Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Du développement (1)

Réflexion dix (6 octobre 2006)
Réponse à Madame Brigitte Girardin


Dans un article dans le Monde du 2 octobre 2006, Madame Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie défendait l’importance du rôle de la France en matière d’aide au développement, et se félicitait de l’acceptation de ce type d’actions parmi nos concitoyens.
(http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-819068@51-647065,0.html)

Elle reconnaissait d’abord que l’objectif d’atteindre 0,7% du produit intérieur brut fixé par les Nations Unis, n’était toujours pas atteint aujourd’hui et que l’effort de la France en matière de développement atteindrait (peut-être) difficilement 0,5% en 2007. Pour relativiser cette insuffisance, il semblerait (d’après Mme Girardin) que nos partenaires au sein du G8 soient encore bons que nous.

Elle s’intéresse également au problème de la corruption que j’ai précédemment évoqué. Selon elle, "suspendre l’aide extérieure à un pays affecté par la corruption n’a jamais suffi à y mettre fin, et revient à doublement pénaliser sa population. C’est pourquoi la France cherche plutôt à conforter la bonne gouvernance : grâce à notre assistance technique, nous aidons à réformer les systèmes judiciaires, à rendre les comptabilités publiques plus rigoureuses, ou encore à renforcer la traçabilité des revenus issus des ressources naturelles."

Son approche est louable, mais certainement insuffisante. Réformer les systèmes judiciaires, les normes de comptabilités publiques ou la traçabilité des revenus issus des ressources naturelles ne suffira pas, notamment quand il est aussi facile de transférer des fonds dans des paradis fiscaux ou lorsque des pays au dessus de tout soupçon pratiquent le secret bancaire.

Son approche est également louable quand elle rappelle que la France aide principalement l’Afrique "parce que c’est elle qui en a le plus besoin". Le problème, c’est que les priorités du principal intervenant français en matière d’aide au développement (l’agence française de développement ou AFD) sont tout autre. Les dirigeants de cette institution bilatérale n’ont d’yeux que pour les autres parties du monde où il leur faut être pour être reconnu (la Chine, l’Asie, la Turquie, l’Amérique du Sud). L’Afrique, c’est le fonds de commerce de l’AFD, mais cela ne fait pas vibrer ses dirigeants. L’AFD développe ainsi sa zone d’intervention pour essayer d’y englober la plus grande partie des états non occidentaux et installe de plus en plus de nouvelles agences dans de nouveaux pays non africains. Le gouvernement y trouve également son compte car l’aide au développement sert à financer le plus souvent des exportations françaises. Il est ainsi plus profitable d’être présent dans les zones économiques les plus dynamiques plutôt que dans des états africains qui ont de la peine à s’extraire du sous-développement. Madame le ministre ignore-t-elle que l’Afrique n’est plus le précarré de la France, ou bien n’est-ce qu’un discours électoral rassurant ?

Les exemples de réalisation qu’elle donne sont intéressants (des pompes à eau en Côte d’Ivoire, un hôpital construit en Bolivie, un programme de lutte contre les virus émergents lancé au Vietnam, une banque céréalière au Niger, une agence de microcrédit au Ghana, un simple local pour une association de femmes d’un village indien de l’Altiplano) mais offrent une bien pâle image de ce que l’on pourrait faire avec plusieurs milliards d’euros.

Madame la ministre nous confirme simplement que la vision que la France a du développement est en train de changer depuis un certain nombre d’années et qu’elle accompagne l’évolution géopolitique du monde, sans égard pour les pays en développement qu’elle devrait aider en priorité. Evidemment, ce ne sera jamais dit clairement. Juste un lent abandon. La faute également à l’absence de véritables hommes (ou femmes) de développement au gouvernement, au ministère de la coopération ou à la direction de l’AFD. De ces gens qui croyaient en une grande cause, en une mission de développement, et non des stars qui ne s’intéressent qu’au fait d’être vu dans les colloques internationaux.


Réflexion neuf (5 octobre 2006)
Quelques pistes de réflexion (suite deux)


3. De la responsabilité des institutions financières internationales dans les échecs des politiques de développement

Cela fait près de soixante ans que la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International ou l’Agence Française de Développement s’occupent du développement économique et humain des pays dits pauvres dans le monde. Soixante ans de financements de projets industriels, énergétiques, ou d’infrastructures. Soixante plus tard, la pauvreté n’a pas reculé dans le monde mais a plutôt empiré. Les états sous-développés ou en développement sont presque tous surendettés, cumulant des dettes extérieures insupportables pour leurs économies et leur population, qui les obligent à accepter la tutelle des institutions internationales et des gouvernements étrangers.

