Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

Sur l'économie (2)

Réflexion vingt (25 mars 2010)
De la place de l'éthique en économie


On dit souvent que l'éthique et l'économie n'ont absolument rien à voir ... qu'en économie, il n'existe pas de place pour l'éthique, mais uniquement pour les mathématiques. Je voudrais prouver que cette position est complètement fausse, dans la réalité ... Evidemment, la science économique ne reconnaît que les modélisations mathématiques, les équations de préférence et d'utilité ... La science économique ne reconnaît aucune valeur ni aucune opérabilité au concept d'éthique.

Mais dans l'économie réelle de tous les jours, il en va bizarrement différemment. L'éthique y est indissociable de l'économie même si on ne lui donne pas ce sens. L'éthique peut prendre de multiples formes, depuis la forme la plus évidente ; celle où l'on vous demande de consommer durablement, c'est-à-dire en intégrant l'impact développement durable dans le bien que l'on consomme. Cette forme d'éthique semble facilement agrégeable par la science économique, puisqu'il s'agit simplement d'intégrer une nouvelle variable dans les fonctions de préférence, de telle sorte qu'il suffit de modéliser quel niveau de surprix un consommateur serait prêt à payer en plus pour consommer un bien qui le rassurera en matière de consommation ...

Tous les comportements éthiques sont-ils modélisables par le biais de fonctions mathématiques ? C'est éventuellement possible, puisque les mathématiques estiment permettre d'appréhender la part de hasard qui détermine nos propres choix en matière de consommation. Mais il n'en demeure pas moins que dans la réalité économique, ce sont des choix éthiques conscients qui déterminent nos actions de consommation.

L'économie est ainsi éthique. Dans la réalité, on attend ainsi de tous les consommateurs d'une nation qu'ils privéligient dans leurs achats les biens produits dans leur pays, en leur rappelant régulièrement que les produits fabriqués à l'étranger viennent concurrencer les productions nationales et expliquent la montée du chômage et la dégradation de la balance commerciale. De la même manière, on attend également des consommateurs qu'ils évitent les produits fabriqués en Chine pour limiter individuellement les importations en provenance de ce pays. Evidemment, tous les consommateurs ne respectent pas ces attentes informulées, sinon le commerce extérieur français serait fortement excédentaires (si tous les peuples n'appliquaient pas strictement la même position protectionniste, à défaut on en reviendrait à la situation des années 1930).

En sens inverse, on attend également que les entreprises aient un comportement socialement responsable (éthique) en limitant les licenciements et les fermetures d'usines en France. Evidemment, toutes les entreprises ne respectent pas cette attente. L'un des premiers contrats éthiques passés entre une entreprise et ses salariés remonte à Henri Ford et au fordisme ; l'entreprise Ford acceptant de payer des salaires élevés à ces salariés pour que ceux-ci puissent achèter des véhicules Ford. Evidemment, l'époque actuelle à inverser le contrat éthique entre l'entreprise et ses salariés ; les groupes préférant désormais payer le moins cher possible leurs salariés (certaines chaînes de grands magasins alimentaires aux Etats-Unis) ...

On demande ainsi aux entreprises et aux consommateurs de produire et d'acheter des produits en faisant attention aux respects des normes sociales, environnementales, dans leur production ... en un mot des produits éthiques ... Il doit être observé que les gouvernements nationaux interviennent fortement pour aider les choix éthiques des consommateurs et des producteurs, en imposant des normes sociales, environnementales, d'hygiène, en mettant en place des barrières tarifaires pour renchérir les produits fabriqués à l'étranger, dans l'optique de guider et d'influencer les décisions d'achat ou de production des biens par les consommateurs ou les productions, en orientant les décisions en modifiant les prix relatifs des produits entre eux.

On observe néanmoins que la publicité mais également les émissions télévisuelles ou les magazines ont une influence importante sur les décisions de consommation des ménages. Le cas est flagrant pour l'automobile, qui fait actuellement l'objet d'un matraquage télévisuel sur les innovations technologiques des véhicules 'propres', sur les normes d'émission de CO², sur l'impact sur le réchauffement climatique ... les consommateurs sont de plus en plus orientés psychologiquement vers des véhicules hybrides ou électriques dont seuls les prix actuellement élevés et la rareté de l'offre limite la consommation ...

Je pense qu'il est faux de dire que l'économie n'est pas éthique. Les choix éthiques prévalent sur l'ensemble des faits de consommation ou de production ; choix qui se déterminent entre le contenu éthique des produits proposés et leurs prix relatifs (ou les méthodes de production, leurs coûts et les avantages projetés), influencés par ailleurs par l'aspect de leur taxation et des normes imposées par les états ... Il me semble que ces choix éthiques ne peuvent être uniquement ramenés à des modélisations mathématiques, à la simple utilisation de matrices de prix et de préférences de consommation, ou des fonctions de production. En raccourcissant ainsi la réalité à l'aune des mathématiques, l'économie se prive de l'ensemble des réflexions éthiques attendues des différents acteurs économiques dans les processus réels de production et de consommation !

 

 

Réflexion dix-neuf (9 décembre 2009)
Un nouveau système économique


C'était le titre de plusieurs articles publiés récemment (le 7 décembre 2009) dans le supplément Economie du Monde. Ces articles offrent un regard malgré tout optimiste sur l'évolution possible de l'économie capitaliste occidentale ou mondiale, dans les prochaines années, anticipant un effet salvateur du sommet de Copenhague ... «On ne sait pas encore si l'événement Copenhague pourra symboliser un jour le moment où les Etats, les scientifiques et les organisations civiles auront décidé, tous ensemble, qu'il nous faut changer de modèle économique pour adopter des modes de production et de consommation plus économes des ressources de la planète. Mais il est déjà certain qu'il sera l'occasion de se poser à nouveau la question de la "soutenabilité" du modèle actuel.» ... Quelques articles à lire en raison de leur intérêt et de leurs enseignements historiques ...
0.http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/07/un-nouveau-modele-de-croissance_1276889_3234.html
1.http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/07/quel-modele-de-croissance-la-rupture-technologique_1276891_3234.html
2.http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/07/quel-modele-de-croissance-la-volonte-des-gouvernements_1276894_3234.html
3.http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/07/quel-modele-de-croissance-les-pionniers-de-l-innovation_1276897_3234.html
4.http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/07/quel-modele-de-croissance-le-signal-prix-4-8_1276902_3234.html
5.http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/07/quel-modele-de-croissance-la-demande-de-la-societe-5-8_1276905_3234.html
6.http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/07/quel-modele-de-croissance-mesurer-autrement-6-8_1276907_3234.html
7.http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/07/quel-modele-de-croissance-la-mutation-industrielle-7-8_1276911_3234.html
8.http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/07/quel-modele-de-croissance-la-coordination-internationale-8-8_1276913_3234.html

