Critiques de notre temps

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Nouveau retour sur le développement

Quels sont les mécanismes du développement

Par Saucratès 

Saint-Denis de la Réunion, dimanche 7 janvier 2024

 

Quels processus expliquent les mécanismes du développement ? Il y a des écoles qui forment au développement. On ne parle déjà plus de développement économique mais de développement durable ou de développement humain. Et malgré tout, malgré toutes les études, malgré les décennies où l’Occident a cherché à réfléchir développement, à penser développement, à former des experts en développement, qui œuvrent dans des institutions œuvrant pour le développement, dans des associations militant pour le développement, intervenant pour construire des puits en Afrique, pour faire fonctionner des hôpitaux ou des centres de soins en Afrique, et parfois pour voler et faire adopter des enfants africains (comme l’arche de Zoé), l’immense majorité des États africains, des États d’Asie centrale, des états d’Amérique du Sud ou des Andes, sont toujours insuffisamment développés, victimes de coups d’état militaires, rongés par la misère, le sous-développement, la faim, l’absence d’éducation des jeunes garçons et des jeunes filles, et les maladies comme le Sida, la maladie du sommeil, la malaria, et autres infections parasitaires.

 

Et pourtant, cela fait plus de cinquante ans, depuis bien avant le début des années 1970, que l’on réfléchit développement, que des travaux en économie du développement cherchent à théoriser la sortie du sous-développement pour aider les États en développement. Depuis bien avant les années 2000, on parle désormais de développement durable et que des générations des économistes en développement durable sortent d’écoles du développement. Et pourtant, rien ne se développe, si ce n’est les institutions occidentales d’aide au développement qui grossissent, qui absorbent d’autres institutions devant supposément les aider dans leurs tâches, qui accroissent phénoménalement leurs encours de financement, changent de noms, de symboles et de sigles, et malgré tout, le cercle vicieux du sous-développement continue d’aspirer les états africains dans la spirale du sous-développement et de la misère. Et leurs jeunes cherchent désespérément à fuir en Occident pour s’enrichir, pour avoir enfin une vie, un futur, ou pour y commettre finalement des attentats ou des crimes pour se venger.

 
Comment définir l’action de la Chine ? La Chine répète-t-elle les mêmes erreurs que l’Occident ? La Chine a-t-elle une politique impérialiste visant son propre développement, sa propre expansion et la sécurisation de ses voies maritimes et aériennes, de ses voies d’approvisionnement en matières premières, en ressources, cherche-t-elle en un mot juste son seul intérêt, ou bien pense-t-elle différemment, a-t-elle une autre réflexion, une autre voie à proposer vers le développement de ses partenaires ?

 
Ma première interprétation de la politique chinoise est qu’elle semble mettre en œuvre une politique de type impérialiste. Les Etats africains ou asiatiques où elle s’installe se trouvent acculer sous les dettes pour rembourser les prêts qu’elle leur a consenti pour construire des infrastructures et des installations portuaires, énergétiques, ou des réseaux de transport dont elle a elle-même besoin dans le cadre de ses ‘nouvelles routes de la soie’. Et ces États semblent contraints sous la menace de défaut de paiement de lui transférer des parties de leur territoire sur lesquels ils ne seront plus souverains. 
 
C’est mon interprétation de ce que l’on peut voir et comprendre. Ces mécanismes à l’œuvre semblent peu différents des politiques colonialistes mises en œuvre par l’Occident au dix-neuvième et au début du vingtième siècle. D’une certaine façon, les États occidentaux n’ont plus osé agir de cette manière au cours des cinquante dernières années, apeurés à l’idée d’être à nouveau soupçonnés de vouloir coloniser leurs anciennes colonies africaines. Évidemment, les états occidentaux ont gardé des bases militaires en Afrique et ailleurs, pour maintenir leurs capacités d’intervention militaire. Gardé des États vassaux pour un temps, mais qui désormais leur échappent inéluctablement. 

 

La question serait donc de savoir si, malgré ses apparences, la Chine met en œuvre une politique d’aide au développement différente en Afrique et en Asie du colonialisme et de l’impérialisme occidental de notre passé ? Et si ce n’est pas le cas, il serait utile de comprendre pourquoi ces états en développement se jettent malgré tout dans les bras de la Chine et de ses ’nouvelles routes de la soie’ ? Leur vend-elle du rêve de les associer à son expansion commerciale ? Est-ce cela qui nous manque désormais en Occident ? Cette capacité à vendre du rêve pour un développement futur de ces États africains ? Le fait que les mécanismes que l’on a mis en œuvre pour les protéger, pour aider à se développer, sont aujourd’hui considérés comme des moyens de les enfermer, de les contrôler, de nous enrichir, de les maintenir dans le sous-développement !

