Le mouvement appelant à tout bloquer, quelle explication
Comment expliquer l’importance du mécontentement diffus que l’on ressent derrière le mouvement du 10 septembre 2025 appelant à tout bloquer ? Comment expliquer le succès, tout relatif, du mécontentement à l’égard du gouvernement Bayrou-Macron ?
Parce qu’il ne faut pas l’ignorer, un mécontentement diffus gronde en sourdine. Combien d’amis n’ai-je pas entendu défendre ce mouvement de blocage en expliquant qu’il fallait arrêter de se faire avoir ! La grande question est de savoir par qui on se fait avoir ! Parce que lors qu’il faut expliquer pour quelle raisons il faudrait bloquer, les gens parlent de courses trop chères, de prix qui augmentent, de fin de mois difficile … C’est en fait exactement les causes du malaise et du mécontentement des Gilets jaunes … Mais je serais bien en peine de leur expliquer, ou d’expliquer tout court, en quoi le gouvernement est responsable de la cherté du coût de la vie, de l’impression que les prix s’envolent, que les grands patrons et les multinationales s’en foutent plein les poches.
Le gouvernement, que ce soit Bayrou, Macron, ou n’importe qui d’autres, n’ont pas pris de décisions qui renchérissent les prix de nos courses quotidiennes. Les grandes surfaces qui appartiennent à de grandes Multinationales ne pratiquent pas des marges dantesques. Amusant d’ailleurs d’imaginer que l’une de ces multinationales est le groupe Leclerc, qui s’affiche médiatiquement comme celui qui combat la vie chère, la hausse des prix, pour faire probablement oublier qu’il est également un groupe qui brasse des milliards et fait des centaines de millions d’euros de bénéfices.
La responsabilité réelle du gouvernement dans nos fins de mois difficiles est ainsi au mieux tirée par les chemins. Et pourtant cette responsabilité est annoné par tous ceux qui s’expriment sur les chaînes télévisées, qu’ils soient d’extrême-droite, d’extrême-gauche ou qu’ils soient syndicalistes. Si tout le monde se focalisait sur la responsabilité du pape, au final tout le monde y croirait également. Idem en un autre temps lorsque c’était les juifs qui étaient responsables de tout. Chercher un bouc émissaire commode et déjà détesté est le B.A.BA du parfait manipulateur de foule.
Bizarrement, c’est normalement le gouvernement, les puissants, ceux qui dirigent, qui cherchent un bouc émissaire commode pour détourner l’attention de leurs propres responsabilités. Mais c’est également le propre de certain monarque de servir de catharsis aux problèmes de leur temps, de leur époque. On peut néanmoins penser que la volonté de faire disparaître deux jours fériés ou la cinquième semaine de congés payés a été la goutte d’eau qui a fait deborder la colère du peuple, des petits, de tous ceux qui n’attendaient qu’une raison pour contester ce gouvernement et ce président qu’ils exècrent. L’erreur de trop. La goutte d’eau.
Je peux comprendre leur rage. Longtemps, j’ai mêlé pêle-mêle mon agacement de ceux qui mesurent l’indice des prix et le gouvernement dont ils ne sont qu’une administration (l’INSEE). Comment accepter un discours politique qui se gausse, qui se félicite d’une hausse de prix revenue à moins de 2%, alors que l‘on voit les prix continuaient à progresser chaque semaine, chaque mois, que l’on voit le montant de son chariot de course progressait tout le temps ? Comment accepter une mesure de l’indice des prix déconnectée de notre propre ressenti, de notre porte-monnaie ? Évidemment, il y a plein de belles explications à cette dichotomie. Les économistes, les spécialistes, ont plein d’explications barbantes et inutiles. Le gouvernement n’est pas plus responsable de cet état de fait que l’INSEE elle-même. Lorsque le message ne nous plait pas, il est inutile de brûler le thermomètre ou de tuer le messager !
Comment donc expliquer le mécontentement populaire croissant à l’égard des politiques et du gouvernement ? Doit-on le lier à la fièvre populiste de ceux qui aspirent désespérément à conquérir le pouvoir suprême ? Prêts à tout pour atteindre le Saint-Graal auquel ils se croient promis, auquel ils aspirent par dessus-tout ?
