune solution commune à toute l'Afrique n'a-t-elle jamais été véritablement tentée par l'ensemble des gouvernements africains ? Un certain nombre d'éléments d'explication peuvent être avancés :

1) La majeure partie de ces pays sont régulièrement en conflit avec leurs voisins immédiats, ce qui est plutôt génant pour mettre en place des structures communes et leur déléguer une partie de leurs prérogatives (cas du Congo, du Rwanda, de la Guinée Conakry, du Liberia, du Nigeria, de la Sierra Leone, de l’Erythrée, de l’Ethiopie, de la Somalie, du Soudan, de l’Ouganda, du Tchad,du Burundi, de l’Angola et du Zimbabwe) ou en guerre larvée (Mauritanie, Maroc, Sahara occidental, Lybie ...).

2) Par ailleurs, ces pays sont pratiquement tous incapables de mettre fin aux guerres civiles qui les secouent régulièrement, et il paraît difficilement imaginable qu'ils puissent construire une communauté d'états associés. Les pays exempts de guerre sont plutôt des exceptions (Egypte ...). Même des pays comme l'Afrique du Sud ou le Sénégal (sécession de la Casamance) ont connu des situations insurrectionnelles.

3) Une telle construction indépendante de l'influence de certains pays d'Europe ne serait peut-être pas acceptée par ces derniers, qui sont non seulement à l'origine des conflits actuels en raison du découpage sans raison des frontières entre états, sont non seulement les principaux fournisseurs d'armements aux diverses parties en présence, mais sont aussi certainement arrangés par ces conflits perpétuels qui maintiennent ces états sous leur contrôle.

4) Enfin, l'Europe et l'Occident n'accepteraient une telle construction communautaire que si celle-ci était sous son contrôle, dirigée par des administrateurs expatriés, contrôlée par ses organismes de développement bilatéral, et favorisant les industries multinationales européennes. L'Europe ne paierait pas pour toute autre construction.


Réflexion trente-quatre (13 mars 2007)
Introduction aux Biens Publics Mondiaux


De nombreuses études portent sur la question des biens publics mondiaux ainsi que sur les problèmes de pollution. De très nombreuses personnes et organisations ont réfléchi à ces problèmes, avec bien souvent des argumentations relativement proches de celles que j'ai évoqué précédemment. La production et la distribution des biens publics mondiaux ont notamment été étudiées par de très nombreux économistes, hommes politiques ou acteurs du développement.

Et pourtant, il faut bien reconnaître qu'à ce jour, pratiquement aucune réponse n'a été apportée à ces problèmes dans notre réalité économique. Mises à part quelques réalisations en matière de contrôle de la pollution grâce à la mise en place de normes d'émission sur certains gaz dangereux pour la couche d'ozone ou de marchés de droits à polluer, les autres problèmes évoqués comme l'épuisement des ressources naturelles ou des matières premières, la pollution et le réchauffement climatique, ou la non mise à disposition des biens publics mondiaux, perdurent dans la majeure partie des états du globe, occidentaux ou en développement. C'est un peu comme si aucune solution n'avait pu être apportée, n'avait pu être appliquée.

Une question mérite ainsi d'être posée ; existe-t-il des solutions applicables ou réalisables aux problèmes environnementaux et d'environnement ?

Mais au fait, qu'entend-on par 'biens publics mondiaux' ? Il en existent de nombreuses définitions, qui s'opposent parfois. Mais il en est rarement présenté une liste. On parle souvent de l'eau, de l'éducation ou de la santé ? Mais plus précisément. Qu'est-ce qui rentre dans le champ des biens publics mondiaux ? Qu'est-ce qui en sort ? Un certain nombre d'économistes en ont proposé une énumération, pas toujours semblables. Un certain nombre de notions sont cependant souvent mentionnées :

1°) Le domaine de la connaissance
1.a. La création/production et le partage/diffusion des connaissances (notamment scientifiques, techniques ou culturelles)
1.b. La recherche fondamentale

2°) Le domaine de la santé
2.a. L'accès de toute l'humanité à un système de soins performants et peu onéreux
2.b. La lutte contre la propagation de maladies tel le SIDA ou le paludisme et le contrôle de certaines épizooties

