Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Lecture de François Ruffin : Sur le sens du travail

Je voudrais vous parler ici d’un tout petit bouquin, de François Ruffin, «Je vous écris du front de la Somme», et plus largement, de la politique et de ce qui ne va plus dans les politiques de la Gauche. Il est facile de mettre en cause un vote potentiel pour l’extrême-droite, mais que nous propose-t-on en face ? Que propose-t-on face à Macron et à l’extrême-droite ? Face «à une sociale-démocratie à l’âme morte, qui n’était plus sociale ni démocrate». Je rajouterai à cette phrase de Francois Ruffin que les députés de la Macronie dans leur ensemble est constituée à plus de 50% de ces anciens socialistes sociologues-démocrates, et que ceux qui sont restés chez les socialistes sont souvent simplement ceux qui ont été battus aux législatives en 2017. 

Il est important de rappeler l’importance du travail, de sa qualité et de sa rémunération et de pointer le double discours du gouvernement et de Macron. Il est important de chercher comment combattre la dégradation du travail tout comme de chercher commentaire  on pourrait construire un programme social-démocrate sur ce sujet du travail. 

Tout est dit dans cette introduction de François Ruffin à l’édition de poche. Je vous le livre comme il l’a écrit.

 

« J’ai entendu dans les manifestations une volonté de retrouver du sens dans son travail, d’en améliorer les conditions, d’avoir des carrières qui permettent de progresser dans la vie. » C’était du Emmanuel Macron, en plein conflit sur les retraites. Et son porte-voix, Gabriel Attal, se disait soudain fort préoccupé par « le bien-être au travail ». Même Bruno Le Maire donnait dans le trémolo : il comprenait « la colère des Français qui se questionnent sur la finalité de leur travail ».

 

Du coup, tout le gouvernement s’activerait, c’était promis juré, à un « pacte de la vie au travail ». Pour « améliorer les revenus », « faire progresser les carrières », « mieux partager les richesses », « aider à la reconversion », « améliorer les conditions de travail », « trouver des solutions à l’usure professionnelle » … Rien que ça.

 
Bien sûr, c’était pour eux un subterfuge : déplacer du combat, ici et maintenant, sur le passage à 64 ans, vers un débat, plus tard, sur la qualité de vie au travail.


Il n’empêche. Le travail, ce mal-être au travail, ce mal-faire son travail, ce mal-vivre de son travail, l’an dernier déjà, nous le placions au cœur de notre petit essai, et au cœur d’un malaise des classes populaires. Le travail écrasé, humilié, depuis quarante ans. Le travail, aux statuts minés, aux revenus élimés. Le travail qui, malgré les légendes de la start-up nation, s’est durci, intensifié. Et le travail pourtant central, toujours, pour les Français, capital par le salaire, bien sûr, mais par la fierté qu’on en tire, aussi, par l’utilité qu’on éprouve. Ce malaise dans le travail, le conflit sur les retraites l’a fait éclater au grand jour, comme une fracture aux plaies ouvertes.

 

« C’est la première fois que je sors, en 33 ans d’hôpital. » Ce jeudi 19 janvier, premier jour de grève, 5h30 du matin, on est sur le rond-point à l’entrée de l’autoroute A16. De sa lampe de poche, un monsieur à chasuble FO de chez Valéo balaie la voie, pour inviter les voitures, les camions à ralentir, à prendre le tract pour la manif. Et sa lueur éclaire mon cahier, pour que je gribouille des notes dans mon cahier. C’est sa femme, elle, « aide-soignante au service traumatologie ». Pas en pleine forme, déjà : « Je souffre de poly-arthrologie. Je travaille sous morphine.

– A cause de votre métier ?

