Critiques de notre temps

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Terrorisme vs résistance

Est-il possible d’opposer terrorisme et résistance ou bien ces deux mots ne traduisent-ils que le sens de l’histoire et le jugement du vainqueur ?

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, vendredi 13 octobre 2023

 

Voilà deux mots de notre vocabulaire que l’histoire récente ne classe pas de la même manière et dont la reconnaissance internationale n’est pas équivalente. Selon moi, l’Histoire nous a appris que la frontière entre ces deux types d’actes peut être est poreuse. Ceux qui se pensent résistants sont toujours considérés comme des terroristes par leurs adversaires, par leurs ennemis, et inversement. Et comme l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, ceux que l’on appelle ‘terroristes’ ou ‘criminels de guerre’ ne sont jamais que ceux qui ont perdu la guerre, les perdants, tandis que ceux qui ont droit à l’appellation de ‘résistants’ sont ceux qui étaient du côté des vainqueurs.

 

1. Le principe de ‘résistance’ n’est pas miscible dans la démocratie

 

En tant que peuple français, nous n’avons été confrontés qu’une seule et unique fois à l’invasion de notre patrie, et à cette nécessité de résistance à l’occupant. C’était entre 1940 et 1945. C’est la seule période historique récente où la France a été confrontée à cette nécessité de résister militairement à un ennemi plus puissant, à un envahisseur. Par contre, plus récemment, nous avons aussi été confrontés à la résistance d’autres peuples que nous avions envahi et soumis, comme en Indochine, à Madagascar, ou en Algérie.

 

Nul français pourtant n’irait contester l’usage et l’utilisation du terme de résistance pour la période allant de 1940 à 1945. Tous les historiens français appellent de cette manière les combats menés dans la France conquise, même si ceux-ci ont souvent pris la forme d’attentats, d’explosions pour frapper les forces allemandes nazies qui occupaient la France et ciblaient les juifs et les populations cibles des nazis. Ces attentats ne visaient peut-être pas volontairement des civils allemands en France, essentiellement parce que ceux-ci n’étaient pas massivement installés en France pendant la guerre. A la Libération et pendant les purges qui suivirent, c’est également les actions de résistance qui étaient appréciées par ceux qui recherchaient ou poursuivaient les collaborateurs. L’épuration n’a pas poursuivi les actes de résistance armée ou le fait d’avoir perpétré des attentats contre les allemands ou la milice. Et même la représentativité des organisations syndicales de salariés reposait sur la participation historique de ces syndicats à la résistance dans les années 1940-1945, et ceci jusque dans les années 2000.

 

Mais cela n’empêchait pas qu’en face, aux yeux de l’armée allemande, aux yeux de l’opinion allemande, ces mêmes actes de résistance soient qualifiés de terrorisme, et les auteurs français d’actes terroristes capturés par les allemands et les nazis n’ont pas été considérés comme des combattants bénéficiant de la Convention de Genève, mais comme des terroristes, abattus ou exécutés comme tels.

 

Pour un même acte, il n’existait ainsi pas de définition commune selon que l’on soit d’un côté ou de l’autre. Et si aujourd’hui, cette période de l’histoire de France est considérée comme l’époque de la Résistance, et glorifiée, c’est bien parce que la France a gagné la Seconde Guerre Mondiale aux côtés des alliés. La guerre eut été gagnée par les Forces de l’Axe, que notre histoire n’appellerait pas cette période du nom de ‘Résistance’.

 

Et pourtant, ce n’est pas pour autant que les français ont accepté de reconnaître le rôle de résistants à ceux qui les ont combattu par la suite, notamment les maquisards algériens. Bizarrement, aucune corrélation entre ces combats n’a été fait par les Autorités françaises de l’époque, ni par les historiens d’aujourd’hui. Seule limite à cette interprétation de l’histoire, ceux qui combattaient pour l’Algérie française, l’OAS, n’ont plus eu droit à l’appellation de ‘résistants’, vraisemblablement parce qu’ils osèrent s’attaquer au gouvernement français et même au Général de Gaulle.

