Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

La France, l’Afrique et une certaine idée du Développement

La France, l’Afrique et une certaine idée du Développement 

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, mardi 5 septembre 2023

 

L’histoire partagée de la France et de l’Afrique remonte désormais à plusieurs siècles. On en connaît évidemment les siècles de colonisation, de colonialisme, d’esclavagisme, de guerres et d’invasions. Mais cette histoire réciproque remonte beaucoup plus loin, puisque l’histoire de la France s’est même construite sur une première invasion des tribus berbères Omeyyades en Gaulle et sur leur défaite en 732 à Poitier, face au premier carolingien, Charles Martel. Mais l’Europe ne resta pas indéfiniment sous le joug arabe, que ce soit sous le règne des tribus berbères Omeyyades ou Almoravides, des tribus dont l’origine se trouvait un peu au nord du Sénégal actuel, en plein milieu de l’Afrique sub-saharienne … Et quelques mille années plus tard, l’Europe envahissait et conquérait l’ensemble des terres africaines.

 

Aujourd’hui, plusieurs décennies après les re-indépendances des États africains, on assiste à une succession de coups d’états militaires dans plusieurs parties du pré-carré africain de la France, dans lesquels la domination de l’ancienne métropole française est violemment dénoncée et rejetée.

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/03/comment-la-france-a-perdu-le-sahel_6187599_3210.html

 

Et ce qui n’arrange rien, ce sont bien les discours du président Emmanuel Macron et de ses ministres qui appellent à une intervention militaire au Niger et interviennent dans les affaires intérieures nigériennes ou gabonaises, dans l’optique de rétablir leurs intérêts menacés et des dirigeants amis. Ou bien ceux que Macron et l’Occident appellent des dirigeants ‘légitimes’.

 

L’Occident justicier autoproclamé

C’est le problème de base de l’Occident. Cette faculté de se croire autorisé à donner des leçons de démocratie au monde entier, du moins aux États moins puissants économiquement, financièrement ou militairement qu’eux ! Ainsi, ils peuvent nommer un président selon eux plus légitime que le président vénézuélien élu et lui transférer les réserves de change extérieures vénézuéliennes. Mais tout ceci dépend avant tout de leurs intérêts. Dans une situation gabonaise semblable d’une élection confisquée, nul risque que la France agisse de la même manière et considère que le président qui devrait être considéré comme légitimement élu serait l’adversaire de leur propre poulain. Et qu’ils lui transfèrent les réserves de change du Gabon. 

 

Imaginons donc que la communauté internationale, ou bien la Russie ou le Venezuela considèreraient de la même manière que Macron est un dictateur, que les élections présidentielles de 2017 ou de 2022 n’étaient pas libres, et que le véritable dirigeant légitime de la France devrait être, soit un gilet jaune comme M. Rodrigues, soit l’adversaire empêchée de Macron au second tour, à savoir Marine Le Pen, et lui transfère les réserves de change françaises ? Que n’entendrait-on pas ? Quelle démocratie ne se révèlerait pas être la France dans cette occasion, avec des poursuites contre M. Rodrigues ou Mme Le Pen pour trahison, connivence avec l’ennemi et sédition ? Et c’est cela que l’on appellerait une démocratie ? Des États qui comme les États-Unis, la France ou le Sénégal, s’acharnent sur leurs principaux opposants pour des motifs inventés ou factieux ? Évidemment, il ne s’agit jamais de motifs politiques. Financements irréguliers de campagne, abus de leur position, mauvais usage ou déclaration de fonds, violences sexuelles ; les motifs sont légions mais il n’y a évidemment jamais rien de politique dans ces procès qui leur sont fait ! Jamais. Évidemment, d’autres qu’eux l’ont fait par le passé pour éliminer des concurrents dangereux, comme Sarkozy et Hollande avec Dominique Strauss-Kahn ou Dominique de Villepin et l’affaire Clearstream. 