3°) Le domaine de l'environnement
3.a. La réduction du réchauffement de la planète pour lutter contre le changement climatique
3.b. La préservation de la couche d'ozone
3.c. La préservation des milieux naturels et de la biodiversité
3.d. La dépollution de l'eau ou de l'air

4°) Le domaine des infrastructures
4.a. Les infrastructures de communication terrestres ou ferroviaires
4.b. Les réseaux d'eau, d'assainissement et de transport d'électricité

5°) Le domaine des droits et de la justice
5.a. La sécurité intérieure ou extérieure (la paix)
5.b. La justice
5.c. Les droits de l'homme
5.d. La liberté

6°) Les autres domaines
6.a. La lutte contre la pauvreté
6.b. La stabilité financière internationale
6.c. La diffusion la plus large possible des bénéfices de la mondialisation ou du libre-échange
6.d. Une administration intègre capable de faire respecter un certain nombre de règles et de lois
6.e. La vulgarisation des techniques agricoles

Cette énumération présente l'avantage mais aussi l'inconvénient d'être extrêmement large. Certains des biens cités ci-dessus ne sont pas assimilés par tous les théoriciens à des biens publics mondiaux, mais sont parfois uniquement appréhendés comme des biens collectifs nationaux. Le plus souvent, il y a peu de contestations pour les trois premiers domaines mentionnés (connaissance, santé, environnement). Par contre, les avis divergent pour les biens rattachés aux trois derniers domaines, parmi lesquels j'ai rajouté celui concernant une administration intègre.

Les différentes définitions qui sont données de cette notion de 'biens publics mondiaux' éclairent également d'une certaine façon le débat les concernant. D'une première manière, je serais tenté de dire que les BPM sont des biens indispensables à la vie de l'homme en société. Toutefois, cette définition ne recouvre-t-elle véritablement que les seuls biens publics mondiaux. N'existe-t-il pas des biens indispensables à l'homme en société qui ne soient pas des BPM ? Une seconde définition que l'on peut donner des BPM se réfère à la notion économique de défaillance des marchés des biens collectifs. Un bien est en effet dit collectif lorsque son usage par n'importe quel utilisateur ne remet pas en question sa disponibilité pour les autres et lorsque l'accès à ce bien ne peut être limité. Il suffit de transposer ce raisonnement du niveau national au niveau mondial et on mobilise ainsi le même appareillage analytique pour traiter de cette question. Les biens publics globaux sont donc des biens sans exclusion aux frontières ou de rivalités de consommation entre pays. Une troisième définition opposée à la seconde analyse les mécanismes d'appropriation privée et publique de ces biens publics en termes d'économie politique et de patrimoine commun. Il existe des patrimoines communs dont la définition dépend des choix collectifs des citoyens.

Mais les ressources communes de l'humanité sont largement appropriées par des pouvoirs privés et publics ce qui conduit à des exclusions. Une interrogation peut alors porter sur la légitimité des droits de propriété des agents privés ou des États sur ces biens considérés comme publics. Au nom de quoi des pouvoirs privés (par exemple des firmes multinationales) ou des pouvoirs publics ont-ils le droit de s'approprier ou de détruire ce patrimoine commun ?


