Critiques de notre temps

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Djihadistes et déradicalisation, une lecture de la revue «Esprit» du mois de décembre 2019

Saint-Denis de La Réunion, mercredi 18 mars 2020

 

Le numéro 460 de la revue «Esprit» du mois de décembre 2019, qui traitait du langage et des langues, intégraient quelques articles extrêmement intéressants et pertinents sur le djihadisme, sur la mobilisation djihadiste et sur la démobilisation des djihadistes, ou déradicalisation. 

 

https://esprit.presse.fr/tous-les-numeros/quand-le-langage-travaille/884

 

Un premier article d'Eric Marlière intitulé «du communisme à l'islam - réflexions sur la violence politique» discutait de l'origine, de l'explication de la radicalisation islamiste ou djihadiste. Grosso modo, mon interprétation de cet article est que les ressorts de cette radicalisation islamique ne sont pas différents selon l'auteur des violences anarchisantes et gauchisantes des années antérieures qui avaient donné naissance à la bande à Bader ou aux Brigades rouges. 

 

https://esprit.presse.fr/article/eric-marliere/du-communisme-a-l-islam-42443

 

«Des formes de radicalisation politique dans les quartiers populaires urbains existent depuis un certain nombre d'années : contestation généralisée, méfiance étendue et révoltes urbaines. Cependant, la mise en place de l'Etat islamique apparaît comme un projet séduisant pour certains jeunes, visant à changer le monde : «si l'Etat islamique avance dans certaines régions en difficultés, c'est pour une raison simple : il ne se borne pas à promettre un changement révolutionnaire, il le met en action. Il renversé l'ordre politique et économique, en suivant, pour la conduite de la société, un code moral radicalement différent.» (Scott Atran, L'Etat islamique est une révolution, Les liens qui libèrent, 2016) Pour une extrême minorité de jeunes des quartiers, vulnérables et en rupture avec les institutions sociales, dans un contexte d'injustice, les sites de Daech ou d'Al Qaïda et leurs franchises peuvent proposer une alternative crédible.»

(page 100)

 

L'auteur pose ainsi comme diagnostic et comme question : «comment sommes-nous passés du terrorisme révolutionnaire d'extrême gauche à celui qualifié d'islamique à l'échelle du globe ? Nous partons du postulat que la violence politique extrême a changé de support - mais pas forcément de programme - et revêt de nouveaux oripeaux idéologiques.»

 

A la lecture, ce diagnostic paraît tout à fait pertinent. Je peux tout à fait me reconnaître dans une telle analyse ; de mon temps, j'aurais tout à fait pu m'associer à une lecture violente proche du terrorisme d'extrême gauche. Et je peux tout à fait m'imaginer que si l'islamisme eusse existé à cette époque ancienne, j'aurais peut-être pu me laisser séduire par son message et par son programme. C'est une question qui parfois m'interpelle, que parfois je me suis posé. Mais de la même manière que je n'ai pas été un terroriste d'extrême gauche, ou que je n'ai pas rejoint un kibboutz israélien en Terre Sainte, il n'y a pas plus de raison que j'aurais basculé dans le terrorisme djihadiste.

 

L'auteur se fatigue beaucoup pour rapprocher et expliciter la ressemblance entre la vision communiste et la vision islamique de la société et de leur message émancipateur. Cette ressemblance existe-t-elle réellement ? L'auteur conclut son article de la manière suivante :

 

«Les formes anthropologiques et les structures idéologiques proposées par le communisme révolutionnaire ou le djihadisme, malgré leurs finalités antagonistes, peuvent paraître séduisantes à celles et à ceux qui se sentent exclus et pensent ne pas avoir grand-chose à perdre. En effet, les sentiments d'injustice, de colère et de frustration peuvent trouver des réponses immédiates dans les problématiques égalitaires du djihadisme et ses projets messianiques de revanche et de justice face à un monde perçu comme inique. Autrement dit, l'islam, après le communisme, procure des réponses idéalisées à des problèmes générés par un système politique appréhendé comme corrompu et injuste.»

 

«En proposant un tel paradigme structurel, nous tenons une position d'équilibriste bien définie par Jean Birnbaum : «tous les points communs soulignés ici, entre le brigadiste d'antan et le djihadiste actuel, masquent un conflit mortel entre les deux visions du monde, deux idées de l'homme à la fois jumelle et irréconciliables.» (Jean Birnbaum, Un silence religieux - La gauche face au djihadisme, Seuil, 2016) C'est sans aucun doute l'un des grands paradoxes de notre époque, marquée par l'absence de débouchés politiques pour une partie de la jeunesse francaise.»

