Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Légitimité des organisations syndicales (1)

Réflexion six (3 décembre 2006)
Pourquoi s'opposer à une réforme de la représentativité des syndicats ?


Les raisons qui poussent les uns ou les autres à défendre ou à combattre ce projet de réforme de la représentativité des syndicats sont rarement innocentes. Il serait donc bon que je m'explique sur mon opposition. Je ne porte pas particulièrement les organisations syndicales dans mon coeur, principalement parce que ce sont avant tout des organisations régies par l'ambition de certaines personnes et leur soif de pouvoir. Les places dans les instances dirigeantes de ces organisations, les mandats de représentation qu'elles accordent à certains de leurs membres, ne sont pas fonction des compétences de chacun, mais sont l'objet d'âpres et inavouables marchandages, car ce qui y est en jeu n'est pas l'intérêt des adhérents, mais le pouvoir des uns et des autres. Aussi suis-je un déçu de ces organisations, qui se ressemblent toutes, parce que composées d'hommes et plus rarement de femmes.

Je n'appartiens pas à l'une de ces trois 'vieilles' organisations syndicales en perte de vitesse, qui ont surtout à perdre de ce projet de réforme. Mais je me méfie toujours d'une proposition de réforme qui reçoit l'agrément des syndicats employeurs, pour la partie qui concerne la présomption irréfragable de représentativité. Les savoir favorables à cette suppression me confirme dans mon idée que cette suppression apportera forcément une fragilité accrue au système syndical dans les entreprises. Nul ne sera alors à l'abri d'un revirement de jurisprudence qui annulera la représentativité de droit des principaux syndicats. Et il me paraît attristant que ce danger ne soit pas appréhendé par les grandes centrales syndicales telles la CFDT et la CGT, qui demeurent favorables à cette réforme parce qu'en échange ils croient qu'ils obtiendront une reconnaissance de leur importance.

De même, l'intérêt manifesté par l'UNSA, la FSU ou Solidaires recouvre principalement une volonté de voir accroître l'importance du rôle national de leurs dirigeants, qui aspirent à être reconnus à l'égal de leurs homologues des cinq 'grandes' organisations représentatives. Ce n'est encore que l'aspiration au pouvoir de quelques individus. Les salariés des entreprises ont-ils quelque chose à gagner de la reconnaissance de nouvelles organisations syndicales, en remplacement de la CFTC, de CGT-FO et de la CGE-CGC ? Evidemment non ! Améliorer la visibilité médiatique des dirigeants de l'UNSA, de la FSU ou des Solidaires ne peut pas autoriser la mise en danger de notre système syndical.

Pourquoi vouloir défendre le syndicalisme alors ? Parce que les syndicats sont indispensables dans les entreprises privées ou dans les services publics, même si ces lieux sont également souvent le siège des mêmes luttes de pouvoir entre des individus, les mêmes que l'on retrouve dans les instances dirigeantes des syndicats, mais à la puissance dix.

Je pense même que l'action dans les entreprises et dans les administrations est la seule légitimité des organisations syndicales, et que tout le reste, les unions départementales, les fédérations et les confédérations ne sont que les superstructures indispensables pour le maintien d'une certaine cohésion. Et ces structures ne devraient pas avoir une quelconque légitimité séparée de la base que représentent les sections syndicales d'entreprises. Il n'y a certainement pas de raison de voir élire des dirigeants de ces instances, et de leur voir reconnaître une quelconque légitimité à intervenir dans le débat public en tant qu'individu. Les organisations syndicales devraient être dirigées par des instances collégiales, par des congrès ou par des commissions. Evidemment, la majeure partie des statuts des organisations syndicales laisse croire que ce sont de telles instances qui les dirigent, les secrétaires confédéraux ou fédéraux n'étant là que pour appliquer les décisions prises. Mais il est clair que dans les faits, cela ne se passe comme cela. Il suffit de se rappeler la négociation sur la réforme des retraites menée personnellement par François Chérèque, secrétaire général de la CFDT. Les syndicats ne devraient avoir aucun représentant individuel officiel, mais être dirigés de façon réellement collégiale, de telle façon que les luttes de pouvoir soient un peu moins violentes.

Mais ceci ne peut faire l'objet d'une loi ni d'un réglement. Il ne s'agit que de règles de fonctionnement interne à ces organisations, qui ne peuvent dépendre que de leurs adhérents. Il faudrait que leur fonctionnement soit non seulement démocratique (mais la démocratie est rarement parfaite et elle est souvent polluée par les luttes de pouvoir qui la rongent.


