Critiques de notre temps

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Rebelles Houthistes vs naufrageurs bretons des temps anciens

Par Saucratès 

Saint-Denis de La Réunion, dimanche 14 janvier 2024

 
Les attaques navales du mouvement des rebelles Houthistes yéménites peuvent-ils être comparés aux agissements des siècles passés des naufrageurs bretons de la pointe finistérienne? Et la riposte des armées américaines et britanniques est-elle légitime et proportionnée?

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/13/les-medias-houthistes-annoncent-de-nouvelles-frappes-sur-le-yemen_6210545_3211.html

 

Evidemment, il nous a raconté depuis plusieurs mois que les rebelles Houthistes yéménites mettent en danger le commerce international en attaquant des navires en Mer rouge. Les compagnies maritimes et leurs assureurs (dont vraisemblablement la Lloyd de Londres) se plaignent des nuisances de ces attaques et des pertes financières dues aux attaques ou aux changements de route maritime qui les obligent à passer par le Cap de Bonne Espérance, au Sud du continent africain, avec des pertes de temps (quinze jours de délai de route supplémentaire) et un coût en carburant supplémentaire. 
 
Mais une intervention militaire pour défendre les intérêts de compagnies internationales de transport maritime et d’assurance revêt-elle une légitimité suffisante ? La privatisation des moyens militaires navaux et aériens américains et britanniques releve-t-elle de la légalité ? Si j’ai un problème avec un paysan yéménite, malgache ou mexicain, à partir de quel moment est-ce que je peux avoir l’appui des forces militaires américaines ou britanniques ? Cela dépend-il de ma richesse ? Ou bien faut-il que je sois une grande compagnie navale et que je puisse faire croire que les attaques me visant mettent en danger le commerce international dans son ensemble ?

 

Reprenons mon exemple des naufrageurs bretons des siècles passés. En temps que breton, mon enfance et mes lectures ont été bercées par les récits des naufrageurs appartenant au passé, par temps de brume ou par temps de tempête. 

 

«La légende rapporte que, dans des temps reculés, il y avait en Bretagne des peuples terriblement cruels. Ils étaient si pauvres qu'ils allumaient, dit-on, des feux sur le sentier des douaniers pour tromper les navires et provoquer leur perte. Lorsque ceux-ci coulaient, ils tuaient, dit-on, d'une mort atroce tous les éventuels survivants et rejetaient leurs cadavres à la mer pour mieux s'approprier leurs biens.»

 

http://www.wiki-brest.net/index.php/Naufrageurs-et-pilleurs-d’épaves# 

 
Ce site signale néanmoins que ces récits de naufrageurs ne sont pas attestés historiquement, mais que de très nombreux naufrages se sont produits sur les côtes bretonnes. 
Mais «il faut croire que cette légende était particulièrement bien ancrée, puisque la Grande Ordonnance de la Marine, décrétée par Colbert en Août 1681, aborde cette question, au Titre IX, article 45 qui traite des naufrages, bris et échouements : ceux qui allumeront la nuit des feux trompeurs sur les grèves de la mer et dans les lieux périlleux pour y attirer et faire perdre les navires seront aussi punis de mort et leur corps attaché à un mât planté aux lieux où ils auront fait leur feu».

 

Ce site donne aussi quelques récits de pillages de navires naufragés.

 

«Ces regroupements tournaient régulièrement, lorsque de l'alcool était trouvé, en énorme beuverie ! Paul Cornec décrit les pillages au Cap Sizun : La mise en perce des barriques, futailles et autres pipes préside à la triste litanie des naufrages. Si certains futs sont emportés intacts, beaucoup sont enfoncés sur place et aussitôt consommés sans modération. Plus près de nous, en 1903, le naufrage du Vesper est relaté avec force détails par la presse locale. Une dizaine de fûts furent mis en perce. [...] Pour le soir, tout le monde était gai et des rondes s'organisèrent autour des barriques sérieusement entamées. Deux bateaux, dont les patrons avaient trop fait la noce, se brisèrent sur les rochers. Les riverains se ruèrent sur les tonneaux et les défoncèrent. Les hommes et les femmes ivres dansaient autour des tonneaux. Une femme de Plouguerneau buvant dans un fût y tomba et faillit se noyer. [...] Bref, toute la contrée se grisa pendant huit jours.»

