Critiques de notre temps

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Sur le département de La Réunion


Quelques autres réflexions sur le développement de la Réunion

Quel développement possible pour le département de la Réunion 

Réflexion deux - Quelques enseignements tirés d’un échec

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, jeudi 21 mars 2024

 

Dans mon précédent diagnostic, je me permettais de décrire la Réunion comme une économie livrée en pâture, pillée par de grands groupes étrangers, qu’ils soient antillais ou métropolitains. Si on était capable de fabriquer une balance des paiements de l’économie réunionnaise, on découvrirait probablement une balance des transferts de dividendes très fortement déséquilibrée, avec des centaines de millions, voire un milliard d’euros, de dividendes sortant du département, et de très faibles flux rentrants. Le signe d’une économie en développement, pillée par des grands groupes étrangers ne s’intéressant pas à son développement.

 

On pourrait dire qu’il manque aujourd’hui à la Réunion un grand industriel richissime et visionnaire, l’équivalent de ce que le groupe HAYOT représente pour l’économie martiniquaise, même si les martiniquais n’en voient que les aspects sociaux problématiques liés à la toute-puissance des industriels békés.
 
Pourtant, la Réunion a eu un tel groupe industriel visionnaire et dominant par le passé. Il s’agissait du groupe BOURBON de Jacques de Chateauvieux. Il y a très longtemps, dans les années 1980-1990, ce groupe était particulièrement puissant dans le département, s’étendant de la grande distribution alimentaire avec les magasins SCORE, à l’industrie du sucre avec l’une des dernières usines sucrières, en passant par des participations dans de nombreuses entreprises ou industries (Armements des Mascareignes, CILAM …) ou dans l’immobilier (BOURBON disposait de plus de 3.000 hectares de terrain à mettre en valeur).

 

Mais le groupe BOURBON de Jacques de Chateauvieux a fait le choix de se développer à l’international, devenant un grand capitaine d’industrie français, reconnus par ses pairs, en acquérant la compagnie de secours en mer Les Abeilles, puis en se spécialisant dans le transport maritime. Pour cela, BOURBON cédera toutes ses filiales réunionnaises, de la grande distribution cédée à Casino, aux usines sucrières cédées à Beghin Say, qui deviendra par la suite TEREOS. Il devint l’une des rares groupes réunionnais cotés en bourse sur la place parisienne, sur le premier marché, rejoignant les valeurs admises au règlement mensuel. L’actualité récente lui aurait donné raison, avec l’envol des coûts du transport maritime, mais ses banques créancières lui avaient déjà volé le contrôle de Bourbon puis de sa holding JACCARD.

 

Si l’aventure de BOURBON se conclue comme un échec, Jacques de Chateauvieux aura néanmoins été proche de transformer un groupe industriel né dans des plantations de cannes dans le département de la Réunion, en un pure player du transport maritime, l’un des leaders mondiaux de cette activité. Mais trahi par les Banques, trahi par les crises financières s’étant succédées depuis 2007, le groupe BOURBON lui échappera et la fin de cette aventure ruinera également de nombreux petits actionnaires. Quant à l’économie réunionnaise, elle aura perdu dès le début de cette aventure un important investisseur et elle aura vu plusieurs secteurs clefs de son économie partir dans l’escarcelle de groupes étrangers à la Réunion.

 
Gageons que les aventures boursières de BOURBON et ses déboires judiciaires serviront de leçons aux groupes réunionnais qui seraient tentés de se développer au plan national et international. Gageons qu’ils apprendront éventuellement à se méfier des méfaits d’un endettement excessif et de se désinvestir des l’économie du département. Le groupe CAILLE a également été dans une situation financière difficile après les années 2007-2009 mais il lui a survécu. Sur une île comme la nôtre, on ne liquide pas des groupes comme CAILLE ou APAVOU représentant des milliers d’emplois, comme les banques ont pu le faire dans le cas du groupe BOURBON.

 
 
Saucratès

 

 

Post scriptum : Dans les faits, dans les années 1990, le groupe BOURBON de Jacques de Chateauvieux avait aussi un autre puissant concurrent, notamment le groupe QUARTIER FRANÇAIS, ou Sucrerie du Nord-Est, de Xavier Thieblin. Allié au groupe BOURDILLON, le groupe QUARTIER FRANÇAIS semble avoir également préféré rester à l’écart de toutes ces grandes aventures capitalistes voire également se retirer de notre département pour se repositionner sur son cœur de métier. Mais pas plus que BOURBON, le groupe QUARTIER FRANÇAIS n’a pas choisi de devenir le parrain et le protecteur du système industrmiel et capitaliste réunionnais. Mais comment leur en vouloir, dans ce monde de requins de la finance, où pour survivre, il vaut mieux vivre caché.