– Bah oui, à force de porter. Deux ans de plus, c’est pas possible… Ils se rendent compte ? » 

 

Mais aujourd’hui, elle vient pour autre chose, au-delà d’elle, au-delà de la retraite : « C’est le ras-le-bol : ils nous poussent à bout, ils détruisent l’hôpital. On ne parle plus de soin, mais d’« acte« . A la limite, ma cadre, que le patient soit lavé ou pas lavé, elle s’en fiche… »

 

Et son mari ? « Chez Valéo, j’ai commencé par cinq ans d’intérim, mais haché, avec du chômage entre les missions. Je suis sur les embrayages de camion, mais le pire, c’est que Macron, il a éliminé de la pénibilité le port des charges lourdes. Qu’il vienne se trimbaler les embrayages de camion ! Du coup, entre ces deux réformes, je prends trois années de plus. Jusque 65 ans. »

 
Le rond-point de l’Oncle Sam est bien bloqué, avec des barricades de pneus sur la chaussée, des barnums sur la pelouse pour le café.  « La médecine du travail, nous-mêmes, on conseille aux gars de rien dire, me raconte un syndicaliste Force Ouvrière chez Goodyear-Dunlop.

– Pourquoi ?

– Eh bien, s’il leur dit qu’il souffre du dos, comme moi, ou des épaules, ou des genoux, ou de n’importe, le médecin il fait quoi ?

 

Il recommande un poste adapté. C’est son boulot. Le gars revient avec son papier, sauf que la direction répond : « Des postes adaptés, il n’y en a plus… » Et du coup, ils le licencient pour inaptitude. On en a au moins un ou deux par mois, des comme ça, de tous les âges. C’est la double peine : le boulot les fait souffrir, et on les vire à cause de ça. Faut souffrir en silence. Moi, je me suis fait opérer quatre fois du dos, mais je ne le dis pas dedans. 

– Moi, j’attends la retraite pour passer sur le billard. »

 

« Avant, compare un délégué Airbus, les maladies, ça venait vers 50-55 ans. Désormais, c’est descendu à 40-45. Et on a Dédé, 31 ans, il a les épaules flinguées, sept ans au rivetage, avec son pistolet multi-frappe, il est foutu. Parce qu’avec la « moving line », comme ils appellent ça, ils ont accéléré les cadences. Auparavant, le gars avait sa perceuse à quatre mètres, ça lui faisait une respiration. Aujourd’hui, avec le « lean manufacturing », elle lui pend devant lui, tout est optimisé, il ne perd plus une seconde. Mais résultat, il n’y a plus aucun temps de relâchement.

 

C’est pareil pour nous, enchaîne un délégué d’Auchan : il n’y a plus de temps mort. Ils appellent ça le « modèle organisationnel ». Avant, tu gérais un rayon, tu faisais du remplissage, tu gérais les stocks, tu changeais les prix. C’était varié, et tu avais ton territoire : le gars de la crémerie était fier de bien tenir sa partie. Maintenant, tu ne fais plus que du remplissage, dans tous les rayons, de tout le magasin. Tu bourres tu bourres tu bourres. Et un autre passe le soir qui met des étiquettes partout. Ils nous ont dit, à la présentation, « c’est la fin des temps morts ». C’est ça qui m’a le plus marqué. »

 
Je cite souvent une note de la Dares, du ministère du Travail. En 1984, 12% des salariés subissaient une triple contrainte physique : se baisser, porter des charges, répéter le même geste, etc. On pourrait croire que, avec quarante années de numérique, d’informatique, de mécanique, tout cela s’est allégé ? C’est la start-up nation, non ? Eh bien, au contraire : de 12%, ce taux est passé à 34%. Il a presque triplé. Et il s’élève à 60% chez les ouvriers (contre 23% auparavant). Quant aux « contraintes psychiques », elles ont bondi, multiplié par six : de 6% à 34%. C’est contre-intuitif, ça ne colle pas au « progrès ». Même moi, j’étais surpris. Mais pas Christine Erhel, économiste : « Tous les chercheurs, tous les sociologues du travail le savent, le disent : le travail s’est intensifié, des centres d’appels aux ateliers de logistique, on ne laisse plus les salariés respirer. »

 
Je participais à un colloque, organisé par mon collègue député Benjamin Lucas, « travailler moins, travailler mieux, travailler tous. » Très clairement, pour ma part, l’accent doit être mis sur le « travailler mieux. »

 

Voilà le socle de ma gauche : les Français, tous les habitants de ce pays, doivent vivre de leur travail. Bien en vivre, et pas en survivre. Et bien le vivre.

