Critiques de notre temps

Critiques de notre temps

De la crise financière (6)

 

Réflexion trente-huit (26 octobre 2008)
La crise financière et le capitalisme


J'ai entendu sur France Inter un auditeur faire un parallèle entre la chute du Mur de Berlin, qui avait entraîné la fin du communisme, et la crise financière actuelle, qui selon lui, devrait elle aussi avoir pour conséquence la chute du capitalisme (ou du libéralisme ?). Parallèle saisissant ... que cet auditeur avait repris à un homme politique socialiste si je me souviens bien.

Selon cet auditeur, la chute du Mur de Berlin correspondait à la disparition du ressort interne du communisme et signifiait l'échec de l'expérience communiste. Et selon lui, la crise financière devait également être appréhendée comme un échec du capitalisme, et signifiait que ce dernier devrait être remplacé par autre chose.

Ce parallèle a-t-il un sens ? Il se trouve que le capitalisme a déjà rencontré de telles périodes de crise, notamment dans les années suivant 1929. Et le capitalisme a certes muté, a certes évolué, mais il a survécu. Il a aussi survécu beaucoup plus facilement aux crises de 1974, de 1981, de 1998, de 2000 et 2001 ... et à celles qui ont précédé 1929 ... Quel est le ressort du capitalisme ? Et comment pourrait-il être cassé ? Le profit, l'argent, l'influence ... ou alors la confiance ?...

Le capitalisme s'est toujours adapté aux évolutions qu'il a rencontré. Le capitalisme est en effet apparu dans sa forme actuelle (industriel et financier) entre le dix-huitième siècle et le début du dix-neuvième siècle, selon l'époque où on le fait remonter, selon que l'on remonte jusqu'aux premières fabriques textiles ou à l'expérience de John Law, au début du dix-huitième siècle, ou bien plus tard ... Mais le capitalisme du dix-huitième et du dix-neuvième siècle reposait sur une classe bourgeoise limitée et sur une classe ouvrière nombreuse et misérable, et non organisée. Pratiquement jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle, l'organisation de syndicats ouvriers sera interdite dans pratiquement tous les pays occidentaux, que ce soit notamment en France jusqu'en 1884 ou aux Etats-Unis ...

Mais le capitalisme, organisé autour de la misère de la classe ouvrière dont il semble se nourir à cette époque, et confrontée à la critique socialiste et communiste et à l'apparition du contre-exemple soviétique, découvrira une nouvelle forme d'organisation autour de la division scientifique du travail et le fordisme, qui reposera sur l'extension des droits sociaux un peu partout dans le monde développé au cours de la première moitié du vingtième siècle (syndicats, congés payés, mutuelles d'entraide, sécurité sociale ...) et l'enrichissement de la classe ouvrière.

Au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, le capitalisme n'a plus grand chose à voir avec le capitalisme du dix-neuvième siècle et ses hordes de travailleurs miséreux ... Il repose désormais sur une nombreuse classe moyenne enrichie qui participe à l'enrichissement des nations occidentales et bénéficie d'améliorations de leur cadre et de leur niveau de vie ...

Mais le capitalisme continuera d'évoluer, de manière visible à compter des années 1970-1980 ... Il est difficile de déterminer comment s'explique la mondialisation ... Mais ses effets entraînent un appauvrissement et une fragilisation des classes moyennes occidentales, la montée d'un chômage persistant, l'explosion des déséquilibres internationaux ...

Pour ces différentes raisons, je vois mal pourquoi le capitalisme ne serait pas capable de se réformer à la suite de cette crise financière, quelque soit la violence et l'importance de cette crise au cours des prochaines années.

Evidemment, après la crise de 1929, les régimes démocratiques occidentaux ont failli être renversé par une vague de régimes fascistes, qui s'accompagnaient d'une forme d'organisation économique différente du modèle capitaliste, centrée autour des états et de leurs dirigeants politiques (organisation en fait pas tellement différente du modèle russe actuel ou du modèle français sous Nicolas Sarkozy ... des systèmes économiques sous le contrôle d'un homme ou d'un gouvernement dans ces deux cas). Mais la démocratie l'avait à l'époque emportée, aidée par le communisme soviétique. Pourra-t-il en aller différemment au cours des prochaines décennies. L'exemple français risque-t-il de préfigurer la montée d'une nouvelle forme d'organisation politique et économique, bien antérieure toutefois à la crise financière dont il est ici question ...