Faut-il le lier à la conjonction de toutes les colères cristallisées, pour certaines diamétralement opposées ? Des écologistes et des ultra-gauchistes affrontent le gouvernement parce qu’il n’en fait pas assez pour le climat, tandis que le peuple, les pauvres, les sans-dents d’Hollande et les paysans s’opposent au même gouvernement parce qu’il est inféodé aux lobbys écologistes de Bruxelles ? Une somme de mécontents qui ne sont d’accord que sur leur opposition au gouvernement et à Macron ?
Et en attendant, Fitch, l’une des trois grandes agences de notation internationales, dégrade la note de crédit de la France, à A+. En attendant que Moody’s et Standard & Poor’s fassent de même. La France perd ainsi son double A une dizaine d’années après avoir déjà perdu son triple A. «La France s’éloigne ainsi de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Finlande, du Luxembourg et des Pays-Bas, les cinq pays de la zone euro qui bénéficient encore du triple A chez Fitch.» Rassurez-vous, cette notation ne signifie pas grand chose. Guère plus qu’une note donnée par un prof ou la moyenne du baccalauréat. On en parle beaucoup et on s’en vante encore des années après, mais elle ne sert à rien dans la vie de tous les jours. C’est juste un morif de fierté, nationale dans ce cas.
Saucratès
L’affaire Agathe Hilairet et le laxisme de la justice francaise
L’affaire Agathe Hilairet nous rappelle une nouvelle fois tout l’enjeu des décisions morales et politiques s’articulant autour des peines de prison et autour de la protection des personnes. Un certain nombre de visions opposées s’affrontent, même dans les régimes démocratiques.
En France, un homme, ou une femme plus rarement, qui sort de prison, même de manière anticipée, est supposé avoir totalement payé sa dette à la société et être désormais totalement blanchi. À l’opposé des Etats-Unis où le moindre criminel continuera à être considéré et fiché à vie en tant que criminel.
Un média comme Le Monde, progressiste, défenseur des veuves et des opprimés, en fait défenseur surtout des droits des criminels, pauvres victimes non reconnues de la violence de la société, a déjà pris son parti. Ainsi, on peut noter sa consternation devant la solution américaine visant à expulser dans des pays d’Afrique y étant favorables des anciens criminels et des violeurs ayant purgé leur peine, où ils continueront d’y être emprisonnés.
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/09/11/comment-des-migrants-bannis-des-etats-unis-se-retrouvent-detenus-en-afrique_6640444_3212.html
Bannir des Etats-Unis de pauvres et malheureux anciens horribles criminels qui ont pourtant déjà payé leur dette à la société américaine, c’est certainement abominable.
Abominable si comme en France, on trouve normal de libérer des criminels pour qu’ils tuent, violent et assassinent autant qu’ils veulent, tant qu’ils ne tuent pas les journalistes et les bien-pensants du Monde où les juges qui les libèrent ! Aux Etats-Unis, on expulse ou on fiche à vie les tueurs et les violeurs, et en France, on les laisse recommencer et il ne faut surtout pas les expulser !
C’est ce dilemme que nous rappelle le meurtre d’Agathe Hilairet, assassinée dans la Vienne par un violeur multi-récidiviste qui venait d’être libéré de prison de manière anticipée. Son assassin présumé, Didier Laroche, ouvrier agricole de 59 ans, avait été condamné à plusieurs reprises pour séquestration et viol.
«Agathe Hilairet n'était pas ainsi la seule joggeuse à laquelle Didier Laroche s'en était pris. Entre 1992 et 2001, il avait agressé et violé trois femmes lors de leur footing, les menaçant parfois d'une arme. Condamné une première fois à 12 ans de prison, puis à 30 ans de réclusion, son cas avait déjà alerté la justice.»
- En 1992, il avait violé sous la menace d’une arme une femme qui faisait son jogging, agression pour laquelle il avait été condamné par la cour d'assises du Puy-de-Dôme à douze ans de réclusion criminelle. Il avait été libéré en 2000, au minimum quatre ans avant la fin de sa peine.
- Il avait également agressé sexuellement, lors d'une permission de sortie durant sa première période de détention, une mère de famille qui faisait son footing en octobre 1999 dans ce même département. Apparemment, une agression pour laquelle il n’était encore que poursuivi.
- En octobre 2001, il avait violé, armé d'un couteau, une jeune femme de 24 ans, après l'avoir suivie chez elle, dans une maison isolée d'une commune du Puy-de-Dôme. Pour cette agression, il a été condamné à trente ans de prison, avec une durée incompressible de vingt ans, par la même cour d'assises, en avril 2003, peine confirmée en appel en février 2004 devant la cour d'assises de Haute-Loire.