 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/03/entre-la-france-et-l-afrique-les-ambiguites-du-ressentiment-doivent-etre-depassees-pour-desamorcer-la-machine-a-haine_6187614_3232.html

 

La France et la prédation

Et si c’était vrai. Si la France était bien la prédatrice décrite par l’ensemble des africains d’Afrique de l’Ouest ? Si la France n’était pas une sorte de bouc émissaire commode des juntes militaires arrivées au pouvoir, mais une société prédatrice s’étant accaparée les ressources économiques et les ressources financières de ces pays malgré leur indépendance ?

 

« Pendant trois décennies, dans le sillage de De Gaulle et de son homme de main en Afrique, Jacques Foccart, Paris a fait mine de partir, pour mieux rester en installant ses obligés au pouvoir dans chacune de ses ex-colonies. En 1990, la fin de la guerre froide a permis l’instauration du multipartisme, mais n’a conduit qu’au maquillage en démocraties électives des mêmes régimes.

 

Au même moment, les terribles potions budgétaires administrées au continent par les institutions financières internationales ont affaibli les Etats – dont les prérogatives ont été largement sous-traitées à des ONG étrangères et à des agences de l’ONU –, appauvri les populations et accru des inégalités déjà abyssales. Cette époque de faux-semblant démocratique semble s’achever aujourd’hui, pour le meilleur ou plus probablement pour le pire, alors que, dans plusieurs pays du Sahel, les jeunes, privés massivement d’avenir, préfèrent des militaires putschistes à des présidents élus et voient dans le coup d’Etat le seul moyen de se débarrasser d’un régime honni assimilé à la France. »

 

Mais la France elle-même n’est-elle pas rien d’autre qu’une démocratie élective au même titre que ces Etats africains que le journal Le Monde décrit dans les lignes ci-dessus. Et ce n’est pas parce que Emmanuel Macron a été élu en 2017 en dehors du jeu des grands partis politiques de la fin de la cinquième république que la France n’en demeure pas moins une démocratie élective.

 

L’élection présidentielle de 2017 et les élections législatives qui ont suivi ne sont qu’une gigantesque manipulation de l’opinion publique organisée par un groupe de hauts fonctionnaires, de maçons et de milliardaires propriétaires de journaux et de médias. La France est rentrée de plein pied à cette occasion dans le monde de l’argent et de la manipulation médiatique. Mais cela ne peut marcher qu’en interne ; cela ne peut pas marcher dans les médias des pays étrangers, auprès des populations étrangères informées par des médias non inféodés aux intérêts et aux capitaux français. 

Et la panique de Macron et de son gouvernement s’explique par l’existence même de la possibilité de coups d’état. Derrière ces dirigeants étrangers que l’armée renverse, c’est l’oligarchie française qui se sent elle-même menacée.

 

Selon moi, Macron a eu une peur bleue d’être renversé par une révolte populaire, comme pendant les gilets jaunes, ou par un coup d’état militaire. Et les réponses totalement stupides et contre-productives de la France aux coups d’état militaires nigériens et gabonais ne peuvent se comprendre sans appréhender cette dimension personnelle de Macron. Un dirigeant légitimement élu (à son sens) ne peut être renversé par des militaires ou par un peuple versatile et ignorant. 

 

Entre ce que nous voyons comme outil de développement, et ce que les africains voient, il y a un monde

Le développement est pour partie pétri de bonnes intentions. Un certain nombre de développeurs croient en leurs outils, en leurs objectifs, mais les actions de développement ont également leur côtés obscurs. Derrière l’association l’Arche de Zoé qui souhaitait sauver des orphelins, il y avait des personnes qui instrumentalisaient la soif d’enfant de couples européens stériles, et volaient des bébés à leurs parents parfaitement en vie. Derrière les projets de développement, il y a des entreprises qui se créent des empires industriels ou portuaires en Afrique. Pour quelle raison les bières brassées et vendues en Afrique par le groupe Castel, appartiennent à des capitaux français et non pas africains ? 

