Critiques de notre temps

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Théorie économique et cyclicité

Théorie économique et cyclicité

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, lundi 1er avril 2024
 

En ce lundi soir de Pâques, en ce 1er avril 2024, je vais vous parler de théorie économique. Le principe même de la théorie en Économie, c’est de disparaître dès lors que la situation économique que l’on devrait expliquer s’avère en contradiction avec les fondements ou les prémices de la théorie que l’on défend. 

 

Tout le monde sait ainsi que la théorie keynésienne, fondée par l’économiste anglais John Maynard Keynes, est née à la suite de la Grande dépression des années 1930, et que cette théorie a été peu à peu invalidée par la fin des trente glorieuses et la montée concomitante de l’inflation et du chômage, ce que l’on a nommé la stagflation des années 1970-1980. Mais il demeure encore aujourd’hui des économistes keynésiens, ou plutôt néo-keynésiens, de la même manière qu’il demeure des économistes marxistes en Occident (voire même en Russie). Essentiellement parce que leur explication théorique de l’économie, leurs préceptes, sont compatibles avec les différentes phases que traversent les économies occidentales, voire de toutes les économies, aussi peu développées industriellement soient-elles. 

Le keynésianisme parle de la possibilité grosso-modo de réguler l’activité économique d’un État à travers la variation de la dépense publique, de l’endettement public et du taux d’intérêt. Malgré tout, cette théorie a connu une longue éclipse depuis une cinquantaine d’années du fait de la naissance de nouveaux paradigmes néolibéraux qui intéressent les puissants qui nous dirigent, les gouvernements qui décident, et les riches qui en profitent. Moins d’Etat, moins de protection des salariés, moins d’imposition des profits et des bénéfices. Ce néolibéralisme s’appuie sur les différents courants de l’économie néoclassique et monétariste. C’est plus ou moins la même théorie qui s’est appliquée tout au long du dix-neuvième siècle et qui a mené d’abord à la longue dépression des années 1870-1890, puis la Grande dépression des années 1929-1939. Opportunément, les adeptes de cette théorie se sont fait discrets au cours des années 1930, se contentant d’inventer de nouveaux concepts économiques cherchant à expliquer les insuffisances de leur modèle. Ils ont ainsi inventé les notions d’anticipations rationnelles des acteurs économiques, et que c’est à cause des interventions de l’Etat que les anticipations rationnelles des agents sont perturbées. Sans aucune intervention de l’Etat, la crise de 1929 n’aurait pas eu lieu.

 

On a bien vu plus récemment le même fonctionnement à l’œuvre, lors de la crise financière des années 2007-2009 et les mesures exceptionnelles budgétaires et monétaires nécessaires pour surmonter cette crise. Les économistes néolibéraux adeptes de l’autorégulation des marchés et de l’orthodoxie budgétaire et monétaire ont brutalement disparu des médias. Les journalistes se sont brutalement souvenus qu’il existait d’autres branches de l’économie qui pouvait expliquer la situation, comme des ecoles neo-marxistes ou Noé-keynésiennes, comme les théoriciens de la théorie de la régulation. 

Mais cela n’a évidemment pas duré. Les néolibéraux sont ressortis du bois dès lors que le pire de la crise était passé, pour appeler à nouveau à respecter les préceptes du moins d’Etat, des privatisations, de la baisse des dépenses publiques. Peu leur importe que leur théorie soit incapable d’expliquer ce qui s’est passé dans ces années 2007-2009, pour quelles raisons les marches censés être ultra efficaces, capables de s’auto réguler, ont lamentablement échoué et que seuls les préceptes de la théorie keynésienne ont à nouveau seuls été capables de sauvegarder les économies occidentales ou mondiales et permis d’éviter en pire une nouvelle Grande dépression ! Peu leur importe. Ce qui compte à leurs yeux et aux yeux des puissants, c’est que les velléités de contrôler l’économie et la richesse au niveau mondial tombent à l’eau, et que les seuls préoccupations des gouvernements soient de réduire à nouveau les aides aux plus démunis pour favoriser le retour du plein emploi !