Réflexion trente-sept (23 octobre 2008)
Quelles responsabilités dans la survenue de cette crise financière ?


En ces temps de crise, la grande occupation des journalistes, des hommes politiques, des blogueurs, de l'homme de la rue, est devenue de désigner le (ou les) responsable(s) de la crise. Selon les nationalités et les préférences des uns ou des autres, le (ou les) bouc(s) émissaire(s) sont au choix ...

- les banquiers
- les spéculateurs sur les marchés financiers
- les politiques de déréglementation
- l'innovation financière des financiers dans les banques
- la FED qui a mené une politique monétaire laxiste
- la BCE qui a mené une politique monétaire jugée restrictive
- les Etats-Unis par lesquels la crise est arrivée
- les ménages américains qui se sont trop endettés
- les états et les dirigeants politiques qui n'ont rien vu venir ou qui ont laissé la bulle du crédit enfler
- et cetera desunt

Pour reprendre la thèse du blogueur Loïc Abadie, le véritable responsable de la crise financière actuelle, au-delà de la responsabilité partielle de chacun de ces différents facteurs, qui ont évidemment également influé sur la survenue et le déroulement de cette crise, c'est le comportement de la psychologie de la foule ... ou l'excès d'optimisme ou d'euphorie ...

Selon Abadie, les fluctuations de l'activité économique sont devenues de plus en plus réduites au cours des dernières décennies. L'ensemble des intervenants économiques ou politiques ont ainsi constaté un environnement économique de plus en plus stable autour d'eux, ce qui a eu pour conséquence le développement d'un sentiment de sécurité croissant parmi les intervenants, et d'une confiance croissante dans l'environnement économique et financier. Selon lui, de cette confiance est née l'euphorie et la perte de conscience de la montée des risques ... Les générations nées et ayant vécu dans cet environnement tranquille, étant arrivées au sommet de la hiérarchie sociale, ont généralisé à toute la société cette euphorie et cet optimisme dans la capacité du marché. Abadie donne des exemples très pertinents sur l'influence de la psychologie des foules sur les comportements des personnes 'importantes' socialement ... Une force contre laquelle il est quasiment impossible de lutter.

Bénéficiant de la disparition du communisme, le capitalisme paraissait être devenu l'objectif indépassable de l'humanité et l'aspiration de tous.

Evidemment, cette thèse semble en contradiction avec la montée du chômage et de la précarité observée dans nos sociétés occidentales. Comment concilier l'idée d'une disparition de la perception du risque et un optimisme et une euphorie croissante de toute la société, avec la peur du lendemain qui se généralise cependant dans l'ensemble de nos sociétés occidentales, confrontées à un blocage de l'ascenceur social et à une crainte de redescendre socialement ?

En même temps, le sentiment dominant, même chez les pauvres et les exclus, était bien qu'une crise telle celle de 1929 n'était plus possible en Occident. Le rejet du capitalisme et des structures de la société observé chez certains rencontrait toutefois la sensation d'inéluctabilité de la domination du capitalisme et de son extension au monde entier. La tendance du capitalisme occidental a broyé des êtres et à généraliser à l'ensemble de la planète les conditions sociales les moins favorables n'était plus contestée ...

Abadie semble persuadé que le sentiment dominant en terme de psychologie des foules est en train actuellement de changer, l'opinion dominante étant désormais davantage de régulation, de réglementation et de mesure dans les aspirations de chacun d'entre nous ... Mais en même temps, que les leçons de cette crise seront oubliées une nouvelle fois dans les prochaines décennies, lorsque le sentiment dominant sera redevenu un optimisme béat sur le développement des marchés ...

Mais Abadie est persuadé que nous avons plongé dans le quatrième hiver de Kondratieff ... et que la crise financière sera durable et profonde ... Ce point se discute ... Cette crise va-t-elle conduire à une récession pour quelques trimestres, comme les dernières crises économiques rencontrées au cours de ces dernières décennies, ou va-t-elle donner lieu à une crise économique majeure de plusieurs années ?... L'avenir nous le dira ...