Réflexion cinq (30 novembre 2006)
Récapitulatif des arguments contre la réforme proposée de la représentativité des syndicats


Je reprendrais de manière plus concise les principaux arguments qui militent à mon sens contre le projet de réforme de la représentativité des syndicats, développés plus longuement précédemment (cf. réflexion une).

1. La proposition de l'UMP (supprimer le monopole syndical de présentation de listes de candidats au premier tour des élections professionnelles) risque d'abord d'affaiblir les instances représentatives du personnel (comité d'entreprise et délégués du personnel) dans les entreprises en faisant apparaître des élus isolés, non présentés sur une liste syndicale, et plus sensibles à d'éventuelles pressions de la part des directions des entreprises. Cette proposition se comprend aussi par un souci de libéraliser la représentativité des organisations syndicales, et mettre fin au monopole dont bénéficient les cinq vieilles organisations syndicales, plus que toute autre raison.

2. Le projet de réforme du Conseil économique et social (supprimer la présomption irréfragable de représentativité dont bénéficie cinq organisations syndicales pour l'asseoir sur des élections professionnelles généralisées) risque, pour sa part, d'accroître les possibilités de contestation de la désignation des représentants syndicaux dans les entreprises. Ce projet, plutôt que d'améliorer la situation des syndicats, créera au contraire une insécurité juridique plus importante qu'aujourd'hui. En somme, dans l'espoir d'améliorer la situation de quelques organisations syndicales telles l'UNSA ou Solidaires, est-il nécessaire de mettre en péril la grande majorité des représentations syndicales dans les entreprises privées ?

3. Il y a pire comme critère de représentativité que le caractère de résistance et de non-collaborationnisme de ces syndicats au cours de la dernière guerre mondiale, au cours de la dernière invasion du territoire national par un état ennemi, totalitariste.

4. Le danger est le fait que pour satisfaire certains intérêts individualistes (UNSA, Solidaires, UPA ...) ou pour obtenir certaines évolutions du droit des accords collectifs (CFDT, CGT), on puisse en venir à mettre en danger le fragile équilibre du syndicalisme en France, où les salariés syndiqués ne représentent qu'une infime minorité des salariés. La raison ne vient pas d'une inadéquation des modes de représentativité des syndicats. Elle ne s'améliorera pas si les SUD ou l'UNSA devenaient représentatifs. Cette faiblesse de la syndicalisation s'explique aussi par une architecture du droit dans les entreprises différentes de nos collègues européens. Il n'existe aucune obligation en France d'embaucher des salariés appartenant à tel ou tel syndicat (hors secteur de l'imprimerie), alors que c'est la situation qui prévaut en Angleterre et aux Etats-Unis.

5. L'adhésion à un syndicat en France est avant tout un choix privé et éthique. Ce n'est pas seulement (ou uniquement) une mesure préventive de protection en cas de difficultés personnelles. C'est avant tout un choix individuel (et parfois familial) d'appartenir à une communauté de valeurs, et d'avoir la possibilité d'influer sur la situation de l'entreprise où l'on travaille.

6. Enfin, je ne pense pas que les syndicats de salariés et le patronat aient la moindre légitimité à pouvoir influer sur la loi au travers du dialogue social (j'en ai déjà traité), même en réformant la représentativité de ces syndicats en l'asseyant sur des élections professionnelles régulières. Ou sinon, comme je l'ai déjà dit, il faudrait étendre cette même possibilité de faire la loi à toutes les organisations supposées représentatives dans un domaine particulier, ainsi dans le domaine du logement aux associations de locataires et de propriétaires, dans la santé aux associations de médecins et ainsi de suite ... Une telle situation reviendrait à vider le parlement de l'ensemble de prérogatives qui seraient alors dévolues à un ensemble de corps constitués à la légitimité contestable, revenant en quelque sorte à la situation de l'Ancien Régime.


Réflexion quatre (29 novembre 2006)
Un état des lieux des arguments sur la représentativité des syndicats


A l'heure où le Conseil économique et social (CES) et les partis politiques de droite ou de gauche réfléchissent à la place à accorder aux syndicats et à leur représentativité, il me paraît opportun de m'interroger sur les conséquences d'une éventuelle réforme et sur les raisons qui peuvent pousser à cette réforme.