Réflexion trente-trois (10 mars 2007)
Rapprochement


On peut ainsi dire qu'il existe deux faces ou deux approches à l'économie de l'environnement. La première approche concerne l'intégration des conséquences de la pollution ainsi que des risques de disparition des matières premières et des ressources naturelles. La deuxième approche concerne l'analyse des problèmes dans la fabrication et la disponibilité des biens publics mondiaux et autres biens collectifs. Dans le premier cas, la science économique peut proposer une solution reposant sur la mise en place d'un marché de ces externalités, dont l'objectif consiste en la fixation de prix de ces diverses conséquences de l'activité humaine. Dans le second cas, l'utilisation du marché peut permettre de focaliser les ressources financières publiques rares sur les principaux besoins des populations concernées, tâches que le privé ne pourrait sans danger occuper. Mais dans ces deux approches, il ne faut pas perdre de vue les limites de la science économique et du recours au marché, même si celui-ci permet le plus souvent d'atteindre une plus grande efficience, non pas forcément du fait d'une différence de nature entre le public et le privé, mais en raison essentiellement d'une plus grande difficulté à imposer des sacrifices à un organisme public, par nature politique, dont les ressources sont par ailleurs publiques, donc rares. Les limites de la science économique concerne d'abord la difficulté pour une entreprise privée d'accepter de prendre en compte les aspirations et les attentes de tout son environnement, humain, né ou à naître, ou non humain. Une entreprise privée réussit en effet le plus souvent à prendre en compte les seules attentes de son management, de ses actionnaires, et parfois de ses salariés et de sa clientèle solvable. Cette même limite se retrouve en matière de privatisation de services collectifs, où il est forcément difficile d'imposer à des entreprises privées de traiter égalitairement la clientèle solvable et insolvable. La deuxième limite de la science économique concerne les dysfonctionnements des marchés pour des biens tels que des services publics, la pollution ou les ressources naturelles. Les marchés sont incapables de déterminer un prix juste, au delà d'un équilibre à un instant donné entre une offre et une demande. Un marché ne peut pas chiffrer la composante temporelle inhérente à ces biens, liée soit à l'épuisement d'une ressource naturelle pourtant jusqu'à aujourd'hui gratuite (la biomasse) ou insuffisamment chère (pétrole), soit aux conséquences d'une pollution ou d'une externalité négative (marée noire, réchauffement climatique ...).

 

 

 

 
Réflexion trente-deux (8 mars 2007)
Pour conclure ...


On peut observer qu'en traitant des biens publics mondiaux ou des biens collectifs, on se retrouve au croisement entre l'économie de l'environnement et l'économie du développement. On pourrait même penser que le débat sur la privatisation excède même pratiquement les limites de l'économie de l'environnement lorsqu'il traite de l'aspect du financement de ces biens. Mais comme je l'ai déjà écrit, ces deux branches de l'économie traitent pratiquement du même objet, mais selon des préoccupations et des orientations différentes. L'économie du développement réfléchit à la notion de développement économique, et cherche à définir un développement soutenable. L'économie de l'environnement réfléchit aux conséquences des activités humaines, où que ce soit sur la planète, et cherche à définir une activité humaine supportable pour la planète.

Avec les quelques articles ci-dessous, j'ai réussi à définir quelques pistes sur la fabrication et la mise à disposition des biens publics mondiaux. Bizarrement, j'en arrive à privilégier la privatisation des services collectifs fournisseurs de biens publics mondiaux, sous la condition qu'ils puissent être contrôlés par une administration intègre, indépendante et compétente, notamment pour limiter le risque d'une exclusion de la partie de la population la plus pauvre. Un résultat à l'efficacité comparable peut être obtenu avec des services collectifs publics, à condition toutefois là aussi qu'une administration indépendante, compétente et intègre, puisse fixer des règles minimales prudentielles et en terme de rentabilité et puisse les faire respecter par ces organismes publics. C'est évidemment ici que se situe la principale difficulté de l'exercice, dans le cas d'un service collectif public financé par le biais de prélèvements ou de ressources fiscales. Le plus souvent, le politique, ou les citoyens par le biais de leurs représentants autoproclamés, seront tenté d'imposer un coût le plus faible possible pour la collectivité ou pour les usagers, même si cela doit conduire à sacrifier la stabilité de ces établissements publics.

Il faut évidemment continuer à réfléchir à ces différentes contraintes. Bizarrement, les pays occidentaux et les pays en développement ne privilégieront pas ces deux possibilités pour les mêmes raisons ; les pays en développement ayant en plus des problèmes de disponibilité en ressources publiques, ce qui peut les conduire à privélégier une privatisation de leurs services collectifs.

Cette réflexion que j'ai conduite fait aussi malgré tout l'impasse sur la possibilité supposée de limiter les risques d'exclusion des populations fragiles, beaucoup plus nombreuses dans les pays en développement. Comment un état pourrait-il imposer à des prestataires privés de fournir un bien public mondial à des usagers insolvables. C'est un débat d'actualité, notamment suite aux mises en fermage auprès de multinationales occidentales des réseaux de distribution d'eau potable dans de nombreux pays d'Amérique du Sud, mais aussi en Europe. Dans ce cas, la solution peut consister à imposer à ces prestataires de maintenir un abonnement social minimal. Mais de telles obligations ont un coût pour ces sociétés qui peut être contesté si elles ne sont pas prévues au niveau de la signature du contrat d'affermage.