Comme l’indique France Info,
«La période de sûreté, qui ne peut être ordonnée que pour les délits et crimes graves, est un délai minimal durant lequel la personne condamnée doit rester en prison, sans aménagement de peine possible. Didier Laroche est sans doute allé au-delà, observe une source judiciaire, contactée par France Télévisions, puisqu'il a été libéré en avril 2024 sur décision du tribunal d'application des peines de Bastia. Il a donc passé au moins vingt ans en détention à l'issue de cette deuxième condamnation aux assises. Et probablement davantage, si l'on tient compte de son passage en détention provisoire dans l'attente de son procès. A partir d'avril 2024, il a bénéficié d'un aménagement de peine via un placement en extérieur dans le département de la Vienne. Il s'agit d'un régime de détention en milieu ouvert, qui vise à la réinsertion dans un cadre défini par le juge, et sous le contrôle d'un Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip). Le condamné est confié à une association en charge de son hébergement, partenaire du ministère de la Justice, qui l'accompagne pour l'aider à accéder au logement, retrouver un emploi et renouer des liens sociaux avec ses proches.»
Personnellement, on peut se demander comment la justice française peut-elle libérer par anticipation au minimum huit ou neuf ans avant la fin de sa peine un violeur multi-récidiviste auteur au minimum de trois viols sur des jeunes femmes. Combien de crimes devra-t-il commettre avant qu’on prenne la pleine mesure de son extrême dangerosité ? On sait déjà que la justice française, que des juges trop humains, trop progressistes, trop gauchistes, le libèreront encore une fois avant sa mort, et qu’il tuera encore, malgré tout, envers et contre tous.
Combien de mortes et de morts faudra-t-il, avant que les juges qui libèrent des détenus dangereux soient considérés comme comptables et responsables des morts que les détenus qu’ils libèrent par anticipation commettent.
La justice française est beaucoup trop permissive et protectrice envers tous les criminels et les agresseurs. Il est temps que les méthodes de justice américaine soient appliquées chez nous pour que les victimes soient enfin réellement protégées et les délinquants et les criminels y soient jugés, incarcérés, définitivement éliminés. L’abolition de la peine de mort n’était probablement pas une bonne idée face à de telles monstruosités et de tels monstres que rien ne peut empêcher de récidiver.
Saucratès
Idéologie et soumission à l’autorité
La QUESTION a taraudé toute ma génération et celles qui m’ont précédé. Cette QUESTION obsède les philosophes et les sociologues depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Comment expliquer que tant de personnes aient participé en Europe, à la fois en France et en Allemagne et ailleurs, à l’entreprise d’extermination nazie des juifs, à la fois en organisant, en participant aux rafles, en conduisant les trains et les camions, ou dans les camps de concentration eux-mêmes ?
Nous cherchons tous la réponse, tout en espérant ou en croyant tous ne pas être comme eux, comme ceux qui participèrent autrefois à cette campagne d’extermination, à cette entreprise de meurtre de masse. Nous espérons tous que nous aurions été du côté du BIEN, du côté de la résistance, même au péril de nos vies. Mais dans la réalité, nous n’en savons rien et nous espérons tous ne jamais devoir faire face à un tel choix, à un tel dilemme.
Les philosophes et les sociologues ont tous pensé avoir trouvé une raison, une explication à ce mystère incommensurable. Une réponse à la QUESTION suprême. Comment est-ce possible que l’on serve le MAL sans le remettre en cause, sans le questionner ?
Hannah Arendt a parlé de la banalité du mal en analysant le procès d’Eichmann à Jérusalem. Pour elle, l’architecte et l’organisateur de toute l’entreprise nazie d’extermination des juifs n’était qu’un minable petit fonctionnaire lambda obéissant aux ordres ou à ce que l’on attendait de lui. Loin d’être un monstre, Eichmann n’était qu’un fonctionnaire sans envergure incapable d’éprouver l’horreur de l’entreprise qu’il mettait sur pied ou à laquelle il participait. Hannah Arendt fut violemment critiquée pour cette assertion et pour son livre, Eichmann à Jérusalem.