Le CES réfléchit ainsi à la possibilité d'asseoir la légitimité du dialogue social sur une représentativité accrue des partenaires sociaux, et il doit rendre un avis au premier ministre, avant la fin novembre 2006. Pour cela, le CES préconiserait d'asseoir la représentativité des syndicats sur un vote de l'ensemble des salariés, par le biais d'élections professionnelles généralisées (cf. un article du Monde du 27 novembre 2006 intitulé 'Le CES veut asseoir la représentativité syndicale sur le vote des salariés' )

Cette réforme vise précisément à remettre en cause le mode de détermination de la représentativité des syndicats tel qu'il existe aujourd'hui, reposant notamment sur un arrêté du 31 mars 1966, qui fixe le caractère irréfragable (qui ne peut être ni contesté ni remis en cause d'aucune façon) de la présomption de représentativité dont bénéficient cinq organisations syndicales (CGT, CGT-FO, CFDT, CFTC et CFE-CGC). Les autres organisations syndicales telles que notamment la FSU, l'UNSA et les Solidaires (Sud, G10) doivent prouver à chaque fois leur représentativité au sein de chaque entreprise où elles veulent pouvoir être représentée.

Cette présomption irréfragable de représentativité dont bénéficient cinq organisations syndicales trouve en fait son origine dans la reconnaissance de leur comportement au dessus de tout soupçon au cours de l'occupation allemande de la France au cours de la guerre de 1940-45. Les autres organisations syndicales n'en bénéficient pas parce qu'elles ont été créées après la parution de l'arrêté de 1966 (la CFDT provient cependant d'une scission de la CFTC postérieure à la seconde guerre mondiale, mais antérieure à la parution de l'arrêté). Il est clair que soixante ans après la fin de la seconde guerre mondiale, il peut paraître bizarre d'asseoir la légitimité d'organisations syndicales sur des faits aussi anciens.

Les organisations syndicales sont membres du CES et prennent part au vote, de même que les organisations patronales. Elles n'ont pas toutes la même position sur ce projet de réforme. En effet, le débat n'a ni la même pertinence ni les mêmes conséquences pour toutes les organisations syndicales. Les plus puissantes des cinq vieilles organisations syndicales (CFDT et CGT) ne sont pas opposés à une telle réforme, qui leur reconnaîtrait un poids accru dans la signature d'accords dans les entreprises. En effet, jusqu'à la mise en place du droit d'opposition majoritaire (auquel certains voudraient substituer la notion d'accords majoritaires), tout accord signé par une des cinq organisations syndicales, même ultra-minoritaire, ne pouvait être remis en cause, même en justice. Les organisations syndicales ne bénéficiant pas de la présomption irrfragable de représentativité (notamment FSU, UNSA et Solidaires) y sont évidemment aussi favorables. Seules les deux autres vieilles organisations syndicales (CFTC, CGT-FO) en perte de vitesse en terme de nombre d'adhérents et en terme de représentativité dans les entreprises y sont farouchement opposés, car il est à craindre qu'elles respectent difficilement les seuils de représentativité qui pourraient être fixés.

L'UMP a aussi des vélléités de réformer le mode de détermination de la représentativité des organisations syndicales. L'idée apparemment développée par ce parti politique (selon les interventions de Dominique Paillé) serait de supprimer le monopole de présentation de listes de candidats au premier tour des organisations professionnelles dans les entreprises, en instaurant une 'liberté totale de candidature au premier tour des élections professionnelles' (comité d'entreprise et délégués du personnel notamment).

Quels sont les principaux risques de telles réformes ?

La proposition de l'UMP risque d'abord d'affaiblir les instances représentatives du personnel (comité d'entreprise et délégués du personnel) dans les entreprises en faisant apparaître des élus isolés, non présentés sur une liste syndicale, et plus sensibles à d'éventuelles pressions de la part des directions des entreprises. Cette proposition se comprend aussi par un souci de libéraliser la représentativité des organisations syndicales, et mettre fin au monopole dont bénéficient les cinq vieilles organisations syndicales. Les libéraux n'apprécient en effet guère les monopoles.