Mais au-delà de ces articles très intéressants, il demeure la question de savoir si le système économique capitaliste tel que nous le connaissons en Occident, et qui s'étend au reste du monde, sous des formes néanmoins déviantes, peut se réformer de lui-même pour faire face à une crise comme celle du changement climatique ? Ou, dit sous une autre forme, les consommateurs tels que nous autres, occidentaux, serons-nous capables de changer notre manière de vivre, de consommer et de nous déplacer, pour diminuer notre empreinte carbone et énergétique pour rendre 'soutenable' notre mode de vie ?

D'une certaine façon, les articles du Monde cités ne disent pas autre chose. En dernier ressort, le mode de production capitaliste désormais mondialisé répond à une demande de consommation globalisée et solvabilisée, émanant de la masse des consommateurs. Si les franchises Mac Donalds et Quick existent dans le monde entier, et qu'ils servent la nourriture qu'on y trouve, avec autant d'emballages, c'est qu'ils correspondent à une demande, que ce soit en terme de rapidité de service, de prix abordable, ou de type de produits servis, vecteurs de l'image d'une Amérique ou d'un Occident idéalisés ... Si l'ensemble des consommateurs privilégiaient tous ensemble les produits les moins polluants, les usines ne produiraient plus que ce genre de biens.

Evidemment, une telle évolution généralisée des styles de consommation n'est pas envisageable. Les prix seuls importent pour de très nombreux consommateurs, pauvres ou moins pauvres, dans le monde, en Occident ou au-delà. Et ce n'est pas par plaisir souvent que des consommateurs achètent les produits les moins chers et les moins bons pour leur santé, bourrés de graisse ou de sucre ... mais par nécessité bien souvent ... S'interroger sur la nocivité ou l'empreinte carbonée des biens qu'on achète est bien souvent une préoccupation de riches. Même si cela ne les empêchera pas ensuite d'acheter une Porsche ou une Ferrari en raison de l'image qui lui est associée, plutôt qu'une Toyota Prius ou une petite Peugeot.

C'est pour cette raison que l'un des espoirs repose sur l'évolution des standards de production au niveau du mode même de production capitaliste, de la même manière qu'on lui impose de respecter des normes de standard de sécurité en faveur des consommateurs au sein des pays occidentaux, tout particulièrement dans l'Union européenne. A défaut de changer les comportements de consommation, il suffirait de changer les comportements de production et de rediriger par le biais de taxes les habitudes de consommation dispendieuses ou incorrectes vers des produits plus économes en matière d'empreinte carbonée, de façon à ne laisser la consommation des biens les plus polluants ou émetteurs de carbone aux seuls riches, qu'une taxation plus élevée n'arrêtera pas.

Au fond, le principe de la taxation est injuste. Réserver des biens aux plus riches n'est pas dangereux pour la planète, puisque le faible nombre relatif des riches les rend soutenables pour la planète. Ce n'est pas eux le problème, mais les milliards de pauvres dans le monde entier, dont il faut limiter l'empreinte carbonée de la consommation ... Principe particulièrement injuste, mais totalement logique !

Sur le fond de cette interrogation, il demeure la question initiale. Changer le système capitaliste de production est-il possible ? Aux réponses historiques présentées par Le Monde, j'oppose mon scepticisme. Les changements de mode de production que les journalistes décrivent se sont souvent produits sur de longues périodes ; les seules évolutions rapides sont intervenues après des crises graves, des remises en cause profondes des schémas de production (je pense à la crise des années 1929 et à la deuxième guerre mondiale qui a suivi). La crise des subprimes que nous avons connue ces deux dernières années ne constitue en aucun cas une crise suffisante. Mais je demeure persuadé que seule une très grave crise économique et financière mondiale, mettant à genoux les principaux états de la planète, probablement en matière d'endettement public, sera capable de causer un électro-choc suffisant pour conduire à une réforme globale du mode de production capitaliste et réorienter l'économie mondiale sur une autre trajectoire économique.

A défaut d'un tel électro-choc, notre système de production mondialisé ne se réformera que lentement, sans pouvoir faire échec aux principaux effets du changement climatique, à moins d'une volonté de changement politique de l'ensemble des principaux dirigeants des pays de la planète, guère probable à ce jour ...


Réflexion dix-huit (8 décembre 2009)
Pouvoir économique et pouvoir normatif


Je voudrais parler d'un article très intéressant paru dans la revue Problèmes économiques et dans les essais de Telos, rédigé par Zaki Laïdi, intitulé : «Les formes inattendues de la puissance européenne». Ce texte était une réaction à un violent réquisitoire contre l’Europe publié dans le Wall Street Journal du 25 octobre dernier, intitulé «Regulatory Imperialism». Zaki Laïdi met en avant dans ce texte la prétention de l’Union Européenne à vouloir imposer ses normes au reste du monde en tirant avantage de la force de son marché intérieur riche, attractif, et organisé, c'est-à-dire être un empire normatif. Sont notamment évoqués dans cet article l’affaire Microsoft, l’interdiction des importations de poulets rincés à la chlorine, la législation Reach sur les produits chimiques ainsi que le projet de mettre à contribution les compagnies aériennes dans la lutte contre le changement climatique.
http://www.telos-eu.com/fr/article/les_formes_inattendues_de_la_puissance_europeenn

L'Europe ne serait pas ainsi cette Europe faiblesse, peinte dans toutes les analyses que l'on trouve sur la toile, ouverte à toutes les importations, ouvertes à tous les courants migratoires, en un mot incapable de contrôler ses frontières, ses ouvriers et ses consommateurs, mais une Europe puissance, crainte par ses adversaires, copiée par tous ceux qui veulent pénétrer ses marchés, produisant les normes pour l'ensemble de la planète et régentant ainsi l'organisation des marchés mondiaux.