Boris Cyrulnik s’est aussi intéressé à ce dilemme et il a notamment écrit sur ceux qu’ils appellent les laboureurs et les mangeurs de vent. «Pourquoi certains deviennent-ils des mangeurs de vent qui se conforment au discours ambiant, aux pensées réflexes, aveuglément, parfois jusqu’au meurtre ou au génocide ? Pourquoi d’autres parviennent-ils à s’en affranchir et à penser par eux-mêmes ? Certains ont besoin d’appartenir à un groupe comme ils ont appartenu à leur mère ; ils aspirent au confort de l’embrigadement. Ils acceptent mensonges et manipulations, plongeant dans le malheur des sociétés entières. La servitude volontaire engourdit la pensée. Seuls ceux qui ont acquis assez de confiance en eux osent tenter l’aventure de l’autonomie.»
Enfin, parmi tous ceux qui ont aussi écrit sur cette question, comment oublier l’apport de la sociologie et de la psychologie sociale à travers les travaux de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité, datant des années 1960. L’expérience de Milgram est une étude psychologie sociale, qui a pour but de tester la capacité des indivi à obéir, même si cela implique d’infliger des souffrances à autrui. Il était demandé à des étudiants rémunérés de faire subir des chocs électriques de plus en plus forts à des comédiens lorsqu’ils se trompaient pour tester la douleur sur le processus mémoriel. Un faible nombre des personnes testées refusèrent de faire subir la torture aux cobayes (les comédiens simulant la douleur). Nombre d’entre eux firent subir des chocs électriques simulés potentiellement mortels aux cobayes alors que rien ne les y contraignait. Ils ne risquaient pas leur vie en le refusant, ni leur liberté ; juste ils auraient contrevenu aux ordres qui leur étaient donné par l’expérimentateur.
«L'obéissance à une autorité et l'intégration de l'individu au sein d'une hiérarchie est l'un des fondements de toute société. Une société a des règles, et par voie de conséquence il existe une autorité, qui permet aux individus de vivre ensemble et empêche que leurs besoins et désirs entrent en conflit et mettent à mal la structure de la société. (...) Ce mimétisme est une façon pour l'individu de ne pas se démarquer du groupe. (...) Ainsi, si l'obéissance d'un groupe veut être assurée, il faut faire en sorte que la majorité de ses membres adhère aux buts de l'autorité.»
https://fr.wikipedia.org/wiki/Expérience_de_Milgram
Autant à lire Hannah Arendt ou Boris Cyrulnik, on peut penser que l’on ne devrait pas être un de ces mangeurs de vents, un de ces petits fonctionnaires minables obéissant à des ordres criminels et participant aveuglément à une entreprise d’extermination, autant l’expérience de Milgram nous explique que l’immense partie de l’humanité est prête, est capable, de se soumettre à une autorité et à des ordres inhumains, même sans y éprouver le moindre plaisir, juste parce que quelqu’un, n’importe qui, nous en a donné l’ordre. Ce n’est même pas un chef emblématique, un leader incontesté, charismatique … Non, il suffit juste que quelqu’un donne un ordre pour qu’on traite de manière inhumaine un autre humain. L’expérience de Stanley Milgram est terrible parce qu’elle nous démontre que seule une minorité de personne n’obéissent pas à des ordres inhumains.
Aujourd'hui, cette réflexion semble avoir été abandonnée. Je crains que plus personne ne s’intéresse véritablement à cet aspect terrible de l’humanité. Et pourtant, des entreprises d’extermination et d’embrigadement des pensées continuent d’exister, de se répandre, probablement bien plus largement que par le passé. Évidemment, l’entreprise nazie d’extermination du peuple juif est un cas à part. Mais d’autres idéologies exterminatrices se sont aussi développées depuis lors. Ces entreprises reposent sur la déshumanisation des victimes, et sur l’existence d’une idéologie appuyant, organisant le monde autour de cette politique exterminatrice.
À une échelle encore totalement différente, l’islamisme repose sur la même entreprise de célébration de leurs bourreaux et de déshumanisation de leurs victimes. Les islamistes ne considèrent pas leurs ennemis comme des êtres humains, comme leurs égaux. S’ils peuvent les torturer ou les égorger, c’est parce qu’ils ne les considèrent pas comme des humains.
Mais ce qui est vrai pour l’islamisme l’est aussi des idées d’extrême-droite ou d’extrême-gauche. Si on peut envisager de rejeter ou d’exterminer des sans-papiers ou des immigrés, ou des patrons voleurs et abuseurs, c’est parce qu’on ne leur reconnaît pas d’humanité commune avec nous. Mais en sens inverse, je crains que ceux qui les défendent ne soient pas beaucoup plus humains que ceux qui s’acharnent sur eux. Certains parmi ceux qui défendent et hébergent les dans-papiers seraient probablement les premiers à vouloir pendre haut et court les riches et les puissants qui polluent ou profitent de leur richesse.
