Critiques de notre temps

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Sur l’idée d’un débat démocratique apaisé

Un débat démocratique doit-il être apaisé ou doit-il représenter les aspirations du peuple et ses conflits idéologiques ?

Par Saucratès

Saint-Denis de la Reunion, samedi 4 novembre 2023 


L’idée de la nécessité d’un débat démocratique apaisé me semble une totale aberration intellectuelle et surtout politique. Il se pourrait que cet idéal supposé trouve son origine dans le fonctionnement et style policé du parlement anglais, de la chambre des lords britannique et sa transposition au Sénat français. Mais les origines de ce style policé, de ces habitudes vestimentaires surannées, doivent être recherchées dans un passé dépassé où les seuls des hommes, notables ou nobles, pouvaient y accéder et y être représentés.

 

Ce temps est aujourd’hui dépassé. Non pas seulement sur les usages vestimentaires.

 

https://usbeketrica.com/fr/article/conditions-debat-dmocratique

 

Cet article du site Usbek et Rica sur comment «Gouverner autrement - Quelles seraient les conditions d’un débat démocratique apaisé ?» ne correspond pas à mon idée des enjeux politiques nécessaires au combat contre les idées d’un gouvernement avec lequel je ne me sens pas en adéquation, qu’il s’agisse hier de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande, et aujourd’hui d’Emmanuel Macron.

Quelques mois avant les élections législatives de 2022, on nous avait promis un raz-de-marée électoral en faveur des partis de la majorité d’Emmanuel Macron. C’était avant le lancement de la NUPES et de l’alliance des Gauches. Et comme lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, tout comme lors de celui de Nicolas Sarkozy, entre 2007 et 2012, cette idée d’une chambre parlementaire des députés d’une couleur uniformément macroniste me semblait devoir être une catastrophe. Une Assemblée Nationale de godillots, répétant derrière chacune de leurs interventions publiques ou médiatiques  «comme le Président l’a dit» me paraissait être d’un ennui mortel.

 

Les conditions d’un débat démocratique apaisé correspondent selon moi à une absence de débats, à une absence de représentation des oppositions au parlement. C’est ce que l’on a vécu sous Sarkozy entre 2007 et 2012 et sous Macron entre 2017 et 2022. Et c’est la mort de la démocratie. C’est l’opposition qui ne peut se retrouver que dans la rue comme l’illustre le mouvement des Gilets Jaunes qui a explosé sous l’ère de l’hyper-président jupitérien Macron premier.

 

La démocratie bien au contraire, c’est ce que l’on observe depuis 2022, avec un parlement sans majorité présidentielle. C’était ce que l’on observait lors de la victoire de la gauche plurielle de Lionel Jospin, de 1997 à 2002, pendant ce que l’on a appelé la cohabitation. Là, à ces différentes époques, la démocratie a fonctionné, il y a un véritable débat démocratique. Celui-ci est-il aujourd’hui apaisé ? Probablement pas. Mais entre 2002 et 2022, il n’y a inversement pas eu de debat démocratique parce qu’il n’y avait pas d’opposition représentée au parlement. Oui, le débat était apaisée parce que les oppositions politiques étaient muselées, et l’unanimité des parlementaires n’était qu’une façade. L’opinion était fragmentée mais elle n’était pas représentée au Parlement.

 

Les exagérations des élus de la NUPES, ou de leur chef, s’expliquent-elles par le comportement des élus de la NUPES ou du Rassemblement National, des autres partis politiques ou du gouvernement, ou bien s’expliquent-elles par le fonctionnement des institutions politiques françaises ? L’exagération que j’ai pu observer, vient, s’explique, par la surdité du pouvoir politique, du gouvernement à l’égard des oppositions et de la rue. Lorsque le dialogue entre le gouvernement et le peuple n’est pas possible, n’est pas accepté, le seul échappatoire reste la violence, verbale au Parlement, et physique dans les manifestations dans la rue.

 

Le problème vient de la possibilité laissée au gouvernement de Macron de continuer à gouverner et à légiférer sans majorité parlementaire par le biais des articles 49-3 de la Constitution. C’est l’usage de ces expédients constitutionnels qui crée la violence au Parlement et dans la rue. C’est le refus du dialogue et des compromis politiques qui crée la violence.

 

Un débat démocratique apaisé passe non pas par «les pistes d’action fournies par le mouvement dit convivialiste» comme l’explore cet article du site Usbek et Rica, mais par l’arrêt de l’utilisation de ces expédients constitutionnels par un gouvernement minoritaire et la recherche comme en Allemagne et dans les Pays Nordiques de coalitions gouvernementales entre égaux. 

Selon Usbek et Rica, «le convivialisme est persuadé que la recherche de formes conviviales est le chemin pour une civilisation courtoise».

 

«(…) C’est probablement à Albert Camus, dans L’Homme révolté, que l’on doit le plus beau rappel de l’ancrage moral de la notion d’hubris – ou « démesure » – dans toute la philosophie politique européenne – des mythes de la Grèce antique, dont elle jaillit, jusqu’à la pensée politique du XXe siècle. Dans L’Homme Révolté, l’écrivain nous rappelle ainsi que l’histoire de l’Occident est aussi celle de « la longue confrontation entre la mesure et la démesure », soit cette éternelle dialectique entre les forces obscures qui animent l’homme et la cité, et sa capacité à les contenir lorsqu’elles menacent de faire vaciller son équilibre politique pour la faire basculer dans le conflit généralisé de tous contre tous. Il n’est donc guère étonnant que le contexte politique actuel ait redonné toute sa puissance de signification à ce concept chez nombre d’intellectuels. 