Selon Zaki Laïdi, cette préférence pour la norme s'expliquerait par l'essence même du projet européen. Le seul moyen de lier durablement des pays qui entendent rester souverains est en effet de les faire adhérer à une norme commune d'autant plus contraignante qu'elle aura été négociée. Mais «il n'y a pas de norme possible sans équité, sauf à croire que la norme n'est en définitive qu'un instrument de puissance entre les mains de ceux qui n'ont pas la force pour l'exercer».

Ces normes européennes qui réglementent de plus en plus toutes les activités humaines et économiques en Europe, et qui sont parfois contestées par des mouvements politiques extrêmistes ou nationalistes, parce qu'émanant d'une commission européenne et d'un parlement européen considérée comme isolés de la réalité, seraient en fait les racines mêmes de la puissance européenne vis-à-vis du reste du monde, parce que ces normes s'appliqueraient aussi à toutes les productions qui voudraient pénétrer le marché unique européen.

Avant même de disposer de la puissance militaire nécessaire pour son hégémonie, l'Europe serait déjà une puissance normative qui imposerait ses lois et ses normes au reste de la planète, en matière de droits de l'homme, en matière d'environnement et de lutte contre le réchauffement climatique, en matière de droits sociaux, en matière de protection du consommateur ...

(Lire aussi l'article paru dans Les Echos)
http://www.lesechos.fr/info/analyses/4678873-union-europeenne-la-puissance-par-la-norme.htm


Réflexion dix-sept (11 septembre 2009)
La responsabilité des élites économiques et politiques dans la crise financière actuelle ?


Nous sommes le 11 septembre 2009. Il y a deux ans explosait une des pires crises financières que l'économie occidentale (et même mondiale) n'a jamais connu (après la grande dépression des années 1929-1939 et celle des années 1875-1895). Le monde semblait vaciller. Il y a huit ans s'effondraient les tours jumelles du World Trade Center, et les Etats-Unis découvraient qu'ils pouvaient être touchés par des attaques terroristes sur leur propre sol qu'il croyait inviolable.

Les experts économiques sont mis en cause à la fois pour ne pas avoir su prédire cette crise financière, et pour ne toujours pas pouvoir la comprendre (et non pas simplement l'expliquer ... ce que les économistes savent par contre très bien faire), de la même manière que les services de renseignement américains furent mis en cause pour ne pas avoir découvert l'attaque terroriste contre les tours jumelles à l'aide d'avions détournés.

Mais plus largement, il y a désormais une remise en cause du rôle des élites économiques, financières et politiques, notamment à travers les grandes écoles françaises qui les produisent (ENA, HEC, Ecoles de commerce ...). L'opinion publique, les médias et les hommes politiques les plus démagogues (comme Nicolas Sarkozy) les accusent à la fois d'être à l'origine de la prise de risque ayant conduit à l'explosion de cette crise du fait de leur rapacité financière et de leur course effrénée après l'argent (ils sont vraisemblablement les seuls dans ce cas), de ne pas être capable de se remettre en cause dans leur fonctionnement et dans leurs ambitions, et de cette incapacité à comprendre, prévoir et expliquer la réalité économique.

Le thème de la faillite des élites est un leitmotiv dans l'histoire humaine et peut-être même française. Il suffit de se rappeler le livre «La Trahison des clercs», de Julien Benda, paru en 1927 et réédité en 1946, où l'auteur accusait les intellectuels de l'époque d'être responsables de la montée des nationalismes et de l'ordre totalitaire. Spécificité française, la faillite des élites trouve un terreau extrêmement favorable dans la montée des colères populaires alimentée par les discours des uns ou les appels à la révolte des autres.

Les élites économiques et politiques se contenteraient de faire le dos rond pendant cette crise, malgré les centaines de milliers de nouveaux chômeurs venant grossir les rangs des exclus de la société, et ne se remettraient pas en cause, attendant simplement que la crise passe et que tout redevienne comme avant. Les jeunes étudiants de ces écoles prestigieuses ne remettraient aucunement en cause leurs certitudes et leurs attentes professionnelles, ne visant que la perpétuation du rôle dévolu à leurs prédécesseurs.

Ce comportement est-il anormal lorsque l'on se trouve dans un emploi relativement protégé, suffisamment riche pour avoir à peine à restreindre légèrement son train de vie ou repousser de quelques mois quelques investissements familiaux ? Est-il anormal lorsque l'on a payé plusieurs dizaines de milliers d'euros pour intégrer une formation d'excellence sensée se rentabiliser en quelques années d'activité professionnelle ? Est-il anormal lorsque les probabilités militent pour une crise relativement courte, sensée durer quelques semestres, entre deux et trois ans, comme les très nombreuses autres crises économiques que le monde a connu ? Et est-il enfin anormal de ne pas être capable d'expliquer et comprendre un mystère économique, intimement lié à l'économie de marché, sur la succession régulière et immuable de cycles de croissance suivis de cycles de récession économique, que des centaines d'économistes avant nous de même ont été également incapables de comprendre et d'empêcher.

Suis-je en train de dire que les élites n'ont aucune responsabilité dans la crise que nous avons connue et dans les prises de risques invraisemblables qui ont conduit l'ensemble de nos économies au bord du gouffre ?

En fait, je pense effectivement qu'il y a une responsabilité de quelques personnes à l'origine de l'adoption de règles de plus en plus libérales, de plus en plus favorables au libre fonctionnement du marché. Quelques économistes libéraux théoriciens du monétarisme ou de l'économie de l'offre, et quelques hommes politiques qui ont appliqué ces recettes libérales depuis trente ou quarante ans, supprimant règles et protections (Reagan, Thatcher, mais également Chirac ou Sarkozy ...) ... Mais pour le reste, je crois surtout en une responsabilité collective des citoyens occidentaux, collectivement intéressés à gagner le plus d'argent possible (du trader qui pour quelques millions d'euros de bonus ou pour être reconnu comme le meilleur, prendra des risques insensés sur des produits auxquels il ne connaît rien ... de ses dirigeants qui n'y connaissent rien mais veulent gagner le plus d'argent possible ou devenir les plus puissants pour ne pas être victimes d'un raid boursier ... jusqu'à l'ouvrier mal payé qui n'hésitera pas à accumuler les heures supplémentaires pour gagner plus, malgré les conséquences globales sur l'emploi de la généralisation de ce comportement ... ou ceux qui travaillent de manière non déclarée ou trichent en matière de droits à des prestations sociales, quelque soit les conséquences globales sur les finances publiques ou les recettes de l'état dès lors que ces comportements sont agrégés ...) ou à dépenser le moins cher possible, même lorsque cela conduit à privilégier depuis quarante ans les productions hier textiles aujourd'hui industrielles ou en matière de services dans les pays à faible coût de main d'oeuvre et à droits sociaux néants ... quelqu'en soit les conséquences en matière d'emploi en France et de production industrielle ... en favorisant par exemple le développement des grandes surfaces alimentaires à prix discount achetant massivement des produits chinois et imposant des conditions de travail désastreuses et des salaires les plus bas possibles à leurs propres salariés ... 

