De la politique monétaire (7)
Réflexion quarante-trois (2 février 2010)
Le débat sur la régulation bancaire ...
Comment avance le débat sur la régulation bancaire ? Souvenons-nous, l'insuffisance de régulation bancaire est apparue comme la cause première de la crise financière qui a secoué le monde de la finance, et la planète tout court, à compter du début du mois d'août 2007. C'est l'excès d'inventivité des marchés financiers et des établissements de crédit occidentaux qui a été rendu responsable de cette crise. L'étaient-ils réellement ? Un certain nombre d'observateurs estiment que cette crise est surtout née d'un excès de crédits et de financements, dans laquelle toutes les parties ont leur responsabilité, et qui aurait de toute façon explosée à un moment ou un autre. Mais l'innovation financière dont les banques firent preuve au cours de la décennie 2000 est effectivement un élément déclencheur de la crise financière, et tout particulièrement de la diffusion à tous les établissements et à tous les compartiments de l'épargne du risque de défaut de paiement des crédits subprimes (et aujourd'hui d'autres types d'actifs potentiellement toxiques).
Il semble qu'aujourd'hui la profession bancaire se fasse à l'idée d'une plus grande régulation de son activité dans l'ensemble des états de la planète ... et que cette idée soit désormais défendue par la plupart des grands pays occidentaux, même ceux les plus attachés au libre jeu de la concurrence et aux lois du marché ...
http://www.boursorama.com/international/detail_actu_intern.phtml?num=99d0ed8ad0d4fecbb60e4c2fcea1ef17
http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_marches.phtml?num=f53d4674893915d5531552155f274b09
C'est une révolution par rapport au début des années 2000, où les grandes banques internationales étaient devenues tellement puissantes et rentables qu'elles influençaient désormais les réglementations prudentielles et les régulateurs pour en réduire le coût et les contraintes (ainsi la réglementation de Bâle 2 dite Mac Donough).
Mais il faut remonter dans l'histoire pour se faire une bonne idée du problème de la régulation bancaire. Ainsi, le principe d'une régulation bancaire est extrêmement récent aux Etats-Unis ou en Europe. Ainsi, avant la crise financière de 1907, les Etats-Unis ne disposaient d'aucune banque centrale ; la précédente institution de ce nom ayant fait faillite au milieu du dix-neuvième siècle. Les banques américaines étaient ainsi totalement autonomes ; seule la loi du marché (la confiance de leurs déposants qui leur déposaient leur or et utilisaient leurs billets de banque) présidait au fonctionnement du marché financier. Ce n'est donc qu'après la grave crise financière de 1907 que les Etats-Unis d'Amérique créent le système des Réserves fédérales américaines, qui existe encore aujourd'hui.
La France et l'Angleterre avaient mis en place par contre de manière un peu plus ancienne un système de banque centrale, à partir du début du dix-neuvième siècle (soit à la même époque que la première banque centrale américaine - 1801 pour la Banque de France, décision de Napoléon Bonaparte). Mais ces banques centrales ne sont que les 'primus inter pares', le 'premier parmi ses pairs' (celui que l'on qualifie ainsi occupe un rang plus honorable mais n'a aucun pouvoir sur les autres) ... Ce sont des banques privées pratiquement comme les autres, dont le capital appartenait à des riches commerçants ou à de grandes fortunes (on parlait des cent familles qui contrôlaient la Banque de France jusqu'à l'époque de la seconde guerre mondiale), et qui faisaient les mêmes opérations commerciales et de financements que leurs autres consoeurs nationales. Seules différences ; des modes de désignation de leurs dirigeants parfois particuliers, sur désignation du gouvernement, la gestion des réserves en or de la Nation, et la gestion des réserves des autres banques commerciales du pays, qui se voyaient parfois imposer de disposer de réserves entreposées à la banque centrale.
Mais en France, comme aux Etats-Unis, comme vraisemblablement dans la majorité des autres pays dans le monde, il n'existait à cette époque aucune législation bancaire à strictement parler. L'activité bancaire était ouverte à toute personne désireuse d'exercer ce métier, dès lors qu'elle était susceptible de bénéficier de la confiance de quelques épargnants. N'importe qui pouvait s'installait comme banquier au coin de la rue. Il faudra attendre la crise des années 1930, et surtout la seconde guerre mondiale, pour que l'idée d'une législation bancaire, c'est-à-dire l'encadrement de l'activité bancaire, apparaisse nécessaire. En France, la première loi bancaire sera promulguée sous le régime de Vichy, en 1941 (on parle de la loi bancaire de 1941 - loi du 13 juin 1941), pour protéger le système bancaire français des appétîts de l'envahisseur nazi (qui crée à Paris un office de surveillance des banques dans le territoire français occupé). Les débuts de la régulation bancaire en France date ainsi du régime de Vichy. Pour mémoire, dans les années 1930, le Front populaire avait échoué à réformer le système financier français et avait été 'planté' par des manoeuvres financières des cent familles contrôlant la Banque de France.