Ce débat revient au final à faire un choix entre plusieurs options, permanence du service, coût à long terme supporté, disponibilité et accès plus ou moins libre. Pour en revenir à l'aspect purement financier, il faut imaginer la souplesse qui serait aujourd'hui la nôtre en France si les salariés avaient cotisé un peu plus fortement au cours des années 1960-1980 pour leur santé et leur retraite, afin de couvrir de manière anticipée les coûts que la collectivité devra immanquablement payer pour leurs vieux jours. Les caisses de retraites et de sécurité sociale disposeraient alors aujourd'hui de réserves financières conséquentes (on s'éloignerait de la répartition qui de toute façon va exploser au cours des prochaines décennies) qui se seraient valorisés et les réformes seraient beaucoup plus faciles à prendre aujourd'hui et ces systèmes sociaux ne seraient peut-être pas aussi proches d'exploser en morceaux.


Réflexion trente-et-une (5 mars 2007)
Privatisation et rôle de l'état


Et on en revient ainsi au débat initial sur la légitimité de la privatisation pour la fabrication et la mise à disposition des biens publics mondiaux, tels l'éducation, la santé ou les infrastructures, et sur les moyens à la disposition des états (ou des citoyens) pour imposer dans un tel cas au secteur privé la fourniture de ces biens à l'ensemble de la population des pays en développement, sans exclusion des plus pauvres et des plus isolés.

1. La privatisation représenterait une économie de ressources financières publiques

Une telle privatisation de la fabrication et de la mise à disposition de ces biens offrirait l'avantage pour les pays en développement d'économiser des ressources financières publiques, actuellement limitées, pour les réaffecter à d'autres utilisations nécessaires (mais pas forcément plus importantes). Si cela était possible, l'utilisation du privé pour gèrer et financer de tels biens publics mondiaux devrait être encouragé, notamment dans les pays en développement où les ressources financières sont insuffisantes et où il y a aussi un problème d'absorption de l'aide publique au développement.

En même temps, comment pourrait-on imposer à un secteur privé non financé sur fonds publics, et donc astreint à une nécessité de rentabilité financière, de fournir un tel bien à l'ensemble d'une population, même à capacité contributive insuffisante. La nécessité d'obtenir une rentabilité d'exploitation suffisante en présence d'un financement par les marchés financiers implique, soit de faire prendre en charge le surcoût lié à la fourniture gratuite de ce genre de biens à une frange de la population, par la clientèle fortunée, soit de faire prendre en charge ce surcoût par la collectivité, donc par les impôts.

2. Tout système est en équilibre

Pour reprendre le cas de la couverture sociale, en France ou dans un pays en développement, la privatisation de l'assurance maladie pose le problème du traitement de la fraction la plus pauvre de la population des assurés sociaux, ainsi que des familles nombreuses. Tout système d'assurance est forcément un équilibre entre un niveau de couverture des risques et un système de cotisation. Le système français repose ainsi principalement sur des taxes assises sur les salaires perçus par les assurés sociaux, sans référence à la taille des familles, ce qui désavantage les célibataires (mais leurs retraites seront payés par les enfants des autres).

On peut comparer la couverture-maladie avec le secteur de l'assurance, dommage ou vie, totalement privatisé. On y trouve effectivement une certaine proportion d'exclus, parmi la proportion la plus faible ou la plus fragile de la population française. Mais en même temps, les sociétés privées qui y officient ont mis au point des outils financiers et mathématiques extrêmement avancés pour prévoir et chiffrer les risques encourus. Ces systèmes de taxation en fonction du potentiel de risque permettent une certaine forme d'efficacité de ces systèmes, qui sont non seulement rentables mais représentent également une force financière, permise par la réglementation prudentielle de couverture des risques qui leur est imposée.

Par ailleurs, les contrôles nécessaires pour s'assurer du respect de normes édictées, et de l'absence d'exclusion d'une partie de la population, nécessite une administration publique efficace et intègre, ce qui pose justement problème dans de nombreux pays en développement.