Comment ne pas parler d’une dernière idéologie qui obsède également tant d’écologistes et de néo-féministes, jeunes ou moins jeunes. Derrière leur idéologie et leurs combats, on ne peut que craindre qu’ils ou elles en arrivent à la déshumanisation de leurs adversaires, le patriarcat et les pollueurs … si ce n’est déjà le cas.
Une dernière idéologie me semble devoir être évoquée ici ; je veux parler de la supposée liberté de la presse et de son pouvoir d’informer ou de désinformer. La presse défend elle ses propres choix et choisit-elle ses propres cibles ? Et cela est-il légitime ? «On va s’occuper de Rachida Dati», probablement comme par le passé la presse s’était occupée de François Fillon pour permettre l’élection d’Emmanuel Macron. Lorsque la presse ne cherche plus à informer mais à créer l’actualité et choisit ses propres cibles en vue de les exécuter, dans le cadre d’une idéologie qui regroupe toute la presse progressiste, on peut s’inquiéter.
https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/09/06/thomas-legrand-et-patrick-cohen-accuses-de-connivence-avec-le-ps-contre-rachida-dati-ce-rendez-vous-n-etait-pas-un-cafe-entre-amis_6639200_3234.html
Au-delà de Boris Cyrulnik et d’Hannah Arendt, je pense que l’existence d’une idéologie manipulant les esprits et prônant la suprématie de cette idéologie sur les autres formes de pensée, combinée à une entreprise de déshumanisation de leurs victimes, suffisent à caractériser une entreprise mortifère d‘élimination de leurs adversaires, de ceux qu’ils ou elles combattent.
Si on y rajoute le fait que dans la population totale, rares sont ceux qui s’interrogeront sur ce qu’on leur demande de faire, sur la moralité et l’éthique de ce qu’on les pousse à commettre, comme l’expérience de Milgram nous le rappelle, on ne peut que craindre la survenue de nouveaux épisodes d’extermination, à toute petite échelle ou à très grande échelle, dès lors qu’une idéologie suffisamment puissante guidera les hommes et les femmes vers le MAL, même s’ils croient combattre pour le BIEN, pour leur Dieu, pour la survie de la Terre et des générations à venir. Quel prix seront-ils ou elles prêts à payer pour leur idéologie ?
Saucratès
Mes autres écrits sur l’expérience de Stanley Milgram et sur Hannah Arendt
https://saucrates.blog4ever.com/nouvelle-lecture-dhannah-arendt-1
Retour sur la naissance de l’agriculture
Mon dernier article cherchait à relativiser l’importance de la prétendue ‘civilisation’. Derrière ce que nous, nous appelons civilisation, et dans nos relations passées avec les barbares, d’autres peuples ont pu le vivre très différemment, combattant l’esclavage et la captivité.
https://saucrates.blog4ever.com/sur-le-principe-meme-de-civilisation
Qu’est-ce donc que la naissance de l’agriculture ? Et pourquoi certains hommes, certains peuples se sont-ils maintenus à l’écart du courant de la domestication de la nature ? Était-ce parce qu’ils étaient restés sauvages et non civilisés, et bien était-ce pour d’autres raisons ?
Quelle est l’origine de l’agriculture ? Pour reprendre le blog de Eric Birlouez,
«Au Proche-Orient, la collecte de céréales sauvages - engrain (petit épeautre), blé amidonnier, orge - devenues localement abondantes après la dernière glaciation contribuait à la ration alimentaire des chasseurs-cueilleurs qui peuplaient la région. Cette économie de prédation a duré jusqu’au milieu du X° millénaire avant notre ère, date à laquelle certains groupes humains décidèrent de cultiver les céréales sauvages».
«Une découverte récente - publiée en 2015 dans la revue scientifique PLOS One - a remis en question cette chronologie. Elle a fait faire un spectaculaire bond en arrière de près de 12 000 ans par rapport à la date généralement retenue par les archéologues pour situer l’apparition de l’agriculture. Le site d’Ohalo II, sur les rives du lac de Tibériade en Israël, a livré des milliers de vestiges végétaux vieux de 23 000 ans, entre autres des grains carbonisés d’orge, d’avoine et de blé amidonnier. En les étudiant, les chercheurs ont découvert avec stupéfaction que ces céréales avaient été… cultivées.