La libération de la France conduira à l'adoption dès 1945 d'une nouvelle loi bancaire (la seconde) modifiant la régulation des banques. Cette précipitation s'expliquait par l'urgence d'éliminer toute trace du régime de Vichy et de ses lois, même si la loi bancaire de 1941 ne me semble pas avoir été une mauvaise loi (le souci d'éliminer toute trace de la législation de Vichy conduit même à ne plus parler de cette loi bancaire et à commencer la numération à compter de la loi bancaire de 1945 qui devient la première loi bancaire). La libération française voit aussi la mise en oeuvre d'une politique de nationalisation de la plus grande partie des grandes banques (à l'exception des banques d'affaires et des maisons de haute banque sur décision du général de Gaulle) et notamment de la Banque de France, et l'expropriation des détenteurs de leur capital. La Banque de France cesse ainsi d'être une 'primus inter pares' pour devenir une banque centrale telle qu'on les voit aujourd'hui. De même, l'activité bancaire devient réglementée et il n'est plus possible pour n'importe qui d'ouvrir une banque.
Il faudra attendre 1984 pour que soit mise en oeuvre une seconde loi bancaire (la troisième dans les faits). La loi bancaire de 1945 présentait en effet des insuffisances, liées notamment à la segmentation de l'activité bancaire entre plusieurs types d'établissements (banques de dépôts, banques d'affaires et banques de crédit à moyen et long terme - distinction que l'on retrouve également aux Etats-Unis jusqu'à une date récente, et qui avait pour intérêt de séparer les divers métiers de banque), l'exclusion des banques mutualistes du champ de la loi bancaire, ce qui ne leur imposait pas de fait les mêmes contraintes réglementaires et prudentielles, et à la modification du système financier français depuis 1945, liée d'abord au processus de fusion entre les établissements bancaires, même nationalisés, puis à la loi de nationalisation du 13 février 1982, qui décide de la nationalisation de pratiquement tout le système bancaire français d'une quelconque importance. La loi bancaire de 1984 se voudra beaucoup plus contraignante que la précédente loi bancaire de 1945, en intégrant désormais dans la réglementation bancaire et prudentielle l'ensemble des établissements de crédit, quelque soit leur statut, en banalisant leur activité, et en instituant des seuils en capital particulièrement élevés.
Le processus de régulation bancaire se lit également à travers les politiques de crédit et leur évolution mise en oeuvre au cours des décennies. Jusque dans les années 1970-1980, la politique monétaire conduite par la France, mais également de nombreux autres états, repose sur l'encadrement du crédit par le système des réserves obligatoires. Dans le but de lutter contre l'inflation lorsqu'elle devient un problème (notamment dans les années 1970), la Banque de France encadre la progression des financements bancaires consentis par les banques, en pénalisant les banques dont les encours progressent trop rapidement, en les forçant notamment à maintenir des réserves supplémentaires. L'encadrement du crédit sera supprimé au cours des années 1986-1990 pour être remplacé par une politique d'open-market, c'est-à-dire la possibilité pour les banques centrales d'influer sur le taux de refinancement des banques pour influer sur la distribution du crédit et sur l'inflation. Et c'est toujours ce système de refinancement qui est aujourd'hui utilisé dans le monde entier par les banques centrales, et qui au fond, a fonctionné convenablement au cours de la crise financière 2007-2009, malgré les tensions enregistrées sur les marchés financiers internationaux liées à la disparition de la liquidité, mais qui a pu être compensée par les banques centrales.
(A lire sur le sujet de l'histoire du système bancaire français la très bonne chronique des banques françaises de 1930 à 1990 de Jean Rivoire publiée dans le supplément au numéro 533 de la revue Banque de décembre 1992, pages 23 à 44)
Réflexion quarante-deux (25 octobre 2009)
Le débat sur les fonds propres des banques et sur les mesures à prendre suite à la crise financière ...