Pour moi, cette crise est avant tout une faillite collective liée à un mode de vie, s'il faut mettre la faute sur certaines personnes. Ou alors il s'agit simplement des conséquences inéluctables d'un modèle de fonctionnement économique et politique dont notre civilisation occidentale et plus largement humaine se satisfait largement depuis plusieurs siècles et au sein duquel chacun ne rêve que de progresser socialement et de s'enrichir ; malgré le fait que les perdants à ce jeu y soient des milliards pour quelques millions de favorisés ...


Réflexion seize (4 septembre 2009)
Un monde en rupture ...


Un grand nombre d'articles de revue ou de journal donne des visions intéressantes du monde de l'économie. Cet article récent du Monde en fait partie, tentant d'apporter une réponse aux interrogations qui se posent actuellement à ce sujet, nées notamment de la crise financière qui se calme peut-être peu à peu, pendant que le sentiment de confiance des marchés se généralise peu à peu ...
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/08/31/une-crise-qui-ne-regle-pas-les-problemes-qui-l-ont-generee-par-daniel-cohen_1233732_3232.html

Ce qui conduit d'ailleurs un certain nombre d'intervenants à pronostiquer le déclenchement d'une nouvelle vague baissière sur les bourses mondiales dans les prochains jours ou prochaines semaines (cf. le site de Loic Abadie) ... S'agit-il des inévitables Cassandre que l'on retrouve à toute époque, prophètes du pire ? L'OCDE ne partage pas cette opinion en pronostiquant hier la sortie de la récession pour les économies du G7 dès le troisième trimestre 2009 ...
http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_marches.phtml?num=f8771a6b5ad50d1e8f652312f2983a3a

Cette crise aura quand même eu un effet improbable. Amener l'OCDE (organisation de coopération et de développement économiques) à chanter les louanges de l'interventionnisme étatique, des dépenses publiques voire des stabilisateurs sociaux à la française ... alors qu'il y a quelques années, tout interventionnisme de l'état était considéré comme un biais intolérable au juste fonctionnement des marchés.

« (...) La faiblesse très importante de l'activité et la perspective d'une reprise fragile plaident pour le maintien de fortes politiques de stimulation à moyen terme (...). Si elle devaient être retirées du jour au lendemain, il n'est pas certain que l'économie (mondiale) serait suffisamment solide pour y résister ... (Jorgen Elmeskov) (...). Des stratégies de retrait progressif des mesures de soutien budgétaire et monétaire doivent être élaborées dans la perspective d'un affermissement de la reprise mais le moment n'est pas venu de les mettre en oeuvre (...) »

Evidemment, une fois que la crise sera véritablement passée, que l'économie mondiale sera considérée comme suffisamment solide pour résister à la disparition des fortes politiques de stimulation publiques, l'OCDE de même que l'ensemble des autres organisations supranationales militeront de nouveau pour le tout-marché et le retrait de l'état, avec des arguments encore plus forts pour prôner la résorption des déséquilibres budgétaires publics, afin de permettre éventuellement dans le futur dans de meilleures conditions financières un nouvel interventionnisme massif des états pour stabiliser le système financier et monétaire mondial.

Dans l'article du Monde cité en ce début de post, Daniel Cohen souligne une forte rupture dans le système économique mondial, rupture avec laquelle je suis parfaitement d'accord. La crise financière d'aujourd'hui est en effet l'aboutissement d'une révolution économique et financière, qui a mis au pouvoir dans les entreprises le capital financier et les technocrates. Mais cette révolution ne date pas des années 1980-1985 et des réformes financières libérales. Cette révolution est extrêmement ancienne et date déjà du dix-neuvième siècle. La crise de 1929 lui était aussi déjà imputable ... le temps des bourses et des dérives du capitalisme financier, des finances et de l'argent à gogo ...

En même temps, il y a bien eu une rupture libérale entre l'organisation économique des trente glorieuses, avec un système de régulation reposant sur des syndicats puissants représentant les travailleurs, que ce soit en France, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni (ou en Allemagne), sur un état fort appliquant des politiques publiques keynésiennes industriels ou de soutien de l'activité (les grands programmes industriels français ou états-uniens en matière nucléaire ou spatiale ...), et une politique fiscale confiscatoire sur les très hauts revenus, gage de justice sociale, et enfin sur un patronat contrôlé mais paternaliste.

Les années 1980 virent le retour des années fric, le démantellement de l'état interventionniste, le démantellement d'une politique fiscale confiscatoire qui trouve son achèvement dans la mise en oeuvre du bouclier fiscal sarkozien, l'anéantissement programmé des organisations syndicales et de leur capacité à influer sur le débat économique, et enfin la toute-puissance octroyée au monde de la finance et du patronat, comme unique modèle et avenir de l'humanité. Seule l'Allemagne conserve encore des syndicats puissants ; la co-gestion à l'allemande n'ayant pas pu encore être démantelée par les adeptes du tout-marché.

Et ces crises financières successives enregistrées depuis la fin des années 1980, que je crois être des crises du dix-neuvième siècle oubliées à la fin du vingtième siècle et au début du vingt-et-unième siècle, sont les signes d'une auto-régulation impossible d'un tel système capitaliste débridé et incontrôlable ... Le capitalisme est en effet incapable de s'auto-réguler par lui-même. La crise financière et monétaire actuelle aura même prouver qu'il lui est impossible de survivre sans l'intervention massive des états, seuls à même de sauvegarder l'architecture financière d'ensemble du système lui-même, et notamment les mastodontes financiers qui en constituent l'ossature.