 

Encore peu connu du grand public, le convivialisme, initié par le sociologue français Alain Caillé, se conçoit précisément comme un antidote à l’hubris, un système conceptuel suffisamment solide pour éliminer toutes les formes de débordements auxquelles les grandes idéologies politiques de la modernité (libéralisme, socialisme, anarchisme, communisme) n’ont pu échapper.

À l’inverse des civilisations brutales construites sur la force et l’humiliation, le convivialisme est persuadé que la recherche de formes conviviales est le chemin pour une civilisation courtoise (Alain Caillé, sociologue à l'origine du mouvement convivialiste).

 

Ultime déclinaison de ces civilisations brutales, le néolibéralisme aurait, selon les partisans du convivialisme, abouti au délitement du vivre-ensemble en assurant le primat de l’intérêt individuel sur l’intérêt général, des passions individuelles sur la recherche du bien commun, bref, au règne de l’hubris. Mais que serait, à l’inverse, une civilisation courtoise ?»

 

https://usbeketrica.com/fr/article/conditions-debat-dmocratique

 

Le problème français n’est pas une absence de convivialité ou de courtoisie dans les fondements du débat politique et dans les échanges politiques, mais au delà de l’aspect constitutionnel de l’affaire, le fait que les vainqueurs des combats électoraux ne cherchent pas à se donner la peine de construire des coalitions politiques. À propos de l’Allemagne, les médias expliquaient que la discussion d’une alliance, d’une coalition entre partis politiques différents demandaient de nombreux mois pour qu’ils arrivent à se mettre d’accord autour d’un programme de gouvernement.

 

Ceci n’est pas dans les habitudes françaises, construites autour des scrutins majoritaires qui donnent très souvent une majorité claire, avec des primes aux vainqueurs. En France, il n’y a pas de négociations, même au sein des partis politiques vainqueurs, mais il y a un homme qui construit autour de lui parmi ses affidés un gouvernement qui lui obéira. Le système politique français fonctionne sous le signe de la soumission au vainqueur et à ses affidés, ou de l’opposition. Il n’existe pas de négociations menés entre partis politiques, mais juste des appels à se ranger dans le camp de la majorité, à se soumettre. On l’a vu lorsque Macron appelle des partis à rejoindre une alliance de gouvernement. On l’a vu lorsque Macron cherche à afficher des captures politiques de personnalités politiques de premier plan chez leurs adversaires, qu’il s’agisse de Philippe, de Darmanin ou autres. Mais pas parmi la Gauche puisque les socialistes l’avaient majoritairement tous déjà rejoint dès 2017. 

Et au fond, la construction de la NUPES n’a guère été différente de la méthode de Macron. Non pas une négociation mais un rapport de force, et Mélenchon au centre. Le même Mélenchon qui voulait que le peuple l’élise aux législatives en temps que premier ministre. Pari raté même si la NUPES a permis de mettre Macron en ballotage. 

 
On ne peut pas avoir un dialogue politique apaisé face à quelqu’un, une personne ou un groupe, qui vous ignore, qui vous méprise, qui nie votre droit à exister distinctement de vous, de ses idées ! Effectivement, aujourd’hui en France, face à l’extrême  personnalisation des débats politiques, il ne peut y avoir ni convivialité, ni courtoisie, ni union nationale. Pas lorsque des mesures impopulaires comme celles sur les retraites ou les budgets sont prises contre la rue, contre l’opinion de tous les syndicats unanimes, et en l’absence de discussion sereine et de vote de la loi à l’Assemblée Nationale, au mépris de la représentation nationale du peuple. 

Non effectivement, dans ce cas-là, il est vain de vouloir parler, d’attendre une union nationale même face à des événements gravissimes. La supposée union nationale décidée face à l’épidémie de coronavirus n’était que de façade, dans une Assemblée nationale uniforme, où les macronistes étaient ultra majoritaires. Et on n’en a vu le résultat : les pires mesures liberticides prises possiblement depuis la guerre d’Algérie et la création de la Cinquième République, et plus probablement depuis l’invasion nazie de la France et la mise en œuvre du même type de confinement et d’enfermement des français. Voilà le résultat d’un supposé dialogue convivial entre représentants du peuple issus du même monde ?

 

Que dire d’autres de la Cinquième République pensée et voulue par le Général de Gaulle et les juristes qui l’entouraient ? Que ce régime a été pensé en réaction à une guerre et à des événements survenus il y a près de quatre-vingt ans, à une autre époque, dans un autre monde, celui des années 1930 et 1950, avec un autre peuple. Aujourd’hui, en cas de guerre, il n’est pas plus sûr que la concorde nationale puisse permettre au peuple de France et au gouvernement de défendre la patrie, si celle-ci est comme aujourd’hui déchirée par un petit despote minuscule.

 

 

Saucratès 



04/11/2023
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