 

Un « pacte de la vie au travail » : telle était donc la promesse. Mais bon, finalement, en ce mois de juin, les macronistes n’ont pas lancé les « Etats Généraux du travail ». Non, à la place, ils ont préféré les « Assises de la dépense publique ». Avec cette bonne nouvelle à la clé : « Ouvrir un chantier pour limiter les arrêts maladie. » Qui ont grimpé, en effet, en dix ans, de six à huit millions. Elisabeth Borne et Bruno Le Maire prenaient des airs sévères : les travailleurs tire-au-flanc étaient dans leur viseur, ils allaient mater tout ça. Le patron du Medef applaudissait : « Il y a trop d’arrêts de travail de complaisance en France. Surtout chez les jeunes. »

 

De la faute des malades, bien sûr. Des travailleurs. Et des jeunes. Des petites natures, tous ces feignants. Les causes, elles, ne seraient pas traitées.

 

Que cherchent-ils ? Des petites économies, certes, sans doute. Mais surtout, des gains politiques, cyniques. Durant les retraites, nous avons retrouvé une « bipartition de l’espace social » : nous, contre eux. Nous, les travailleurs, nous, le bas, nous rassemblés, deux tiers des Français, quatre cinquième des salariés, tous les syndicats unis, des millions dans la rue, contre eux, eux en haut, eux à Paris, et en vérité : nous tous contre Macron, presque seul.

 
Il leur fallait, à la macronie, à la droite, le plus vite possible, casser cette unité. Retrouver 
« la tripartition de l’espace social » : nous, eux, ils. Retrouvez le « ils » en bas. Les cas sociaux. Les immigrés. Les fraudeurs. D’où, très vite, Le Maire qui s’en prend aux mandats envoyés à l’étranger. D’où Ciotti-Retailleau-Marleix et leur une-tribune sur l’immigration. D’où Attal sur la fraude sociale. D’où le RSA dans le collimateur de France Travail. D’où, enfin, les arrêts maladie. 
 
Que les regards de la France du milieu se tournent vers le bas. Qu’on stimule la petite jalousie. Et qu’on oublie à nouveau le haut.

 
Je voudrais citer ici un article qu’on m’a remis, juste avant la sortie de ce livre, qui illustrait à merveille mon propos, mais que j’ai découvert trop tard pour l’ajouter à mon manuscrit : « La conscience sociale des Gilets jaunes : étude sociologique de représentations en lutte », paru dans la revue Mots en 2022. C’est un jeune docteur en sociologie, Samuel Legris, qui a mené une étude sur les ronds-points dans son coin, le Berry. Y domine une « vision tripartite du monde social » : « ceux d’en bas/nous/ceux d’en haut ». Comme il l’écrit, « la banalisation de la conscience sociale triangulaire dans les strates situées à la frontière des classes populaires et des classes moyennes, où se sont essentiellement recrutés les Gilets jaunes, est constatée depuis une quinzaine d’années par les chercheurs en sciences sociales. » Elle constitue, pour lui, « le principal obstacle à l’unification d’un bloc populaire. »

 
Comment cette « conscience sociale triangulaire » se traduit-elle dans les discours ? Il y a ce « nous » des Gilets jaunes, ce « nous » des travailleurs modestes. Qui s’opposent au « ils » d’en haut, au gouvernement, aux élites, qui les taxent, qui les étouffent. Mais qui s’en prennent, aussi, aux « assistés », aux « immigrés ». Et recréent une frontière sociale, morale même, entre ce « nous » qui « bosse », « paie », « se prive », « préserve », « respecte », « joue le jeu » et un « eux » qui « glande », « dépense », « profite », « détruit », « méprise », « triche ».

 
Sauf que, parfois, sur des ronds-points, des gens de gauche, ou des « assistés » se pointent, s’installent. Et refusent cette « vision tripartite de l’espace social ». Ainsi de Martine, secrétaire dans un garage agricole, qui lance à ses collègues : « Moi, je suis plus pour qu’on fasse descendre ceux d’en haut ! ». Et qui rappelle à l’ordre les camarades qui traitent « ceux d’en bas » de « cas soc’ » ou de « branleurs ». Alors, soit par censure, soit par humanisme, par compréhension, le « nous » se reforme, s’élargit, le milieu cesse de blâmer le bas. Et tous deux s’unissent, dans leurs critiques, contre le haut.