Voir le lien suivant vers une analyse des quatres cycles Kondratieff aux Etats-Unis depuis 1789 ... une des thèses que l'on peut défendre pour expliquer la situation actuelle ... Mais une explication selon moi bien raccourcie de la situation et de l'histoire économique outre-atlantique, qui fait l'impasse sur la première guerre mondiale, et où l'année 1907, début du troisième Kondratieff selon cette analyse, correspond en fait à une grave crise financière outre-atlantique qui a conduit à la création de la Réserve Fédérale Américaine ... et cetera desunt.
hhttp://www.thelongwaveanalyst.ca/flash_cycle.html


Réflexion trente-six (16 octobre 2008)
Que faut-il comprendre lorsque tout le monde critique les déréglementations de ces dernières années ?... Ou toutes les déréglementations de ces dernières années n'ont-elles eu que des effets négatifs ?


Il est devenu de bon ton de critiquer les politiques de dérégulation et de déréglementation financière qui auraient semblerait-il conduit à la crise financière actuelle. Ces politiques de dérégulation et de déréglementation sont en quelque sorte devenues les victimes expiatoires - les coupables désignés - de la crise qui secoue les places boursières mondiales ... La majeure partie des hommes politiques s'essaient en tout cas à des diatribes contre ces politiques qu'ils considèrent comme étant responsables de tous nos maux ...

Qu'en est-il dans la réalité ? La crise financière que nous observons actuellement correspond il est vrai à la quasi-faillite d'une idéologie mise en application il y a un peu plus de deux décennies ... Les politiques de déréglementation ayant en effet commencé à être conduites à compter du milieu des années 1980 en France et en Europe, au début des années 1980 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ... Mais il y a plusieurs types de déréglémentation qui ont été menées par les états occidentaux pour modifier le fonctionnement de leurs marchés financiers. Evidemment, personne n'imaginait (plus ou moins personne plus vraisemblablement) que la conséquence ultime de marchés financiers parfaitement homogénéisés conduirait finalement aux scènes de panique observées actuellement, devant les guichets de banques au bord de la faillite ou sur les marchés financiers, ou à la crise financière qui en est le prolongement ...

Les premières réformes conduites en Europe au milieu des années 1980 visaient à décloisonner les marchés financiers, pour les rendre plus liquides et plus simplement contrôlables par une banque centrale, à l'aide d'un seul taux directeur. A peu près à la même époque (1984), la France se dotait d'une nouvelle loi bancaire (la précédente loi bancaire datait de 1945, qui elle-même avait remplacé la première loi bancaire édictée par Vichy en 1941), qui unifiait les différents types d'établissements de crédit qui existaient jusqu'à présent en France ... sous le vocable 'banques' ... en lieu et place des divisions entre banques d'affaires, banques de dépôts et banques à long terme qui existaient auparavant ... sans oublier d'y intégrer également les banques mutualistes à réseaux (Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Caisses d'épargne et Banques Populaires ...) qui n'étaient pas concernées par la précédente loi bancaire datant de 1945 ... Ce décloisonnement avait pour objectif de désegmenter les divers compartiments nationaux des marchés financiers, en généralisant les possibilités d'intervention de tous les intervenants auparavant segmentés (assurances, banques, entreprises) et en créant de nouveaux titres négociables sur les marchés, d'une maturité comprise entre 2 et 5 ans, entre le marché interbancaire (moins d'un an) et le marché obligataire (7 ans et plus). Ce qui n'avait pas été véritablement anticipé, c'était que les crises pourraient également bénéficier de cette capacité de transmission accrue.

Cette déréglementation (ou décloisonnement) a permis la création de marchés financiers plus dynamiques, plus efficients, et un financement de l'économie plus souple et désintermédiatisé (échappant aux banques) ... Elle a également permis la mise en oeuvre de véritables politiques monétaires, et un pilotage du taux d'inflation par le canal des taux directeurs des banques centrales ... L'inflation a ainsi fortement diminué au cours de la période concernée ...