Peut-on parler pour autant d’une véritable naissance de l’agriculture il y a 23 000 ans ? Selon Georges Willcox, archéobotaniste au CNRS, ce qui a été mis en évidence à Ohalo, ce sont les toutes premières tentatives de culture de céréales par des communautés humaines. Mais la vraie « révolution » agricole, c’est-à-dire la culture permanente et à grande échelle de plantes destinées à l’alimentation n’est réellement intervenue que 11 500 ans plus tard. Un événement fondateur extrêmement récent à l’échelle de l’histoire humaine.»
Mais «la sédentarisation, au Proche-Orient, de groupes de nomades n’a pas été la conséquence de la décision de ces derniers de devenir paysans. Certes, la culture et le stockage des récoltes sont incompatibles avec la vie itinérante. Mais l’agriculture n’a fait en réalité que conforter la sédentarisation. Cette dernière avait en effet précédé de plusieurs siècles la mise en culture des sols et l’élevage des animaux. Dans le Croissant fertile, l’agriculture est donc née dans des villages constitués depuis longtemps, et qui présentaient (déjà) une structure sociale complexe et hiérarchisée. Ces habitats permanents avaient été créés dans des sites suffisamment riches en ressources alimentaires pour que leurs fondateurs, tout en demeurant chasseurs-cueilleurs, puissent s’affranchir des rudesses et contraintes de la vie itinérante. Ces nomades devenus sédentaires avaient su inventer des techniques de stockage et de conservation de leurs aliments sauvages (réserves de poissons, fosses à glands ou à châtaignes, silos à grains) qui leur permettaient de passer l’hiver sans souffrir de la faim.
Reste une question … Pourquoi ces chasseurs-cueilleurs sédentarisés ont-ils décidé, vers le milieu du X° millénaire avant notre ère, de cultiver des céréales de façon permanente et à grande échelle ? En réalité, on l’ignore toujours ! Les « essais agronomiques » menés 11.500 ans plus tôt à Ohalo montrent que ce n’était pas par manque de connaissances : observateurs très attentifs de la nature, les hommes préhistoriques connaissaient parfaitement, et certainement depuis très longtemps, les principes de la reproduction des plantes et des animaux.
Si les hommes du Levant furent, chronologiquement, les premiers cultivateurs et éleveurs de la planète, d’autres groupes humains ont, de manière totalement indépendante, inventé eux aussi l’agriculture dans la région du monde où ils vivaient. En dehors du Croissant fertile, on trouve des premiers paysans dans dix aires majeures de domestication des végétaux, réparties sur les continents américain et africain, ainsi qu’en Inde, en Chine et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. S’agissant des céréales, on peut citer le maïs, domestiqué au Mexique il y a 8 700 ans, le riz (Chine, entre 8 et 10 000 ans), le millet (domestiqué il y a 6000 ans en Chine, 4500 ans en Inde et 3000 ans dans l’Afrique sahélienne), le sorgho (Afrique sahélienne, 4000 ans), le quinoa (hauts-plateaux andins de l’Amérique du sud, 3200 ans)…
Le fait de cultiver les céréales a peu à peu modifié leurs caractéristiques « sauvages » initiales. Au Proche-Orient, ce lent processus que l’on nomme domestication a nécessité environ mille ans (c’est la durée à l’issue de laquelle les archéologues commencent à pouvoir distinguer les grains cultivés de leurs homologues sauvages).»
https://ericbirlouez.fr/index.php/activites/articles/48-cereales-et-civilisations#
Et pourtant certains peuples sont pourtant restés à l’écart de ce mouvement de domestication des espèces végétales et animales. À l’écart de la civilisation, jusqu’à pour certains, accepter de disparaître et de s’éteindre dans la nuit, comme les Guayakis de Pierre Clastres, plutôt que d’être absorbés.