21/03/2024
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Quelques réflexions sur le développement de la Réunion

Quel développement pour le département de la Réunion 

Réflexion une - Un état des lieux

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, samedi 9 mars 2024

 

Quel diagnostic peut-on faire de notre département de la Réunion, à notre petite mesure ? Aujourd’hui, des pans entiers de notre économie, de nos industries, de notre tissu commercial, se trouvent entre les mains d’investisseurs et de groupes non originaires de notre département. 

Cela a-t-il une quelconque importance ? Est-ce que cela peut avoir une quelconque conséquence sur le développement de notre département, sur le développement de notre île ? Pour ma part, je pense que c’est le cas, que cela a une importance. Sinon, pourquoi la constitution et la défense de champions nationaux aurait-il de l’importance pour la France, pour la Chine, pour les Etats-Unis ou pour Maurice ?

 

Aussi, la prise de contrôle de pans entiers de l’économie réunionnaise par le groupe martiniquais Hayot, qui contrôle le secteur de l’automobile (Renault, Volkswagen, Audi, Mercedes), de la réparation automobile, des pneumatiques, des magasins de bricolage, de la grande distribution, des loueurs automobiles, ne peut pas être neutre et sans conséquences. De même, l’implantation d’entreprises mauriciennes doit aussi interroger. Sans oublier évidemment toutes les entreprises ou les banques contrôlées par des grands groupes nationaux, dont tous les bénéfices remontent vers les maisons mères cotées en bourse. Mais on pourrait aussi parler de la distribution de l’eau, de l’assainissement ou du ramassage des ordures contrôlés également par des grands groupes nationaux, ou bien du tourisme. Ou bien de la téléphonie mobile ou fixe. Et  on oublie certainement d’autres secteurs économiques dans cette description.

 

Quels enseignements peut-on tirer de ce panorama ? Le premier enseignement que l’on peut en tirer est que cette prise de contrôle vise essentiellement le secteur du commerce et des services, pas celui de l’industrie et de la production. Tout ce qui a trait à l’agriculture et à la transformation des produits agricoles est majoritairement sous le contrôle d’entreprises réunionnaises, à l’exception toutefois de l’industrie sucrière accaparée par TEREOS. Quelques groupes nationaux ont peut-être installé des filiales dans le département (Danone) mais l’industrialisation via l’import-substitution des années 1960 et 1970 a permis la constitution de champions départementaux et d’entreprises pérennes. 

Mais je crains qu’il ait manqué depuis les années 1980 d’une réflexion sur quelle industrialisation nous souhaitons et comment elle peut permettre la pérennisation et le développement de groupes locaux et par effet d’entraînement du développement du département dans son ensemble.

 

Certains me demanderont peut-être qu’elles conséquences cela peut bien avoir pour les citoyens réunionnais ? Quel intérêt peut bien avoir le fait de savoir si l’entreprise appartient à Pierre, Paul ou Jacques ? Pierre le martiniquais, Paul le métropolitain, ou Jacques le réunionnais. Les salariés réunionnais sont-ils mieux traités dans un cas ? Y a-t-il plus d’effets favorables induits au niveau de l’économie dans son ensemble lorsque c’est Pierre, Paul ou Jacques ? Tout ceci doit être questionné. La seule réponse que j’ai, ce sont les flots de dividendes qui remontent vers les maisons-mères et qui representent des centaines de millions d’euros chaque année, des centaines de millions d’euros ponctionnés sur les consommateurs réunionnais qui ne seront ni consommés, ni investis dans le département, mais qui nourrissent les projets de développement internationaux, européens, antillais, mauriciens des actionnaires extérieurs.

 

On pourra me rétorquer que les dizaines de milliers de véhicules automobiles produits à l’extérieur du département et achetés chaque année par les consommateurs réunionnais doivent également represent plusieurs dizaines de millions d’euros et que cela n’a peut-être pas plus d’effets favorables pour l’économie, voire même un effet environnemental défavorable majeur. Mais au moins, on reçoit en retour des biens matériels ! On ne reçoit pas rien de ces flux financiers. Quel est notre retour sur les flux financiers des dividendes pour les actionnaires étrangers ? Strictement aucun.