 
C’est ce rôle que nous devons jouer dans le pays tout entier. Unifier. Unifier le bloc populaire. Unifier le milieu et le bas, et même le haut, pour celles et ceux que la vie a servis et qui veulent servir en retour, servir un idéal de justice pour tous, nation sans exclusion. Unifier la France des bourgs et celle des tours. Unifier, contre toutes les forces centrifuges, de division, d’éclatement.

 
Unifier par les discours, il le faut, mais aussi par du commun, par le « faire-ensemble » : les Français, les habitants de ce pays, doivent vivre de leur travail. De leur travail selon leurs moyens, pas forcément à temps plein, pas seulement sur un « marché du travail » qui trie, qui éreinte, qui rejette, qui fragilise les fragiles, mais aussi par des emplois aidés, par des territoires zéro chômeurs, par un accompagnement qui, dans le grand changement qu’il nous faut, ne néglige aucun talent : bricoler, cuisiner, jardiner, creuser, s’occuper de nos enfants ou de nos aînés. Chaque geste, chaque plaisir, à chaque instant, repose sur le travail des autres, sur la masse colossale du travail des autres, et c’est ainsi que nous faisons société : un verre d’eau, rien qu’un verre d’eau que je bois, combien de travail pour extraire la matière, pour la fondre dans les fours, plus l’eau qu’il a fallu pomper, filtrer, dans des canalisations (qui fuient, à réparer) pour arriver jusqu’à nos robinets… Il se trouve que, par hasard, je suis en train de lire les Mémoires de Jean Monnet. Dans l’immédiate après-guerre, fin 1945, alors qu’il fonde le Plan, lui prévient le général de Gaulle : « Je ne sais pas encore exactement ce qu’il faut faire, mais je suis sûr d’une chose, c’est qu’on ne pourra pas transformer l’économie française sans que le peuple français participe à cette transformation. » Et plus loin : « Toute la nation doit être associée à cet effort. »

 
Ma conviction, c’est que la bataille écologique, la sauvegarde de notre planète, le défi du réchauffement, réclament le même effort. Cette transformation de notre agriculture, de notre industrie, de nos logements, de nos déplacements, réclame du travail, une masse de travail, haies à planter, passoires thermiques à isoler, et que chacun doit y prendre sa part : du haut avec ses capitaux au bas avec sa main d’œuvre, le peuple français tout entier doit y participer. De quoi chasser le sentiment d’injustice qui, aujourd’hui, sinon pourrit, du moins assombrit le cœur des travailleurs.

 

L’étau se resserre, enfin. 24 mai 2023. Avec pas mal d’élus de gauche, une panoplie d’insoumis, je suis monté dans le train pour Saint-Brévin. On y allait pour soutenir le maire, certes, Yannick Morez, démissionnaire, harcelé par les zemmouriens ou assimilés, sa voiture et sa maison brûlées. Son tort ? Avoir accueilli sur sa commune un centre de réfugiés. On y allait pour la République en danger, c’est vrai, qui file un mauvais coton. Mais on y allait aussi pour nous, pour – je dirais – nous désenclaver.

 
C’est que, au fil de l’année parlementaire, le rejet en germe décrit dans le bouquin ne s’est pas arrangé. Au Rassemblement national, les macronistes ont accordé deux vice-présidences et des bons points :
« Sébastien Chenu (RN) n’est pas un bon mais un très bon vice-président de l’Assemblée », le félicitait sa présidente, Yaël Braun-Pivet. Tandis que de notre côté, on pue. On fait du bruit. On manque de respect. On a des mauvaises manières. Et s’installe plus qu’une petite musique, un véritable concert :  d’abord, que, « extrême droite et extrême gauche se valent ». Et puis, pire : que nous serions pires. Que nous n’appartiendrions plus à « l’arc républicain » … Nous qui l’avons fondée, la République, en 1792, nous qui l’avons défendue, toujours, nous qui sommes les fils de Danton et de Robespierre, de Gambetta et de Jaurès, de Clémenceau et de Blum ! Alors, Saint-Brévin, c’était pour réintégrer dans les images, dans les esprits, « l’arc républicain ». Pour refiler le stigmate à l’extrême droite.