Concernant la proposition du CES, à laquelle adhèrent la CFDT et la CGT, elle dépassera malgré tout la présentation de listes de candidats au premier tour ou la signature d'accords collectifs. Elle concernera aussi notamment le droit de désignation de représentants syndicaux dans les entreprises. Et c'est là que se trouve le principal risque de cette réforme : la généralisation de la contestation de la légitimité des représentants syndicaux dans les entreprises privées. Actuellement, la désignation d'un délégué syndical par une des cinq vieilles organisations syndicales bénéficiant de cette présomption irréfragable de représentativité ne peut être contestée par les dirigeants d'entreprises. Mais il n'est pas rare que ces nouveaux représentants syndicaux fassent l'objet de sanctions disciplinaires dès leur nomination (qui peuvent aller jusqu'au licenciement) visant à les éliminer de l'entreprise. Cette réforme risque, me semble-t-il, d'accroître les possibilités de contestation de leur désignation, plutôt que d'améliorer la situation des syndicats, créant une insécurité juridique plus importante qu'aujourd'hui.

En somme, dans l'espoir d'améliorer la situation de quelques organisations syndicales telles l'UNSA ou Solidaires, est-il nécessaire de mettre en péril la grande majorité des représentations syndicales dans les entreprises privées ?

Mais il apparaîtra peut-être surprenant à certains que le patronat, et notamment le MEDEF, soit opposé à une partie de cette réforme, alors qu'il pourrait avoir tout à y gagner. Mais le patronat, notamment dans les grandes entreprises, largement représenté au MEDEF, voit d'un mauvais oeil la possibilité d'une représentativité de droit accordée à des syndicats tels l'UNSA ou les Solidaires ou SUD. Dans la majeure partie des entreprises où de tels syndicats essayent de s'implanter, les dirigeants attaquent en justice la désignation de représentants syndicaux de cette mouvance et ils l'emportent souvent. Par opposition aux syndicats réformistes (CFDT, CFTC, CGE-CGC) ou d'opposition (CGT et CGT-FO), l'UNSA et plus encore les SUD sont souvent des syndicats de confrontation avec les employeurs. Au final, la seule chose qui intéresse le MEDEF et les autres organisations patronales, c'est la disparition du caractère irréfragable de la représentativité des organisations syndicales.

Et puis, il y a pire comme critère de représentativité que le caractère de résistance et de non-collaborationnisme de ces syndicats au cours de la dernière guerre mondiale, au cours de la dernière invasion du territoire national par un état ennemi, totalitariste.

Le danger est bien le fait que pour satisfaire certains intérêts individualistes (UNSA, Solidaires, UPA ...) ou pour obtenir certaines évolutions du droit des accords collectifs (CFDT, CGT), on puisse en venir à mettre en danger le fragile équilibre du syndicalisme en France, où les salariés syndiqués ne représentent qu'une infime minorité des salariés. La raison ne vient pas d'une inadéquation des modes de représentativité des syndicats. Elle ne s'améliorera pas si les SUD ou l'UNSA devenaient représentatifs. Cette faiblesse de la syndicalisation s'explique aussi par une architecture du droit dans les entreprises différentes de nos collègues européens. Il n'existe aucune obligation en France d'embaucher des salariés appartenant à tel ou tel syndicat (hors secteur de l'imprimerie), alors que c'est la situation qui prévaut en Angleterre et aux Etats-Unis.

L'adhésion à un syndicat en France est avant tout un choix privé et éthique. Ce n'est pas seulement (ou uniquement) une mesure préventive de protection en cas de difficultés personnelles. C'est avant tout un choix individuel (et parfois familial) d'appartenir à une communauté de valeurs, et d'avoir la possibilité d'influer sur la situation de l'entreprise où l'on travaille.

Il y a un dernier argument qui, me semble-t-il, milite contre un tel projet de réforme. Je ne pense pas que les syndicats de salariés et le patronat aient la moindre légitimité à pouvoir influer sur la loi au travers du dialogue social (j'en ai déjà traité), même en réformant la représentativité de ces syndicats en l'asseyant sur des élections professionnelles régulières. Ou sinon, comme je l'ai déjà dit, il faudrait étendre cette même possibilité de faire la loi à toutes les organisations supposées représentatives dans un domaine particulier, ainsi dans le domaine du logement aux associations de locataires et de propriétaires, dans la santé aux associations de médecins et ainsi de suite ... Une telle situation reviendrait à vider le parlement de l'ensemble de prérogatives qui seraient alors dévolues à un ensemble de corps constitués à la légitimité contestable, revenant en quelque sorte à la situation de l'Ancien Régime.


Réflexion trois (12 octobre 2006)
Modernisation du dialogue social


L’arlésienne de la modernisation du dialogue social, notion si chère au Baron Ernest Antoine de Seillère (qui n’était pas plus baron que moi) revient sur le devant du tapis (comme quoi les mots ont de drôles de signification).

