Critiques de notre temps

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Du contrat social

 

Réflexion une (mardi 9 janvier 2018)

De l'existence d'un contrat social ou de son application dans le cadre de notre société française 

 

Qu'est-ce que le «contrat social» ? Il est sensé s'agir d'une construction mentale des philosophes des Lumières, du dix-huitième siècle, popularisé notamment par Jean-Jacques Rousseau. Le contrat social serait donc mythique, un mythe permettant d'expliciter le fait par lequel des humains accepteraient/auraient accepté de quitter la vie sauvage pour vivre en communauté, en société. À la différence des mythes des sociétés anciennes ou premières, il s'agirait d'un mythe construit pour nos sociétés modernes, sur la base d'une idée fondée sur l'organisation des sociétés premières telles qu'elles étaient observées à l'époque de Jean-Jacques Rousseau, et reposant sur une certaine image idéalisée ou non de l'homme sauvage : bon sauvage ou loup pour l'homme, selon que l'on écoute Jean-Jacques Rousseau ou Thomas Hobbes. 

 

Si on suit ces philosophes du dix-huitième siècle, le contrat social serait donc un temps précis, une époque précise, où des hommes sauvages auraient accepté la vie en société en signant un pacte, un contrat entre eux, acceptant de fait des limitations à leurs libertés en échange d'une sécurité apportée par le groupe, par le nombre, par l'instrumentalisation ou par l'institutionnalisation de la violence légitime. Pour certains de ces philosophes, l'homme était bon avant la vie en société et était devenu mauvais après (Jean-Jacques Rousseau), ou inversement (Thomas Hobbes). Pour d'autres comme Etienne de la Boetie, c'est la violence de l'un sur les autres en sein de la société, c'est-à-dire cette violence institutionnalisée, qui était incompréhensible selon lui. Ou comment un homme seul peut-il dominer un pays entier ! Des centaines, des milliers, des dizaines de milliers de sujets !

 

Des philosophes récents ont repris à leur compte cette interprétation des fondements de la vie en société. Je veux parler notamment de John Rawls. L'instant de la conclusion de ce contrat social est toujours un instant mythologique selon Rawls, mais celui-ci est surtout célèbre pour avoir théorisé la forme de la mise en forme du contrat social, de ce moment où des hommes énoncent les règles de leur future vie en société. C'est ce que John Rawls a appelé le voile d'ignorance. 

 

En effet, si on demandait à des hommes ou des femmes de définir les règles d'une société et les statuts des uns et des autres, qui ne seraient pas tentés de se voir promu roi ou reine, ou membre de la noblesse ? Le voile d'ignorance permet de théoriser une manière de s'assurer que chaque homme ou femme est ignorant de sa place exact au sein de la société, de sa force, de son sexe voire de sa santé. Et chaque homme ou femme sera alors conduit à proposer des règles de société où chacun sera plus ou moins traité de manière égale, de facon à minimiser le risque et le désappointement de tomber dans les plus bas statuts sociaux !

 

Les débats vont évidemment beaucoup plus loin ou sont beaucoup plus complexes. D'autres philosophes ont peut-être theorisé d'autres réponses ou d'autres interprétations du contrat social depuis Rawls, ce dont je doute néanmoins. Evidemment, toute une branche de la philosophie politique depuis Rousseau et depuis Rawls a démontré qu'il n'était nul besoin d'un tel contrat social, d'une analyse ou d'une approche en terme de contractualisation de la vie sociale. Il s'agit de tout le débat opposant le conséquentialisme (ou analyse de la justesse de nos choix en fonction de leurs conséquences), l'utilitarisme (où la justesse de nos actes dépend de leur utilité) qui n'est qu'une variation du conséquentialisme, la déontologie (ou science des devoirs) dont font partie les théories d'Emmanuel Kant et de John Rawls, et l'éthique des vertus (ou perfectionnisme moral).

 

Apres avoir donc explicité ce que j'entends par «contrat social» et en avoir rapidement situé les sources philosophiques, je voudrais en revenir à mon idée première, à savoir que le contrat social est un composant actuel pertinent pour définir la vie en société dans une société comme la nôtre, comme la société francaise, justement traversée par des événements comme les émeutes urbaines, comme la radicalisation islamique et terroriste d'une partie de la jeunesse d'origine immigrée, d'Afrique du Nord ou d'Afrique noire, ou parles evenements du jour de l'an où des émeutiers ont tabassé/lynché deux fonctionnaires de police sur lesquels ils étaient tombés. Car, ces comportements émeutiers, terroristes, islamiques ou agressifs ne sont qu'une et même seule chose ; le fait que ces jeunes ou moins jeunes, ces supposés ou non exclus de notre société ne se reconnaissent pas dans la société française, dans ses valeurs, dans ses principes, dans ses engagements, dans ses droits et dans ses devoirs. 