 

En ce sens, le combat électoral aux Etats-Unis voit s’affronter deux adeptes de la même vision. Des néolibéraux démocrates contre des populistes néolibéraux conservateurs, avec comme principal argument et victimes les immigrés. Comme en France ou en Europe.

 

En matière de théorie monétaire, c’est également la même chose. La théorie monétariste, que je ne conteste pas, repose sur les mêmes préceptes que l’ancienne théorie classique selon laquelle la monnaie est un voile. Le monétarisme néoclassique a simplement innové en la combinant aux anticipations rationnelles des agents économiques, en estimant que la politique monétaire doit faire en sorte que les agents économiques pensent que les autorités monétaires feront toujours tout pour que l’inflation soit contenue à un niveau faible, quoi qu’il en coûte. Les autorités monétaires doivent être prêtes à bloquer l’économie si c’est nécessaire, afin que les agents économiques croient que l’inflation ne dépassera jamais les 2% par exemple que les Banques centrales européennes ou américaines estiment être un bon niveau d’inflation.

 

Mais les néoclassiques ne sont pas les seuls à se cacher dès lors que la situation économique ou financière leur donne tord. Il y a quelques années, on entendait parler d’une nouvelle théorie monétaire, ou théorie monetaire moderne (TMM), selon laquelle l’inflation n’était plus un problème, qu’elle était durablement faible pour des causes exogènes, et que l’on pouvait dès lors créer autant de monnaies que l’on pouvait souhaiter. Et d’une certaine façon, cette nouvelle théorie monétaire venait simplement corroborer les politiques monétaires menées par les grandes Banques centrales occidentales qui injectaient des monceaux de liquidités dans les marchés financiers ou monétaires pour relancer l’économie, politiques mises en œuvre après les années de la crise financière de 2007-2009 pour empêcher l’effondrement des économies occidentales. Mais dès lors que le déclenchement de la guerre en Ukraine et la sortie de la pandémie de coronavirus a fait s’envoler l’inflation en Occident jusqu’à atteindre des niveaux inusités entre 6 et 10%, les théoriciens de la théorie monétaire moderne ont disparu, ou alors ou plutôt, les journalistes qui leur donnaient un certain crédit se sont opportunément rappelés que cette théorie devait être farfelue. Gageons néanmoins que dans quelques années, on reverra apparaître ces mêmes adeptes ou théoriciens ou sous une forme édulcorée. 
 

https://la-chronique-agora.com/precisions-a-propos-tmm/

https://la-chronique-agora.com/sujet/theorie-monetaire-moderne/

 

Fin de ma chronique économique de ce jour. Et pas de poisson en ce premier avril 2024.

 
 

Saucratès

 

 

Post scriptum du 2 avril 2024 : Plus qu’un poisson d’avril, certaines affirmations de ce commentaire étaient peut-être excessives. Je semble en effet opposer les néo-keynésiens et les néoclassiques, en présentant les uns comme les gentils, et les autres comme les méchants.

 

Les partisans de ces deux écoles de pensée sont en fait rattachés à ce que l’on appelle parfois la ‘nouvelle politique économique’. Même s’ils défendent parfois des préceptes légèrement différents, il est néanmoins difficiles de les différencier nettement ou bien de rattacher une politique économique d’un État occidental à une école ou à une autre. Ces deux écoles ont désormais en horreur les mêmes choses : l’inflation, le déficit budgétaire, et elles cherchent toutes deux la même chose : le plein emploi par l’ouverture du marché du travail à la concurrence, comme l’écrivait l’économiste Jean-Paul Fitoussi dans Le Monde du 26 avril 2004, il y a près de vingt ans.
 

Ces deux écoles sont ainsi à mille lieux de la pensée de John Maynard Keynes : «Les deux vices marquants du monde économique où nous vivons sont que le plein emploi n’y est pas assuré et que la répartition de la fortune et du revenu y est arbitraire et manque d’équité», dans la ‘Théorie générale’.



01/04/2024
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