L'histoire des prochaines années nous dira si les banques internationales dont la fragilité a été mise en exergue au cours de la crise financière des années 2007-2009 seront effectivement obligées de renforcer significativement leurs fonds propres afin de faire peser moins de risques (systémiques) au système financier international. A ce sujet, il est intéressant de lire un article publié dans les Echos du jeudi 22 octobre 2009 sur le débat sur les fonds propres des banques, même si cet article, d'un journal notoirement d'obédience libérale, ne fait que reprendre l'argumentation développée par les banques elles-mêmes opposées au renforcement de leurs obligations en fonds propres.
http://www.lesechos.fr/info/finance/020181915183-banques-le-syndrome-de-la-ceinture-et-des-bretelles.htm
Il ne faut pas oublier que les arguments de ces dernières avaient été totalement pris en compte avant cette crise financière par la principale autorité prudentielle internationale, le comité de Bâle, pour donner naissance à la nouvelle réglementation prudentielle sur les fonds propres, dite ratio Mac Donough (du nom de son président).
Il sera difficile de maintenir inchangée la réglementation prudentielle s'imposant aux banques internationales à la suite de cette crise financière, alors que l'échec de cette réglementation apparaît aujourd'hui patente et que l'objectif d'allègement des obligations en fonds propres pour les banques n'est plus l'objectif actuel des acteurs publics de la supervision bancaire.
Cette crise financière aura marqué l'échec de nombres d'instances supranationales informelles, que ce soit le Comité de Bâle en matière de réglementation prudentielle, l'IASB (International Accounting Standards Board ou Bureau des standards comptables internationaux) en matière d'élaboration de règles comptables dites normes IAS IFRS, qui s'étaient érigées en temples internationaux du libéralisme et de l'auto-réglementation des marchés. Cette crise aura aussi surtout marqué l'échec des politiques de libéralisation de l'organisation des marchés financiers internationaux, et de l'abolition des diverses réglementations qui les encadraient dans les années 1970.
Mais il est beaucoup trop tôt aujourd'hui pour croire que les politiques de libéralisation seront désormais arrêtées, et que les états seront désormais capables de réintroduire des réglementations contraignantes pour les établissements financiers. En fait, plus les mois passent, plus la crise financière semble s'éloigner, et plus la probabilité qu'il puisse y avoir une politique internationale contraignante en matière de réglementation financière prise s'éloigne ...
L'une des précédentes réglementations contraignantes existantes jusqu'aux années 1970 concernait la segmentation de l'activité bancaire en compartiments étanches aux Etats-Unis, afin de limiter les risques de survenue de crises bancaires systémiques comme au cours de la grande dépression des années 1930. Cette réglementation partait du principe qu'en limitant la taille des établissements bancaires et financiers, et en limitant les activités financières qu'ils pouvaient mener, on éviterait la probabilité que la faillite d'un seul établissement entraîne une crise systémique. La crise financière actuelle a clairement prouvé que ce mécanisme était parfaitement censé, et que les risques de survenue d'une crise systémique auraient été beaucoup plus faibles si les principaux établissements financiers américains en cause dans cette crise avaient été de taille plus réduite.
De là à proposer de démanteler les plus grands établissements financiers au niveau international afin de diminuer les risques de crise systémique, cette idée gagne peu à peu quelques partisans, comme par exemple le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mervyn King.
http://www.lesechos.fr/info/analyses/020184400130-les-pieds-dans-le-plat.htm
Cette idée se situe en tout cas aux antipodes de la politique menée par les principaux établissements bancaires français, européens ou occidentaux au cours des dernières décennies, où la course au gigantisme a constitué la principale préoccupation de la majeure partie des dirigeants d'établissements bancaires. Des établissements bancaires de taille plus réduite feraient forcément peser moins de risques systémiques sur le système financier mondial et sur l'économie entière, et le démantèlement des plus grands établissements financiers mondiaux, européens, américains, japonais mais également chinois, seraient l'une des solutions les plus simples à mettre en oeuvre, en définissant une taille maximale pour un établissement financier.
Mais cette solution présente plusieurs difficultés. Premièrement, ce n'est clairement pas la solution retenue ni par la France, où l'état a participé et encouragé la fusion des caisses d'épargne et des banques populaires, sous son égide, ni par les Etats-Unis, où des banques ont été appelées au secours pour reprendre les établissements en difficulté ou en faillite. Deuxièmement, si la solution de la fusion entre établissements en difficulté est souvent retenue pour faire face à de telles difficultés, la scission d'établissements en difficulté n'est jamais envisagée, à moins que cette scission soit imposée en échange de l'attribution de fonds propres publics. Troisièmement, des établissements bancaires de plus petite taille auront plus de difficulté à financer l'activité économique, et tout particulièrement les plus grands groupes industriels ou commerciaux, voire même les dettes publiques des états. Cet argument plaidera très vraisemblablement contre une telle mesure, à l'heure où la relance économique repose essentiellement sur la reprise des financements bancaires à l'économie et aux emprunteurs. Enfin, cette mesure de démantèlement ne sera pas seulement à l'inverse de la politique de fusion des dernières années, mais plus largement de l'histoire de la Finance mondiale au cours des cinquante dernières années.