Pourquoi cette rupture libérale des années 1980 ? Et comment revenir à la situation antérieure ?


Réflexion quinze (29 mars 2009)
Le débat sur la rémunération des patrons dans les entreprises et ses implications en matière de législation et d'imposition des revenus ...


Il y eut l'histoire des 165 millions de dollars de primes versées au sein du groupe AIG, société américaine sauvée de la faillite quelques mois plus tôt par l'état américain (qui lui a apporté 180 milliards de dollars de fonds publics). L'affaire fit grand bruit aux Etats-Unis et en Europe.

Avant cela, il y avait eu des histoires de réceptions fastueuses ou de vacances payées dans des palaces somptueux à leur encadrement par des groupes financiers secourus par les pouvoirs publics américains. Plus proche de nous, il y eut d'abord l'affaire des 320.000 stock-options pour les quatre hauts dirigeants de la Société Générale (dont 70.000 pour Daniel Bouton) ... puis le parachute doré de 3,2 millions d'euros du patron de Valéo ... les 150.000 stock-options au directeur de la Société Générale (Frédéric Oudéa) ... les 1.130.000 stock-options des dirigeants de GDF-Suez (décision du conseil d'administration du groupe gazier du 12 novembre 2008, qui avait accordé 830.000 stock-options au PDG du groupe, Gérard Mestrallet, et 300.000 à son vice-président, Jean-François Cirelli) alors que l'Etat est actionnaire de GDF Suez à hauteur de 37,5% ... les 51 millions d'euros de primes versées aux cadres de CA Chevreux, filliale du Crédit Agricole, tout en licenciant 75 personnes ...

Les Etats-Unis sont à la pointe de ce débat sur la moralisation de l'économie. Le président américain Barak Obama s'est à plusieurs reprises élevé contre ces pratiques 'honteuses' de rémunération des financiers de Wall-Street, alors qu'ils avaient entraîné l'économie américaine dans la tourmente et dans la crise. La Chambre des représentants a adopté, jeudi 19 mars, une proposition de loi instaurant une surtaxe de 90% sur les primes versées aux cadres les mieux payés de sociétés ayant reçu des aides directes de l'Etat.

Fin janvier 2009, une sénatrice démocrate du Missouri, proche de Barack Obama, Claire McCaskill, avait annoncé qu'elle allait déposer une proposition de loi pour plafonner les revenus des cadres des sociétés qui reçoivent une aide du gouvernement en raison de la crise économique, à 400 000 dollars par an (le salaire du président des Etats-Unis), tant que leur société reçoit de l'argent public.
http://www.lemonde.fr/archives/article_interactif/2009/03/20/les-mesures-prises-pour-limiter-les-salaires-des-patrons_1170450_0.html

En Allemagne également, un débat sur la rémunération des patrons des grands groupes a également eu lieu, qui a conduit les partis rivaux (chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates) au sein de la coalition gouvernementale en Allemagne, à signer un accord a minima pour réguler les émoluments des grands patrons. Cet accord n'a pas réussi à faire plafonner les salaires des grands patrons à un million d'euros par an, mais ceux-ci seront désormais contraints de conserver leurs stock-options au minimum quatre ans au lieu de deux.
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article_interactif/2009/03/20/les-mesures-prises-pour-limiter-les-salaires-des-patrons_1170450_1101386_1.html


En Irlande, les banques qui bénéficient d'une aide publique ont été invitées par le ministère irlandais des finances à limiter la rémunération annuelle de leurs salariés à 500 000 euros (les dépassements ne devaient être autorisés que dans des circonstances très exceptionnelles et avec son accord, selon un communiqué). Des limites inférieures à 500 000 euros ont été fixées pour certains établissements, conformément aux recommandations d'une commission ad hoc. Le gouvernement a toutefois jugé ces recommandations trop conciliantes au regard de l'ampleur de la crise financière et des limites en vigueur aux Etats-Unis ou en Allemagne.
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article_interactif/2009/03/20/les-mesures-prises-pour-limiter-les-salaires-des-patrons_1170450_1101386_2.html

En France, la présidence de la république et le gouvernement ont longtemps limité leurs interventions sur ce sujet à des prises de position publiques fustigeant les dirigeants d'entreprise s'accordant des bonus et des primes alors que leur entreprise licenciait ou était en déficit. Le gouvernement a ainsi longtemps attendu que le MEDEF mette en place une charte éthique encadrant les rémunérations des patrons. Sa présidente, Mme Parisot, s'est ainsi régulièrement élevée contre les pratiques de ses collègues grands patrons lorsqu'ils s'octroyaient de telles primes. Le gouvernement français s'est résigné lundi 30 mars 2009 a présenté un décret (publié mardi 31 mars 2009) encadrant la rémunération des chefs d'entreprises aidées par l'Etat (banques et constructeurs automobiles).
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/03/30/les-remunerations-des-patrons-encadrees-a-minima_1174267_1101386.html

En Grande-Bretagne, il n'y a pour l'instant aucune obligation légale en matière de rémunérations et de bonus versés.
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article_interactif/2009/03/20/les-mesures-prises-pour-limiter-les-salaires-des-patrons_1170450_1101386_6.html


Pour mémoire, l'Union Européenne estime que le fait de limiter les salaires des dirigeants de banques qui reçoivent une aide publique est une mesure utile. Cette mesure est toutefois favorisée par la Commission européenne uniquement parce qu'elle favorisera un remboursement rapide des aides publiques reçues par les entreprises.
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article_interactif/2009/03/20/les-mesures-prises-pour-limiter-les-salaires-des-patrons_1170450_1101386_4.html

La décision française de régler par décret la question des primes des patrons des entreprises aidées par l'état, ne satisfait pas de nombreux patrons, et tout particulièrement Ernest-Antoine Seillière, ancien président du MEDEF, et président du conseil de surveillance de Wendel, en commentant les récentes polémiques qui ont entouré l'attribution de bonus à certains dirigeants de grandes entreprises françaises. "Je me méfie des donneurs de leçons qui ont largement profité du système", a-t-il déclaré au Journal du Dimanche. "Nous passons d'un monde où triomphait la liberté à un monde où domine l'égalité", observe M. Seillière qui ajoute que "le capitalisme va muter", mais que "rien ne mute mieux que le capitalisme".
http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/03/29/remuneratons-des-patrons-selliere-se-mefie-des-donneurs-de-lecons_1173980_3234.html