 

Et il en va de même pour tous ceux que la France a considéré comme des terroristes en leur déniant le droit de se considérer comme un peuple envahi et contraint, que ce soit les mouvements de libération de la Bretagne (le FLB), du pays basque (IPARETARAK), de la Corse (le FLNC) ou de la Nouvelle Calédonie (FLNKS). Ou plus récemment les mouvements des gilets jaunes et des bonnets rouges bretons.

 

Au fond, je pense qu’aucun peuple, qu’aucune armée, qu’aucun gouvernement, qu’aucune démocratie, ne reconnaissent jamais que ceux qui les combattent, ceux qui les contestent par les armes, ont le droit de porter le terme de ‘résistants’, qu’ils sont légitimes à les combattre au nom du droit à la résistance à une oppression militaire. Surtout pas dans des démocraties ! Ainsi, dans le discours de Joe Biden après les attentats du Hamas en Israël, il y a quelques jours, celui-ci n’a reconnu aux palestiniens  qu’un droit de résister de manière pacifique ! Mais peut-on résister de manière pacifique à une armée d’invasion ? L’utilisation du droit de vote, du droit de manifester, ne fonctionne, imparfaitement, que pour les membres d’une nation, mais en aucun cas pour un peuple envahi, combattu par les armes.

 

Mais pas plus que la France, les Etats-Unis, de par leur histoire, ne peuvent reconnaître à des peuples envahis le droit de leur résister militairement, cette nation qui s’est constituée en éradiquant les peuplades indiennes autochtones qui peuplaient l’Amérique du Nord et en s’étendant par la fureur et le glaive, dans le sang. Alors non, évidemment, reconnaître au peuple palestinien le droit de résister militairement au peuple israélien, ce serait reconnaître le droit aux descendants des peuplades indiennes parquées dans des réserves indiennes le droit de résister et de combattre les américains. Inenvisageable.

 

Toute démocratie se doit ainsi de récuser le droit de se proclamer ‘résistants’ à ceux qui la combattent, à ceux qui s’opposent à leurs vainqueurs, que cette démocratie soit la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Russie ou Israël. Ces Etats ont tous été créés par assimilation de peuples dominés et vaincus, écrasés férocement pendant des siècles. Reconnaître le droit des peuples à résister militairement à leurs tortionnaires équivaudrait pour ces derniers à disparaître corps et âmes de l’histoire et à se morceler en une mosaïque de régions ou d’Etats autonomes.

 

2. Comment une démocratie combat-elle les tendances centrifuges en son sein

 

Qui dit force de résistance à une occupation militaire, que ce soit en France, en Israël, aux Etats-Unis ou en Russie, implique l’existence de moyens de coercition pour les écraser. Les moyens sont au fond toujours les mêmes mais le regard de la presse, des médias dits libres, dits indépendants, les analyse d’une manière différente. Lorsque que c’est La Russie de Poutine qui est concernée par la mise au pas d’un opposant politique, cet opposant est systématiquement présenté comme un combattant de liberté. Les procès qui les frappent en Russie sont ainsi des mascarades de procès, des procès burlesques (le dissident Oleg Orlov) ou des procès expéditifs (l’opposant Alexei Navalny). Et ces combattants de la liberté sont appelés ‘dissidents’ ou ‘opposants’.

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/11/a-moscou-la-fin-du-proces-burlesque-du-dissident-oleg-orlov_6193822_3210.html

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/08/05/en-russie-l-opposant-alexei-navalny-une-nouvelle-fois-condamne-au-terme-d-un-proces-expeditif_6184487_3210.html

 

Mais rien de tout cela en France, aux Etats-Unis ou ailleurs, dans les sacro-saintes démocraties occidentales. Dans ce cas, les personnes poursuivies ne sont pas présentées comme des opposants, des résistants ou des dissidents. Juste des délinquants ordinaires comme les autres. Que diantre, on est en démocratie ! Il en va de même en Israël où des procès expéditifs touchent pourtant en permanence des citoyens palestiniens. Mais ne chercher pas à coupler sur le web en langue française les mots ‘Israël’ et ‘opposants’. La presse de langue française parle d’opposants en Biélo-Russie, en Tunisie, en Russie, mais en aucun cas en Israël ou en France.