(page 104)

 

La vision d'Eric Marlière est certes séduisante. Mais elle oublie un certain nombre de choses. Elle explique assez bien l'existence du djihadistes et la séduction qu'elle peut opérer sur un certain nombre de personnes, pas toujours forcément de religion musulmane. Mais elle oublie que l'idéologie révolutionnaire d'extrême gauche continue d'exister, comme l'idéologie terroriste d'extrême droite. Même s'il est difficile de qualifier des penseurs d'extrême gauche comme le groupe de Tarnac et son leader Julien Coupat de terrorisme d'extrême gauche, ce qui me paraît comme particulièrement exagéré, il existe bien cependant malgré tout toujours des groupes révolutionnaires d'extrême gauche. Mais il est clair que cette vision du monde est réservée aux intellectuels et aux personnes avec un certain niveau d'éducation et de formation. Pour les jeunes des cités et les exclus du système éducatif, le terrorisme d'extrême gauche semble pratiquement inaccessible, réservé aux seuls intellectuels. Mais cela a toujours été le cas depuis Marx et Engels en passant par les situationnistes de mai 1968. Ce qui n'a pas empêché l'existence et la constitution de groupes terroristes d'extrême-gauche ! Pour les exclus  du système éducatif d'aujourd'hui, les francais de souche peuvent basculer dans les mouvements d'extrême droite, en guerre contre l'islam et les juifs, tandis que les autres français peuvent basculer dans le djihadisme et dans l'islamisme.

 

Au fond, il n'y a peut-être pas vraiment de mouvement de bascule entre islam et communisme comme semble vouloir le croire et le démontrer Éric Malière. Les deux idéologies n'ont jamais attiré les mêmes personnes et les mêmes profils. À moins de penser que le communisme révolutionnaire ne soit fermé aux non-intellectuels qui ont alors dû basculer vers l'islamisme. D'où la très grande facilité d'endoctrinement pour l'islamisme pour ces profils d'exclus.

 

Je partage encore moins d'affinités avec l'article suivant de Myriam Benraad, intitulé «Les déçus du califat - Émotions et démobilisation».

 

https://esprit.presse.fr/article/myriam-benraad/les-decus-du-califat-42444

 

Cet article de Myriam Benraad semble ainsi défendre cette idée  naïve que les djihadistes déradicalisés sont soignés d'une sorte de maladie et ont déjà été suffisamment punis par ce qu'ils ont fait et par ce qu'ils ont commis pour qu'il soit nécessaire de les punir et de les condamner. C'est grosso modo ce que je retiens de la lecture de cet article et de la démonstration de cette auteure. Les pauvres ont été tellement marqués par ce qu'ils ont vécu, par ce qu'ils ont fait, qu'ils se sont volontairement deradicalisés et qu'ils ont voulu fuir le califat et l'Etat islamique, marqués par ce qu'ils ont vu, fait et vécu.

 

«Outre leur déception vis-à-vis du projet de l'Etat islamique et de sa relaité tangible, nombreux sont ceux qui ont quitté les rangs de l'organisation terroriste sous le poids de la honte générée par une confrontation, directe ou non, avec leurs propres actes. Cela est particulièrement vrai concernant les combattants qui furent témoins d'exécutions et d'atrocités, et qui présentent tous les symptômes d'un stress post-traumatiqu. D'idéalistes croyant être partis vivre une utopie, des combattants de l'Etat islamique ont littéralement été transformés en instruments de torture, en assassins méthodiques, rendant impérative une prise en charge thérapeutique appropriée au terme de leur désaffiliation physique, pour conjurer leur identification à un mouvement pervers et ultraviolent, être en mesure d'accepter l'idée, moralement intolérable, de s'être associés au pire, même brièvement.»

(page 110)

 

Lecture qui se veut tellement naïve des crimes perpétrés par ces djihadistes. L'évocation même d'«idée moralement intolérable» me semble un complet contre-sens. C'est intolérable pour nous, ou peut-être même pour l'auteure, mais le djihadisme et ses crimes ne démontrent-ils pas eux-mêmes que leur morale islamiste n'a plus rien à voir avec notre morale judéo-chrétienne ? 

 

Lorsque des personnes ont basculé de cette manière dans le mal absolu, existe-t-il une possibilité de rachat ? Lorsque l'on a tué et torturé des personnes à cause de leur religion ou de leur origine, est-on rachetable ? C'est la peine de mort qui fut requise au tribunal de Nuremberg contre les criminels nazis qui y furent traduit, qui avaient tué, assassiné, torturé, déporté des français, des polonais, des russes, des juifs, des tsiganes, des communistes. Un djihadiste est-il capable de s'amender, de ne pas prêcher le terrorisme ou le djihâd ? Seule la mort n'est-elle pas la seule reponse tolérable à l'intolérable ? Et si notre civilisation n'est pas capable de mettre en place un tribunal comme Nuremberg pour juger les faits des djihadistes en Syrie et en Irak et partout dans le monde, confions donc leur jugement à des pays qui appliquent encore la peine de mort.

 

 

Saucratès



18/03/2020
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