Il serait intéressant de rapprocher des dettes et des intérêts accumulés par ces pays pauvres, les bénéfices réalisés par les diverses institutions financières internationales. Ainsi l’Agence Française de Développement, tout comme la Banque Mondiale, ont accumulé au fil de leur histoire des réserves financières très importantes, issues des marges qu’elles s’octroient, de leur activité de prêts sur ressources propres et des intérêts payés par leurs emprunteurs étrangers. Il est souvent mentionné que l’Europe esclavagiste s’est nourrie du sang et de la sueur des esclaves noirs employés dans ses plantations outre-mer ou transportés dans ses bateaux négriers (approche contestée par certains économistes qui à l’inverse veulent prouver que l’esclavage n’était absolument pas rentable). Il ne serait pas inintéressant de vérifier si un système comparable ne perdure pas à notre époque, et si les institutions financières internationales ne se nourrissent pas également du sang et de la sueur des pays en développement.

Les réserves de ces institutions bilatérales ou internationales leur appartiennent-elles, en tant que fruits d’une saine gestion des risques et des taux ? Ces réserves appartiennent-elles aux gouvernements dont elles émanent ou qui les financent majoritairement ? Ou bien appartiennent-elles aux pays en développement qui devraient bénéficier de politiques de développement ? Cette question n’est pas inintéressante. Elle se pose souvent pour les institutions bilatérales, mais jamais au bénéfice des états en développement. Dans le cas de l’Agence Française de Développement, seule la logique de l’état actionnaire s’oppose à la nécessité du minimum de fonds propres nécessaire à l’exercice de l’activité d’établissement de crédit.

La responsabilité des institutions financières internationales ou bilatérales est donc double dans l’échec des politiques de développement. Elles sont non seulement les responsables des politiques de développement menées au cours de ses soixante dernières années, mais elles fonctionnent en plus grâce aux intérêts ou aux marges qu’elles ponctionnent sur les politiques de développement qu’elles devraient conduire.

Un autre système de développement aurait dû être mis en place. Ces institutions devraient être contrôlées par les états en développement qu’elles doivent aider. Les responsables de ces institutions, les acteurs de ce développement devraient provenir de ces pays en développement, et non pas être composé uniquement d’expatriés grassement rémunérés (ces établissements n’embauchant localement pratiquement que des chauffeurs, des gardiens et des jardiniers, à des conditions financières sans rapport avec les salaires qu’ils versent à leurs consultants ou leurs cadres expatriés).

En dernier lieu, ces institutions sont également responsables de l’absence de réflexion sur les causes et les origines des échecs des tentatives de développement. Et ce ne sont pas les objectifs du millénaire présentés par la communauté internationale qui permettront de sortir les continents africain et sud-américain du sous-développement chronique.

Ce sont les pays en développement qui doivent contrôler ces institutions internationales et qui doivent en devenir les acteurs. Et il faut cesser de faire croire que seuls des européens peuvent diriger les établissements de crédit africains ou panafricains. Des échecs, de la corruption, il y a en forcément eu, que ce soit en Afrique ou en Europe. Et ce n’est pas parce qu’il y a eu des détournements de fonds dans des entreprises européennes que l’on ne fait plus appel à des dirigeants européens pour les diriger.


Réflexion huit (3 octobre 2006)
Intermède


A Marius.

L’aide au développement n’est pas affaire de partis de droite ou de gauche. Quelque soit le gouvernement, il y a toujours eu financement de l’aide au développement, que ce soit sous De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterand ou Chirac. Il s’agit d’une obligation internationale, sans référence à notre passé escavagiste (ainsi la Suède qui est l’un des plus importants contributeurs de l’aide au développement). Même le Front National (s’il le souhaitait, ce que j’ignore) pourrait difficilement contester cette obligation de participation à l’aide au développement.

Après, on peut faire et dire plein de choses au nom de l’aide au développement, et au nom du développement. Vous contestez peut-être l’image que j’ai de l’Occident ou bien de l’Afrique en parlant de développement. Le développement traite des peuples et sociétés étrangères, africaines, sud-américaines, asiatiques ou océaniennes. Il nous concerne au premier chef. Et ce débat ne peut pas demeurer franco-français.

Plutôt que de parler d’arguments de gauchistes ou de droitistes, il faudrait parler de type de politique économique. D’un côté une vision libérale du développement, reposant sur les privatisations d’entreprises ou de services publics, et estimant que le libre jeu du marché (mais quid de la corruption qui fausse ces règles) est favorable au développement. De l’autre côté, une vision interventionniste (mais pourquoi pas dire communisante) qui repose notamment sur l’intervention de l’état dans l’économie, vision qui a notamment conduit au succès des quatre Dragons asiatiques (Hongkong, Singapour, Corée du Sud et Taïwan) et des cinq Tigres (Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Philippines et Bruneï) mais également à des échecs.