Réflexion quarante-et-une (24 octobre 2009)
Le débat sur les fonds propres des banques et sur leur régime d'imposition ...
Il s'agit de deux sujets de débats relativement proches, et en même temps extrêmement importants en regard des difficultés observées par ce secteur d'activité pendant la crise financière rencontrée entre 2007 et 2009. Le débat sur l'imposition des banques a ainsi conduit (une partie) des députés à voter une majoration de 10% de l'impôt sur les bénéfices des banques françaises, en compensation du rôle d'assureur en dernier ressort (invention de cette crise en référence au rôle de prêteur en dernier ressort dévolu aux banques centrales) conduit par l'Etat français pendant cette crise. De la même manière, il faut également prendre en compte la taxation sur les fonds propres des banques pour financer les frais de supervision bancaire actuellement pris en charge gratuitement par la Banque de France sur la rente monétaire (Commission bancaire), et qui devrait représenter 100 millions d'euros.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/10/23/les-deputes-votent-la-taxe-sur-les-banques-contre-l-avis-du-gouvernement_1258112_3234.html#ens_id=1258130&xtor=AL-32280151
Le débat porte sur les profits insolents des banques, quelles soient françaises ou étrangères, sans que soit pris en compte les risques que leur activité fait prendre à l'économie mondiale, de même que les bénéfices qu'elles lui apportent. Car là se trouve effectivement le problème lui-même. Les banques sont sources de risques mais également un maillon essentiel de l'écvonomie, car sur elles seulement reposent aussi la relance de l'économie mondiale. Des profits insolents, les pétroliers en réalisent également, de même que de nombreux groupes industriels ou commerciaux. Mais lorsque ces mêmes groupes affichent des pertes, la planète Finance s'écroule immédiatement.
Le débat sur la fiscalité devrait ainsi viser autant le niveau d'imposition sur les bénéfices de l'ensemble des entreprises que la nécessité d'un supplément d'imposition pour certaines activités dangereuses ou à risques, comme le secteur bancaire, le secteur des activités pétrolières ou polluantes ou génératrices de réchauffement climatique.
Le deuxième sujet de débat porte sur le niveau des fonds propres dont les banques devraient disposer. Il ne s'agit pas d'un sujet abscon ou sans intérêt. Depuis quelques décennies, il a été considéré que l'activité bancaire nécessitait un certain niveau de fonds propres minimum pour que les établissements bancaires puissent faire face à leurs obligations de rembourser les déposants. L'idée était que n'importe qui ne devait pas pouvoir s'installer comme banquier au coin d'une rue. L'activité bancaire est l'une des rares activités où des millions d'euros de capital sont nécessaires pour pouvoir créer une banque ou une société de crédit. De nombreuses crises ont notamment été observées aux Etats-Unis au dix-neuvième siècle lorsque n'importe qui pouvait s'installer comme banquier et recevoir des fonds des déposants.
Mais l'inverse n'est pas suffisant. Le simple fait de disposer d'un capital de plusieurs millions d'euros ne protège pas forcément du risque de faillite. Dans les années 1980, la supervision bancaire est ainsi passée d'une simple norme de capital social minimum, commune à tous les établissements, à des exigences de fonds propres fonction de l'activité des établissements de crédit, encadrées par un certain nombre de ratios de fonds propres, que ce soit en matière de division des risques ou en matière de solvabilité (le ratio Cooke mis en oeuvre par le comité de Bâle puis le ratio Mac Donough).
Le ratio Cooke, mis en oeuvre dans les années 1990, avait imposé un renforcement important des fonds propres des banques, que celles-ci ont longtemps contesté. Le ratio Mac Donough, très récemment entré en application, a eu l'objectif inverse ... diminuer les obligations de constitution de fonds propres des banques ... sous couvert de prendre en compte toute une série de risques nouveaux courus par les établissements bancaires.
Après cette crise systémique d'origine financière, où la fragilité des plus grands établissements bancaires mondiaux a été mis en exergue, il est évident, malgré tout le lobbying et la diplomatie dont pourront user les plus grands établissements bancaires français ou mondiaux, que seuls des fonds propres extrêment importants pourront protéger les différentes économies nationales d'une crise systémique financière et bancaire, et d'une prise de risques financiers en adéquation avec ces mêmes fonds propres. La crise financière actuelle est née d'une distortion entre les risques pris, les engagements donnés, et les garanties existantes.