Et pourtant, grâce aux interventions de l'UMP, ces mesures contraignantes exceptionnelles ne s'appliqueront pas au-delà de 2010, soit une durée extrêmement limitée. Ce n'est pas seulement une occasion ratée de réformer les salaires des plus riches dans notre société. C'est fondamentalement injuste. Un refus de la part de ce gouvernement de s'attaquer aux racines de la crise et de l'irresponsabilité des dirigeants et des marchés financiers. Un refus de légiférer sur le sujet et de relever notamment les charges et les impôts auxquels ces rétributions devraient être assujetties pour perdre de leur intérêt. Mais les principaux conseillers de Nicolas Sarkozy sont notamment les principaux concernés, que ce soit les patrons de BNP Paribas, ou François Pérol, futur dirigeant de l'établissement né de la fusion des Banques Populaires et des Caisses d'épargne ...
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/03/30/l-ump-veut-limiter-la-duree-de-la-portee-de-la-mesure-sur-les-stock-options_1174130_1101386.html

Enfin, lire cet article du Monde sur les fondements moraux de ce débat ...
http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/03/28/kant-et-les-parachutes-dores_1173803_3234.html


Réflexion quatorze (4 janvier 2009)
Retour sur le devenir de nos économies occidentales et du capitalisme en général ...


Depuis mon post précédent, la jeunesse grecque s'est révoltée contre 'son' gouvernement et la police grecque, suite à l'assassinat d'un jeune par un policier. Et l'on a découvert que la jeunesse grecque était une des grandes perdantes du 'miracle' économique grec. Celle-ci semble habitée d'une rage infinie à l'égard de la corruption de ses élites politiques et de son administration en règle générale ... Cette explosion sociale correspond-elle aux explosions des banlieues françaises régulièrement observées chez nous ? En tout cas, le danger a semblé suffisamment important au gouvernement Fillon-Sarkozy pour que celui-ci repousse sine die la réforme des lycées du ministre Darcos ... Apparemment, le risque d'un embrasement général de la jeunesse européenne, comme en 1968, est considérée comme suffisamment crédible pour que le gouvernement français recule. Nicolas Sarkozy semble ne pas vouloir voir son quinquénat être marqué par un épisode comme mai 1968.

Cette éventualité est-elle envisageable ? En Grêce, la jeunesse se trouve dans une situation réellement terrible (autant que l'on peut l'évaluer à distance à travers la presse), sans perspective financière ni de carrière, dans une société verrouillée. Evidemment, la Grêce, c'est aussi un très beau pays où nombre de retraités aisés anglais ou français viennent couler une retraite heureuse au soleil, pas très loin de la France, sans quitter l'Europe. La situation des étudiants et des lycéens français peut paraître moins désespérée et moins difficile, avec un système universitaire français différent, et avec des perspectives de carrière relativement favorable, jusqu'à la survenue de cette crise financière.

Mais, au-delà, nos pays européens occidentaux restent frappés des mêmes maux. Une toute petite élite financière, administrative et politique, demeurent les principaux bénéficiaires de notre modèle de société. Le reste de nos citoyens passeront leur vie à tenter de survivre, de boucler des fins de mois difficiles, de rembourser leur crédit immobilier ou la traite de leur voiture, d'échapper à la misère. 90 à 95% des habitants de nos pays européens vivent une petite vie relativement misérable, fragile, qui peut basculer relativement facilement à tout moment dans la précarité, comme de nombreux ménages américains, touchés par la folie des crédits subprimes, l'ont découvert récemment.

Voilà le futur qui attend l'immense majorité de nos jeunes lycéens et étudiants français et plus largement européens ... Une société dont une élite a confisqué les possibilités d'enrichissement et de réussite sociale ... Elite que seuls les fils et filles de puissants pourront rejoindre, tels par exemple les enfants de Nicolas Sarkozy ou ceux de François Pinault ou Bernard Arnaut ...

Voilà ce que le capitalisme européen a créé : un monde sans espoir d'amélioration, où la richesse et le pouvoir sont confisqués par les puissants pour permettre l'auto-entretien de cette société capitaliste. La jeunesse grecque s'est révoltée, mais elle rentrera vraisemblablement dans les rangs. La violence se calmera ; il faut bien manger. Jusqu'à la prochaine explosion.

En quittant le monde de l'économie, on peut se rendre compte que nous ne vivons plus que dans une démocratie formelle (ou virtuelle), où les apparences démocratiques demeurent respectées (élections libres) mais où les choix politiques sont contrôlés et vérouillés ... Une forme de régimes fascistes où les puissants ont confisqué le pouvoir de représentation politique et de prise de décisions ... Voilà le monde tel qu'il existe réellement, en dehors des faux-semblants, des apparences ... Une preuve ? N'est-il pas bizarre qu'aucun média n'évoque la probabilité après tout non nulle que le géniteur de l'enfant de Rachida Dati ne soit autre que Nicolas Sarkozy ? Pour quelle raison cet étrange silence ? Quelle peur peut donc l'expliquer ? Sommes-nous déjà en dictature ?


Réflexion treize (8 novembre 2008)
Quelques hypothèses sur le devenir de nos économies occidentales et du capitalisme en général ... (suite)


« (...) Aujourd'hui, c'est 1% seulement de la population qui profite matériellement du système. Je pars en guerre contre la caricature de bobos soit-disant privilégiés. Ils incarnent en réalité l'appauvrissement des jeunes éduqués des classes moyennes, effectivement repoussés vers les anciens quartiers populaires. Si le pouvoir et la richesse n'ont plus de rapport avec le niveau d'éducation, alors la lutte des classes redevient possible. Les classes moyennes choisiront de contester la classe supérieure qui les maltraite plutôt que de se retourner contre les prolétaires ou les immigrés de la dernière heure. J'attends comme une libération la montée de la colère politique de ces jeunes éduqués. Mais rien n'est joué ! (...) » (Emmanuel Todt).