 
Mais voilà que patatras. A la tribune, sur la place, c’est le président de l’Association des Maires de France du 44, de Loire-Atlantique, qui jette un froid. Au détour d’une phrase, je ne sais plus trop la formule, il sermonne « l’attitude indigne », ou le « comportement déplacé », des députés de la Nupes. Dans la foule, il est hué, pas tout le monde mais des sifflets. « Ça vous plait pas, mais je vous le dis, c’est comme ça. » Ouh ! On n’est pas venu pour se faire engueuler !

 

Le cortège fait un bout de défilé. Devant sa mairie, Yannick Morez prend la parole. A son tour, à demi-mots, il s’attaque à la gauche, aux insoumis et aux écolos, qui veulent le zéro artificialisation nette, ajoutant qu’on ne peut plus construire, que ça amène de la tension avec les administrés. Dans ce goût-là, en gros. Bref, on partait pour effacer la tache, la marque de honte, et on s’en revient de Saint-Brévin avec tout le contraire…

 

« Ce sont des cons. » Dans le TGV du retour, avec un peu d’amertume, la conclusion est vite tirée par les camarades : « Ce sont des cons. » Soit, peut-être. Mais la connerie est un fait politique majeur, éternel, parfois majoritaire, on doit bien faire avec ! « Le souci, confie un collègue, avec un peu de bouteille, c’est que si la diabolisation tombe sur nous, on en prend pour vingt ans. On doit tout faire pour se sortir du piège. »

 

Ce piège, être marginalisé, ostracisé, pas seulement à l’Assemblée et dans la bonne société, qu’importe, mais chez nos voisins, chez les électeurs moyens, ce risque, être perçu non pas comme une voie de décence et de bon sens, mais comme des excités, des azimutés, je l’avais senti très vite, dès ma campagne législative, et je l’avais posé dans cet essai. Depuis, avons-nous œuvré pour éviter ce risque ? Pour échapper à ce piège ? J’en doute. Avons-nous établi, pour la « dédiabolisation », une stratégie ? Ce n’est pas une question de fond, je pense, mais davantage d’expression, de style – qui fait l’homme et la femme politiques.

 

On sourira : « Quoi ? C’est le réalisateur de Merci patron !, c’est le député du maillot de foot à la tribune, c’est le brandisseur de carnet de chèque, c’est le multi-sanctionné qui vient donner des leçons ? Qui prône la sagesse et la raison ? » Oui, parce que la situation a changé. En face, au Rassemblement national, le groupe compte désormais 88 députés, et leur leader apparait, pour de bon, comme une option vers l’Elysée. Voilà qui peut susciter une certaine gravité. Et nous, nous ne sommes plus dix-sept, mais soixante-quinze, et nous devrions être la locomotive d’une gauche unie. Voilà qui, comme dirait Spiderman, impose une grande responsabilité. Alors, même si je dois œuvrer contre moi-même, contre mon tempérament et mes coups de sang, j’essaie.

 

J’essaie, parce que ce sondage vient de tomber. On fait quoi ? On hausse les épaules ? On affirme qu’« on ne croit pas aux sondages » ? On fait assaut de « radicalité », notre mot clé, comme s’il s’agissait d’endiabler des étudiants de socio en AG, et pas de convaincre un pays tout entier ? Ou ça nous fait un électro-choc et on s’interroge, vraiment, sur le pourquoi du comment ? Le Rassemblement national vote, avec les macronistes, contre l’augmentation du SMIC, contre l’indexation des salaires sur l’inflation, contre le gel des loyers, contre l’encadrement des écarts de revenus dans les entreprises, contre le rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune, contre le conditionnement des aides publiques aux grandes entreprises, contre la taxation des yachts et des jets privés, ils protestent sans bruit contre la réforme des retraites, ne se mobilisent aucunement, et pourtant, pourtant, c’est Marine Le Pen qui marque des points, qui effraie moins, qui pourrait recueillir le torrent du ressentiment. Et jusqu’ici, pas nous…
 

Ces lignes, je les avais écrites avant le meurtre de Nahel à Nanterre, et les révoltes en banlieue. Qui n’ont rien arrangé : l’étau de l’« arc républicain » s’est encore resserré. La gauche est cornérisée, tandis que le Rassemblement national se place au centre du jeu. 
 