La leçon qui devra être tirée de cette crise prendra la forme d'un renforcement des fonds propres des banques, d'un renforcement également du contrôle prudentiel international auquel les plus grands établissements bancaires mondiaux devront être confrontés, d'une réforme de l'information financière que ces établissements devront donner sur leur activité et surtout sur les risques financiers qu'ils prennent, et enfin d'une réforme de leur rgime d'imposition et de celui de leurs dirigeants et de leurs traders, afin que la prise de risque maximum ne soit plus leur unique mantra ...
Réflexion quarante (24 septembre 2009)
Quelle influence possible de la politique monétaire sur l'activité économique réelle ?
Il s'agit d'une question rarement abordée ; l'influence de la politique monétaire sur l'activité économique réelle ?... Et c'est une question que je n'ai pour l'instant jamais véritablement abordée dans mes réflexions sur la politique monétaire. Il s'agit pourtant d'un sujet fondamental en économie, et d'un sujet surtout extrêmement controversé, entre économistes classiques, néoclassiques, monétaristes, keynésiens et néo-keynésiens, entre autres ... et aussi d'un sujet peu à peu occulté au cours des dernières décennies.
Au cours des trente ou quarante dernières années, la victoire absolue de la doctrine monétariste et son adoption par l'ensemble des grandes banques centrales occidentales a conduit à ce que la politique monétaire soit pensée uniquement comme la gestion de la tuyauterie d'une économie, de manière à ce que la monnaie devienne invisible, insensible et imperceptible ... L'un des objectifs d'une politique monétaire est ainsi devenu que la monnaie soit en volume juste suffisante pour permettre un bon fonctionnement des échanges au sein d'une économie, sans à coups ... D'où les objectifs quantitatifs de progression limitée des masses monétaires retenus par la majeure partie des banques centrales qui se sont succédées depuis les années 1980 ...
D'où le concept actuel de monnaie et l'image que nous en avons, celui d'un simple conduit de la politique économique, dont le volume doit être par construction illimité, dépendant essentiellement de son prix (le taux d'intérêt ...), qui varie lui-même en fonction de la conjoncture économique, de manière contracyclique ... application d'une politique monétaire expansive par les banques centrales, avec des taux d'intérêt faibles, en période de ralentissement économique ... application d'une politique monétaire restrictive, avec des taux d'intérêt élevés, en période d'emballement de la croissance économique ...
Il faut néanmoins comprendre que le caractère contracyclique de la politique monétaire n'est pas naturel. Naturellement, en période de ralentissement économique ou de récession économique, le niveau des taux d'intérêt devrait avoir tendance à croître, au fur et à mesure que l'offre de crédits (ou de monnaie) se réduit, par des banques voulant réduire leurs risques et anticipant un relèvement de leur coût de refinancement, et que la demande de crédits (ou de monnaie) venant des entreprises ou des ménages en difficulté s'accroît ... La crise financière actuelle a parfaitement décrit ce phénomène de réduction de l'offre de crédits (ou de monnaie), et mis en exergue l'importance du rôle des états appelant à relancer l'octroi de crédits et des banques centrales inondant les marchés monétaires de liquidités et de refinancement à coût pratiquement nul.
D'une certaine manière, on peut dire que l'application de politiques monétaires expansionnistes en période de ralentissement ou de récession économique n'est pas conforme à la doxa monétariste. Selon celle-ci, la politique monétaire devrait veiller à conduire des politiques monétaires neutres, avec des niveaux de taux d'intérêt neutres. Ce ne serait qu'en présence de risque d'emballement de la machinerie économique, en raison de ses risques inflationnistes que l'on pourrait appliquer une politique monétaire non neutre, de type restrictive. C'est ainsi pour cette raison, afin d'éviter une surchauffe de l'activité économique et l'application successive de politiques monétaires erratiques, que la politique monétaire se doit d'être plutôt restrictive dès lors que la croissance économique reprend ...
Ainsi, contrairement à la pensée monétariste, les banques centrales, bien qu'elles appliquent depuis les années 1980 les canons de la doctrine monétariste, notamment en matière d'évolutions de la masse monétaire et sur les anticipations inflationnistes des agents économiques, reconnaissent néanmoins un rôle moteur à la politique monétaire sur l'activité économique, et une capacité d'influence réelle sur la croissance réelle des économies (occidentales). Ce qui n'empêche pas certains économistes d'attribuer à ces politiques monétaires accommodantes mises en oeuvre lors de ces épisodes récessionnistes, les problèmes financiers qui en découlent, comme les excès d'endettement à taux bas ou les comportements financiers à risques, ces acteurs croyant être assurés d'être 'too big to fall'.