Le Président de la République (française) a cherché hier (mardi 10 octobre 2006) à donner une nouvelle implusion à son quinquénat en proposant que toute réforme du droit du travail soit précédée obligatoirement d’une négociation entre partenaires sociaux.

C’est le Baron qui doit être content, ainsi que sa remplaçante à la tête du MEDEF. C’était en effet ce que recherchait le MEDEF.

Le Président (de la République française) espère ainsi que cette obligation de négociation permette à la France de sortir de la logique du conflit social (particulièrement visible lors de l’épisode du CPE) pour fonder une culture de la négociation, du compromis et de la responsabilité, à l’instar de la plupart des autres pays européens. Beau voeux pieux, qui va conduire le gouvernement à se lier les pieds et les mains, en espèrant que les organisations syndicales abandonneront leur logique de l’affrontement et du conflit social à partir du moment où ils n’auront pas gain de cause.

Qu’y a-t-il donc de gênant dans cette évolution du dialogue social ?

1. Il y a d’abord un problème de légitimité des acteurs à la négociation. Les organisations syndicales tout comme le patronat n’ont aucun droit à préparer des lois sociales dans notre pays. Ils n’ont aucune légitimité démocratique, en tout cas pas plus qu’aucun autre groupe de pression. De sorte, si on leur reconnaît un tel droit exorbitant, il faudrait reconnaître un droit équivalent à tout autre type de groupe de pression, ce qui est une porte ouverte intolérable à l’anarchie.

2. Il est ensuite triste de limiter le droit inaliénable du gouvernement et des parlementaires à fabriquer la loi, en le liant à une obligation de négociation avec des organisations ni véritablement démocratiques ni légitimes, pour obtenir que ces groupes de pression cessent de rentrer dans une logique d’affrontement, lorsque l’on sait que toute façon, ces groupes de pression seront incapables de ne pas appeler à la grève et à l’affrontement dès lors qu’une minorité des jeunes, des salariés ou des fonctionnaires y trouveront un intérêt quelconque. Rappelons-nous de l’épisode de la réforme des retraites des fonctionnaires, où la CFDT a eu toute la peine du monde à ne pas suivre la logique de l’affrontement, et où la CGT, pourtant partie aux négociations, a appelé sans vergogne à la grève pour capitaliser sur le mécontentement des salariés et gagner des points aux élections professionnelles.

Je pense que l’on trouve ici les deux principales limites à cette modernisation du dialogue social, même si je crois pourtant en l’importance des organisations syndicales, dans les entreprises, où les syndicats sont indispensables, et où leurs pouvoirs sont bien souvent trop faibles. Mais hors de l’entreprise, je ne pense pas que les syndicats doivent avoir un rôle particulier. Leurs dirigeants ne sont ainsi que des hommes de pouvoir parmi d’autres, adeptes des compromis et des trahisons propres à l’exercice du pouvoir. Le plus souvent, ils n’ont plus aucune relation avec le salariat, étant devenus des permanents syndicaux à temps complet depuis des lustres, des hommes d’appareil. Leur seul avantage est de ne pas sortir de l’ENA, et encore.

C’est au gouvernement et au Parlement de fabriquer les lois, avec courage, honnêteté et justice. C’est le peuple français, par le système du vote démocratique, qui leur en donne mandat. Imaginons demain que le Parti Socialiste gagne les prochaines élections et que son programme électoral contienne un certain nombre de promesses sociales en matière du Droit du travail (comme en 1981 la cinquième semaine de congés payés, les lois Auroux ou bien les 35 heures en 1998), le législateur ne devrait pas avoir besoin de faire valider ces réformes par des partenaires sociaux sans aucune légitimité.

Ou bien alors il faut mettre en place des représentants démocratiquement élus des salariés et du patronat (à l’image des prud’hommes mais pas du Conseil Economique et Social) aptes à se voir confier une telle tâche de représentation et de négociation. En effet, confie-t-on la rédaction des lois françaises aux chefs des partis politiques ? Non ! Les élections présidentielles et législatives donnent une légitimité à des hommes présentés (le plus souvent et non démocratiquement) par des partis politiques, et ce sont ces représentants de la Nation, oints par le suffrage universel, qui établissent les lois. Système certes imparfait, qui induit une sous-représentation des jeunes, des immigrés, des femmes, du peuple, et une sur-représentation des puissants, des membres de groupe de pression ou de loges maçonniques, mais système au moins démocratique, reposant sur l’existence du suffrage universel. Il ne faut donc pas plus confier ce pouvoir aux dirigeants des organisations syndicales ou patronales.