 

Ces jeunes ou moins jeunes, principalement issus des cités urbaines, principalement issus des minorités d'origine immigrés d'Afrique, de la première, de la deuxième ou troisième génération, s'estiment souvent exclus de la société, non intégrés ou non attendus dans le monde du travail, et trouvent hors des règles de la société française la reconnaissance qu'ils pourraient en attendre. D'où la radicalisation islamique de nombre d'entre eux, mais pas uniquement d'eux (puisque les radicalisés islamiques en Syrie viennent de toute origine et de tout milieu), d'où les émeutes urbaines, pendant lesquelles le fait de brûler des voitures ou d'affronter les forces de l'ordre ou les forces de secours (pompiers) devient un rite de passage marquant l'entrée dans l'âge adulte, d'où la haine des forces de l'ordre ! 

 

Derrière ces images, il s'agit simplement d'un rejet par cette jeunesse (ou ces moins jeunes) du contrat social sur lequel repose notre société. Et j'en arrive donc à cette conclusion, contrairement à ce que pouvait penser Jean-Jacques Rousseau autrefois ou John Rawls plus récemment, que le contrat social n'est pas un instant mythique, appartenant à l'histoire ancienne, une construction mythologique théorique, mais que l'adhésion au contrat social est une décision permanente, régulière pour chaque individu. Chaque individu, au cours de sa vie, au cours de la construction de son être, de sa vie et de son devenir d'adulte, se trouve confronté à ce choix d'adhérer ou non au contrat social tel qu'il l'appréhende, tel que la société française l'a construit, avec le respect de ses institutions, de ses règles, et de la place et du statut social que la société peut lui proposer.

 

Le contrat social n'est ainsi pas qu'une construction de philosophe, qu'un souvenir mythologique. Le contrat social est une décision individuelle de chacun d'entre nous, une construction mentale, et par malheur, pour notre choix, nous ne sommes pas confrontés à ce fameux voile d'ignorance. Nous savons quel rôle et quelle place nous sera réservé dans cette société, et évidemment, il doit être plus difficile d'accepter ce contrat social lorsque l'on se sait déjà exclu, originaire d'une cité urbaine en voie de déclassement, sans perspective d'avenir, brillant ou non, que lorsque l'on se sait membre de la jeunesse dorée, héritier d'une grande fortune, privilégié En un mot !

 

Et pourtant, c'est cela le contrat social. À chaque génération, pour chacun d'entre nous, nous trouvons tous autant que nous sommes confrontés à cette décision. Accepter ou non notre place dans la société. Accepter ou non de signer le contrat social qui régit la société dans laquelle nous nous insérons ! C'est un choix d'une certaine façon de tous les instants ; accepter les règles qui sous-tendent notre vie et nos relations aux autres. Accepter les règles qui nous avantagent, qui nous protègent comme celles qui nous contraignent, qui nous désavantagent. C'est un choix souvent que nous comprenons tardivement, après que nous ayons réellement fait ce choix. Par exemple, c'est un choix qu'on fait les jeunes qui ont choisi la voie de la radicalisation islamique, du terrorisme islamique. Peut-être pas simplement ceux qui ont choisi de partir faire le djihâd en Syrie. Pas forcément non plus ceux qui se sont acharnés sur les deux policiers le jour de l'an. Parce qu'ils se sont peut-être laissés emportés par la foule, par l'effet de foule, cette force qui vous fait croire que vous êtes plus forts, aptes à attaquer ceux qui représentent l'Etat, que, en cet instant, vous croyez plus fort, que vous croyez être l'ennemi.

 

Je pense donc que le contrat social est nécessairement accepté et ressigné par chacun d'entre nous, à un moment ou un autre de notre vie, par chaque génération. Ce contrat social intègre tous les droits et devoirs que la société octroie et impose à chacun d'entre nous, ainsi que l'ensemble des institutions qui représentent la société, qui donnent corps à la société. Se pose alors le probleme du comportement à adopter envers tous ceux qui n'acceptent pas ce contrat social, ou qui dévient à un moment donné, choisissant de tuer et d'être des criminels ou des voleurs ? Mais il y a surtout tous ceux qui choisissant la voie de l'exclusion, ne comprennent pas l'existence de ce contrat social putatif. Parce que c'est sûrement là qu'il y a un souci, c'est qu'à aucun moment, personne ne vient vous indiquer que ce contrat social existe et que l'on vous demande de le signer. Et que votre choix conditionnera votre vie future. Parce qu'on ne le comprend que très tard, trop tard sûrement pour beaucoup d'entre nous !

 

 

Saucratès



09/01/2018
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