Mais ce décloisonnement et le processus de déréglementation ont évidemment - on le sait aujourd'hui - ouvert la boîte de Pandore, avec des établissements bancaires qui ont commencé à créer des produits financiers de plus en plus compliqués, auxquels plus personne ne comprenait rien ... Les établissements bancaires se sont également mis à mélanger de plus en plus les diverses activités bancaires (collecte de dépôts, octrois de crédit, intermédiaires sur les marchés financiers, concepteurs de produits dérivés ...) ...

Pourrait-on aujourd'hui revenir sur tous ces aspects du mouvement de déréglementation de ces vingt dernières années ? Pourrait-on revenir aux marchés financiers cloisonnés qui existaient il y a vingt ans ? Et une crise telle celle que l'on connaît aujourd'hui aurait-elle eu moins de risques d'apparaître dans le cadre de tels marchés financiers cloisonnés ? Cela ne me semble pas certain. Ce qui me semble certain, c'est que les marchés financiers 'modernisés' ont bien remplis leur rôle de financement de l'économie pendant la première décennie, améliorant l'accès des entreprises aux financements, jugulant l'inflation ... Les dérapages actuels, même s'ils trouvent leur origine dans un ensemble de déréglementations, concernent dans la réalité certaines innovations limitées (marchés d'options - MONEP - et produits structurés) qu'il devient indispensable d'apprendre à réguler et à contrôler ... Mais sans anéantir l'ensemble de la construction de la finance qui a été réalisée il y a maintenant vingt ans dans l'ensemble du monde occidental. Les possibilités de propagation des crises doivent simplement y être étudiées ... et des mécanismes de protection y être mis en place ... Même si aucun mécanisme n'empêchera jamais un mouvement de panique ...


Réflexion trente-cinq (14 octobre 2008)
Création de fonds souverains en Europe et aux USA ?


Le plan Paulson aux Etats-Unis ... Les 360 milliards d'euros proposés par le gouvernement français pour garantir les emprunts interbancaires du système bancaire, dès lors que les banques qui en seraient bénéficiaires s'engageraient à consentir des crédits aux entreprises et aux ménages français ... Les 40 milliards d'euros proposés par le gouvernement français pour le renforcement des fonds propres des banques qui en auraient besoin ... Ne sommes-nous pas en train d'observer la création de fonds souverains par les états occidentaux, fonds souverains qui leur faisaient jusqu'à présent défaut dans le concert des nations 'riches' ...

Les états arabes avaient 'confectionné' leurs fonds souverains en y affectant les rentrées de devises étrangères provenant des achats étrangers d'hydrocarbures. La Chine et d'autres états asiatiques avaient constitué des fonds souverains en y affectant les rentrées de devises étrangères provenant de leurs exportations de biens ... L'Europe et les Etats-Unis vont créer des fonds souverains en y affectant des fonds publics issus des impôts (ou d'emprunts d'état qui seront ultérieurement remboursés par les impôts de demain) ... Evidemment, nos états sont riches et ce que les autres ne peuvent constituer qu'en prélevant sur les rentrées de devises (Chine, états arabes ...), nous pouvons utiliser nos propres finances publiques, tant que les marchés acceptent de nous prêter (et le marché ce sont aussi ces mêmes fonds souverains qui disposent de titres publics de nos états) ... Car tous ces plans de protection dépendent de la capacité de nos états occidentaux à pouvoir s'endetter pour continuer de dépenser plus qu'ils n'ont de recettes fiscales ...

Cette dernière perspective de risque, je l'espère, ne me semble pas encore envisageable ... Comment réagiront les marchés financiers dans les prochains jours ou les prochaines semaines ? Espérons qu'ils ne se mettront pas à douter de la qualité de la signature des états occidentaux, en raison des risques croissants encourus pour sauver nos système financier ... Dans le problème de la confiance en finance, il suffit d'un rien pour que tout s'écroule ... comme nous l'avons observé ces derniers temps ...

Au-delà de ce risque, peu envisageable pour l'instant, il faut également s'intéresser aux réactions des uns et des autres à l'annonce de tels plans de soutien ... Les états en développement, qui ont tellement besoin d'aide publique au développement, aide publique au développement tellement difficile à obtenir, doivent regarder avec surprise les fonds dépensés par les états occidentaux pour secourir leur système bancaire ... plusieurs points de pourcentage du PIB ... lorsque l'on sait que les états occidentaux n'arrivent pas à consentir 0,70% de leur même PIB à l'aide publique au développement ...

