Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Mouvements sociaux et représentativité

Saint-Denis de La Réunion, mercredi 21 février 2019

 

Une scène récente dont les journaux télévisés ont rendu compte m'a rendu perplexe ; celle de ces jeunes lycéens et étudiants qui avaient envahi vendredi après-midi le ministère parisien de la transition écologique et solidaire (ex-écologie et développement durable), mais qui ont refusé de désigner une délégation en leur sein pour être reçu par le ministre. Alors que certains des étudiants et des lycéens présents semblaient vouloir désigner une délégation apte à être reçue, une autre partie du groupe refusait une telle désignation et souhaitait que la négociation est lieu dans la cour du ministère, en public, devant tout le monde.

https://etudiant.lefigaro.fr/article/greve-pour-le-climat-lyceens-et-etudiants-jugent-l-ecologie-delaissee_0c7fa1c6-313b-11e9-9f0e-0e92effe80a7/

 

J'ai vu dans cet épisode surprenant une conséquence du mouvement des gilets jaunes, puisque c'est justement le mode de fonctionnement privilégié des gilets jaunes, remettant en cause et refusant de reconnaître la légitimité de toute forme de désignation démocratique ou de toute forme de représentativité, et qui les conduit depuis trois mois à ne pas pouvoir se reconnaître de porte-parole ou de représentants. Épisode surprenant parce que l'ensemble des mouvements estudiantins ou lycéens ont toujours pu se doter de représentants, de dirigeants, de leaders, éventuellement facilement révocables, mais aptes à les représenter en coordination nationale ou face aux interlocuteurs du gouvernement. À ma connaissance, ce devait être l'une des premières fois où un mouvement étudiant se refusait à participer à ce dialogue qu'ils semblaient appeler de leurs vœux ... Sinon pourquoi se rendre dans un ministère ? 

 

J'ai senti dans cet épisode l'influence des gilets jaunes. Mais à lire ou écouter Martin Gurri ou Nicolas Colin, il s'agirait d'un mouvement plus large, que Martin Gurri fait remonter aux années des printemps arabes.

 

«Autour de 2011, année du printemps arabe, il [Martin Gurri] a observé une rupture brutale dans le rapport du grand public à l’information. Dans le monde entier, des informations émanant d’individus sans affiliation ou d’organisations émergentes ont commencé à prendre l’ascendant sur celles issues de sources plus institutionnelles. Les idées se sont mises à être diffusées en réseau plutôt que d’être imposées par le haut. Les autorités autrefois les plus respectées, comme les pouvoirs publics, les grands organes de presse, les universités et les think tanks, ont été peu à peu marginalisées.»

 

L'article du Monde intitulé «Les réseaux d'individus sur internet se caractérisent par la colère» de Nicolas Colin

 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/02/19/nicolas-colin-les-reseaux-d-individus-sur-internet-se-caracterisent-par-la-colere_5425080_3232.html

 

Le mouvement des gilets jaunes ne serait alors qu'un simple exemple d'un mouvement plus large de marginalisation des hommes politiques, des journalistes, des organes de presse et des intellectuels au sens large. Cet épisode d'occupation d'un ministère sans que ces jeunes ne soient prêts à désigner des représentants ne serait alors qu'un autre exemple de cette remise en cause de la légitimité de toute forme de représentation. 

 

Ces deux épisodes (gilets jaunes et occupation estudiantine) font apparaître un même malaise, plus facilement perceptible dans l'épisode estudiantin. Ces lycéens et étudiants ont énoncé une liste de revendications, et il appartient selon eux au ministre, au gouvernement, de les mettre en application. Il y a une forme d'autisme, de morgue et de suffisance chez ses jeunes étudiants ou lycéens. Cette certitude qu'ils connaissent une vérité absolue qu'il revient aux dirigeants de mettre en application, de mette en œuvre. Ces jeunes sont imbus d'eux-mêmes. Mais c'est peut-être tout à fait naturel, nous étions peut-être nous-mêmes comme ca lorsque nous étions jeunes ?