 

On pourra aussi me rétorquer que ces prises de contrôle ou ses implantations nous permettent d’éviter des gabegies. Certains donneront l’exemple de la distribution de l’eau. Ces groupes internationaux permettent une meilleure gestion des réseaux parce «qu’ils savent faire». C’est très vraisemblablement vrai. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en France et en Navarre, ils remplacent des régies municipales, et que dans les pays en développement ou même dans de grands pays industriels, ils récupèrent aussi la distribution d’eau ou l’assainissement parce qu’ils savent très bien le faire. Donc effectivement, c’est un argument expliquant la main mise des grands groupes nationaux sur ces secteurs, comme partout ailleurs. 

 

Mais cela n’explique pas tout. Cela n’explique pas la main mise d‘Hayot sur le commerce. A-t-on fait rentrer le loup dans la bergerie et s’en est-on aperçu trop tard, alors qu’il avait ingurgité la moitié des brebis et des moutons ? Cela explique aussi la main mise d’Orange et de SFR sur la téléphonie mobile, même si les premiers investisseurs étaient réunionnais, mais comment refuser l’offre de rachat très généreuse qui leur a été proposée ou imposée ? Mais cela n’explique pas par contre la main mise sur le système bancaire de l’île. Dans ce dernier cas, ce sont les obligations prudentielles imposées par les autorités monétaires françaises puis européennes, comme par exemple de disposer d’un actionnaire de référence, de dirigeants notoirement connus pour diriger ces établissements, qui expliquent cette main mise. Il y a une histoire monétaire de notre département à écrire et une interprétation à en réaliser.

 

https://www.iedom.fr/IMG/pdf/note_iedom_-_70_ans_de_systeme_bancaire_a_la_reunion.pdf

 

Toutes les banques du département appartiennent à de grands groupes nationaux, ou internationaux. Même les banques dites mutualistes ou populaires appartiennent à des groupes et transfèrent leurs résultats à leurs organes centraux. En a-t-il toujours été de même ? A son origine en 1853, la Banque coloniale de la Réunion appartient à des propriétaires, planteurs, commerçants ou industriels réunionnais, mais sa cotation en bourse sur la place de Paris à partir de 1878 introduit le loup dans la bergerie. Et en 1955, elle passe sous le contrôle du Crédit Lyonnais tout en fusionnant avec sa concurrente sudiste, la «Société bourbonnaise de crédit de la Réunion».

 

De la même manière, le «Crédit foncier de Madagascar» installé à la Réunion à partir de 1927 passe sous le contrôle de la «Banque nationale pour le commerce et l’industrie» en 1955 et prend le nom de BNCI-OI pour devenir aujourd’hui la Bnp Paribas Réunion. Même sujet pour la BFCOI contrainte par la réglementation bancaire à se rattacher à un grand réseau comme la Société Générale. Même si évidemment, la BFCOI a toujours appartenu à des sociétés financières comme INDOSUEZ. Ou pour la SODERE, société de développement régionale créée en 1964, qui sera absorbée en 2001 par la SOFIDER, avant toutes deux d’être cédées et absorbées par la BRED Banque Populaire. Dernier exemple de tentative de création de banques réunionnaises détenues par des réunionnais pour des réunionnais, le Crédit maritime créé en 1974 mais absorbé en 2015 par la BRED Banque populaire.
 
Derrière ces histoires, il y a des hommes qui pensaient au développement de la Réunion, qu’il s’agisse de M. Trimaille de la SODERE, de M. de Cambiaire au Crédit Agricole … parmi de nombreux autres personnages. Les technocrates qui dirigent aujourd’hui les grandes banques, qui pilotent en terme de performance et de ratios leurs équipes, n’ont plus rien à voir avec ces hommes et ces femmes qui oeuvraient pour le développement de la Réunion. Aujourd’hui, il n’y a plus rien que le profit et la rentabilité qui comptent.

 
https://www.reunionnaisdumonde.com/magazine/actualites/case-tomi-satec-revolution-de-l-habitat-a-la-reunion/

 

Mais cette même histoire pourrait être racontée pour de nombreux autres grands secteurs d’activité, comme par exemple l’industrie sucrière. On est ainsi passé de plus d’une centaine d’usines sucrières dans les années 1900 appartenant à toutes les familles de planteurs, dont il ne reste plus que quelques traces dans les mémoires (Beaufond à Saint Benoit, Quartier Français, Savannah, Pierrefonds, Isautier…) représentant les dernières usines survivantes, à un seul et unique sucrier appartenant à un grand groupe international (TEREOS) qui contrôle désormais toute la filière. 