De même, que pensent les ménages pauvres, les chômeurs, les érèmistes, de ces milliards d'euros affectés au sauvetage des banques et des marchés financiers, au bénéfice selon eux des puissants et des richards ? Divers sites d'internautes en donnent une certaine image ... Mais il ne faut pas oublier un point d'importance ... C'est que la stabilité des marchés financiers est considérée comme étant un bien public mondial ... donc un bien collectif au niveau d'une seule nation ... Et de fait, contrairement aux apparences, la sauvegarde de la stabilité du système financier français et plus largement mondial est salutaire pour toute la population française, riche ou pauvre ... Même pour les exclus qui n'ont même pas de compte bancaire ni de livret (si cela existe ?) puisqu'ils dépendent de la générosité des autres ...


Réflexion trente-quatre (9 octobre 2008)
Mais pendant cette crise financière, les puissants continuent à bénéficier du système ... Seule différence ... Ces pratiques commencent à faire réagir ...


Une semaine à peine après avoir été sauvé de la faillite par les autorités américaines, pour un coût de 85 milliards de dollars à la charge des contribuables américains, le géant de l'assurance AIG (Americain International Group) organisait un séminaire dans un hôtel de luxe californien (le St Regis Monarch Beach) avec cure de remise en forme (du 24 au 28 septembre 2008), pour un coût de 440.000 dollars, à destination de ces dirigeants et quelques hommes d'affaires (cf l'article du Figaro consacré à cette affaire).

La différence avec la situation antérieure, c'est que ces faits ont fait s'étrangler les parlementaires américains, comme les démocrates Henry Waxman ou Elijah Cumming. Même George W. Bush, par la voix d'un de ses porte-paroles, aurait exprimé son indignation (!!!) ... «Je comprends que le peuple américain soit scandalisé. Je le suis. C'est assez méprisable».

Les puissants ne changeront évidemment pas leurs habitudes. Comme le rappelait Nolats, seuls les citoyens lambda, pauvres ou moyennement riches, subiront les conséquences de la crise financière ... appauvrissement, perte de leur maison, chômage, misère ... Pas les riches et les puissants qui en sortiront majoritairement encore plus riches (relativement) et plus puissants. Pour un scandale dénoncé, pour une indignation vertueuse, combien de faits scandaleux ignore-t-on ? Combien de vacances somptuaires, d'augmentations vertigineuses de salaires, de rémunérations indécentes, pour les puissants de notre monde occidental, et notamment chez nos dirigeants politiques ?

Mais au moins, ces faits choquent. Il y a encore quelques trimestres, une telle dépense aurait été considérée comme absolument normale pour la majeure partie des représentants politiques américains et des journaux ... Plus maintenant ... Mais pour combien de temps de telles indignations vertueuses seront-elles considérées comme saines ? J'imagine l'ennui des milieux d'affaires devant ces faits ... Combien d'entreprises françaises, qui ont appelé à leur rescousse les petits porteurs pour renforcer leurs fonds propres, n'organisent pas ce genre de petites gratifications pour leur haut encadrement ?... Combien même d'entreprises publiques françaises n'organisent-elles pas ce genre de petites fêtes ?


Réflexion trente-trois (8 octobre 2008)
La crise financière s'est-elle tellement dégradée en quelques jours ?... ou des dangers des discours publics incendiaires de certains hommes politiques ...


Nouveau plongeon des bourses mondiales ce mercredi 8 octobre ... -9% à Tokyo ... -5% à New York ... -5% à Paris dans les premiers échanges ... mais le fonds de mon analyse ne change pas ... il ne s'agit encore que d'une panique boursière, liée à la spéculation des marchés et des intervenants ... à l'irrationalité des marchés et des intervenants ... et maintenant également de celle de nos dirigeants ... Heureusement, les banques centrales veillent ...

En matière de finance et de banque, tout repose sur la confiance, la confiance des marchés et des épargnants. Et la confiance est particulièrement fragile, comme les évènements des derniers jours nous l'ont amplement rappelés.