 

A un autre niveau, il y a certainement du comparable dans le mouvement des gilets jaunes, une même morgue, une même suffisance, les conduisant à s'estimer représentatifs de l'ensemble du peuple (cette même forme de représentation qu'ils refusent pourtant de reconnaître pour eux-mêmes) et qu'en tant que représentants du peuple réel, ils savent ce qui est nécessaire et ce qu'il convient de faire. Sauf que bien évidemment, la France des ronds-points est tellement dispersée, le nombre de gilets jaunes est tellement important, leurs idées sont tellement diverses et variées, leurs propositions sont tellement disparates, qu'ils sont pour l'instant apparemment incapables d'énoncer cette liste de revendications que le gouvernement pourrait être sommé de mettre en oeuvre, de mettre en application ! 

 

Cette analyse ne se veut pas néanmoins critique. Les hurlements indignés du gouvernement à l'encontre de toute personne insuffisamment critique des débordements de foule, de tout débordement lors des manifestations, me rendent bien plus malade à vomir que cette découverte d'un nouveau mode de fonctionnement qui ne serait plus représentatif, mais qui échoue aujourd'hui apparemment à fonctionner. De la même manière, l'acharnement judiciaire contre tel ou tel gilet jaune me semble tout autant inqualifiable. Que je pense au boxeur Christophe Dettinger condamné à 30 mois de prison, ou à des leaders des gilets jaunes, qu'ils veulent condamner à la prison pour appel à une manifestation non déclarée ! Et pendant ce temps là, des policiers et des gendarmes peuvent écloper ou énucléer des gilets jaunes sans être aucunement inquiétés, sans être poursuivis ! Le moindre dérapage est instrumentalisé pendant que ces pitres de LRM paradent à la télévision où se posent en défenseurs des veuves et des orphelins. Oui j'enrage !

 

Je pensais aussi aux hurlements indignés des députés de la majorité, si on les menace de la guillotine, ou bien si le president du mouvement Debout la France appelle à ne pas les laisser partir vivants du pouvoir ! Ces cris d'orfraie me laissent mort de rire !

 

Quelle peuvent être les conséquences de cette évolution/révolution des mouvements sociaux, car c'est bien de cela dont il est ici question ? Premièrement, ce mouvement atypique et incontrôlable a réussi ce qu'aucun autre mouvement n'avait réussi à faire depuis bien longtemps : perdurer trois mois durant malgré le froid, les intempéries et les fêtes de Noel.   Rares sont les mouvements depuis mai 1968 à avoir réussi à durer aussi longtemps. Il est donc incorrect de dire que ce mouvement à échouer à se structurer ou qu'il a échoué. Il s'est juste structuré d'une manière qu'on ne peut encore analyser, qu'on ne peut encore comprendre.

 

Deuxièmement, que peut devenir ce mouvement ? Comme au début des années 2010, est-il possible que comme au cours des printemps arabes, le mouvement des gilets jaunes peut-il conduire à un renversement victorieux du gouvernement de Macron et de ses séides ? Est-ce même souhaitable ? Après tout, de quoi les printemps arabes ont-ils accouché ? De gouvernements assez ressemblants à ceux qui les avaient précédés, après quelques temps d'anarchisme et de pillage. Les événements observés lors de ce dernier samedi, avec des menaces antisémites à l'encontre d'un grand philosophe, ou à l'encontre d'une de leur porte-paroles, pourraient devenir récurrentes et normales !

 

Certes ! Mais la criminalisation que conduit actuellement le gouvernement et les forces de police et de gendarmerie à l'encontre du mouvement des gilets jaunes et de toute contestation sociale, sur ordre du pouvoir, me semble tout autant dangereux et inacceptable ! Ce n'est pas seulement contre l'antisémitisme qu'il faudrait manifester ce mardi, mais aussi pour le droit de manifester, d'être écouté, d'être entendu et d'être respecté ! 

 

 

Saucratès



19/02/2019
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