 
Mais avons-nous même compris comment le développement fonctionne ? Sait-on véritablement comment les Etats d’Europe occidentale se sont-ils développés au dix-neuvième siècle ? Sait-on véritablement comment les Dragons asiatiques, les Tigres asiatiques, le Japon et la Chine ont réussi leur développement économique pour faire aujourd’hui partie des États développés ? 
 
La seule chose dont on peut être sûr, c’est que les états européens, les USA, le Japon, la Chine, les Dragons asiatiques et les Tigres asiatiques, ne se sont pas développés en fonction de nos principes ultra-libéraux, sur le principe du libre-accès aux marchés et aux ressources. Ils se sont développés au contraire en se fermant à toutes les influences extérieures. C’est le cas du Japon au dix-neuvième siècle, des Tigres et des Dragons, de la France qui a protégé son économie de manufactures de la concurrence anglaise au dix-huitième et dix-neuvième siècle.
 
Alors évidemment, toute la réflexion économique du développement s’est évidemment construite autour du libre-échange, de l’ouverture des économies nationales à la concurrence internationale, de la spécialisation des économies sur leurs avantages concurrentiels, à la mode de l’économie ricardienne et des théoriciens qui ont pris sa suite, mais cela n’a fonctionné probablement nulle part. Probablement même pas en Angleterre où cette théorie est pourtant née, mais l’Angleterre n’avait aucun autre pays à concurrencer, mis à part les vignerons portugais. Mais comment pourrait-on penser le développement économique autrement ou différemment, sachant l’importance dans la théorie économique des principes néoclassiques, de ceux des partisans des marchés, de la concurrence pure et parfaite.

 
Des théories économiques du développement qui ne fonctionnent toujours pas. Pour les théoriciens du développement, les réussites isolées des états européens et du Japon au dix-neuvième siècle, des Dragons et des Tigres asiatiques ainsi que de la Chine au vingtième et vingt-et-unième siècle ne sont que des cas exceptionnels qui n’auraient pas dû réussir parce qu’ils contreviennent aux règles canoniques du libéralisme économique. Ou alors on va chercher à l’expliquer par d’autres facteurs externes comme la qualité et le niveau de formation de la main d’œuvre, qui viendrait en explication subsidiaire à la réussite de ces États. Et pourtant, ces différents cas exceptionnels sont les seuls cas de réussite d’un État en développement pour l’amener au stade d’Etat développés. En éliminant bien sûr les pétro-monarchies du Golfe persique, mais qui ont construit une économie sur les rentes issues de leurs gisements pétroliers. 

 
Malgré plus de cinquante années de réflexions et de recherches, on ne sait donc toujours pas expliquer le développement économique passé ni construire un processus de développement qui fonctionnera. On ne sait toujours pas sortir les États en développement africains du sous-développement économique, comme si l’Occident ne le souhaitait pas.
 
Évidemment, quelques scientifiques divins peuvent obtenir un prix Nobel parce qu’ils vont pouvoir expliquer leurs petites expériences de terrain où ils donnent une aide financière à certains ou à certaines et pas à d’autres et qu’ils vont savoir mesurer les effets et les conséquences de leur intervention. Mais à part le fait que cela fait de l’économie une science expérimentale, et permet à des économistes de se prendre pour Dieu jouant aux dés, qu’est-ce que cela apporte en matière de développement ? Quels pays ces scientifiques divins et adulés ont-ils sorti du sous-développement pour les amener au stade des Etats développés ? Aucun. Ceux qu’ils aident retombent d’ailleurs dans la mendicité ou la misère dès lors qu’ils arrêtent leur expérience divine.

 
Quelle explication au développement économique de l’Europe au dix-neuvième siècle ? Sait-on même expliquer schématiquement les mécanismes des développements qui ont réussi ? Une des explications du développement économiques des Etats européens du dix-neuvième siècle s’appuie sur l’idée que les États européens ont pu s’appuyer sur une classe de petits épargnants et sur une bourgeoisie qui a pu financer les investissements publics et privés ayant permis d’enclencher le développement industriel européen. C’est en tout cas ce que j’ai souvent lu, ce qui, selon certains théoriciens ou spécialistes du développement, manque aux États africains et aux États en développement. Une classe de petite bourgeoisie sur laquelle ces Etats pourraient s’appuyer et qui pourraient apporter le capital financier nécessaire au développement. 
 