 

 

Saucratès


09/03/2024
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Cyclone Belal - Infantilisation et moralisation préfectorale

Cyclone Belal - Infantilisation et moralisation préfectorale

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, vendredi 19 janvier 2024

 

Privé pendant plus d’une journée d’électricité (et d’eau accessoirement), j’ai eu tout loisir d’écouter les journalistes de RFO à la radio ainsi que les allocutions du préfet. Certes, les décisions de ce préfet étaient applaudies par les journalistes, les spécialistes de toute sorte et même nombre de téléspectateurs ou auditeurs de RFO. Je n’ai pas lu la presse locale mais je parierais qu’ils ont tous applaudi aux décisions si judicieuses de ce préfet miraculeux.

 

J’ai un autre regard sur cette affaire. La miraculeuse alerte violette est vraisemblablement une absurdité qui a retardé de plusieurs dizaines d’heures le rétablissement de nombre de services publics, voire est responsable de la mort de ses sans domicile fixe qui ont été abandonnés sans possibilité de secours pendant les pires heures de ce cyclone. Ils avaient refusé d’être mis à l’abri ? Pourquoi ce besoin de souligner ce point chaque fois que le préfet ou les journalistes parlent de ces décès ? Pour s’exonérer de toute responsabilité ? Il suffit donc que quelqu’un passe vous voir et vous conseille et demande de quitter votre domicile pour que vous soyez responsable de votre propre mort ?

 

La non moins miraculeuse alerte téléphonique pour nous avertir à longueur de journée des alertes rouges et violettes me semble tout aussi stupide. C’est donc le nouveau jouet du préfet. Il en a usé et abusé à longueur de temps dimanche, lundi et mardi. Alerte orange, alerte rouge, alerte violette, et maintien de l’alerte rouge à deux reprises. Je crains que cet usage immodéré des alertes téléphoniques via nos GSM ne soit maintenant utilisé à tout va par nos responsables politiques et préfectoraux. N’oubliez pas d’aller voter ! Interdiction de participer à des émeutes ! Catastrophes en tout genre. On n’est pas prêt d’arrêter de voir nos GSM sonner pour un oui ou pour un non !

 

Le maintien de l’alerte rouge jusqu’au mardi midi, alors que la majeure partie de la Réunion était à l’abri de l’influence du cyclone depuis au minimum le lundi soir, voire le lundi midi pour la zone de Saint-Denis, est une autre aberration de cet épisode cyclonique. L’alerte rouge sert à protéger la population d’un risque mortel avéré lié à l’activité cyclonique. Quel risque mortel courrait-on la nuit de lundi à mardi, ou le mardi matin ? Aucun. Les routes étaient certes impraticables, mais rien n’empêchait les réunionnais de secourir leurs voisins, d’aller faire quelques courses chez le chinois ou la superette. Le maintien de cette alerte rouge jusqu’au mardi midi n’avait aucun sens si ce n’est d’alimenter l’activité répressive des gendarmes et les commentaires délatoires de la populace.

 

Le pire est certainement les commentaires des censeurs journalistiques. Faites ci, faites ça, respectez les consignes, facilitez le travail des secours … J’ai retrouvé pendant cet épisode cyclonique la même palette de censure et d’infantilisation que j’avais entendu pendant la période du confinement du coronavirus.

 

Aussi insupportables, les discours moralisateurs du préfet pour présenter le passage en alerte orange (allez faire vos courses, allez acheter de l’eau, sécurisez vos logements …), pour présenter le passage en alerte rouge (ne bougez pas de chez vous, enfermez-vous …), pour avertir de la fin de l’alerte rouge (aidez vos voisins, faites ci, faites ça …). Tout ceci m’a profondément fatigué et écouter ce préfet discourir pendant presqu’une heure «sur ce que je devais faire» et «sur ce que je ne devais pas faire» était désagréable sachant que je n’avais que la radio pour avoir des informations sur ce qui se passait, ni rien d’autre à faire dans le noir.