Eric Birlouez insiste sur le caractère sacré des céréales dans toutes les civilisations. Du lien entre le blé et Osiris dans l’Egypte antique … de la place de Démeter et de Cérès, dans la mythologie grecque ou romaine, dont le mot ‘céréale’ proviendrait … du riz cadeau des Dieux dans les Védas sacrés indiens … du pain dans les religions juives et chrétiennes, ou à Rome, aliment par excellence des civilisés par opposition aux barbares … du maïs et des trois sœurs dans les civilisations précolombiennes …
Aussi fondamental que puissent être les céréales et les légumineuses domestiquées dans l’histoire de l’humanité, l’agriculture représente depuis l’origine l’autre versant du contrôle étatique inhérent à nos sociétés civilisées et à l’existence et à l’entretien du pouvoir de quelques uns sur la multitude, sur tous. Ceux qui ont fuit l’Etat, la civilisation et l’agriculture cherchaient à perpétuer une autre organisation sociale non étatique, plus égalitaire, sans classe sociale. Et même aujourd’hui, le contrôle de l’alimentation et des céréales que l’on peut consommer demeure l’alpha et l’oméga de la main mise de l’Etat sur nos sociétés. Il existe dans pratiquement chaque État un registre des semences de céréales autorisées, que ce soit en France, en Europe, au Brésil, et des législations qui interdisaient jusqu’à récemment la commercialisation, l’échange voire le don de semences non inscrites.
Le contrôle étatique ou policier et les céréales semblent toujours être les deux faces du principe de la civilisation. Dans un monde où les zones encore sauvages, non encore contrôlées par des États, se raréfient de plus en plus, où plus rien ne peut plus disparaître, ou plus rien ne peut se cacher, même dans les dernières forêts vierges, même dans les derniers abysses sous-marins …
Saucratès
Sur le principe même de civilisation
Qu’appelle-t-on «civilisation» ? C’est bien sûr avant tout un jeu où on cherche à faire évoluer un peuple, une societe, vers un niveau plus élevé d’organisation sociale et de technologie. Mais c’est bien sûr également le processus d’évolution d’une société, d’une organisation sociale. On parle de la civilisation des Incas ou des Mayas, de la civilisation chinoise ou occidentale, de la civilisation de la Vallée de l’Indus, ou de la civilisation égyptienne ou musulmane. Au fond, on parle d’un ensemble fini de peuples, et de ces différences avec les peuples qui ont pu émerger ailleurs ou à ses côtés. Les civilisations apparaissent, écloses, se développent, puis parfois meurent, écrasées par d’autres civilisations ou d’autres envahisseurs, par des barbares. Ou bien elles peuvent parfois juste s’éteindre lentement, disparaître dans les brumes du temps. Le plus souvent, elles sont envahies et colonisées par un envahisseur ou des envahisseurs. La Grèce antique, Rome, l’Egypte, Sumer puis l’Empire perse, les Incas, les Aztèques, ont toutes été détruites par des envahisseurs barbares, pour celles que l’on connaît. Sans compter toutes celles que l’on n’a pas connues. Pour d’autres comme la Civilisation de la Vallée de l’Indus ou pour les Mayas, on ignore ce qui a pu les faire disparaître ; catastrophes naturelles, envahisseurs, maladies ?
Mais si ce discours était biaisé ? Si le discours parlant de l’émergence et du développement de la civilisation était biaisé, n’était qu’une vision partisane de la réalité historique ? Si le discours de l’apparition des premiers villages d’agriculteurs, de l’invention de l’agriculture, de la découverte des premières céréales, des premières légumineuses qui sont à la base de chaque grande aire civilisationnelle dans le monde, était non pas un mensonge, mais une vision alternative d’une autre réalité ?
On sait qu’il existe un certain nombre d’aires civilisationelles sur la planète. Toutes les civilisations ne se sont pas construites comme la civilisation égyptienne puis occidentale essentiellement sur la culture du blé, dont on fait le pain, et de l’orge. Mais toutes les civilisations se sont construites sur l’aire de diffusion d’une ou plusieurs céréales ou de tubercules. On parle du riz et du millet pour les civilisations chinoises et japonaises. On parle du mil, du sorgho et du millet pour les diverses civilisations africaines. On parle aussi du maïs, des fèves, des haricots, du manioc et des courges pour les civilisations amérindiennes.
Mais qu’est-ce que la civilisation du coup ? La découverte d’une nouvelle espèce de céréale ou de légumineuse qui permet de nourrir un plus grand nombre d’habitants, de villageois vivant ensemble ? Ou bien la constitution de villages regroupant un plus grand nombre d’habitants sur un seul endroit, imposant de mettre en culture une ou des espèces de céréales ou de légumineuses dans les champs environnants, afin de les nourrir et de le permettre de se sédentariser. À moins que la civilisation ne signifie rien d’autre que l’apparition d’un État, sous l’autorité d’un chef et de ses soldats, et la nécessité de disposer d’une culture de céréales ou de légumineuses afin de les nourrir, eux et les paysans nécessaires pour les cultures.