C’est tout cela que j’interroge. Mais je pense que la corruption est une affaire centrale dans l’optique du développement. Que de nombreux pays africains soient touchés par ce mal est un fait. La France aussi est touchée, plus peut-être que de nombreux autres pays occidentaux (et notamment les USA ou le Royaume-Uni). Il ne s’agit pas de la même corruption. Nos forces de l’ordre ne sont pratiquement pas touchées. Nul policier ou gendarme ne vous arrête en France pour vous demander un pôt de vin (drôle d’image que cette expression, qui dénote l’ancienneté et le côté franchouillard de la corruption). Mais répondez à un marché public et vous découvrirez peut-être que la corruption n’y est pas inexistante.

La corruption est une déperdition d’énergie, un biais dans le système de développement. Et elle accentue le coût de fonctionnement de l’état.

Il me semble qu’il faut bien interroger cette pratique de la corruption ? Nous avons bien inventé la République, pourquoi pas la corruption ? N’existait-elle pas déjà avec les charges vénales sous l’Ancien Régime ? La verroterie avec laquelle nous commercions avec les peuples étrangers, n’était-ce pas de la corruption (des esprits) ?


Réflexion sept (2 octobre 2006)
Quelques pistes de réflexion (suite)


2. De l’insuffisance de la seule approche financière du développement

La seule approche financière ou monétaire du développement ne sera pas suffisante. L’abondance de financements monétaires n’est pas en soi une condition nécessaire et suffisante pour permettre le décollage économique d’un pays (take off). Aussi bizarre que cela puisse paraître, l’excès de financements monétaires peut même conduire à la situation inverse. L’exemple de l’empire espagnol en est le principal exemple connu. A compter du seixième siècle, l’Espagne impériale bénéficie de l’abondance de l’or et de l’argent sud-américain, qui inondent son économie, puis se répandent dans toute l’Europe occidentale par le biais des échanges commerciaux entre états voisins ou par les guerres. Mais l’Espagne, malgré sa richesse et sa domination financière sur le reste de l’Europe, ne participera pas au décollage économique puis industriel de l’Europe (limité à la France, à l’Angleterre puis à l’Allemagne) à compter du dix-huitième siècle. L’or et l’argent sud-américain transformera l’Espagne impériale en une zone de consommation somptuaire, de produits et de denrées de luxe fabriqués dans ses pays voisins, qui bénéficieront eux par contre du développement des échanges commerciaux dû à l’or espagnol.

Mais, à l’inverse, l’Espagne, comme le Portugal ou la Grèce, est également l’exemple de la réussite d’un développement impulsé grâce à des moyens financiers exceptionnels. En effet, l’intégration de l’Espagne dans la communauté européenne à compter de 1986 a conduit à la mise en oeuvre de politiques de rattrapage par Bruxelles assorties de moyens financiers très importants, pour mettre à niveau les infrastructures publiques et les structures sociales. En deux décennies, l’Espagne qui se relevait pourtant d’une dictature militaire, a rattrapé le niveau de développement des autres grands pays européens. Mais ce rattrapage n’a été possible qu’en raison des importants moyens financiers appliqués par Bruxelles pour l’accompagner, par l’imposition par Bruxelles d’un cadre juridique, social et politique commun à tous les pays européens, avec quelques variantes, et par l’exil d’une forte proportion de la population de ces pays vers les autres pays européens (un peu ce qui se produit aujourd’hui avec les pays de l’Europe de l’Est mais les moyens financiers consavrés par l’Europe seront très inférieurs). Ce rattrapage n’a donc été possible que parce que les autres pays européens appartenant à la communauté européenne ont accepté à l’époque de participer à la prise en charge des coûts (financiers et sociaux) de ce rattrapage.

Qu’en déduire en matière de développement économique ?

1. Que l’abondance monétaire en elle-même n’est pas un critère suffisant pour mettre en oeuvre le développement économique. L’histoire récente nous en donne d’autres exemples avec les pays exportateurs de pétrole, qui, malgré l’abondance des pétrodollars dont ils bénéficient depuis le milieu de la décennie 1970, n’ont pas réussi leur décollage économique. Les plus riches de ces états sont aujourd’hui dans la situation de l’Espagne impériale.

2. Mais qu’il n’en demeure pas moins vrai que le développement nécessite malgré tout des moyens financiers extrêmement importants. L’apport essentiel de l’intégration européenne pour les pays sud-européens concerne le subventionnement des investissements en infrastructures publiques, de ces biens publics indispensables au développement d’une économie mais non rentables en eux-mêmes.