Mais ne risque-t-on pas de retirer le pouvoir de faire la loi dans tous les domaines au gouvernement et de créer une multitude de représentants autorisés à se prononcer sur leurs petits sujets propres (le logement et les loyers, la banque, le commerce, la consommation ...) ? Est-ce que cela aurait encore un sens ? N’est-ce pas le rôle du Parlement de voter les lois et de se prononcer sur tous ces sujets ? Tout ceci parce que ces organisations syndicales adorent la logique de l’affrontement social ? Mais ni la CGT, ni CGT-FO, ni la CFDT ne cesseront d’appeler à la grève le jour où ils ne seront pas d’accord avec le gouvernement ou avec la couleur des rideaux ?

Il vaut donc mieux cesser de rêver sur un monde parfait où des organisations syndicales responsables accepteront de défendre des positions et des réformes courageuses pour permettre à notre système social de s’adapter à l’évolution démographique et économique de notre planète et de notre pays. Cela n’arrivera jamais.


Réflexion deux
Syndicats et démocratie


Les syndicats ont paraît-il été les grands vainqueurs du conflit du CPE. Ils ont réussi à faire plier le gouvernement à force d’ultimatums, obtenant une forme de retrait de ce texte de loi voté et promulgué. Au delà des idées, ils s’opposaient surtout à la méthode retenue pour faire passer le projet de loi. Dorénavant, le gouvernement sera pratiquement obligé de consulter préalablement les organisations syndicales avant de proposer une évolution du droit du travail !

Sur quels fondements une telle obligation repose ? Et qu’elle est la légitimité des grandes confédérations de syndicats de salariés pour décider des futures lois sociales de notre pays ? Est-ce une avancée démocratique pour les citoyens français ?

Il faut d’abord noter que les confédérations de syndicats s’arrogent un droit constitutionnel dévolu au parlement et au gouvernement, au Conseil d’Etat et au Conseil Constitutionnel. Toutes ces institutions ont une réelle légitimité démocratique, étant garant de l’écriture des lois, de leur vote, de leur promulgation ou de leur application. Cette légitimité est aussi confortée par des votes démocratiques réguliers. Et le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel sont deux des plus hautes juridictions de la France.

Que représentent les syndicats en regard ? Des associations dont l’organisation démocratique est imparfaite, pouvant conserver de longues années le même responsable, pratiquement inamovible, sauf lorsqu’il accepte de quitter son poste, ou lorsqu’une sorte de coup d’état, de putsch, permet à un autre responsable syndical de prendre sa place. Et ceci est vrai même pour les syndicats qui ont dans leur nom le terme ’démocratique’ comme la CFDT.

Les syndicats, par ailleurs, ne sont rien d’autres que des groupes de pression représentant les salariés, comme leurs homologues (Medef, Cgpme ...) représentant les dirigeants d’entreprise.

Les syndicats ont un intérêt et une légitimité indéniable au sein des entreprises et comme relais d’opinion vis-à-vis des partis politiques et du gouvernement. Mais ils n’ont absolument aucune légitimité en tant que faiseurs de lois ! Par ailleurs, la plupart, comme la CFDT mais également la CGT, se doivent statutairement d’être apolitiques !

Mais ce n’est pas le cas. Il suffit de comparer les actions et réactions des organisations syndicales pour le CPE (sous un gouvernement de droite) et par les emplois jeunes (sous un gouvernement de gauche). Les emplois jeunes, pourtant, n’offraient aucun avenir aux jeunes qui s’y étaient engouffrés (car sans possibilité de titularisation) et ils ont eu un effet dévastateur sur le niveau des salaires d’embauche des jeunes dans toutes les entreprises. Mais pas un mot à l’époque des organisations syndicales.

Le problème des syndicats et des confédérations qui les représentent, c’est qu’ils représentent des groupes aux intérêts opposés. Les jeunes salariés n’ont pas les mêmes intérêts que les cinquantenaires qui contrôlent ces organisations. Tandis que ces derniers veulent bénéficier du système de retraite le plus généreux et le plus proche possible, sans égard pour les charges qui pèseront sur les générations plus jeunes, la jeune génération devrait souhaiter une réforme la plus rapide possible, qui égalisera les conditions de retraite pour le plus grand nombre, et permettra au système actuel de se maintenir le plus longtemps possible. Aux yeux des jeunes salariés, il pourrait ainsi paraître nécessaire de repousser très rapidement l’âge de départ à la retraite.