3. Les risque d'une gestion étatique d'un service public

A l'opposé, les systèmes publics développent souvent un comportement de passagers clandestins parmi leurs utilisateurs et n'encouragent en aucune manière un comportement citoyen ou responsable de la part de leurs assurés. De même, les systèmes publics de couverture des risques conduisent souvent à minimiser le coût immédiat à payer et transfèrent les risques actuels sur les utilisateurs futurs. L'exemple en est parfaitement donné par la sécurité sociale ou les caisses de retraites par répartition françaises. La sécurité sociale française ou les caisses de retraites obligatoires ne disposent d'aucune réserve financière correspondant aux risques qu'ils supportent. Ces systèmes publics sont gérés en fonction de l'intérêt immédiat de leurs gestionnaires. Toute réforme dans leur fonctionnement et dans la couverture des risques subis ne sera prise que quand elle sera devenue impossible à retarder plus longtemps. Si ces organismes de couverture des risques avaient été privés, astreints à des normes prudentielles pour couvrir a minima les risques engagés, des réformes auraient été engagées depuis longtemps et ces organismes disposeraient à ce jour de réserves financières suffisantes rendant moins difficiles les évolutions indispensables de ces systèmes sociaux.

Il apparaît ainsi que la gestion étatique d'un service public permet peut-être un traitement égalitaire de tous les usagers, mais implique le risque d'une gestion sans réflexion sur l'avenir, au coût minimum pour la collectivité, et conduit à repousser au plus tard possible les réformes indispensables de son fonctionnement, en reportant sur les utilisateurs suivants le coût des réformes et du maintien de la couverture des risques antérieurs.

4. Le rôle de l'état

Le rôle de l'état devrait ainsi plutôt consister à définir les règles de fonctionnement, les normes minimales de fonctionnement des services collectifs, au lieu de les gérer directement avec une insuffisante efficacité à long terme.

On s'aperçoit ainsi que le premier objectif de l'aide publique au développement dans les pays en développement ne devrait pas être de financer des infrastructures ou des systèmes sociaux, de santé ou d'éducation, mais devrait plutôt consister à favoriser la mise en place d'une administration publique efficace, intègre, suffisamment rémunérée pour ne pas être la cible de la corruption et disposant des compétences et de la formation indispensables pour contrôler et légiférer sur tous les sujets concernant l'état et le fonctionnement de l'économie.

La privatisation de la fabrication ou de la mise à disposition des biens publics mondiaux ne doit pas cependant être forcément un objectif de politique économique, même si, dans les pays en développement, cette solution représente l'avantage d'économiser des ressources financières publiques insuffisantes. L'objectif doit être de déterminer des règles de liberté d'accès dans le cas de services collectifs privatisés, et des règles prudentielles minimales devant être appliquées par tous les intervenants, publics ou privés, pour interdire tout transfert de coûts futurs sur les générations suivantes.
 

 
Réflexion trente (4 mars 2007)
Quels financements pour les biens publics mondiaux


Ce débat sur la légitimité des privatisations ou sur le financement par les finances publiques me semble ainsi particulièrement pertinent pour une économie de l'environnement. La mise à disposition des biens publics mondiaux apparaît ainsi pouvoir aussi bien faire l'objet d'un financement par ressources étatiques que d'un financement par les marchés financiers ou boursiers, à condition que ceux-ci puissent présenter un potentiel spéculatif futur.

Cette possibilité recouvre les réflexions actuellement en cours pour trouver de nouveaux types de financements stables pour les pays en développement, en dehors de l'aide publique au développement (APD) des pays occidentaux. L'aide publique au développement représente essentiellement ces financements publics dont j'ai parlé précédemment, correspondant à des ressources tirées des impôts, de nouvelles taxes (comme celle sur les billets d'avion appliquée par la France) ou de l'endettement public. L'objectif est donc de fabriquer de nouveaux produits financiers, permettant aux pays en développement de disposer de ressources stables, prévisibles et facilement mobilisables, leur permettant d'échapper aux contraintes du poids de leur dette extérieure.