3. Que les moyens financiers dévolus au développement ne seront jamais suffisants pour impulser un véritable décollage économique pour tous les pays sous-développés ou en développement. Et qu’il faut certainement déterminer une nouvelle approche du développement qui n’ignore plus l’importance de l’aspect financier du développement et puisse s’appuyer plus précisément sur le subventionnement des infrastructures publiques, la lutte contre la corruption et une conception moderne du développement entre centres et périphéries.

4. Et qu’enfin le processus de développement, même bien parti, demeure extrêmement sensible aux crises financières, comme la crise asiatique de 1997-1998 nous l’a récemment rappelé. Ce ne sera certainement pas la seule crise que traverseront les pays nouvellement industrialisés. Les crises financières permettent le plus souvent un renforcement des économies touchées (cas de la récession japonnaise des années 1990), mais certaines peuvent aussi détruire.

Réflexion six (1er octobre 2006)
Quelques pistes de réflexion


L’économie du développement partait du principe qu’il était possible de faire l’impasse sur tous les fausses pistes accumulées par les économies occidentales au cours des deux siècles de leur marche vers l’industrialisation puis la tertiarisation, en essayant de copier directement les inventions les plus récentes. Mais ces fausses pistes, ces diverses générations industrielles, ces crises financières et bancaires, l’hyper-inflation des années 1930 ont-elles été des aberrations, ou bien ont-elles été indispensables à la maturation du système capitaliste occidental ?

1. De l’aspect financier du développement

L’aspect financier me semble l’aspect le plus intéressant ignoré par la théorie du développement. Les économies occidentales (européennes ou américaines) ont subi au cours du dix-neuvième puis du début du vingtième siècle de très nombreuses crises financières et bancaires, qui s’accompagnaient d’expansions puis de restrictions de l’activité de distribution de crédits. Sur plusieurs siècles, il y eut ainsi de très nombreuses faillites de banques. Rappelons-nous ainsi l’affaire de la Compagnie des Indes de John Law au début du dix-huitième siècle ou l’affaire des assignats à l’époque de la Révolution Française. Des fortunes se construisaient et disparaissaient à ces occasions. Le développement capitaliste de l’Occident s’est ainsi construit sur une durée de temps immense en regard des tentatives de développement actuelles, dans un environnement financier totalement différent, permettant l’apurement régulier des dettes antérieures, qui étaient le plus souvent consenties de manière interne à chaque économie. L’économie du développement s’est par contre greffée sur une politique monétaire mondiale monétariste, reposant depuis le milieu des années 1970 sur le contrôle de l’inflation. Les états en développement se trouvaient ainsi perclus de dettes exprimées en devises fortes (francs, dollars ... euros), intangibles, vis-à-vis de créanciers internationaux ; dettes dont le poids devenait de plus en plus élevé en proportion des richesses produites. L’économie du développement estime ainsi que la stabilité monétaire est un élément fondamental pour le développement économique d’un pays, notamment pour permettre une confiance dans la monnaie et les opérations de crédit, et l’apparition d’une classe moyenne. Mais la stabilité monétaire est d’abord dans l’intérêt des débiteurs, donc ici dans l’intérêt des organisations internationales prêteuses.

Le monétarisme ne serait-il pas, d’une certaine façon, à l’origine de l’échec du développement d’une bonne partie des pays d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique du Sud ? Ce qui pourrait être bon pour des économies développées ainsi que pour la stabilité du système financier international (en fait pour l’ensemble des prêteurs de liquidités) ne pourrait-il pas être en fait mauvais pour les pays en développement, c’est-à-dire pour l’ensemble des emprunteurs en liquidité ? La monnaie n’est peut-être pas uniquement un artifice voilant la réalité, sans autre influence que cette possibilité de déformer les anticipations rationnelles des acteurs économiques ? La monnaie (et ses fluctuations de grande ampleur qui ont été observées) ne pourrait-elle être à l’origine du développement de l’Occident ? Et ne serait-ce pas cet aspect qui aurait été oublié dans la réflexion sur l’économie du développement ?

Evidemment, on se trouve ici dans le principal conflit d’intérêt interne au développement. La Banque Mondiale, le FMI, l’AFD, comme les autres prêteurs internationaux, ne peuvent remettre en cause ce fondement du développement, eux qui vivent des intérêts versés par les pays emprunteurs et de l’aide publique au développement (sur laquelle ils prélèvent leur marge). Le développement tel que le conçoit l’AFD, la Banque Mondiale et le FMI repose sur l’octroi de prêts à des taux peut-être préférentiels, mais finançant des projets d’investissement, non développés sur place, avec une ingénieurie expatriée. C’est aussi des salaires élevés payés à des expatriés présents pour quelques années dans le meilleur des cas. L’intérêt de ces bailleurs de fonds internationaux n’est pas vraiment le développement des pays où ils interviennent. Leur intérêt est surtout le maintien de l’aide au développement et d’une demande d’aide au développement.