De même, ceux qui contestent la manière dont les politiques monétaires sont mis en oeuvre en Europe ou aux USA ne comprennent pas l'importance de l'apport des systèmes occidentaux de banques centrales et cette capacité de mise en oeuvre d'une politique monétaire contracyclique ... En l'absence de banques centrales comme la Réserve Fédérale Américaine ou la Banque Centrale Européenne, le marché de la monnaie fonctionnerait comme un marché normal, venant aggraver la crise économique jusqu'à un hypothétique retour à l'équilibre, quelques années plus tard (ou une décennie comme dans les années 1930 ou les années 1880). Les banques centrales ne sont pas uniquement les prêteurs en dernier ressort des systèmes financiers occidentaux, dont l'influence dans la crise financière 2007-2009 a été primordiale. Les banques centrales sont surtout capables de mener des politiques monétaires contracycliques massivement expansionnistes en période de récession économique.
Et cette obligation implique de mener des politiques monétaires moins accomodantes en période de situation économique normale, même si cela a évidemment un effet récessionniste sur l'activité économique réelle ; la croissance des économies européennes ou occidentales pourrait être forcément plus forte avec une politique monétaire accommodante. Mais dans ce cas, cela priverait les politiques monétaires de tout effet en période de ralentissement économique, et cela créerait par ailleurs des problèmes financiers encore plus importants que ceux que nous avons observé au cours des deux dernières années.
Réflexion trente-neuf (20 juillet 2009)
Se trouve-t-on, aujourd'hui, dans une situation de 'trappe à liquidité' ?
La crise financière s'est révélée il y a juste deux ans, début août 2007, lorsque les dérives des crédits mortgages subprimes américains ont frappé la finance mondiale, entraînant des difficultés pour de nombreux fonds spéculatifs mondiaux. Août 2007, c'est un début de panique sur les marchés monétaires occidentaux, avec des établissements bancaires qui ont brutalement peur de se prêter des liquidités entre eux. Le fort resserrement du crédit interbancaire, pratiquement impossible à imaginer quelques mois auparavant, impose une intervention financière massive dès le mois d'août 2007 des principales banques centrales occidentale, dans l'optique de rassurer les marchés financiers sur la capacité et la volonté des autorités monétaires d'enrayer cette crise et de sauver le système financier mondial.
Ces interventions seront nécessaires tout au long de l'année 2007, 2008 et continueront encore en ce début d'année 2009, avec des prêts de liquidité bon marché à long terme par la Banque centrale européenne pour plusieurs centaines de milliards d'euros. A compter de la fin de l'année 2008, la crise financière observée depuis août 2007 se propage réellement à la sphère réelle, et les économies occidentales rentrent en récession. La crise économique prend la suite de la crise financière. L'année 2009 devrait enregistrer une des plus fortes récessions de ces dernières décennies.
L'opinion qui commence désormais à prévaloir est que les fortes relances monétaires, mais également budgétaires, mises en oeuvre depuis le début de la crise financière, sont restées sans effet et que l'on se trouve dans la situation de 'trappe à liquidité' (ou 'trappe monétaire') étudiée en 1930 par John Maynard Keynes.
S'il est naturel de s'interroger sur cette possibilité, en rappelant notamment que selon Keynes et les keynésiens qui l'ont suivi, il existe un niveau de taux d'intérêt minimum en-deça duquel il ne faut pas descendre ; ce taux étant de 1% ... il est vraisemblablement trop tôt pour conclure sur l'existence de cette 'trappe à liquidité'. En effet, en matière de politique économique, il existe des temps de latence, de prise d'effet des mesures de relance économique, quelles soient budgétaires ou monétaires. Aucune mesure de relance économique ne peut avoir d'effet immédiat ; le passé récent suffisant à le rappeler.
Entre 1990-1992, les Etats-Unis entrent en récession. Il faudra néanmoins pratiquement deux ans pour effacer la crise, dûe une fois encore à un excès immobilier. La reprise de la croissance est déclenchée par une reprise de l'investissement logement (qui repart à la hausse dés 1992 lorsque le stock de logements invendus revient à la normale) et de l'investissement productif des entreprises (qui remonte avec le redressement de leur profitabilité). Le revenu réel (pouvoir d'achat) des ménages se redresse dès la fin de 1991, à la suite de la hausse des dépenses publiques, la baisse des impôts et après une forte baisse des taux d'intérêt induite par la politique monétaire expansionniste de la Fed. On observe donc clairement la conjugaison des effets du creusement du déficit public, du retour à la normale du stock de maisons invendues et de la profitabilité pour les entreprises, et de la baisse des taux d'intérêt, même si ce facteur semble plus progressif.