Cette phrase m'a fait entrevoir la possibilité d'une autre évolution de la société française, et plus largement des sociétés capitalistes. L'idée d'une révolution nous paraît évidemment, à cette aube du vingt-et-unième siècle, une éventualité pratiquement impossible, vraisemblablement en raison de notre âge, de l'éloignement de nos jeunes années, de l'éloignement de cette période où l'injustice du monde et de notre société nous paraissait incompréhensible et inacceptable. En raison de l'intégration des règles de notre société, de l'acceptation des contrôles et de la légitimité de ceux qui nous dirigent ... Lorsque j'avais 20 ans, j'ai aussi rêvé de voir cette société française et ses dirigeants disparaître dans une révolution victorieuse, pour être remplacée par une démocratie véritable et égalitaire.

Toutes les générations n'ont pas la chance de vivre à l'époque de tels évènements. 1789, 1848, 1968 ... rares sont les époques ayant assisté à de telles explosions sociales. Nous avons en effet beau vivre en démocratie, nos dirigeants et les organes de répression que représentent la police, la gendarmerie et les renseignements généraux ne laissent pas de telles véléités se développer sans entraves ...

Mais le monde tel que nous le vivons aujourd'hui, tel qu'il doit apparaître à ceux qui le découvrent au sortir de l'adolescence, à l'entrée dans la vie adulte, est un monde foncièrement inégal ... Une infime proportion de la population française profite effectivement de ce système : très riches et fils ou filles de très riches, plus quelques footballeurs, tennismen, et autres stars ... L'immense majorité de la population française a pour seul futur l'impossibilité d'assurer une vie meilleure à leurs enfants ... l'impossibilité de transmettre un héritage à leurs descendants ... une vie qui pour beaucoup peut basculer très facilement dans la misère, du fait d'une catastrophe, du chômage ou d'une crise, entre autres causes ... Il est vrai que les diplômes protègent de moins en moins leurs détenteurs ... Désormais, seules quelques écoles délivrent encore un sésame recherché pour un futur radieux dans le monde du travail ou de la finance ... et les règles changent ... Il n'est pas sûr que la réussite scolaire soit encore la clé d'accès à ces écoles prestigieuses, comme autrefois, et non pas l'argent ou les réseaux de connaissance des parents ... Tandis que les universités françaises préparent désormais de jeunes étudiants sans perspective de carrière ... universités, lycées et écoles dont on vide peu à peu les enseignements de contenus, à coup de réformes successives ...

La population française, qui assiste désormais en exclue à la fête bling-bling de ses dirigeants politiques, économiques et sociaux, va-t-elle se résigner à jamais à son exclusion de ce spectacle qui se déroule devant elle, avec son argent, ses impôts, sa consommation, mais réservé à une petite minorité de privilégiés ... spectacle retransmis à satiété par les télévisions et les journaux de ces mêmes dirigeants fortunés ... pour la faire rêver ou pour l'occuper ...

La population française peut-elle continuer indéfiniment à accepter de vivre dans cette société à deux vitesses, cette France du haut pour quelques privilégiés, dont nos dirigeants politiques au pouvoir ... et cette France du bas qui regroupe l'immense majorité des français, de ceux qui vivent avec le Smic ou les minimums sociaux, jusqu'à ceux qui même convenablement rémunérés, ne pourront jamais s'arracher à une vie relativement difficile ... Une société qui ne fait plus rêver ces jeunes est une société perdue. Une société qui n'offre plus d'espoir à ces jeunes est une société moribonde.

La politique bling-bling de Nicolas Sarkozy sera-t-elle l'élément déclencheur d'une précarisation croissante des élites déchues de notre société et de leur colère ?

Quel pourra être notre avenir ? Une crise économique durable qui sera acceptée par l'immense majorité de notre population, qui subira avec résignation la misère et la faim ? Une sortie de crise rapide est un nouveau souffle pour notre économie pourtant fragilisée ? Une révolte de l'immense majorité des sans-grades et des exclus de notre société, portée par une jeunesse se voyant offrir de moins en moins d'espoir ?

Pour l'instant, le corps social de notre société se déchire encore lui-même, entre classes sociales ou contre les immigrés, les étrangers, les sans-papiers ou les assistés ... Et il rêve et fantasme sur les émissions télévisuelles ou sur les jeux de hasard (loto, PMU, jeux sur internet ...), dans l'espoir d'une autre vie ou d'un futur plus radieux ... Mais un jour, peut-être se réveillera-t-il et fera-t-il tomber ses chaînes et ses maîtres !


Réflexion douze (3 novembre 2008)
Quelques hypothèses sur le devenir de nos économies occidentales et du capitalisme en général ...


Ce qui suit ne constitue qu'une hypothèse de devenir, une réflexion sur un devenir hypothétique de notre société occidentale et du capitalisme, parmi de nombreuses autres possibilités. Je ne veux en aucun cas me prononcer sur la probabilité de son occurrence. Ces hypothèses sont nées de la lecture du Nouvel Obs ...

« (...) Ou bien le nouveau Bretton Woods s'inscrit dans la lignée du précédent, qui tendait à stabiliser le monde du point de vue économique, monétaire et financier pour favoriser la prospérité, l'emploi et le progrès matériel, intellectuel et moral des populations. Ou bien il procède d'une tentative de soumettre, plus encore que ce n'était le cas au moment où la crise a surgi, les entreprises et les populations aux exigences maintenues des opérateurs financiers préalablement sauvés par les Etats (...) » (Jean Luc Gréau).

En effet, cette crise financière et économique qui secoue actuellement le monde est peut-être très loin d'être terminée, mais les actions publiques occidentales massives de ces derniers mois semblent ouvrir plusieurs alternatives, qui peuvent permettre tous les espoirs, ou tous les désespoirs.

C'est un peu comme si les élites politiques et économiques du monde occidental s'étaient aperçues des dangers du libéralisme à tout crin et du capitalisme dérégulé, pour souhaiter plus de régulations et plus d'interventionnisme étatique. Mais les conservateurs un peu partout (et surtout aux Etats-Unis) se refusent à accepter toute intervention qui s'apparenterait de près et de loin à du socialisme ... Et ces interventions publiques massives pour sauver les systèmes bancaires occidentaux ne diffèrent pas pour l'instant d'une 'collectivisation des pertes', corrolaire de la 'privatisation des profits' qui a régné jusqu'à présent. Après tout, les gouvernements qui ont décidé ces interventions de sauvetage sont des gouvernements libéraux, adeptes jusqu'à peu du libéralisme, et il paraît peu vraisemblable que cette crise leur ait ouvert les yeux sur leurs camarades et les dangers de la course au profit.