L’annulation des dettes ne devrait pas être le constat d’un échec d’un pays donné, une sorte d’aumône de la communauté internationale, mais un mécanisme automatique de diminution du poids de la dette de tous les pays en développement, l’équivalent d’une forte inflation. Evidemment, certains esprits chagrins feront remarquer que par inflation élevé, les taux d’intérêt seraient beaucoup plus élevés. Mais un simple calcul d’actualisation permet de rappeler qu’un différentiel d’intérêt d’à peine un point est plus difficile à supporter par inflation faible (2%) qu’un différentiel important par inflation forte voire galopante.

Mais reconnaître cette nécessité reviendrait à admettre l’absence de rentabilité de la gestion de l’aide au développement par les institutions internationales, la faillite des politiques qu’elles impulsent depuis des décennies, et leurs responsabilité dans l’échec du développement des pays pauvres d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique du Sud.

La monnaie ne serait donc pas ce transmetteur sans aucune influence comme aime le présenter la théorie monétariste, mais pourrait être un mécanisme fondamental dans le schéma du développement économique.


Réflexion cinq (29 septembre 2006)
Les échecs techniques du développement


3. Le maintien de la pauvreté

Soixante ans après la mise en oeuvre des premières politiques de développement pour les pays pauvres et pour les pays décolonisés, il faut accepter de reconnaître leurs échecs dans de très nombreux pays en développement ou sous-développés, où la population demeure aujourd’hui à une très forte proportion dans une très grande misère, avec des revenus de quelques euros par jour pour faire vivre des familles entières.

Evidemment, certains optimistes feront remarquer qu’il existe quelques pays dans le monde qui ont réussi leur rattrapage économique des pays occidentaux. Le premier état non européen ayant réussi son décollage économique a été le Japon sous l’ère Meijin, au dix-neuvième siècle (on ne peut plus dire au siècle précédent), grâce à une politique de fermeture de ces frontières). La Russie (ou URSS) a également réussi à rattraper économiquement les pays occidentaux au cours de la première moitié du vingtième siècle, grâce à sa politique de planification communiste. A la fin du vingtième siècle, on peut également considérer qu’un certain nombre d’états asiatiques étaient en cours de rattrapage de l’Occident, même si leur décollage est fragile comme la crise financière asiatique de 1998 nous le rappelle. La Chine et l’Inde sont aussi en passe de réussir à rattraper le développement économique de l’Occident, de même que le Brésil. Tous ces états appliquent plutôt un contrôle dirigiste de leur développement, mais sont par contre très ouverts sur le commerce international. La Chine, l’Inde et le Brésil bénéficient également de leur taille et de l’importance de leur population. A part cette partie de l’Asie (et le Brésil), il y a peu d’autres exemples de développement réussis.

Les pays d’Europe de l’Est anciennement communistes réussissent également à se développer, mais selon un cursus différent. Ils bénéficient essentiellement de leur intégration dans l’Union Européenne, comme cela s’était passé précédemment pour le Portugal, l’Espagne et la Grèce. A part ces pays, on peut estimer que l’Ile Maurice est aussi sur la voie du développement, même si ce mouvement demeure fragile et que les revenus de la population demeurent majoritairement faibles, très inférieurs aux moyennes occidentales (un peu comme en Thaïlande, en Inde ou en Chine). L’absence de richesses naturelles dans cette île et sa dépendance à quelques industries (comme le textile) peuvent cependant bloquer son développement économique dans les prochaines années.

Lorsque l’on sait par ailleurs que ces exemples réussis de développement économique ne s’expliquent pas souvent par les politiques de développement des pays occidentaux, et en aucun cas par celle de la France, cela devrait normalement nous faire nous interroger sur le bien-fondé des politiques de développement menées ces dernières décennies et sur les modalités et les outils de développement utilisés.

Mais y a-t-il une réflexion menée en France sur le concept de développement et sur les politiques. Bien sûr, il y a des économistes et des économistes en chef à l’Agence Française de Développement. Il y a Jean-Michel Sévérino (et sa clique) qui arpente les congrès internationaux (pour son image personnelle) ? Mais de réflexions réelles sur l’utilité des politiques actuellement menées, et sur les responsabilités de l’Occident dans ce fiasco qu’est devenue l’aide au développement et le concept de développement économique ?