Beaucoup d'épargnants français doivent s'interroger comme moi sur les discours tenus par Nicolas Sarkozy. Soit cet homme dispose d'informations encore secrètes, du fait de sa situation d'homme d'état, et le ton alarmiste de son discours de Toulon s'explique de cette manière. Soit cet homme a voulu se tailler un costume de grand homme d'état, et il joue très dangereusement au pompier pyromane avec notre système financier.

Il n'est en effet pas sûr que le résultat de toute cette agitation brownienne autour des marchés financiers et des établissements bancaires de la place aient les effets escomptés. Au jour d'aujourd'hui, qu'observe-t-on en effet ? Essentiellement une dégradation des places boursières européennes et plus largement mondiales, touchant il est vrai tout particulièrement les établissements financiers au sujet desquels les marchés financiers anticipent une montée des risques de crédit et une dégradation des niveaux de fonds propres. Le CAC 40, qui est simplement un indice regroupant les 40 plus grosses capitalisations de la place Euronext (principalement à Paris), avait perdu un peu plus de 9% dans la journée du 6 octobre, tombant à 3.700 points (il existe d'autres indices à Paris dont on parle moins, comme l'indice SBF 120, qui avait également perdu un peu moins de 9% ...). Cet épiphénomène ne doit pas être analysé de manière beaucoup plus alarmiste qu'il n'est nécessaire. Il ne nécessite en tout cas absolument pas d'interventions alarmistes de l'Elysée ni de réunions exceptionnelles de crise. Le CAC 40 est descendu au cours de la crise des valeurs internet vers 2.500 points et il y a fort à craindre dorénavant que cet indice continue sa glissade jusqu'à ce niveau d'indice, malgré les bons résultats de nombre d'entreprises françaises (l'indice SBF 120 était tombé vers 1.700 points début 2003 et ne se trouve pour l'instant qu'à 2.700 points).

Le problème de la bourse touche à des phénomènes de spéculation et il est clair que ces marchés devraient être déconseillés à tout néophyte. Le danger, c'est évidemment que dans un monde où le contrôle des principales entreprises présente un enjeu politique, avec des répercussions sociales importantes, des crises financières d'une telle ampleur peuvent faire tomber certains fleurons de notre économie dans des mains étrangères (fonds souverains).

Concernant la stabilité du système financier et bancaire européen, les informations disponibles ne laissent pas envisager un sinistre de grande ampleur, même si les déclarations du président Sarkozy, associées aux grandes promesses des gouvernements irlandais puis allemands, peuvent nous pousser à nous interroger. Y a-t-il d'autres risques qui seraient cachés dans le système financier européen ?

Il est clair actuellement que le système financier et bancaire européen pourrait résister à la faillite de plusieurs petits établissements bancaires, sans perte d'épargne importante pour les épargnants (dans la limite de la garantie de dépôts prévue par la place bancaire en France). Ce système pourrait également absorber, grâce à des nationalisations étatiques comme aux Etats-Unis, la faillite d'un gros établissement bancaire européen (de la taille de la Société Générale, du Crédit Agricole ou de la BNP Paribas) ...

Par contre, ce que notre système financier européen ne pourrait pas absorber, c'est la découverte d'un 'trou' vertigineux dans un de ces quelques grands établissements (quelques centaines de milliards d'euros de perte par exemple), qui aurait pour conséquence la disparition des placements de nombreux épargnants, qu'aucune nationalisation ni procédure d'indemnisation des dépôts ne pourrait circonvenir ... Une telle catastrophe serait vraisemblablement catastrophique impossible à gérer, entraînant une panique boursière qu'aucune autorité monétaire ou publique ne pourrait endiguer.

Actuellement, des mouvements de fuite et de conversion des sommes déposées sous forme de comptes à vue ou de livrets d'épargne en billets sont tentés par certains épargnants. Mais une telle conversion de masse est évidemment impossible en regard de l'importance des montants en dépôts en jeu et des billets disponibles, puisque nous sommes dorénavant dans une économie monétaire dématérialisée. Par ailleurs, un tel afflux de billets, s'il était possible, créerait un besoin de refinancement monstrueux des établissements de crédit (que la BCE aurait de la peine à assumer), à des taux de crédit beaucoup plus élevés pour la clientèle, et avec un risque d'emballement des prix titanesque pour tous les porteurs de ces billets qui craindraient les pertes de pouvoir d'achat d'une inflation (avec une probabilité d'apparition d'une hyperinflation à l'allemande comme dans les années 1930 et 1940).