 

Au fon, la raison est toujours la même : derrière les grands sentiments se déroule une diplomatie reposant sur la force, les pressions, les menaces et les sanctions, qui imposent aux États africains le respect de principes politico-économiques qui favorisent les intérêts français, autour des notions de concurrence, de libéralisation, de respect de la propriété pour les investisseurs étrangers. Et de mise sous tutelle de la justice de ces pays-là, de la même manière que la justice française est mise sous tutelle par l’Europe et les principes européens, par les idéaux écologistes des petits juges administratifs francais, ou par les intérêts américains. Impossible donc pour les États africains appartenant au pré-carré français de nationaliser les ports, infrastructures, brasseries, industries appartenant aux intérêts privés français … Et de toute façon, si ces infrastructures devaient être nationalisées, elles s’effondreraient d’elles-mêmes parce que les États africains ne pourraient pas les entretenir. Parce que l’entretien de ces infrastructures dépend aussi d’autres entreprises internationales et ne peut être assuré facilement. 

 

Jusqu’aux constructions bancaires et financières dans ces pays africains, comme le franc CFA, qui ne dépendent étroitement de Paris, qui ont été pensées par Paris et dans la succession du Général  de Gaulle et des hommes qui l’entouraient. Jusqu’à l’institution de développement française (l’AFD), qui se trouve toujours confrontée au couplage ou au découplage de l’aide au développement qu’elle distribue ou met en œuvre, vis-à-vis des investisseurs français qui veulent être priorisés, comme le font tous les autres pays au monde, de la Chine aux USA en passant par l’Allemagne. 
 

Comment refonder une relation entre la France et l’Afrique qui ne reproduise pas tous ces travers, qui ne fasse plus de l’Afrique une vassale de la France (ou de l’Occident), qui ne nourrissent plus la rancoeur des peuples africains à l’encontre de la France ? Se retirer de ces pays africains suffira-t-il, puisque ces mêmes peuples africains garderont aussi rancune à la France du possible effondrement de leurs économies suite au départ des institutions françaises, des désordres monétaires éventuels consécutifs à l’abolition du régime du franc CFA …

 

Certes, un certain nombre de réalisations institutionnelles françaises peuvent être utiles, protectrices pour les États africains et pour leur peuple. Mais on ne peut pas protéger un peuple de désordres à l’encontre de sa propre volonté. On est allé trop loin dans la soumission de l’Afrique aux interêts étrangers et aux intérêts privés étrangers. On ne peut pas protéger des États ou des peuples lorsqu’ils ne veulent pas être sauvés ou aidés. C’est ainsi le cas de Madagascar, jadis au sortir des indépendances, une économie développée et prospère, un système de santé qui en faisait le centre de l’Ocean Indien, et qui est devenu aujourd’hui l’un des pays les plus pauvres du monde, après plusieurs décennies de main-mise communiste et russe. 

 

Mais peut-on moralement et humainement laisser ces États d’Afrique s’enfoncer dans le sous-développement, la violence et la pauvreté parce que leur peuple ou leurs dirigeants veulent reprendre en main leur destin et se jeter dans les rets des régiments Wagner russes et des prêts et des investissements chinois, ou coréens ? Parfois, il faut aller au bout de ses erreurs.

 

 

Saucratès 

 

 

Post scriptum : Lorsque l’on parle de l’Afrique et du colonialisme, difficile de ne pas parler de l’esclavage, des 12 millions d’esclaves capturés et embarqués sur la façade atlantique de l’Afrique à destination des colonies américaines ou atlantiques, de 1563 à 1866. Mais comment oublier que Oman est demeuré le principal port esclavagiste bien après l’abolition officiel de l’esclavage, que l’esclavage y est resté actif jusqu’en 1920 à destination de l’Arabie, les pays du Golfe et la région persique, et que celui-ci n’a été officiellement aboli qu’en 1970 à Oman ! 
 

Même le retour des esclaves libérés des Amériques, au Liberia, se traduisit par la reproduction de la part des anciens esclaves du même mode de discrimination et de domination à l’encontre des africains natifs que les anciens esclaves avaient subi en Amérique. Ce qui valut au Liberia, indépendant depuis 1847, d’être condamné par la Société des Nations en 1936 pour la discrimination des autochtones et leur exclusion du droit de vote.



05/09/2023
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 49 autres membres