De même, la sortie de la récession de 2001-2002 aux Etats-Unis ne sera pas non plus immédiate. La reprise y est impulsée par celle de l'investissement productif des entreprises et de l'investissement en logement des ménages. Encore une fois, le retour à la normale du stock de logement invendus et de la profitabilité des entreprises jouent un rôle non négligeable. En outre, la très forte baisse des impôts sur les ménages fin 2001 et début 2002 permet une forte hausse du revenu disponible des ménages. Enfin, la très forte baisse des taux d'intérêt, liée à la politique monétaire très expansionniste de la Fed conduit à une accélération des crédits aux ménages ... et la création des conditions de l'explosion de la bulle financière suivante des crédits subprimes ... On y observe donc clairement la conjugaison des effets de la reprise de l'investissement, de l'impulsion budgétaire liée au creusement du déficit public et du soutien monétaire apporté par la baisse des taux d'intérêt.
Dans la zone euro, la sortie de la récession est beaucoup plus tardive. Elle ne se déclenche qu'en 2004, avec deux années de retard sur les Etats-Unis. La reprise économique ne se déclenche vraiment qu'en 2004, avec donc deux années de retard par rapport aux Etats-Unis. La reprise de la croissance est tirée par celle de l'investissement productif et l'investissement logement. Là aussi, une amélioration de la profitabilité favorise l'investissement. L'amélioration des revenus des ménages n'apparaît qu'en 2005, malgré la hausse des dépenses publiques et la baisse de la pression fiscale, donc le creusement du déficit public. Avec la BCE, la baisse des taux d'intérêt est nettement plus lente qu'aux Etats-Unis avec la Réserve Fédérale. Cette politique monétaire moins expansionniste et plus graduelle ne peut provoquer qu'une reprise assez tardive du crédit.
Il est donc pour l'instant beaucoup trop tôt pour conclure sur l'existence actuellement d'une situation de trappe monétaire. Il apparaît cependant clairement que la politique monétaire américaine est beaucoup plus violente et plus active que celle de son homologue européenne. C'était vrai en 2001-2002, tout comme actuellement. Mais l'histoire et la théorie keynésienne nous rappelle qu'il existe des taux directeurs minimaux en deça desquels la politique monétaire n'est plus efficace. En deça de 1% apparaissent des risques de trappe à liquidité, comme la situation du Japon dans les années 1990 nous le rappelle. En abaissant ses taux directeurs entre 0 et 0,25%, la Réserve fédérale américaine a pris le risque de tomber dans cette situation d'inefficacité de la politique monétaire pour tenter de relancer son économie. Il est trop tôt aujourd'hui pour juger de l'efficacité de ce pari.
Et en ce qui concerne l'Europe, il faut plutôt rechercher les causes de la lenteur de la reprise de la croissance économique, comme si celle-ci dépendait in fine de la relance de la croissance outre-atlantique ... sauf à envisager que ce retard régulier s'explique en fait par un mécanisme de trappe monétaire, ou par une forme de captation américaine de la capacité de relance européenne (la première zone à entrer en relance attirant les capitaux étrangers et privant les autres zones économiques des moyens financiers d'y relancer l'investissement). D'une certaine façon, une autre forme de trappe monétaire, par le biais de l'étranger. Il y a donc aujourd'hui un risque que les capacités d'investissement des entreprises européennes ne soient captées par les marchés d'Europe de l'Est ou du Sud-Est asiatique qui demeurent porteurs.
Réflexion trente-huit (16 juillet 2009)
Sur le concept de 'trappe à liquidité' (suite) ...
« Une trappe monétaire apparaît lorsque la politique monétaire est sans influence sur les variables réelles ... » (Edmond Alphandery, Analyse monétaire approfondie, 1978).
Le concept keynésien de trappe monétaire (ou trappe à liquidité) présente l'inconvénient majeur de ne plus avoir été étudié théoriquement depuis deux à trois décennies (c'est-à-dire depuis l'avènement de la théorie monétariste). L'ancienneté des modèles étudiés, de type néo-keynésien IS-LM, et surtout l'évolution du fonctionnement des marchés financiers, des placements d'épargne, des outils de politique monétaire, rendent obsolète la majeure partie des analyses théoriques sur les trappes monétaires en vogue dans les années 1960 et 1970.
Chez John Maynard Keynes et chez les théoriciens qui ont poursuivi son approche théorique, les trappes monétaires et les marchés financiers fonctionnent dans le cadre d'un marché théorique simpliste où les intervenants et les banques peuvent arbitrer entre des titres obligataires d'état et de la monnaie. De même, la banque centrale (théorique) peut intervenir soit en achetant des titres d'état sur le marché, soit en jouant sur les liquidités à disposition des banques (par le biais notamment des taux de réserves obligatoires).