Que faut-il donc penser des interventions de nos hommes politiques et en premier lieu de notre président ? Signes annonciateurs de désordres à venir ? Ou affolement de quelques pompiers pyromanes ?


Réflexion trente-deux (5 octobre 2008)
Après l'adoption du plan Paulson aux Etats-Unis, un point sur la crise financière ...


La crise financière est l'occasion pour de nombreux commentateurs de l'actualité de lancer une critique virulente du capitalisme et de l'économie en général ... L'adoption du plan Paulson (du nom du secrétaire d'état au Trésor de Georges W. Bush ... Hank Paulson) par le sénat et la chambre des représentants des Etats-Unis, et de son méga-fonds de defaisance de 700 milliards de dollars, nous permet d'observer les différences existant entre l'Europe et les Etats-Unis ...

Les Etats-Unis, qui ont défendu le crédo du libéralisme à tout crin depuis des décennies, se rallient aujourd'hui à un capitalisme étatique. Il leur permet accessoirement de se doter d'un fonds souverain dont la puissance de frappe équivaudra à celle des principaux autres fonds souverains étrangers, de la péninsule arabe ou du Sud-Est asiatique ... Ce fonds doté de 700 milliards de dollars, sans compter les fonds déjà utilisés pour nationaliser Freddy Mac, Fanny Mae ou AIG, leur permettra de sécuriser leur système bancaire national, en évitant qu'il tombe tout entier entre les mains de groupes étrangers ou ennemis ... Ce fonds suffira-t-il à empêcher un crash financier aux Etats-Unis et par contagion dans le reste du monde ? Les pertes que ce fonds, financé sur ressources publiques et donc en dernier ressort par les contribuables américains, subira seront-elles excessives ? Mais il reste le fait que les Etats-Unis viennent de se doter d'un fonds souverain, qui demeurera vraisemblablement debout même lorsque la crise financière sera terminée, et qui permettra aux Etats-Unis de se défendre dans le conflit financier qui risquera de se produire dans les prochaines décennies.

Mais l'Europe dans tout cela ? Des pouvoirs politiques morcellés dans les capitales européennes ... Une commission européenne tenante du libéralisme à tout crin ... Une Banque Centrale Européenne bien esseulée, seule en mesure de protéger notre système financier d'une crise systémique, mais disposant de moyens cependant extrêmement limités et sans aucun appui auprès d'un secrétaire européen au Trésor inexistant ... Il faudrait que l'Europe se rende compte de son obligation de se doter, comme les Etats-Unis l'ont fait, d'un fonds public d'intervention doté également d'un tel encours, apte à secourir le système financier européen et à intervenir face aux fonds souverains étrangers ...

Mais encore faudrait-il que les opinions publiques européennes acceptent de participer au sauvetage de leur système financier, de leurs établissements de crédit, de leurs banques ... ce qui n'est pas forcément gagné, notamment en France où l'esprit de révolte souffle facilement ... Ces mêmes français qui seraient cependant les premiers à hurler à la mort et à se plaindre si justement leurs banques coulaient de manière systémique, faisant disparaître par la même occasion leur maigre épargne accumulée et leurs retraites faméliques ...

L'Europe justement, qui a été protégée pour l'instant depuis le début de la crise financière pour l'euro ... sans qu'aucun de ses plus violents détracteurs ne fassent mine de s'en apercevoir ou de s'en réjouir ... sans que les critiques contre l'euro et contre la Banque centrale européenne et son président (le français Trichet) ne faiblissent ou ne ralentissent ... Alors, imaginons ce qu'aurait donné cette crise financière qui dure depuis actuellement plus d'un an sans l'existence de l'euro ... si le franc était encore la monnaie de la France et des français ... Des attaques spéculatives contre le franc comme dans les meilleures années de la décennie 1990 ... des taux d'intervention de la Banque de France maintenus à plus de 10% pour défendre la valeur du franc ... Des dévaluations en urgence du franc apprises au réveil au petit matin parce que la violence des attaques spéculatives ne permettent plus de maintenir le cours du change actuel avec les réserves de change de la Banque de France ... Ce serait cela, notre quotidien, sans l'existence de l'euro, qui permet le maintien du marché intérieur européen ...