Réflexion quatre (27 septembre 2006)
Les échecs techniques du développement


2. La progression de la corruption

A mon avis, l’un des principaux échecs des politiques de développement menées par les pays occidentaux dans les pays en développement concerne la corruption. La majeure partie des états sous-développés ou en développement sont touchés par le problème de la corruption, du plus petit fonctionnaire jusqu’aux plus hautes autorités de l’état. En voyage à Madagascar il y a plusieurs années, j’ai observé que les conducteurs de taxi brousse présentaient aux gendarmes les papiers du véhicule avec des billets de banque au milieu. Les forces de police, l’armée, sont notamment souvent corrompues. C’était aussi le cas il y a trente ans au Sénégal, et c’est toujours le cas.

L’aide au développement n’est bien sûr pas responsable de cette corruption des forces armées et de police. Il ne faut cependant pas oublier que de nombreux coups d’état militaires ont eu pour origine, notamment en Afrique, l’absence de paiement des soldes des militaires. Il n’y est pas rare non plus que les militaires se payent en rançonnant la population civile.

Mais l’aide au développement est à l’origine des détournements de fonds des plus hauts dirigeants de nombreux états africains mais aussi sud américains (Madagascar, Centrafrique... Chili, Haïti). La conjonction de la présence de telles mannes de devises, l’absence ou la difficulté des contrôles, l’intérêt et la concurrence entre les organismes prêteurs, rendait la corruption obligatoire des plus hautes sphères du pouvoir. Et la généralisation de ces pratiques de corruption à tous les rouages de l’état est mécanique. L’aveuglement des organismes prêteurs internationaux sur ces pratiques, à moins qu’il ne faille parler de complicité, est bien la cause première de cette corruption. Après tout, les établissements prêteurs internationaux seront remboursés par les états emprunteurs de la totalité des fonds avancés, quelqu’en soit la proportion réellement affectée au développement, et celle détournée à l’usage personnel d’une clique de profiteurs.

Une deuxième explication pourrait faire remonter cette corruption à une contamination des états en développement par les pratiques des pays occidentaux. La France est en effet bien mal placée pour donner des leçons aux autres pays en matière de corruption, comme beaucoup d’autres pays occidentaux (ainsi le cas de l’Allemagne où la corruption touche ainsi les services achats de grands constructeurs automobiles tel Volkswagen). Il ne faut pas oublier les différents procès des années 1990-2000 en France ayant concerné la corruption d’élus locaux pour l’attribution de marchés publics. Il ne faut pas oublier les affaires judiciaires, parfois toujours en cours d’instruction, concernant les Frégates à Taïwan ou Elf Aquitaine. Il ne faut pas oublier les présomptions de corruption de la fonction publique territoriale concernant toujours l’attribution de marchés publics aux entreprises privées, parallèlement à celles de certains élus locaux.

Les états occidentaux ne pourraient-ils pas être à l’origine de la corruption touchant les pays en développement ? Ces pratiques auraient simplement été exportées ; il est tellement plus simple de contrôler une personne corrompue qu’une personne intègre !

Pour en revenir à l’Agence Française de Développement, comment expliquer son manque d’empressement à combattre la corruption, si on se réfère aux dires de son économiste en chef (Pierre Jacquet), pour lequel la lutte contre la corruption "ne constitue pas une stratégie de développement". C’est oublier l’appel lancé le 18 septembre 2006 à Singapour par le secrétaire général de l’OCDE (Angel Gurria), qui exhorte les organisations internationales à s’unir contre la corruption et de promouvoir la primauté du droit. C’est oublier la politique désormais menée par la Banque Mondiale sous l’impulsion de Paul Wolfowitz.

Selon l’Agence Française de Développement, lutter contre la corruption ne serait donc pas une bonne stratégie de développement, mais utiliser l’aide publique au développement française pour apurer les impayés et les annulations de dettes en serait une ?


Réflexion trois (27 septembre 2006)
Les échecs techniques du développement


1. La montée du poids de la dette

Le concept du développement est devenu inséparable du problème de la montée du poids de la dette extérieure des pays en développement. Au cours de la décennie 1990, de nombreux pays en développement d’Afrique et d’Amérique du Sud sont tombés en cessation de paiement, incapables de faire face aux remboursements en intérêt et en capital de leur dette extérieure. Ces emprunts internationaux avaient été contractés auprès des principales institutions financières multilatérales (FMI, Banque Mondiale, BEI, ...), des agences de développement occidentales (AFD, KFW, USAID, DID ...) et auprès des grands établissements bancaires occidentaux, pour financer soit de grands projets d’équipement, soit les dépenses courantes de fonctionnement de ces états.

 

Ces emprunts internationaux devaient être remboursés grâce aux entrées de devises liées aux exportations de matières premières ou de produits agricoles par les pays en développement. Mais les prix de base de ces produits non transformés ont fortement varié au cours des années, et ils se sont notamment écroulés certaines années, ruinant ces pays ainsi que ses personnes exploitant et vivant de ces productions (notamment en matière agricole).