 

Pour terminer, peut-on parler de la date de la rentrée scolaire de lundi prochain ? À nouveau, les autorités préfectorales et le rectorat avancent la rentrée scolaire de janvier d’une bonne semaine. À mon époque, dans les années 1980, la rentrée scolaire avait lieu aux alentours du 15 février et les vacances scolaires de l’été austral duraient deux mois, du 15 décembre au 15 février, respectant les périodes des plus grandes chaleurs australes. Il y a peu, la rentrée scolaire survenait plutôt fin janvier. Une nouvelle fois, cette année, la rentrée scolaire est avancée d’au moins une semaine. Il y a quelque années, les jeunes s’étaient massivement mis en grève pour protester contre la volonté de ramener la rentrée scolaire sur les dates métropolitaines. Gageons que notre si merveilleux préfet a déjà prévu la solution pour désamorcer la grogne des etudiants … Peut-être faire venir des centaines d’étudiants métropolitains pour remplacer les futurs grévistes …

 

Donc effectivement, je ne suis pas d’accord avec les appréciations dithyrambiques des journalistes, auditeurs et spécialistes sur les actions et la gestion merveilleuse de ce préfet. Mais tant qu’il est apprécié à Matignon et Place Beauvau … rien d’autre ne compte.

 

 

Saucratès


19/01/2024
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Le CNRS donne accès à la base de données des compensations versées en 1849 aux propriétaires d’esclaves - Quelques enseignements

Saint-Denis de La Réunion, vendredi 14 mai 2021


Un site du CNRS publie deux bases de données traitant des compensations versées par l’Etat francais aux propriétaires d’esclaves. L’une des deux bases concerne l’indemnité versée en 1825 par la nouvelle République libre de Haïti, et la seconde base concerne les indemnités versées en 1849 aux propriétaires d’esclaves des colonies de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de la Réunion, du Sénégal et des iles de Sainte Marie et de Nosy Be. Dans un cas, pour Haïti, on parle d’une indemnité de 150 millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité, et dans la deuxième, pour les autres colonies, on parle d’une indemnisation de 126 millions de franc or (soit l’équivalent de 27 milliards d’euros d’aujourd’hui - selon Le Monde).

https://www.lemonde.fr/afrique/video/2021/05/08/esclavage-qui-a-profite-de-l-argent-de-l-abolition_6079569_3212.html

 

Dixit Le Monde, «Gratuit et collaboratif, ce fichier inédit en France, fruit d’un travail de deux ans sur des milliers d’archives, pourrait relancer le débat sur les réparations».

 

https://esclavage-indemnites.fr/public/ 

 

Dans l’article qui suit, on va s’intéresser à la seule base des indemnisations de 1849 mais l'histoire de Haïti et des 150 millions de francs or que Haïti a dû payer à la France pour prix de leur indépendance me paraît également intéressante, par son injustice. Haïti a plus payé pour son indépendance que les indemnités versées pour l’ensemble des autres colonies françaises !

L’intérêt de ce site est aussi de rappeler cette injustice.

 

«Le 1er janvier 1804, après deux ans de combats acharnés contre les troupes du général Leclerc puis de Donatien de Rochambeau, venus rétablir l’esclavage, au nom de Napoléon Bonaparte, Jean-Jacques Dessalines proclame, l’indépendance de l’ancienne colonie française de Saint-Domingue, sous le nom d’Haïti. Pour la première fois de l’histoire, d’anciens esclavisés émancipés depuis 1793, fondent un état indépendant (...)

Le 3 juillet 1815, trois navires de guerre suivis quelques jours plus tard par deux escadres arrivent en rade de Port-au-Prince. A leur bord se trouve le capitaine de Mackau qui est chargé par Charles X d’obtenir l’agrément du président Boyer aux conditions de la France, y compris par la contrainte.

 

Le 11 juillet 1825, le Sénat haïtien autorise le président Boyer à ratifier l’ordonnance de Charles X datée du 17 avril 1825 et dont les 2 principaux articles sont :
 
Article 2 : Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la Caisse Centrale des Dépôts et Consignations de France, en cinq termes égaux, d’année en année, le premier échéant le 31 décembre 1825, la somme de 150 millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité.

Article 3 : Nous concédons à ces conditions, par la présente ordonnance, aux habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue, l’indépendance pleine et entière de leur gouvernement.
 
La première République noire s’est acquittée complètement de l’indemnité en 1885, et de l’emprunt, en 1887, mais cela l'a plongée dans un endettement chronique qui l'a affaiblie durablement.»

Et Haïti devait ensuite être occupée militairement par les États-Unis d’Amérique à compter de juillet 1915 et ce jusqu’en août 1934, afin d’y combattre l’influence de l’empire allemand, qui y était particulièrement bien implanté.