L'Europe qui justement, aujourd'hui, comme les Etats-Unis, a la capacité économique de constituer un tel fonds souverain à partir de ses finances publiques ... Mais il lui manque l'ambition ... En a-t-elle seulement compris l'intérêt ? Nicolas Sarkozy l'a-t-il compris ? Faisons quand même confiance à ses conseillers pour cela ...

A quand un plan Paulson (ou Sarkozy) pour l'Europe ... avec la création d'un fonds semblable de plusieurs centaines de milliards d'euros ?


Réflexion trente-et-une (2 octobre 2008)
L'instabilité interne des activités bancaires et financières ...


C'est dorénavant le leit-motif de tous les libéraux de tout crin lorsqu'ils sont interrogés sur la crise financière ... Il ne faut pas faire, selon eux, le procès du capitalisme financier, mais seulement celui des instances de contrôle et de supervision ... Ce n'est pas la Finance qui est en faute, mais les superviseurs du type FED, BCE ou autorités de marché ... Certains spécialistes expliquent très sérieusement que les autorités de marché ne leur ont pas suffisamment rappelés que l'activité financière était une activité risquée ...

Or, je me rappelle des hurlements des politiques français lorsque la BCE ou la Banque de France estimaient que les marges des banques sur les activités de crédit étaient insuffisantes en raison de la trop grande concurrence régnant sur le marché du financement de l'habitat ... Aujourd'hui encore, le débat tourne autour des taux de crédit proposés aux entreprises et aux ménages ...

Que faut-il penser de tout cela ?... Que la tentation de reporter les insuffisances du système financier occidental sur des insuffisances de capacité de supervision des organismes ne doit pas nous aveugler ... Ces organismes, telles la FED ou la BCE, n'avaient pas l'autorité nécessaire pour contrôler une science financière qui était devenue folle ... Que seule une régulation au niveau mondial, ayant prise sur les paradis fiscaux, sera capable de contrôler précisément cette finance mondiale ... Même si les innovations financières permanentes des établissements financiers auront toujours tendance à échapper au travail des régulateurs, surtout lorsque des milliards de dollars de profits sont créés ...

Ce n'est pas une réforme des superviseurs qu'il faut conduire ... réforme des superviseurs que les spécialistes de la finance vivront comme une victoire sur la régulation ... Il faut un renforcement des procédures de supervision ... et une limitation drastique de la liberté qui peut être laissée aux établissements financiers occidentaux ... Plus de contrôles, et non pas moins de supervision ... C'est le capitalisme financier qui doit être réformé ... sa capacité à échapper aux contrôles et à la régulation ...

Il y a cependant quelque chose de fondamental qui est redécouvert à l'occasion de cette crise ... L'instabilité inhérente à l'activité financière ... La finance et la banque reposent sur la confiance. Tout simplement sur la confiance. Les scènes de panique qui sont observées devant des banques aux Etats-Unis, en Angleterre, à Hongkong, sont le rappel que l'activité d'une banque n'a pas changé depuis le dix-neuvième siècle et qu'elle repose toujours simplement sur la confiance ... Et que si cette confiance venait à disparaître, c'est l'ensemble d'une économie fondée sur la confiance (fidus) qui disparaîtrait ...

La force des rumeurs qui peuvent ballayer en quelques heures ou en quelques jours la solidité d'un établissement financier nous rappelle, à nous public, et forcément également aux superviseurs, que toutes les normes édictées pour rassurer les marchés, pour rassurer les intervenants bancaires, ne suffisent pas à empêcher la peur, les rumeurs, et les déstabilisations ... Nous avons beau vivre au vingt-et-unième siècle, les peurs et les paniques des clientèles observées au début de la banque demeurent toujours présentes ... Les épisodes des assignats, de la compagnie de Law, au début du dix-huitième siècle, ne sont pas aussi éloignés qu'il n'y paraît ... Face aux mêmes peurs, aux mêmes types de rumeurs, aux mêmes dérives des pratiques des banquiers, les mêmes scènes de panique peuvent être observées ...


Saucratès



10/11/2010
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