C’est à peu près ce que raconte l’autre versant de l’histoire de la civilisation, cette autre histoire alternative dont je vous parlais. Une histoire où les civilisations ne sont pas des îlots de prospérité et de stabilité dans un monde sauvage.
Comme l’écrit James C. Scott dans «Zomia ou l’art de ne pas être gouverné»,
« Les tout premiers États en Chine et en Égypte - et plus tard l’Inde de Chandragupta, la Grèce classique et la Rome républicaine - étaient, démographiquement parlant, insignifiants. Ils occupaient une portion minuscule de la planète et leurs sujets n’étaient que quantité négligeable.
(…) Ces centres miniatures clôturés et fortifiés, sortes de petits noeuds de hiérarchie et de pouvoir, et les villages alentour qui dépendaient d’eux étaient à la fois instables et géographiquement limités.
(…) Mais si ces centres étatiques étaient minuscules, ils disposaient d’un avantage stratégique et militaire singulier : leur capacité à concentrer en un seul lieu la main d’œuvre et les ressources alimentaires. La clé résidait dans la riziculture irriguée sur champs permanents. Forme politique inédite, l’Etat-rizière était un regroupement de populations auparavant sans État. Certains sujets étaient sans aucun doute attirés par les opportunités qu’offraient ces centres et les perspectives qu’ils ouvraient en matière commerciale, synonymes de prospérité et d’amélioration du statut, tandis que d’autres, certainement la majorité, étaient des prisonniers et des esclaves capturés lors de guerres ou achetés à des trafiquants d’esclaves. La vaste périphérie barbare de ces petits États était une ressource vitale pour au moins deux raisons. Premièrement, elle constituait la source de centaines de marchandises et de produits forestiers importants nécessaires à la prospérité de l’Etat-rizière, et deuxièmement, elle était la source de la marchandise la plus importante en circulation : les captifs, qui formaient le fonds de roulement de tout État fonctionnant avec succès. Ce que nous savons des États classiques tels que l’Egypte, la Grèce et Rome, tout autant que des première États khmers, thaïs et birmans, suggère que la plupart de leurs sujets - esclaves, captifs et leurs descendants - étaient statutairement non libres.
(…) Le récit civilisationnel classique ignore cependant deux faits essentiels. Premièrement, comme nous l’avons relevé, il apparaît qu’une bonne partie sinon la majorité de la population des premiers États n’étaient pas libres ; les sujets vivaient sous la contrainte. Le second aspect, qui est le plus incompatible avec le récit civilisationnel classique, est le fait qu’il était très courant que les sujets de l’Etat s’enfuient. Vivre à l’intérieur de l’Etat était, quasiment par définition, synonyme de taxes, de conscription, de travaux forcés, et pour la plupart des sujets, de servitude ; ces conditions constituaient le cœur des atouts stratégiques et militaires de l’Etat. Lorsque ces fardeaux devenaient écrasants, les sujets fuyaient à la hâte vers la périphérie ou vers un autre État.
(…) Notons que cette vision de la périphérie est aux antipodes de l’histoire officielle que la plupart des civilisations entretiennent à leur sujet. Selon ce récit, une population arriérée, naïve, et peut-être barbare, est progressivement intégrée dans une société et une culture avancées, supérieures et plus prospères. »
James C. Scott, «Zomia ou l’art de ne pas être gouverné», 2009, pages 32-37
L’histoire des civilisations peut ainsi être racontée du côté de ceux qui en habitaient les franges, la périphérie, l’histoire non pas de la civilisation et de la colonisation de la nature et de l’intégration des barbares, mais l’histoire des peuples captifs, réduits en esclavage, intégrés de force et réduits en servitude, ou qui fuyaient l’avancée des États organisés.
Le discours alternatif ne nous parle plus des barbares et des sauvages s’attaquant aux premiers villages d’agriculteurs devant se protéger derrière des palissades et des enceintes fortifiées pour sauver leur vie. Ce discours alternatif nous parle des enceintes construites pour empêcher les captifs de retourner vers la périphérie, vers la liberté et une vie naturelle, sans chefs ni leaders ni classe possédante. Les barbares et les sauvages ne sont plus les monstres détruisant la civilisation, mais l’histoire de ceux qui préféraient vivre libres hors des États.
En creux, l’histoire de la civilisation nous raconte la mise en coupe réglée de la planète et de la nature par les États civilisés, et l’uniformisation en cours du monde.
Saucratès