 
Mais pour en revenir à la base des indemnisations des propriétaires d’esclaves dite base 1849, le site donne un certain nombre d’informations extrêmement intéressantes (au-dela de la liste des noms des proprietaires d’esclaves et des sommes perçues en 1849).


En voici la présentation des données selon le site :

«Lorsque la France abolit l’esclavage pour la seconde fois le 27 avril 1848, elle accorde dans le même temps une indemnité aux anciens propriétaires d’esclaves de l’Empire français. La loi du 30 avril 1849 et son décret d’application du 24 novembre 1849 leur attribuent 126 millions de francs, selon des modalités différentes pour chacune des colonies (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Sénégal, Sainte Marie et Nosy Be). Un telle dépense, dans un tel contexte de crise économique, ne peut que susciter débats et interrogations.

 

En tête de file des défenseurs de l'indemnité se trouvent les anciens propriétaires, dont la diversité de profils est insoupçonnée. À leurs côtés, les marchands et créanciers coloniaux constituent le second groupe dans l'attente. Tous plébiscitent des arguments juridiques et économiques pour justifier cet octroi. Face à eux, les abolitionnistes présentent l'esclavage comme contraire à la morale, et certains vont même jusqu'à suggérer une indemnisation à destination des nouveaux libres. Aucunes propositions n'aboutirent dans ce sens.

 

À travers cette mesure âprement débattue au sein de la commission d'indemnisation et de l'Assemblée Nationale, l'État tente de préserver ses grands intérêts économiques dans les colonies dont la possession se trouve menacée. D'un côté, les colons menacent de quitter les territoires, de l'autre, la menace d'une révolte inspirée par l'exemple haïtien pousse les législateurs à adopter cette mesure d'indemnisation permettant la mise à l'oeuvre du processus d'abolition. L'indemnité coloniale apparaît comme une condition sine qua non à l'abolition.»

 

https://esclavage-indemnites.fr/public/Base/2/DonneesChiffrees

 

Ainsi, les sommes perçues par la colonie de la Réunion s’élèvent à 39,460 millions de francs or, correspondant à un nombre de 60.651 esclaves libérés (soit un prix par esclave de 671,79 francs or). Les femmes y détiennent 36,3% des 10.593 titres de propriété d’esclaves. J’ai décompté dans cette base environ 4.200 noms de propriétaires indemnisés pour la Réunion.

Pour les colonies de Martinique et de Guadeloupe, les sommes perçues se sont élevées à 57,335 millions de francs or, correspondant à 161.534 esclaves libérés (soit des indemnités par esclave de 447,28 francs en Guadeloupe et 409,98 francs en Martinique). Le site dénombre 23.360 titres de propriété d’esclaves, détenus par des femmes à hauteur de 31,5% en Guadeloupe et de 42,0% en Martinique. 

En Guyane, les indemnités s’élèveront à 6,557 millions d’euros pour 12.252 esclaves libérés, soit une indemnité par esclave de 589,32 francs. Au Sénégal, ce seront 0,368 million de francs or qui seront versés, pour 10.350 esclaves libérés. Et enfin, dans les îles malgaches de Nosy Be et de Sainte-Marie, ce seront 0,094 million de francs qui seront versés pour 3.500 esclaves libérés.  

 

D’autres enseignements sont à retirer de cette base de données immensément riche, même si de nombreuses informations n’y sont pas encore disponibles, et notamment tout ce qui aura trait à la biographie des différents propriétaires d’esclaves indemnisés. À noter par exemple que sur les 4.200 personnes mentionnées dans cette base pour La Réunion, 1.900 d’entre eux sont mentionnés comme ayant reçu 0 franc d’indemnités, ce qui signifie que ces propriétaires avaient déjà cédés ou transférés leur créances à certains de leurs créanciers. Inversement, seuls 76 personnes ont perçus plus de 100.000 francs or d’indemnités à La Réunion (et pour certains d’entre eux ces montants incluent des indemnités perçues au titre d’autres colonies).

Le journal Le Monde indique également, en parlant de ce site du CNRS, «que ces informations permettent de mieux comprendre la société esclavagiste de l’epoque et de retracer l’origine d’investissements qui ont donné naissance à des dynasties entrepreneuriales ou des entreprises qui existent encore aujourd’hui».