Mais est-ce vraiment l’explication de ce qui s’est passé en Europe ? La philosophe Hannah Arendt donne une autre explication de ce développement dans son livre sur l’antisémitisme. 

«A partir de la fin du XVIIè siecle, on assiste en conséquence à une expansion sans précédent de l’activité économique de l’Etat et, parallèlement, de son besoin de capitaux. Parmi les populations européennes, aucun groupe n’était en mesure de fournir à l’Etat les capitaux nécessaires, ni de prendre une grande part au développement d’activités économiques étatiques. Les Juifs, au contraire, avaient une longue expérience du prêt et des relations avec la noblesse européenne, qui souvent les protégeait localement et les employait comme hommes d’affaires. Il était donc naturel qu’on eût recours à eux. Pour ses nouvelles activités économiques, l’Etat avait tout intérêt à accorder aux Juifs certains privilèges et à les traiter comme un groupe à part. L’Etat ne pouvait en aucun cas les laisser s’assimiler complètement à une population qui refusait de prêter à l’Etat, qui répugnait à prendre part à ses entreprises et à les developper, et qui se cantonnait au modèle routinier de l’entreprise capitaliste privée.»

 

Hannah Arendt, L’antisémitisme - Quarto Gallimard - pages 229-230

 

Selon Hannah Arendt, cela explique la montée de l’antisémitisme en Europe. Selon elle, toute classe sociale entrant en conflit avec l’Etat, avec le gouvernement, entrait inévitablement en conflit avec les Juifs, principaux soutiens des gouvernements et de l’administration. Toujours selon Hannah Arendt, à compter de 1900, les États n’auront plus besoin des Juifs pour les financer, l’impérialisme ayant conduit la bourgeoisie à investir et à financer les États. Ce qui nourrira encore l’antisémitisme : selon elle, toute classe de privilégiés sans objet social est détestée par le peuple, comme l’aristocratie au moment de la Révolution francaise. 

 

Mais cela excède notre analyse des explications du développement économique. Au fond, l’explication du développement économique européen ne reposerait donc pas sur une petite bourgeoisie suffisamment riche pour financer et participer aux activités industrielles des États, mais de leur financement par quelques riches banquiers juifs, comme Les Rothschild, Samuel Bernard, le baron Liefman Calmer, Gerson von Bleichröder, ou encore Samuel Oppenheimer, cités par Hannah Arendt. Mais on trouve aussi quelques autres grands banquiers catholiques ou protestants comme les Fugger ou Jacques Cœur. 

 
Qu’est-ce qu’une telle explication peut apporter à notre analyse du développement économique et industriel ?

• Le fait que le développement soit permis par quelques grandes familles de banquiers juifs que les États en développement modernes actuels ne possèdent pas et qu’ils sont par conséquent contraints de se financer auprès d’institutions internationales occidentales qui les forcent à emprunter en devises étrangères (francs français, euros, dollars ou remimbi) ?

 

• Le fait que l’économie du développement moderne fasse totalement l’impasse sur l’aspect monétaire et financier du développement, en fonction des principes théoriques néolibéraux et monétaristes qui veut que la monnaie n’est aucun impact, aucune incidence sur l’activité économique réelle ?

 

• Cette impasse sur l’aspect monétaire et financier du développement économique est évidemment une erreur. L’origine interne ou externe des fonds finançant le développement d’infrastructures industrielles ou routières est évidemment fondamental, tout comme l’adhésion du peuple au développement, et sa mise en œuvre par un groupe d’administrateurs ou de politiques visionnaires qui agissent collectivement pour le bien commun du pays.

 

• Au fond, la main invisible du marché, le libre jeu de la concurrence, la recherche unique du profit comme élément explicatif, ne permettent en aucun cas le développement. Même la France est encore aujourd’hui obligée de recourir à la planification et à une autorité régulatrice pour mettre en œuvre des politiques industrielles.

 

En ayant écrit tout cela, je ne réponds pourtant pas véritablement à mes questions. Comment penser le développement économique et comment expliquer que cela ait fonctionné ou dysfonctionne ?

 
 
Saucratès



07/01/2024
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