La nouvelle taxe sur les billets d'avion mise en place par la France représente une de ces nouvelles sources stables de financement envisageables. Par nouveaux produits financiers, certains auteurs entendent une valorisation des richesses détenues par les pays en développement, notamment la biodiversité qu'ils renferment, leur potentiel environnemental préservé, leur capacité d'absorption en carbone, voire leurs richesses en matières premières. Il serait possible de valoriser ces richesses sous forme de produits financiers ou boursiers, et permettre de lever des fonds importants pour financer leur développement, ou au minimum la fabrication des biens publics mondiaux indispensables à leur développement.

Une clarification s'impose ici.

1. Les principaux biens publics mondiaux concernés à cet endroit de notre réflexion concerne d'abord l'éducation et la santé, mais également les infrastructures routières, ferrovières, d'adduction d'eau, de voirie, de traitement des eaux ou d'acheminement de l'électricité ...

2. Le débat sur le rôle du privé ou des marchés financiers peut intervenir à deux endroits. Il concerne à la fois leur place dans le financement de la production ou la construction de ces biens publics mondiaux, mais également la place du privé dans la mise à disposition ou la gestion et l'entretien de ces mêmes biens.

De sorte que le véritable débat concerne ainsi plusieurs aspects du problème :

1. Quelle place peut être laissée aux initiatives privées dans la fabrication et la mise à disposition des biens publics mondiaux, et avec quels financements privés ?

2. Dans un tel cas, de quelle manière pourra-t-on s'assurer que le développement obtenu concerne l'ensemble de la population de ces pays en développement, sans exclusion des plus pauvres et des plus isolés ?

3. Sans oublier qu'il faut d'abord démontrer l'efficacité de l'aide au développement et plus largement du concept du développement, qui repose sur la reconnaissance d'un modèle de développement considéré comme étant celui des pays occidentaux.


Réflexion vingt-neuf (3 mars 2007)
Privatisations, interventionisme ou libéralisme


Ces quelques arguments n'épuisent cependant pas le débat sur la légitimité des privatisations. Il est un fait que la littérature économique met majoritairement en exergue les bienfaits des privatisations et considère l'intervention de l'état dans la production ou la distribution des biens comme une aberration. Peut-on imaginer que tous ces penseurs économiques aient tord ?

1. L'opposition entre le modèle libéral anglo-saxon et le modèle interventionniste français

Une approche historique du débat laisse apparaître une opposition (archi) connue entre deux systèmes économiques : d'un côté le modèle libéral anglo-saxon, de l'autre le modèle interventionniste français. Cependant, cette opposition n'est pas récente comme on pourrait le croire, mais remonte au début du capitalisme, au dix-septième siècle et au moins à l'époque de Jean-Baptiste Colbert. Il est extraordinaire de se rendre compte que quatre siècles plus tard, ces deux modèles soient toujours en opposition et surtout qu'ils aient donné des résultats somme toute approchant.

Evidemment, les différences entre ces deux modèles ne sont pas fondamentales. Il existe en France une large place laissée à l'initiative privée, mais si celle-ci est plus fortement guidée par la puissance publique que dans le monde anglo-saxon. Il existe aussi une intervention publique dans le monde anglo-saxon, même si elle est moins prononcée qu'en France ou dans les pays nordiques.

La France, dès l'époque de Colbert, met en oeuvre une politique interventionniste de l'état pour aider au lancement de nouvelles activités industrielles et économiques : les manufactures royales et les fabriques. A la même époque, en Angleterre, ces nouvelles activités sont essentiellement le fait d'initiatives privées, qui seront notamment à l'origine d'inventions 'nouvelles' (machines à vapeur, métiers à tisser). La monarchie française, sous l'impulsion de Colbert, copiera ces inventions industrielles anglaises, Angleterre qui entre alors dans ce que l'on nommera ultérieurement les prémices de la première révolution industrielle (ou proto-révolution). L'interventionnisme monarchique français n'interdira toutefois pas de nombreuses initiatives privées en parallèle. L'expérience financière dite de Law au dix-huitième siècle, sous la régence, sera ainsi une initiative privée, encouragée par l'état monarchique, pour appliquer une invention financière anglaise, qui aboutira toutefois à une faillite bancaire retentissante.