Mais toute réforme des retraites verrait la mobilisation d’un grand nombre de syndicats et de salariés, dont l’horizon de réflexion ne dépasse pas quelques années et quelques idées simplissistes. Et les jeunes salariés seraient également manipulés pour leur faire croire que le système actuel d’un départ à taux plein à soixante ans restera toujours possible, et que les syndicats et leurs vieux dirigeants sont là pour leur conserver cet avantage.

Ce n’est même pas la seule opposition entre jeunes et vieux salariés. Ils s’opposent aussi sur l’accès aux tâches d’encadrement, sur les niveaux de formation et sur l’accès tout court à un emploi.

Le deuxième problème des organisations syndicales, c’est qu’elles combattent le capitalisme, mais fonctionnent comme lui. Les syndicats, les fédérations et confédérations de syndicats, ne fonctionnent pas différemment des pires sociétés capitalistes auxquelles ils s’opposent. Sous couvert de démocratie, chaque section syndicale ou syndicat attend d’être représenté(e) dans les instances supérieures au prorata de son nombre d’adhérents. Ce n’est pas différent de l’organisation des sociétés ou holdings capitalistes, ou quelques actionnaires pesant tant dans le capital veulent un certain nombre d’administrateurs ou la présidence de son conseil.

Les syndicats, fédérations ou confédérations syndicales fonctionnent de la même manière, avec les mêmes luttes stériles de pouvoir, sauf que cela se fait en catimini, à l’écart des adhérents, et non pas sur un marché boursier ou dans une assemblée générale, sous le regard des actionnaires et de la presse.

Est-il donc possible d’imaginer confier la discussion et l’élaboration de lois sociales à des organisations non démocratiques et partisanes ? A des organisations toujours promptes à contester et manifester, mais si rarement prêtes à des sacrifices courageux pour maintenir un système social généreux ?

Pour autant, les syndicats ne sont pas toujours nuisibles et dangereux. Ils sont indispensables lorsque l’on se rappelle la situation des salariés au dix-neuvième siècle. Un retour en arrière est toujours possible. Il ne faut donc pas les condamner. Mais il faut qu’ils demeurent à leur place, dans les entreprises avant tout, et que leurs instances nationales acceptent de réfléchir à plus long terme, de manière moins partisane et égoïste, d’une certaine manière plus courageusement.


Réflexion une
Du droit de réformer et du droit de manifester


L’affrontement du CPE ces derniers mois a révélé l’impossibilité de réformer la société française. Cette impossibilité était déjà apparue par le passé. Tout projet de réforme a toujours rencontré l’opposition de la majeure partie des organisations syndicales, d’une fraction de la jeunesse lycéenne et estudiantine, des salariés de quelques entreprises ou administrations publiques, des organisations politiques d’extrême gauche et altermondialistes, et du parti socialiste lorsque celui-ci n’est pas au gouvernement. Une nouveauté observée lors de cette crise liée au CPE est venue de l’intervention d’intringuants du parti du chef du gouvernement.

Les seules réformes qui ont été tolérées par cette frange de l’électorat, par ces bataillons de manifestants, sont celles qui ont attribuées de nouveaux droits sociaux à telle ou telle parties de la population. Par exemple les trente-cinq heures, le revenu minimum d’insertion ou la couverture mutuelle universelle. Accessoirement, il s’agissait uniquement de lois votées par le gouvernement socialiste et ses alliés (la gauche plurielle). A-t-on vu ce jour-là des bataillons de manifestants proches des partis de droite ou des organisations patronales contestaient ces lois et demandaient leurs abrogations ? Il existe une légitimité électorale, qui a pour nom démocratie, et qui correspond au respect d’un mandat électoral donnée par les urnes. Il est attristant que cette légitimité électorale soit acceptée par les électeurs de droite et recusée par une partie des sympathisants de gauche.

Est-il alors possible de réformer la société française ? Est-il possible de modifier le contrat social français ? L’histoire semble dire que ’non’. Mais les oppositions rencontrées s’expliquent à la fois par des divergences d’opinion sur la nécessité des réformes, et par des différences d’opinions sur les moyens à utiliser. Parmi les opposants aux réformes, certains reconnaissent tout de même qu’il y a nécessité de réformer certaines choses. Concernant le CPE par exemple, il y a bien un problème d’emplois ou de chômage des jeunes. Mais il y a divergence sur la méthode, même si dans les faits aucun contestataire ne propose quelque chose de construit et de réalisable en lieu et place du CPE. On entend juste des manifestants refuser la flexibilité (mais qui en voudrait ?), la corvéabilité et exiger le retrait de la loi. Ni le parti socialiste, ni la CFDT, ni la CGT, ni personne, n’ont quelque chose à proposer. Ils demandent de la concertation, du dialogue social, des réunions, de la reconnaissance sociale .....