 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/08/les-compensations-versees-aux-proprietaires-d-esclaves-par-la-france-au-xixe-siecle-rendues-publiques_6079584_3212.html

Sauf qu’une fois encore, ceci correspond certainement parfaitement à la situation des Antilles, mais que cela ne s’applique en aucun cas à la situation réunionnaise. Ainsi, parmi les 76 propriétaires réunionnais ayant perçu plus de 100.000 francs or d'indemnités, que ce soit au titre des esclaves détenus ou des titres récupérés, on ne trouve aucune des grandes familles entrepreneuriales réunionnaises d’aujourd’hui. Pas de Chateauvieux, ni de Caillé, ni de Ravate ou autre. On y trouve plutôt des noms de lieux topographiques, de lieu-dit. Les plus riches de cette époque-là ont certes marqué la société réunionnaise coloniale de l’époque, mais ils semblent avoir presque disparu, quitté la grande histoire. Qui se souvient par exemple encore des Lecoat de Kerveguen (à part un nom approchant dans une série télévisée), ou des Thomas, des Dandré ou de Rattaire (pour citer les quatre plus importants bénéficiaires d’indemnités cités dans cette liste).

 

Ainsi, une fois encore, c’est la réalité antillaise de l’esclavage de cette époque qui vient illustrer son histoire, et La Réunion, plus grande colonie de cette époque-là, et le plus grand et le plus peuplé des départements d’outre-mer d’aujourd’hui, n’est absolument pas pris en compte.


Au moins, notre département semble avoir fait sienne les adages bibliques qui veulent que «l’argent ne fasse pas le bonheur» et que «Bien mal acquis ne profite jamais» ! Autrement dit, en hébreu, «Lo yoilou otsarott racha».

 
 

Saucratès


14/05/2021
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La promotion des emplois péi par la Région Réunion - Enjeux et pertinence

Saint-Denis de la Réunion, samedi 1er août 2020


La Région Réunion redécouvre apparemment les vertus du développement de l’emploi péi, si on en croit le magazine du Conseil régional de la Réunion qui écrit autour de ce concept pour le numéro de ce mois de juillet. Ce magazine titre en pleine page : «Local lé vital - Nout’ tout ansamb pou l’emploi péï».

 

On pourrait penser qu’il s’agit d’une sorte d’effet bénéfique de la pandémie de coronavirus, ou plutôt de la crise économique qui est en train de découler de la manière dont le gouvernements français, et plus largement, la majeure partie des gouvernements de la planète, ont géré et ont répondu à cette pandémie. À savoir par le confinement. Pour cette même raison, peut-on se plaire à imaginer, le gouvernement français entend également mettre en avant les productions relocalisées (autre nom des produits locaux), et surtout la production de ceux qui sont considérés comme étant de première nécessité : masques, certains médicaments indispensables ...

Une question se pose donc : défendre l’emploi péi et défendre la relocalisation de certaines productions, est-ce comparable et est-ce également utile ? La grande question est déjà de savoir si cette théorie de la relocalisation de certaines productions va véritablement être mise en oeuvre au niveau national, pour autre chose que des broutilles ? Il nous a ainsi été expliqué par le gouvernement que la simple relocalisation de la production d’un produit comme le paracetamol va demander trois ans pour être effectif ! Mais dans ce cas, il va falloir plusieurs siècles pour rapatrier en France la production de l’ensemble des médicaments indispensables aux soins de première urgence ou indispensables au traitement des principales maladies !!! Sans tenir compte du fait qu’il peut se passer des centaines de crises ou de révolutions médicales ou technologiques pendant ses siècles, voire même pendant les trois prochaines années. Vu que le gouvernement impose à tous le port obligatoire du masque pour écouler la production relancée de masques, il y a également à craindre que le gouvernement impose à tous la prise obligatoire d’un cachet de paracetamol matin midi et soir lorsque cette production aura été rapatriée en France. Avec établissement d’une auto-attestation sur l’honneur certifiant que l’on n’a bien pris notre cachet journalier ?... Amen. Et amende pour ceux qui n’auront pas sur eux leur auto-attestation ! Vive la république et vive la France !

 

Sera-t-il donc plus simple et plus utile de défendre l’emploi péi ? Premièrement, le fait de promouvoir l’emploi péi n’est pas né de cette crise, ni d’ailleurs de l’invention il y a de nombreuses années des produits «nous la fé». C’est un projet qui est à l’œuvre depuis au moins le début des années 1970 et le développement des filières d’import-substitution. Elles ont donné naissance à Mauvillac, à Edena, à Solpak, aux limonades Cot. Elles ont également été mis à l’œuvre dans toutes les filières agricoles, avec la coopérative des producteurs de porcs, de la Sicalait, de la Sica Révia, ou des salaisonniers. Elles ont aussi conduit à la création de la Cilam, à celles de l’Urcoopa et à des centaines d’autres industries d’import-substitution. Et des fromageries ...