Nous sommes effectivement à un croisement de l'histoire. Soit ces interventions publiques et ce souci de plus de régulations ne visent qu'à protéger un système financier en difficulté pour quelques années, avant de laisser le capitalisme et le libéralisme échevelés rediriger le monde selon les souhaits de quelques puissants, pour leur unique profit ... Et cette solution me semble hautement envisageable ...

Soit quelques personnes vont véritablement tenter de lancer une réforme des relations financières internationales et du système monétaire international, comme à Bretton Woods à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Refonder le capitalisme et le système monétaire international ... Sortir des mouvements erratiques des monnaies entre elles ... Sortir de la souvalorisation du yuan chinois (ou remimbi) et du yen japonais ... Sortir de la course au profit des grandes banques internationales ...

La solution de la nationalisation des grandes banques internationales en tant que responsable du bien public monnaie semble impossible, alors que l'on observe un mouvement international de fond visant à confier au secteur privé la gestion des biens publics, que l'on observe une préférence même en France pour la privatisation selon le principe que le recours au marché est la seule solution (la privatisation de La Poste ou de Areva), et enfin en raison des déboires récents de certaines banques publiques (tel le Crédit Lyonnais) mais en oubliant les réussites des mouvements de nationalisation française des banques en 1945 et en 1981, qui ont permis la constitution de groupes bancaires puissants grâce à des regroupements orchestrés par l'état français.

Un nouvel ordre monétaire international ? Le monde en a cependant infiniment besoin, que ce soit pour régler les problèmes monétaires et les problèmes de développement des pays du Sud ... Mais il faudra une immense volonté politique pour que cela aboutisse. Et il manque un nouveau paradigme économique et financier, comme en 1944 avec John Maynard Keynes ou ses adversaires ...


Réflexion onze (22 octobre 2008)
Les scandales du capitalisme en Chine ?... Ou le scandale du capitalisme occidental tout court ?... Le résultat d'une course effrénée vers le profit ...


La Chine, atelier du monde ... Un certain nombre de scandales touchant la qualité et les ingrédients utilisés dans les produits chinois éclatent ces dernières années ... Jouets dangereux, peintures toxiques utilisées (principalement dans des jouets), produits électriques défectueux du fait de non-conformité ... Scandale de la mélamine, d'abord utilisée et découverte en 2006 dans les farines alimentaires chinoises, puis en 2008 dans les laits en poudre pour les enfants (que l'on retrouve aussi dans les confiseries chinoises) ... Scandale du diéthylène glycol, que l'on retrouve désormais notamment dans des dentifrices fabriqués en Chine, mais qui avait causé la mort de 300 enfants à Panama en 2007 du fait de sa présence dans un sirop contre la toux (en lieu et place de glycérine) ...

A chaque fois, il ne s'agit pas du cas isolé d'une seule entreprise chinoise ayant mis en oeuvre un mauvais process de fabrication ... Il s'agit de pratiques appliquées par toutes les entreprises d'un secteur industriel concerné, comme dans le cas de l'usage de diéthylène glycol ou de l'usage de la mélamine ... Et elles ne concernent même pas non plus uniquement les produits destinés à l'exportation, mais même les produits destinés au marché intérieur chinois ...

Mais tellement de produits, même provenant de grandes marques, sont fabriqués en Chine ... Comment éviter de les acheter, si ce n'est en cessant de tout acheter ? Il est notable que des informations commencent désormais à circuler sur ces problèmes, en lieu et place du silence absolu qui était la règle jusqu'à présent. Les produits chinois dangereux ne sont vraisemblablement pas apparu brusquement il y a deux ou trois ans. Des entreprises spécialisées dans le contrôle sur place des conditions et des normes de fabrication interviennent depuis de nombreuses années en Chine comme dans les autres états-ateliers de la planète ... Il est clair qu'il serait aberrant d'accorder la même confiance dans les produits de fabricants chinois et ceux de fabricants européens, qui n'ont pas les mêmes obligations en terme de normes à respecter, ni la même histoire ...

La France, l'Allemagne ou l'Europe sont industrialisées depuis plusieurs siècles et ont derrière elles des décennies d'histoire industrielle ... Leurs entreprises sont habituées à respecter des normes de fabrication souvent depuis des décennies, même si aujourd'hui, leurs coûts sont trop élevés en comparaison des produits produits en Chine et hier dans d'autres pays-ateliers ... Les entreprises européennes ont appris à intégrer le risque juridique que leur font courir des produits éventuellement défectueux ... Il n'en va pas de même en Chine ... Mais le problème vient du fait que les entreprises chinoises peu respectueuse de la santé des consommateurs trouvent malgré tout des acheteurs importateurs pour leurs produits ...

La Chine évoluera vraisemblablement vers un plus grand respect des normes dans la fabrication de ces produits, après encore de nombreux autres scandales de contamination par des substances qui n'auront aucune raison d'être utilisées en lieu et place de certains ingrédients ... Mais face à des importateurs occidentaux qui leur imposent des spécifications draconiennes et des prix ridiculement bas pour pouvoir maximiser les quantités vendues, le positionnement de leurs produits le plus intéressant possible en comparaison de leurs concurrents et leurs profits, les fabricants chinois sont forcés de diminuer leurs coûts en usant de certains artifices, dont certains peuvent mettre en danger la vie de nos chérubins et nos propres vies ... La quête de la maximisation de notre pouvoir d'achat a des conséquences néfastes pour notre santé, notre sécurité et celles de nos enfants ... La qualité a un coût qu'il serait bon de se rappeler ... Rien ne vaut un bon produit 'made in France' dont on connaît le fabricant ... Même si cette entreprise peut également être confrontée à une erreur de process (comme le scandale de la dioxine ...) ... Et le produit 'made in France' a l'avantage de maintenir l'emploi industriel dans notre pays, au lieu d'exporter ces emplois à l'étranger ...


Saucratès



25/11/2010
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