 
En terme de fréquence également, on ne combat pas dans la même catégorie avec les rebelles Houthistes yéménites. On parle de centaines de naufrages et non pas de quelques attaques. Selon le site :

 

«Entre 1700 et 1792, le trafic colonial nantais a subit pas moins de 232 naufrages, soit 3 par an, rien que pour ce secteur ! L'amirauté de Cornouaille en recense, quant à elle, entre 1720 et 1790, 37 naufrages sur l'île de Sein, 37 naufragés à Penmarc'h, 26 naufragés sur les îles des Glénans...»

 

Autre description datant de février 1795 par Jacques Cambry pour les autorités révolutionnaires françaises.

 

«La baye d’Audierne forme un arc dont les extrémités sont la pointe de Penmarck et le Bec-du-Raz ; malheur aux navigateurs qu’un vent affale sur ces côtes hérissées de rochers. Sans un miracle, sans une faute de vent très rare, il est dans l’impossibilité de se relever, il faut périr ; le pilote qui de la côte voit les inutiles efforts des matelots, indique avec précision l’heure du naufrage : l’honnête homme palpite à la vue du danger, l’impitoyable habitant de ses rives s’arme de crocs, de cordes, va se cacher dans les rochers pour y saisir ce que la mer transportera sur le rivage ; il attend sa proie accroupi pour échapper à l’œil des surveillants. Jadis il assommoit le malheureux qui lui tendoit les bras, en échappant au courroux des flots, il l’enterroit et le dépouilloit sans pitié ; il est plus humain à présent, il accorde la vie, il ne tue que rarement, mais il vole… Peignez-vous la position de ces hommes et de ces furies qui, la nuit, l’hyver surtout, au moment des orages, cachés dans les enfoncements du rivage, l’œil tendu vers les flots, attendent les dons de la mer avec l’avidité d’un tygre. Dans les temps reculé, ils pendoient un fanal à la tête d’une vache, pour attirer les vaisseaux éloignés, trompés par le mouvement de ces animaux, et par ces feux qu’ils croyoient pouvoir suivre.»

 

https://audierne.info/les-pilleurs-depave-du-cap-sizun-mythe-ou-realite/

 
«Situées sur des routes commerciales en pleine expansion au 18e siècle, les côtes du Cap-Sizun constituent un véritable piège pour les nombreux vaisseaux marchands qui remontent du Sud de l’Europe vers les havres nordiques. Les statistiques des archives de l’ Amirauté de Cornouaille révèlent en effet que les quatre cinquièmes des navires naufragés se dirigeaient ainsi du Sud vers le Nord. Abordant les atterrages de la péninsule armoricaine, les bateaux naviguant à vue des côtes tentent de gagner le large pour doubler la pointe de Penmarc’h. Mais, lourdement chargés et peu manœuvrant, ils sont régulièrement drossés sur les falaises du Cap-Sizun par la puissance des vents d’Ouest dominants, qui balayent la baie d’Audierne.»

 

«Les archives de l’Amirauté de Cornouaille font état de la présence de centaines, voire de milliers de pilleurs sur le site de certains naufrages, à Plouhinec, Plogoff ou Sein ! Ici, sur ces rivages des tempêtes, les noms de navires ainsi sacrifiés sur l’autel de la misère capiste hantent encore la mémoire collective : Le Parker, La Catherine, Le Don de Dieu Suzanne.» Notamment le naufrage et le pillage qui s’ensuivit de ‘La Catherine’, le 17 octobre 1719, à la célèbre et terrible Baie des Trépassés, au Cap Sizun. 
 

Si nous avions été à notre époque, pourrait-on imaginer le même type de réponses militaires contre les habitants bretons du Cap Sizun que contre les rebelles Houthistes yéménites ? Aurait-on pu imaginer que les forces aériennes et navales anglo-saxonnes puissent bombarder les côtes et les villages bretons, pour punir les naufrageurs bretons qui mettaient en danger une route commerciale majeure de l’époque et naufrageaient des navires commerciaux ? Aurait-on pu imaginer les armateurs maritimes de l’époque se plaindre à l’amirauté britannique de ces pillages et de ses naufrages et lui demander d’envoyer une force navale pour canonner les villages et les villes côtières d’Audierne et de sa région au Cap Sizun ?