 

Donc cette volonté n’est pas nouvelle. Alors au fond, ce nouveau slogan de la Région Réunion, n’est-ce pas juste un slogan publicitaire, pour inciter les consommateurs réunionnais à consommer local plutôt que de consommer des produits importés, en les sensibilisant sur la conséquence en terme d’emplois péi de leur consommation ?

 

Parce que l’on est déjà aujourd’hui allé très loin en terme d’import-substitution. À part les voitures, les pièces détachées, les pneumatiques, les télévisions, frigidaires et autres téléphones que l’on peut difficilement fabriquer sur place (et puis en matière de téléphone, ce qu’une large fraction de la population souhaite, c’est un smartphone dernière génération de grande marque, fabriqué pour quelques dollars en Chine et vendu à un prix dépassant plusieurs centaines d’euros par un géant de la téléphonie) ... tout le reste pratiquement peut être fabriqué localement. Le prix de cette production locale est bien souvent supérieur aux prix des produits importés comparables et il existe heureusement l’octroi de mer pour renchérir le prix des produits importés afin que les produits locaux soient compétitifs. Produire dans des usines pour 800.000 consommateurs ou produire pour plusieurs centaines de millions de consommateurs européens ou africains n’est évidemment pas comparable et ne fait pas apparaître les mêmes coûts unitaires de revient ! Les investissements nécessaires ne sont pas proportionnels. Ni d’ailleurs les marges que l’on peut dégager. 

 

Evidemment, nos choix de consommation individuelle ont un impact sur l’ensemble des emplois disponibles à La Réunion. Plus chacun d’entre nous consommera des produits transformés ou fabriqués à La Réunion, plus nous aurons d’emplois disponibles ! Il n’est pas inutile de le rappeler et d’en prendre conscience. Plus on consomme de produits locaux, plus il y a d’emplois, normalement, toute chose restant égale par ailleurs ...

 

Après, la majeure partie de ces emplois sont des emplois d’ouvriers ou de manœuvres, rarement des emplois de cadres ou d’ingénieurs pour nos jeunes. Il est donc tout autant important de mettre en avant le partage et l’attribution des emplois d’encadrement ou hautement qualifiés, plutôt que d’insister uniquement sur la promotion des emplois péi. Ce qui pose aussi problème, c’est que les emplois les mieux rémunérés sont régulièrement attribués en fonction de préférence affinitaire ou grâce au réseautage. Gare à ceux qui n’appartiennent pas ou dont les parents ne font pas partie des bons réseaux, loges maçonniques ou des familles influentes. Est-ce normal ? 

 

Pour conclure, ce sujet est sensible. On déborde vite sur le slogan «donne créole travail». Des syndicats comme l’UIR CFDT s’y sont essayés il y a quelques années (avec la préférence régionale) mais chacun des adhérents avait évidemment sa petite expérience d’un chef expatrié hautain et notoirement incompétent, sa petite haine, sa petite rage. Et cela a vite dérapé. Et puis, quelle différence existe-t-il alors avec les slogans du Front National au sujet de la préférence nationale chère aux Frontistes ? On ne peut être frontiste (Rassemblement national aujourd’hui) et adhérent à la CFDT ou à la CGT, mais ces syndicats peuvent par contre utiliser le même discours et les mêmes slogans racistes ? La préférence régionale n’est-elle pas désormais une forme d’impensée des syndicats réunionnais ?

 

Ce sujet de l’emploi péi est effectivement dangereux, car il peut déboucher rapidement sur la xénophobie. Les réunionnais sont humains et la haine des autres et la jalousie ne sont jamais loin. Mais l’enjeu de l’emploi péi est malgré tout important lorsqu’il faut trouver du travail pour 800.000 habitants et plus d’une dizaine de milliers de jeunes chaque année !

 

Si on veut que nos enfants trouvent un travail à La Réunion, il faut évidemment promouvoir l’emploi péi, mais pas seulement ... Il faut aussi promouvoir la juste répartition de ses emplois hors des influences des réseaux et des liens affinitaires, et se lancer dans les créations d’entreprises, dans les secteurs porteurs de la biotechnologie et de l’ingénieurie. 

 

Saucratès


31/07/2020
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