Cette dichotomie entre ces deux modèles économiques se retrouvera au dix-neuvième siècle avec le financement de la construction des réseaux ferrés, indispensables au développement de la révolution industrielle. En France, c'est l'état, sous le second empire, qui financera massivement ces investissements, tandis qu'en Angleterre, tout comme dans le reste du monde anglo-saxon, ce seront principalement des firmes privées qui construiront et financeront ces infrastructures, notamment grâce aux bourses financières, et aux emprunts bancaires, qui s'accompagneront de nombreuses faillites bancaires. Le vingtième siècle continuera d'enregistrer un interventionnisme croissant de l'état français (nationalisations), en opposition au libéralisme anglo-saxon.

Et pourtant, nos états se retrouvent malgré tout aujourd'hui dans une situation industrielle et financière comparable, sans que l'on puisse décider de la supériorité de l'un ou l'autre de ces deux modèles.

2. Le rôle comparable tenu par les marchés boursiers et par l'impôt

La France au dix-neuvième finança la construction de son réseau ferré par le biais des dépenses publiques, donc par l'impôt et l'emprunt public, tandis que dans le monde anglo-saxon, le financement en fut notamment réalisé par l'émission de titres boursiers et par des emprunts bancaires. Une très forte spéculation boursière entoura les titres de sociétés de chemin de fer à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, en France comme dans les pays anglo-saxons. C'est une situation un peu comparable à celle qui fut enregistrée par les sociétés internet à la fin des années 1990.

La bourse, ou plus généralement les marchés financiers, se révèlent ainsi capables de lever des financements conséquents pour participer au financement de certaines innovations marquantes, avec cependant des risques importants de spéculation financière, ce qui se révèle au final désastreux pour la masse des petits épargnants.

Ces deux types de financements (public ou boursier) offrent ainsi apparemment une efficacité comparable, ce qui est normal puisque dans les deux cas, il y a un recours au même marché financier pour trouver les ressources nécessaires. Ces deux types de financement ont conduit également dans le passé à des crises financières, désastreuses pour les petits épargnants, titulaires soit d'obligations d'état, soit de titres boursiers, décôtés. La seule interrogation peut concerner l'efficacité de l'utilisation de ces financements ; les libéraux certifiant que l'état est moins capable d'affecter au mieux les ressources financières disponibles que le libre fonctionnement du marché ; les interventionnistes, au sein desquels il faudra classer John Maynard Keynes, certifiant le contraire, à savoir que les marchés sont notamment incapables de s'auto-réguler. Les excès des crises boursières spéculatives, comme pour les valeurs internet lors des années 1990, prouvent que même le libre fonctionnement du marché peut entraîner des mauvaises allocations de ressources financières, sur des projets sans avenir conduisant à des faillites retentissantes.

D'une certaine façon, l'intervention de l'état dans l'économie, propre à la France, conduit bien à cette éviction du privé du marché du financement, chère aux penseurs libéraux. Mais le simple fait que l'état se substitue au privé pour financer la construction d'infrastructures ne suffit pas pour mettre en cause son efficacité. Le résultat obtenu au final est le même et le poids financier également. Le remboursement prendra la forme dans un cas d'une augmentation des impôts, et dans l'autre, d'un renchérissement du prix payé.


Réflexion vingt-huit (25 février 2007)
Quelle légitimité aux privatisations


Le débat sur les privatisations, même concernant les biens collectifs, concerne-t-il, même accessoirement, l'économie de l'environnement ? Une telle réflexion économique ne devrait-elle pas s'intéresser uniquement aux seules modalités de production de ces biens collectifs et aux possibilités d'accès de la majorité d'une population à ces biens, quelqu'en soit la forme de propriété, publique ou privée.

En même temps, la forme de propriété retenue n'est pas sans influence sur la disponibilité de tels biens dits collectifs. Une mise à disposition par un service public, financé pour partie sur des fonds publics issus de l'impôt, assure souvent une égalité parfaite entre tous les bénéficiaires, c'est-à-dire des prestations indifférenciées indépendantes de la contribution financière demandée à chacun. On parle ici d'égalité parfaite : à chacun selon ses besoins. Evidemment, une telle situation peut être mal vécue par les usagers se voyant facturer une contribution élevée pour un service de qualité indifférenciée. Ceux-ci pourraient être tentés par une mise en concurrence de la distribution d'un tel service ou bien, qui pourrait leur offrir une qualité plus élevée pour un tarif plus intéressant.