 
Cette comparaison historique permet de souligner l’absurdité de la réponse militaire américaine et britannique aux attaques des rebelles Houthistes yéménites et la disproportion des bombardements anglo-saxons sur des cibles Houthistes. Tout cela pour protéger les navires des grandes compagnies maritimes occidentales ou anglo-saxonnes et défendre les intérêts des compagnies d’assurances anglo-saxonnes … Disproportion des moyens d’hier et d’aujourd’hui, et disproportion des réactions populistes des États militaires d’aujourd’hui. Autrefois, on profitait et on pillait des vaisseaux naufragés drossés sur les côtes déchiquetées. Certains naufrageurs pouvaient attirer les vaisseaux dans les tempêtes avec des lanternes.

 

Aujourd’hui, les rebelles Houthistes attaquent les supertankers avec des drones. Autrefois, la marine britannique auraient pu canonner à quelques milles de distance et endommager quelques bâtiments en bord de côte. Aujourd’hui, les missiles et les avions anglo-saxons peuvent détruire des villes entières.

 

 

Saucratès

 

 
Nota :
La baie des trépassés

 

La ‘Baie des Trépassés’ ou ‘Bae an Anaon’ en breton (qui signifie plus précisément ‘Baie des défunts’), a triste réputation : une légende raconte qu’autrefois les cadavres des naufragés s’y échouaient fréquemment. Mais cette plage doit son nom sinistre à une erreur de traduction : elle s’appelait à l’origine Bae an Avon, « la baie de la source » (un petit fleuve côtier s’y jette effectivement). Mais l’erreur contribue fortement à la légende.

 

L’une des hypothèses avancées est liée à l’histoire malheureuse de l’activité maritime de passage ou de pêche côtière dans les parages du Raz de Sein. La configuration des courants de marée et les vents dominants de secteur ouest repoussaient en effet les corps des marins naufragés sur la plage. Une autre explication ferait revenir aux naufrageurs locaux l’origine de ce nom.

 

Enfin, une tradition celtique rapporte que cette baie était le lieu d’embarquement des druides morts en partance pour l’île de Sein.

 
On rapporte une légende en Bretagne. «Depuis que le monde existe, la Barque des Morts se présente à la Baie des Trépassés, certaines nuits. Une voix puissante s'élève sur le Bec du Van ou le Bec du Raz, appelant un pêcheur par son nom. L'homme ne s'étonne pas. Il sait que, depuis toujours, ses ancêtres ont passé les morts et que, pour cet office, ils étaient affranchis de toute redevance envers leurs seigneurs de la terre.
 

Il descend vers la baie du Nord-Ouest. Une longue chaloupe y est à flot. Elle paraît vide et pourtant elle s'enfonce dans l'eau jusqu'au bordage, comme si elle était chargée à couler bas. Dans une grande rumeur de supplications, le pêcheur se fraie un passage à travers les rangs pressés d'une foule invisible. Quand il a pris sa place au gouvernail, une voile se largue d'elle-même et la Barque des Morts s'éloigne de la grève. Derrière elle, éclatent les sanglots des âmes qui ne sont pas du voyage.

 
Le pêcheur la manoeuvre à travers les brisants et la mène vers Sein. Dès qu'elle a touché l'île, il la sent qui s'allège et remonte sur l'eau à mesure que débarquent les invisibles passagers. Alors, il peut remettre le cap sur la grande terre. Quand il est entré dans la baie vide et silencieuse, la barque n'est déjà plus qu'une ombre, quand il a posé un pied sur le sable, elle a disparu.

 
A qui demandera si la Barque des Morts aborde toujours à la Baie des Trépassés, aucune voix n'osera répondre. Aucun pêcheur du Cap-Sizun n'a jamais avoué qu'il avait fait le passage. Celui qui est choisi pour cet office vit désormais en étranger parmi ses frères en attendant qu'il devienne l'Ankou marin.» de Pierre Jakez Hélias



14/01/2024
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