Au cours des années 1990 et 2000, le concept du développement a ainsi fait place à la régulation des difficultés de paiement des pays en développement, aux programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI et à des procédures d’annulations de dettes ou de substitution d’emprunteurs (club de Paris). Les conséquences sociales des programmes d’ajustement structurel du FMI ont ainsi été catastrophiques dans de nombreux pays en développement, en raison des coupes budgétaires imposées par les experts du FMI dans les programmes d’aide et d’assistance en direction des personnes les plus pauvres.

Est-il aujourd’hui exagéré de penser qu’il n’y a plus d’objectifs de développement pour une bonne partie des pays en développement ou des pays sous-développés, et que l’ensemble des politiques de développement menées par les états occidentaux ne visent plus qu’à régler les problèmes de surendettement de leurs emprunteurs publics étrangers et à financer les exportations de leurs firmes nationales ?


Réflexion deux (25 septembre 2006)
Du développement


«Bien qu’une bonne partie du monde semble aspirer au développement, le terme lui même est critiqué par certains qui le considèrent trop centré sur les sociétés occidentales. Il impliquerait une direction et un mouvement que ces pays doivent suivre, elle impliquerait une infériorité des pays en développement.»
(source Wikipédia)


Qu’est-ce donc que le développement ? Ce mot a de nombreux sens, certains concernant même l’évolution de l’enfant humain du stade foetal au stade adulte (ontogénèse). Mais je me limiterais ici à l’acceptation économique de ce mot. Le concept de développement en économie est d’abord une notion moderne, qui repose sur l’hypothèse de l’existence de plusieurs groupes de pays dans le monde, certains étant considérés (ou présentés) comme des modèles économiques, d’autres étant considérés comme étant en retard en terme économique. Les uns, les pays occidentaux, étant appelés les pays développés ou industrialisés, et les autres, les pays du Tiers Monde, étant nommés soit pays en voie de développement (ou pays en développement ou pays émergents) soit pays sous développés.

Le concept de développement traduit ainsi ce phénomène de rattrapage en terme économique mais également humain, c’est-à-dire en terme d’industrialisation, de niveau de vie et aujourd’hui en terme de qualité de vie et d’accès aux biens publics que sont la santé, l’eau potable, l’électricité voire les infrastructures publiques. Voilà ce que recouvre le vocable de développement. Les pays aujourd’hui dits développés étaient il y a deux siècles à un stade non industrialisé, et ils ont enregistré au cours du dix-neuvième siècle et du vingtième siècle un processus de développement économique, technique, démographique, social et structurel.

Le développement devait ainsi être un processus itératif vertueux, permettant aux pays restants du monde de rattraper de manière accélérée le niveau d’industrialisation et de vie des pays dits développés. Cette pensée économique a été mise en application essentiellement à partir des grands mouvements de décolonisation en Afrique et en Asie dès la fin de la seconde guerre mondiale, même si elle a pris initialement sa source dans la pensée de Karl Marx, et qu’elle a longtemps reposé notamment sur la vulgate marxiste.

Pourtant aujourd’hui, avec la disparition de l’Union Soviétique et avec la généralisation du modèle libéral, le développement n’a pratiquement plus rien à voir avec le marxisme, et ne résonne plus que des concepts de marchés, de libéralisme et de privatisations.

Le développement devait être un processus accéléré, car il n’était pas envisagé par les penseurs en économie que les pays en retard de développement mettent deux siècles pour rattraper le niveau actuel des pays occidentaux (sinon le rattrapage n’aurait jamais lieu à moins que les pays occidentaux cessent d’évoluer). En investissant dans les techniques industrielles les plus modernes, les pays en développement étaient censés éviter de passer par toutes les phases techniques intermédiaires par lesquelles les pays occidentaux étaient passés au cours des deux siècles précédents.

Même si on peut être réservé sur ce concept de développement et sur la notion de modèle auquel on compare les pays occidentaux, on ne peut pas nier la différence de qualité de vie existant entre ces deux grands groupes de pays, d’un côté les pays industrialisés et de l’autre les pays en développement. Même les personnes les plus critiques ne pourront nier les problèmes de migration qui se posent à l’Europe du fait de son haut niveau de vie, de ses prestations sociales généreuses et de son système de soins accessible.

Un demi siècle après les premières indépendances et la décolonisation, il faut bien reconnaître que l’économie du développement n’a pas permis de rattrapage économique pour la plupart des pays africains, mais également asiatiques ou sud-américains. Que ce soit au Mexique, au Brésil, au Sénégal, à Madagascar, en Afghanistan ou au Bangladesh, la misère est le lot de la majorité et l’émigration vers les pays riches un rêve virant souvent au cauchemar.