Or, les années 1980 ont vu de profondes modifications du fonctionnement des marchés financiers aux Etats-Unis et en Europe, qui, par simplification, ont été décloisonnés et unifiés, dans une optique monétariste. Le décloisonnement des marchés financiers a conduit à la suppression de la majeure partie des barrières existant précédemment entre les divers compartiments des marchés de capitaux, que ce soit en terme de terme, d'échéance, de durée, de type de produits, ou en terme de type d'intervenants. L'objectif poursuivi en matière de décloisonnement des marchés consistait à créer un unique marché de capitaux, d'une durée allant de quelques minutes ou heures à plusieurs dizaines d'années, où tous les types d'intervenants pouvaient intervenir, à l'achat comme à la vente, avec un continuum de taux fonction du risque et de la durée d'immobilisation. L'unification des marchés financiers au niveau national a été complété par une unification et une homogénéisation des marchés de capitaux au niveau international, de telle sorte qu'il n'existe pas plus de barrières en terme de nationalité, et que les intervenants puissent également arbitrer entre les divers marchés de capitaux nationaux en fonction du risque et de la durée d'immobilisation (et du risque de change).
Par rapport aux années 1960 et 1970, les décennies 1980, 1990 et 2000 ont vu une profonde modification des types de politique monétaire conduit par les autorités monétaires. L'influence des réserves obligatoires sur les dépôts, devenues rémunérées, est ainsi actuellement devenue pratiquement nulle comme outil de politique monétaire. Les politiques monétaires ont ainsi pris la forme d'opérations d'open market, accompagnées de prise en pension de titres publics ainsi que de titres de créances privées (créances hypothécaires ou sur des entreprises d'excellente qualité). Les banques centrales régissent également directement le volume des liquidités disponibles sur les marchés monétaires européen, japonais ou américain, en prêtant ou en retirant directement des liquidités.
Ainsi, les simplifications introduites par les économistes keynésiens dans les années 1940 à 1970 pour déterminer l'existence et la formation des trappes monétaires ne sont plus applicables dans la situation existant actuellement sur les marchés financiers occidentaux, et les travaux théoriques récents sur ce problème manquent, en raison de l'impossibilité théorique de la survenue de ce genre d'évènements dans la théorie monétariste. Les évènements financiers actuels ainsi que la situation comparable vécue par le Japon dans les années 1990 militeraient pourtant pour le retour de ce genre de champ d'étude.
Réflexion trente-sept (15 juillet 2009)
Sur le concept de 'trappe à liquidité' ...
Il est amusant de constater que les études portant sur l'existence de trappes monétaires ou de trappes à liquidité remontent le plus souvent aux années 1960 et 1970, et qu'elles ont pratiquement disparu depuis l'avènement au firmament de la théorie économique de la théorie monétariste. Rares sont les études théoriques ayant porté au cours des dernières décennies sur ce concept de trappe à liquidité. Cela peut s'expliquer par le fait que c'est un concept keynésien qui repose sur l'idée que la monnaie est tout le contraire d'être un voile ou d'être neutre. Cette position a été clairement rejetée par le monétarisme de Milton Friedmann.
Ce qui est néanmoins amusant, c'est que c'est cette même cuisine monétariste, avec cette volonté de faire fonctionner de manière optimal les marchés financiers, pour permettre un pilotage de ceux-ci par une politique monétaire de type libéral, à l'aide d'un seul taux, qui a créé les conditions d'apparition d'un gigantesque crise financière ; crise qui va faire réapparaître ce concept de trappe à liquidité, dont la définition la plus simple consiste à dire qu'elle rend impossible tout pilotage financier et toute relance financière d'une économie dans cette situation (« une trappe monétaire apparaît lorsque la politique monétaire est sans influence sur les variables réelles », Edmond Alphandery, Analyse monétaire approfondie, 1978). D'où la théorie des grands travaux d'infrastructure comme seule possibilité de relance défendue par Keynes dans les années 1930.
La crise financière d'aujourd'hui permet donc d'étudier en cas réel l'existence de telles trappes à liquidité (ou trappes monétaires) et les possibilités de relance économique susceptibles de fonctionner. On en est clairement aujourd'hui à estimer qu'une relance monétaire est possible, et une grande partie des capacités d'emprunt des états sont utilisés dans l'espoir d'une telle relance des marchés financiers et des établissements bancaires, avec le risque qu'ils ne leur soient plus possibles ensuite de se lancer dans une politique de relance par le biais de grands travaux.
Saucratès
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