Un exemple parfait en est donné par la Sécurité Sociale. La couverture sociale offerte à chaque français est totalement indépendante de sa contribution financière personnelle, et les bénéficiaires de la CMU (couverture maladie universelle, qui est accordée aux personnes sans ressources), sont pratiquement mieux couverts que les autres assurés sociaux, même si leur capacité à consulter des spécialistes très onéreux est limité. Il est évident qu'une petite proportion des assurés, notamment à très hauts revenus salariés et à cotisations salariales élevées, auraient tout intérêt à une privatisation de la sécurité sociale (en excluant toutefois leur possible sentiment d'appartenance à une communauté citoyenne ou mutualiste où les plus riches payent pour les plus pauvres). A l'opposé, il est évident qu'une Sécurité Sociale privatisée excluerait un très grand nombre d'assurés à capacité contributive faible ou nulle, rendant nécessaire le maintien d'un régime public universel, pour tous les exclus.

Une telle Sécurité Sociale privatisée, un peu à l'image de ce dont disposent les usagers des Etats-Unis d'Amérique, impliquerait de trouver de nouveaux moyens sous forme d'impôts pour couvrir les dépenses sociales des usagers exclus à capacité contributive insuffisante pour intéresser les sociétés privées, puisqu'aujourd'hui, cette solidarité est permise par la péréquation des contributions de tous les assurés sociaux. Le coût en serait cependant certainement diminué pour les plus gros contributeurs, tandis qu'il risquerait de demeurer inchangé pour la majeure partie des usagers, voire d'être renchéri pour les usagers aux revenus modestes ou normaux.

Cet exemple me semble pouvoir être généralisé à une majorité des privatisations de biens collectifs de ces dernières années (la santé, tout comme la formation, est un bien collectif). A la réflexion, la majeure partie des privatisations ont été favorables aux seuls usagers aux capacités contributives élevées, qui subissaient un traitement égalitaire sans rapport avec leur contribution financière. Pour les autres, et notamment pour la masse des contributeurs normaux, les privatisations n'ont pas apporté de diminution de leur contribution financière, mais plutôt un renchérissement, pour une qualité de service parfois améliorée (mais pas toujours). Je pense aux privatisations des sociétés de télécommunication, aux privatisations de réseaux de transport aérien, routier, ferrovière ou d'électricité. Les usagers à capacité contributive insuffisante ne sont pas forcément les grands perdants de ces privatisations, notamment lorsque les pouvoirs publics, en France notamment, imposent aux sociétés privées chargées d'anciens monopoles, le maintien du service minimum, à coût réduit, pour ces populations exclues. Dans ce cas, la pression financière maximale s'applique aux usagers à capacité contributive moyenne, ni assez pauvres pour être concernés par les services minimums réduits, ni assez riches pour en profiter.

Dans ces conditions, quel est l'intérêt de procéder à de telles privatisations, où se trouve leur légitimité ? Et comment se fait-il que des privatisations soient menées un peu partout dans le monde et que la théorie libérale, qui prône la mise en concurrence de tous les marchés soient à ce point célèbre et appréciée ?

Je vois une explication. Si on observe la Sécurité Sociale française, principalement financée sous forme de prélèvements sociaux assis sur les salaires, on observe qu'elle est comptabilisée dans la formation du PIB (somme des richesses intérieures) comme un prélèvement étatique, comme la somme des rémunérations nécessaires à son fonctionnement, comme toute dépense publique. Si la Sécurité Sociale était privatisée, son poids dans le PIB serait accru et cet organisme serait considéré comme produisant de la richesse. Le poids des dépenses publiques serait aussi allégé des prélèvements sociaux, et il ne demeurerait dans les dépenses publiques que la couverture des assurés les plus démunis. C'est en quelque sorte les méthodes de calcul de la comptabilité nationale servant à calculer la richesse produite qui expliquent la valeur attribuée au mécanisme de la privatisation, même si ces privatisations ne changent réellement pas grand chose, si ce n'est à détruire la solidarité citoyenne entre riches et pauvres.
 

 

Saucratès



30/11/2010
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