Et pourtant, malgré ces échecs éclatants, le développement est encore une affaire rentable pour les établissements internationaux ou nationaux qui en vivent et s’en nourissent !


Réflexion une (24 septembre 2006)
Chronique


J’aime lire Le Monde, mais je ne supporte pas les gens qui se drappent derrière leurs fonctions pour y écrire. Ainsi la chronique de Pierre Jacquet, économiste en chef à l’Agence Française de Développement dans Le Monde du 19 septembre 2006, ou parfois les articles de son patron (Jean-Michel Sévérino). Je connaissais l’histoire de l’escargot chef (tu rampes, tu baves et t’as pas de couilles, donc t’es chef), mais pas celle de l’économiste en chef.

Voilà donc un économiste chef, qui écrit une chronique dans le journal Le Monde parce que c’est bien vu de son patron, et que cela donne également une bonne image de son entreprise (l’Agence Française de Développement). Voilà également un économiste chef bien courageux qui s’attaque au patron de la Banque Mondiale, Paul Wolfowitz, en critiquant la lutte morale contre la corruption, qui selon lui, "ne constitue pas une stratégie de développement". Quel courage ! Pour effectuer une telle attaque, l’économiste chef a certainement reçu l’autorisation de son mentor et patron. Et pourtant, une telle attaque ne leur ressemble pas, eux si prévenants envers les puissants de ce monde. Ils pourraient risquer de ne plus être invités dans tous les grands meetings internationaux (sur l’eau mais aussi sur le carbone).

S’agit-il d’une inimité datant de leur passage à la Banque Mondiale ? Est-ce un coup politique, afin d’être bien vu du gouvernement français (Jean-Michel Sévérino n’étant pas étiqueté UMP) et de se racheter une conduite auprès du premier ministre, qui se rappelle certainement de Paul Wolfowitz ? En tout cas, voilà deux chefs qui ne savent écrire ni de manière intelligente, ni surtout de manière intelligible ... il y aurait en effet tant de choses intéressantes à dire sur le développement ; mais Pierre Jacquet, l’économiste chef, lui nous parle de quantification ...

La lutte contre la corruption dans les pays où elle intervient (africains essentiellement mais maintenant aussi asiatiques) n’est donc pas jugée prioritaire par l’Agence Française de Développement (dont je reparlerais plus tard) et par ses chefs ! Et pourtant, je parie que cette société, comme de nombreuses autres multinationales, impose à son personnel une charte éthique qui fourmille d’obligations et d’interdictions. N’est-ce pas contradictoire ?


Réflexion zéro

"Bien qu’une bonne partie du monde semble aspirer au développement, le terme lui même est critiqué par certains qui le considèrent trop centré sur les sociétés occidentales. Il impliquerait une direction et un mouvement que ces pays doivent suivre, elle impliquerait une infériorité des pays en développement." (source Wikipédia)

Qu’est-ce donc que le développement ? Le concept de développement en économie est d’abord une notion moderne, qui repose sur l’hypothèse de l’existence de plusieurs groupes de pays dans le monde, certains étant considérés (ou présentés) comme des modèles économiques, d’autres étant considérés comme étant en retard en terme économique. Les uns, les pays occidentaux, étant appelés les pays développés ou industrialisés, et les autres, les pays du Tiers Monde, étant nommés soit 'pays en voie de développement' (ou 'pays en développement' ou 'pays émergents') soit 'pays sous développés'.

Le concept de développement traduit ainsi ce phénomène de rattrapage en terme économique mais également humain, c’est-à-dire en terme d’industrialisation, de niveau de vie et aujourd’hui en terme de qualité de vie et d’accès aux biens publics que sont la santé, l’eau potable, l’électricité voire les infrastructures publiques. Voilà ce que recouvre le vocable de développement. Les pays aujourd’hui dits développés étaient il y a deux siècles à un stade non industrialisé, et ils ont enregistré au cours du dix-neuvième siècle et du vingtième siècle un processus de développement économique, technique, démographique, social et structurel.

Le développement devait ainsi être un processus itératif vertueux, permettant aux pays restants du monde de rattraper de manière accélérée le niveau d’industrialisation et de vie des pays dits développés. Cette pensée économique a été mise en application essentiellement à partir des grands mouvements de décolonisation en Afrique et en Asie dès la fin de la seconde guerre mondiale, même si elle a pris initialement sa source dans la pensée de Karl Marx, et qu’elle a longtemps reposé notamment sur la vulgate marxiste.

Pourtant aujourd’hui, avec la disparition de l’Union Soviétique et avec la généralisation du modèle libéral, le développement n’a pratiquement plus rien à voir avec le marxisme, et ne résonne plus que des concepts de marchés, de libéralisme et de privatisations.


Saucratès



05/12/2010
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