 

https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/06/05/le-gilet-jaune-eric-drouet-juge-pour-port-d-arme-le-proces-ordinaire-d-une-figure-mediatique_5472028_3224.html

 

https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/02/13/gilets-jaunes-deux-ans-ferme-requis-contre-le-boxeur-christophe-dettinger_5423138_3224.html

 

Si chez nous, en Occident, des personnes sont arrêtées et poursuivies par les forces de l’ordre ou par la justice, ce n’est en aucun cas sur la base de positions politiques, mais parce que ces personnes ont enfreint la loi. Et même si au fond, il en va de même dans un Etat considéré par les médias comme dictatorial, la loi y sera présenté comme injuste et intolérable, alors que les lois occidentales sont forcément justes, légitimes, conformes au droit. Je considère cette interprétation des médias comme une monstrueuse parodie de justice, une monstrueuse parodie de présentation de la réalité, indigne d’une profession qui se targue de son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique.

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/13/pourquoi-la-bbc-ne-qualifie-pas-le-hamas-de-groupe-terroriste_6194133_3210.html

 

« Ce fut le dernier acte d’un procès qui, de longs mois durant, n’a cessé d’osciller entre le tragique d’une persécution expressément politique et la farce la plus absurde. » (procès d’Oleg Orlov à Moscou). On aurait pu dire la même chose des procès de Christophe Dettinguer, d’Eric Drouet, de Maxime Nicolle, de Jérôme Rodrigues ou consorts. Mais non, les médias occidentaux, ou français, ne l’entendent pas de cette manière. Il ne s’agit que d’abjects, de pathétiques délinquants, qui contestent d’ailleurs les merveilleux journalistes qui ne font que leur métier et qui d’ailleurs font l’objet de violences et de contestations de la part de ces mêmes méchants contestataires, prouvant par là-même, qu’ils ne sont que des horribles délinquants que malheureusement, le gentil gouvernement et les gentilles forces de l’ordre ne peuvent pas tous arrêter. Sinon, il y aurait bien 60% de la population française qui serait emprisonnée !

 

3. L’erreur de laisser seule l’histoire séparer le terroriste du résistant 

 

Il y a des attaques meurtrières auxquelles on a toutes les peines du monde à les considérer comme des actes de résistance. L’attaque de samedi dernier du Hamas en Israël en fera peut-être partie, comme les attaques du Bataclan en France, les attentats contre Charlie Hebdo ou l’assassinat de Samuel Paty, ou bien les attentats du World Trade Center du 11 septembre 2001. Considérer ces assassins comme des martyrs et de courageux résistants nous semble t impossible. Et pourtant, aux yeux de la population musulmane, ces gens sont des héros, des martyrs, des résistants. Tout comme Oussama Bin Laden.

 

En refusant de théoriser le droit d’un peuple à résister violemment et militairement, par les armes, par le sang, par le glaive, à un État envahisseur, les autorités internationales légitimisent une vision partisane des choses et on permet que des monstres sans foi ni loi, des assassins meurtriers, puissent être idéalisés par des générations futures de prochains assassins. Il faut désormais reconnaître que les histoires des Nations se sont toutes construites sur des meurtres et des occupations militaires, même si elles remontent parfois à plusieurs siècles. On l’a reconnu en Afrique en mettant fin à la colonisation et en procédant à la décolonisation. Il faut aussi le reconnaître dans le reste du monde, et reconnaitre le droit de ces peuples colonisés à contester l’hégémonie des gouvernements centraux, de la centralisation et des frontières imposées et à leur résister. 

Et bien sûr, il faut considérer la politique israélienne à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés comme ce qu’elle est : une occupation militaire à laquelle les groupes palestiniens ont droit de résister les armes à la main, et imposer à Israël de se retirer des territoires palestiniens et rendre les enclaves confisquées. On ne peut pas traiter différemment un conflit comme le conflit ukrainien, en reconnaissant le droit des ukrainiens de se révolter et de se battre, et le conflit israélo-palestinien où ces derniers n’auraient pas le droit de se battre les armes à la main. Un crime de guerre est un crime de guerre, quel que puisse être le vainqueur.

 

 

Saucratès



13/10/2023
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