Nous devons affronter cet enjeu, droit dans les yeux. 
Je l’énonce, mais sans fatalité. La crise de 1929 a engendré le nazisme en Allemagne, mais le New Deal aux Etats-Unis, et le Front populaire en France. Il n’y a pas de fatalité. Jamais, dans notre pays, l’extrême droite n’est arrivée au pouvoir par les urnes, seulement par la défaite, en 1940, et pas pour écrire une page pleine de gloire. Il n’y a pas de fatalité.

 
L’histoire demeure ce que les hommes et les femmes en font. Elle sera ce que nous en ferons. Il n’y a pas de fatalité. Jamais.

 

https://francoisruffin.fr/je-vous-lavais-bien-ecrit/

 
Au fond, il y a une seule question primordiale. Comment en est-on arrivé là ? À cette dégradation du travail, à ce mal du travail ? Et comment se fait-il que la seule réponse que l’on trouve cohérente, ou qui soit possible à cette dégradation-là, à ce mal-vivre, passe désormais par un refuge dans un vote Rassemblement National ? 

Ce qui est évident dans ce texte, c’est bien la montée d’un mal de vivre au travail. Des salariés qui sortent de la médecine du travail avec des avis d’inaptitude totale ou partielle et que les employeurs licencient sans état d’âme, il y en a énormément. Partout, dans toutes les entreprises. Comme l’écrit Francois Ruffin, comme l’indiquent les syndicalistes qu’il cite. On en connaît tous beaucoup trop. Des proches. Des amis et des amies. Le travail abîme physiquement et psychologiquement. Comment peut-on être aussi mal dans le travail ? 

De la même manière, et là, je ne serais pas en accord avec François Ruffin, mais j’ai cette impression que le sujet de préoccupation première de LFI, c’est la défense de tous ces étrangers, des sans-papiers, des immigrés, des agresseurs et des délinquants, cette petite délinquance que l’on peut considérer naître de la misère et de l’abandon de frange de la population, mais ce n’est pas vrai. On ne peut pas défendre à la fois les travailleurs et les délinquants qui se nourrissent des petites gens.

 
LFI, c’est un rassemblement sans queue ni tête d’extrémistes et de féministes de toute sorte et tout crin. Ou se côtoient à la fois des connards qui préfèrent les droits des animaux aux droits des humains, des spécistes haineux et agressifs, et des ultraféministes qui vouent une haine féroce à tout ce qui porte pantalon et ceinture. 

C’est l’extrémisme de ces gens-là, étrangers, nés ailleurs, aigris contre la République, haineux, vindicatifs, âpres au gain, à tous les droits qu’ils estiment avoir, et qui ne se reconnaissent aucun devoir vis à vis de la République et de la France, qui nourrit cette tripartition que François Ruffin ne comprend pas. 

 
Parce que dans sa démonstration, il oublie une chose : l’amour de la République, l’amour de la France, que cette partie de la population, que tous ces gens-là, ne connaissent probablement pas. Leur France à eux leur doit de l’argent, leur doit une reconnaissance qu’elle ne leur donne pas, leur doit un boulot, leur doit des allocations, des aides, ne doit pas contrôler ou interroger leur identité … Or, s’il y a une chose que François Ruffin fait semblant d’ignorer, c’est que les travailleurs de la classe moyenne, trop riches pour avoir droit à des aides, pour être aidés, et trop pauvres pour pouvoir vivre décemment, pour pouvoir se payer des vacances, ont une fascination pour la République, même si elle ne leur donne rien, mais s’ils ne font que payer. Eux aiment la France.

 
Et c’est bien pour cela qu’ils voteront pour le Rassemblement national, même s’ils savent forcément qu’ils risquent d’être amèrement déçus. Que vaut-il mieux ? Voter pour des gens dont la moindre politique vous insupporte ? Soit parce que cette politique est trop libérale. Ou bien trop favorable à ceux que l’on suppose haïr la France et les français, qui estiment que ceux qui ont quelque chose doivent tout leur donner ?

 
Mais il y a effectivement un diagnostic à poser sur notre société, et sur le travail dans notre société, et sur les puissants dont François Ruffin et moi-même faisons aussi partie. Même si nous ne sommes pas de ces puissants qui écrasent les autres, qui pourrissent le travail des autres. Du moins faut-il l’espérer.

 

 

Saucratès

 



28/02/2024
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