L’autre exemple concerne la réforme des régimes de retraite. Quelques contestataires également reconnaissent que le régime de retraites français court vers une catastrophe. Mais même la CFDT, qui avait négocié la dernière réforme des retraites de la fonction publique, serait-elle capable, aujourd’hui, de suivre la même démarche ? Son secrétaire général confédéral n’y résisterait pas une deuxième fois, ce qui peut expliquer sa position dogmatique sur le CPE. Et encore a-t-il à l’époque était sauvé par le fait que le gouvernement ne réformait que le régime des agents publics. Si la réforme avait concerné tous les salariés du privé et du public, la CFDT n’aurait jamais pu demeurer favorable à cette réforme.

Pourtant, les régimes de retraites français par répartition n’assurent pas aux jeunes salariés qui rentrent aujourd’hui sur le marché du travail la certitude de pouvoir partir à la retraite à l’âge de 60 ans avec une pension confortable, comme c’est le cas aujourd’hui. Dans quelques années, vers 2020 ou 2025, notre système de retraites va imploser. De nombreux pays européens commencent dès aujourd’hui à relever l’âge de départ à la retraite pour le rapprocher de 68 ans voire 70 ans. Et c’est presque certainement la seule solution vivable à terme, avec l’allongement de la durée de la vie que l’on observe en France, comme ailleurs dans le monde. En France, cet âge de départ en retraite reste à 60 ans, et le rêve de presque tous les salariés y est de partir à 55 ans, quand ce n’est pas à 50 ans.

La France n’est pas seulement un pays de contestations et de mouvements sociaux. C’est surtout un pays d’égoïstes ou d’individualistes ; la seule chose qui compte pour toutes les personnes proches de la cinquantaine, c’est que le système de retraite fonctionne encore jusqu’à ce qu’ils aient l’âge de partir en retraite, jusqu’à leur 60 ans. Après ça, quelle importance si leurs descendants ou leurs remplaçants sont obligés de travailler jusqu’à 80 ans pour faire tourner la machine, et si les cotisations de retraites ponctionnent tous le revenu des actifs. Ils auront bonne conscience en rappelant qu’eux aussi ont cotisé à fonds perdus pour payer les retraites de leurs parents. Le pire, c’est également de se rendre compte que tous nos dirigeants syndicaux, voire nos politiques, appartiennent à cette classe d’âge, des 50 ans et plus.

Combien de temps les jeunes manifestants d’aujourd’hui, instramentalisés par des présidentiables en graine, ou par des syndicalistes se rachetant une vertu, accepteront-ils demain de continuer de payer pour les erreurs et la cupidité des autres ?

On pourrait aussi parler du système de santé français. Mais quel courage, quel abnégation, ne faudrait-il pas aujourd’hui à un gouvernement, à un homme politique, pour s’attaquer à ses problèmes et proposer des réformes, forcément douloureuses pour toutes les personnes qui en profitent ? Du courage pour résister aux pressions des uns et des autres, adversaires, manifestants, aux coups bas de leurs amis politiques, aux intérêts personnels et à la lâcheté de leurs proches ou sympathisants. Du courage surtout pour supporter l’arrogance de quelques personnes sans importance, sans pouvoir, mais aux égos surdimensionnés, qui se croient légitimes à donner des ordres au gouvernement, et se croire détenteurs d’un droit à être écouter.

Deux ou trois millions d’égoïstes, d’intéressés, de manipulés, peuvent-ils gouverner la France et bloquer tout projet de réforme ? Ce sera le cas tant que nos gouvernants et nos hommes politiques n’auront pas le courage nécessaire pour réformer et devenir impopulaires. Il faudrait des hommes d’envergure. Mais il faudrait peut-être aussi changer les français. Et ce n’est pas le programme électoraliste du parti socialiste, plein de belles nouvelles promesses, qui nous sauvera.

Sinon, nous partirons dans le mur. Après tout tant pis. Et ce jour-là, après qui hurleront les loups ?


Saucratès



02/11/2010
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